Cible mouvante, partie 3
MOVING TARGET par Melissa Good
CIBLE MOUVANTE
Partie 3
Traductrice: Gaby
Chapitre 7
Dar avait échangé sa tenue négligée peu orthodoxe pour une salopette
coupée et un polo, et elle avait abandonné son ordinateur pour faire un tour de
l’hôtel. Elle avait répondu à tous les courriers méritant une réponse,
abandonnant simplement le reste, son intérêt éteint, tout autant que celui pour
l’haltérophilie diffusée sur ESPN.
Alors elle était là, flânant autour du lobby, pieds nus, observant le
manège des touristes qui tournaient en rond en jetant des regards dégoûtés au
temps orageux. L’intérieur de l’hôtel était d’un blanc simple, et l’atmosphère
générale était axée sur la légèreté et l’élégance.
Dar trouva un coin confortable, choisit un siège, et s’adossa au tissu frais en observant les
gens passer pendant quelques minutes. Il y avait pas mal de familles, mais elle
avait aussi vu beaucoup de couples, se promenant ensemble ou s’asseyant
simplement comme elle pour discuter.
Ses précédentes visites dans sa jeunesse avaient été très différentes.
Dar plia sa jambe, posa sa cheville sur son genou et frotta l’os saillant avec
son pouce. Ils n’étaient pas riches, loin de là, et le meilleur que son père
puisse leur offrir était un des petits motels miteux à Kissimmee, ou le
mémorable camping dans le parc lui-même.
Le Fort du Désert. Dar sourit pour elle-même. Elle avait adoré cet
endroit. Le parfum des pins et des
chevaux flottait dans l’air, et elle se souvint avoir passé des heures à nager
avec son père dans la grande piscine construite à côté du lac.
Ça avait été les meilleures vacances qu’elle ait jamais eues. Juste
quatre jours, un long week-end de congé avant un autre départ en mission, mais
c’était l’une des rares fois dont Dar se souvenait qu’ils avaient été
simplement… heureux ensemble.
Ils avaient dormi à l’arrière de la camionnette de papa, sous la tente
en nylon, et ils avaient sué comme des porcs. Le lac n’en avait été que plus
agréable.
« Excusez-moi. »
Dar leva les yeux pour trouver un homme debout à côté d’elle qui
l‘observait. « Oui ? »
« Êtes-vous
Dar Roberts ? »
Une vague de surprise traversa le long de son épine dorsale.
« Oui. » Répondit Dar sèchement. « Pourquoi ? »
L’homme s’assit et tendit la main, que Dar ignora jusqu’à ce qu’il la
laisse tomber d’un air embarrassé. « Mon nom est Peter Quest. Vous ne me
connaissez pas. »
« Vous avez raison, je ne vous connais pas. Que voulez-vous
? » Dar lui lança un regard franc.
« Je suis là pour une petite affaire, Ms Roberts. J’ai entendu
dire que vous étiez la personne à qui il fallait parler. » Répondit Quest.
« Je suis allé à la convention ce matin pour vous parler, mais vous n’y
étiez pas. »
« Alors vous avez décidé de faire le tour de tous les hôtels de
Disney en demandant aux gens s’ils étaient moi ? » Demanda Dar.
« Sympa. »
L’homme secoua la tête et rit. « Non, j’avais une photo de
vous. » Admit-il. « J’espère que cela ne vous dérange pas. »
Dar posa les pieds sur le sol et se pencha en avant. « Ça me
dérange. » Elle lui parla doucement. « Alors vous feriez mieux de
m’expliquer pourquoi vous me suivez avant que je vous botte les fesses direct
jusque sous la pluie, l’ami. »
Quest s’éloigna un peu d’elle. « Je vous demande pardon, Ms Roberts…
Je me suis mal expliqué, je suis désolé. Je ne voulais pas vous énerver. Je
voulais simplement vous parler. » Il s’humecta les lèvres. « J’ai une
proposition d’affaire qui pourrait vous intéresser, je pense. »
Dar était sur le point de l’envoyer promener de toute façon, quand les
mots d’Alastair firent écho dans sa mémoire. De nouveaux contrats.
« Okay. » Répondit-elle à la place, se réinstallant dans sa chaise. «
Je vous écoute. » Elle pencha la tête légèrement, et elle lança à l’homme
un regard acéré. « Allez-y. »
« Hum… » Quest essayait visiblement de rassembler ses
esprits, désorienté par son changement d’attitude.
« Alors ? » S’impatienta Dar.
L’homme leva une main, puis prit une inspiration.
« Okay. » Dit-il. « Dites-moi, que pensez-vous des navires de
croisière ? »
Dar fronça les sourcils soudainement. « Les
navires de croisière ? »
« Oui. » L’homme parut reprendre confiance, lui faisant un
grand sourire. « Les navires de croisière. »
Bon. Dar soupira intérieurement. Estime-toi heureuse. Il aurait pu
parler d’élevage de porcs.
* * * * *
Kerry pouvait sentir les débuts d’un mal de crâne, et
elle leva discrètement la main derrière son cou pour se frotter la nuque tandis
qu’elle écoutait parler Eleanor. Leur stand était maintenant entouré de
spectateurs intéressés, la plupart scrutant les écrans des moniteurs montés en
réseaux dans chaque coin. Ils montraient un affichage en temps réel de leurs
systèmes, exactement comme sur le grand moniteur que Mark avait au centre des
Opérations à Miami.
Par habitude, elle gardait elle aussi un œil dessus, parce que l’écran
coloré et mouvant représentait les choses dont elle avait la responsabilité. Au
bureau, elle avait un écran jumeau à celui-là, et elle connaissait chaque
graphique comme le dos de sa main.
« Ms Stuart ? »
Kerry se tourna, essayant vainement d’empêcher ses narines de se
dilater quand elle identifia la voix de Shari. « Oui ? »
La femme à la voix rauque se pencha dans la cabine. « Je vais
faire court et gentil. » Elle garda sa voix basse. « Michelle est une
brave fille, et elle pense vraiment que votre société et la nôtre peuvent
s’entraider. »
Kerry attendit simplement en silence.
« Ne me prenez pas en compte. » Continua Shari, après avoir
compris qu’elle ne recevrait aucune réponse. « Je sais que Dar a un
problème avec moi. »
« Vous avez tort. Elle n’a aucun problème avec vous. »
L’interrompit Kerry.
Shari leva les yeux au ciel. « Okay, bien. Elle n’a aucun
problème avec moi, mais je pense qu’il est peu probable que nous devenions des
amies de toute façon, pas vrai ? » Elle lança à Kerry un regard
sarcastique. « Elle n’a jamais été douée pour les relations avec les gens.
C’est sympa de voir que les choses n’ont pas changé. »
Le feu de la colère ne l’étonna pas cette fois. Mais ça lui faisait
presque du bien, d’une certaine manière, parce qu’elle savait que son émotion
était basée sur l’amour qu’elle ressentait pour Dar. « Vous savez quoi
? » Dit finalement Kerry. « Je présume que vous êtes toujours la même
conne que dans le passé. Elle n’a aucun problème, en fait, mais je m’en fiche
un peu parce que c’est moi qui ait un gros problème avec vous, et avec
Michelle, et avec votre société entière. Alors faites-moi une faveur et allez
trouver quelqu’un d’autre autour de qui rôder. Okay ? »
Shari se tut et la regarda pendant une seconde, puis elle se redressa
et fit un pas en arrière. « O-kay. »Elle leva les deux mains avant de
les laisser retomber. « Sympa de voir que les choses sont claires entre
nous. »
« Elles le seront, dès que vous partirez. » Kerry se sentait
un peu bizarre de laisser sa colère prendre le dessus.
« Excusez-moi. » Elle avança jusqu’à Eleanor qui saluait sa dernière
victime. « El ? »
« Hm ? » La directrice du Marketing se tourna. « Oh,
salut Kerry. Tu es prête pour aller déjeuner ? Mon estomac crie famine. »
La pensée du déjeuner lui tordit son estomac fragile. Elle sentait que
les récents événements l’avaient ébranlée. « En fait, je venais juste te
dire que j’allais à l’hôtel pour aller chercher Dar. Je prendrai quelque chose
là-bas. » Kerry regarda autour
d’elle. « Nous avons une jolie foule par ici, je me disais qu’il était
temps pour notre superpro de faire son entrée. »
Eleanor sourit avec un air entendu. « Vas-y. » Elle donna un
petit coup à Kerry. « On se voit après le déjeuner. »
Kerry fit un signe à Mark en partant, celui-ci leva les pouces alors
qu’il gardait le commutateur verrouillé. Estimant que tout était relativement
sous contrôle, elle se tourna et commença à se frayer un chemin vers la sortie.
Même la pluie au-dehors ne la découragea pas. Elle ouvrit la porte et
sortit, faisant presque un bon accueil à la douche d’eau chaude qui lui colla
les cheveux sur le crâne, et imbiba rapidement ses vêtements. Elle atteignit la Lexus
Le cuir teinté portait encore la faible odeur du parfum de Dar, et
Kerry resta simplement à le respirer pendant une minute.
Elle se rappela la première fois qu’elle était montée dans cette
voiture, sous une pluie pas vraiment différente de celle à laquelle elle venait
juste d’échapper.
Ça avait été l’une des nuits les plus malheureuses de sa vie, et aussi
l’une des plus merveilleuses. Kerry s’adossa dans le siège confortable et fit
courir ses doigts dans ses cheveux humides, les dégageant de son front.
« Tu sais quoi ? » Réfléchit-elle. « Un pull de la Marine
Avec un soupir, Kerry secoua quelques gouttes d’eau restées sur ses
mains et démarra la voiture, reculant sans à-coup hors de sa place de parking.
Si elle ne pouvait pas avoir un pull de la Marine
* * * * *
« Non. » Dar lança sa jambe par-dessus un accoudoir de son
fauteuil, et s’appuya sur l’autre. « Je ne suis pas intéressée. »
Peter Quest parut perplexe. « Non ? » Demanda-il. « Je
ne comprends pas. Vous êtes une compagnie qui offre des prestations de
services, et nous cherchons quelqu’un pour venir installer, maintenir et gérer
les réseaux sur tous nos bateaux. Quel est le problème ? »
« Je ne suis pas intéressée par ce genre de cirque. »
Répondit Dar. « Pourquoi vous ne faites pas un appel d’offres ? Il y a
pléthore de compagnies disposées à vous offrir leurs services. Pourquoi est ce
que vous vous cachez pour aller trouver des gens susceptibles de vous aider
? »
Quest regarda autour de lui avec précaution puis baissa la voix.
« C’est vraiment compliqué. » Dit-il. « Écoutez, on pourrait
peut-être aller discuter dans un endroit plus privé, comme le bar ? »
« Non. » Dar souleva un sourcil. « Ma partenaire va
venir me chercher très bientôt et je doute qu‘elle aille voir là-bas. »
Dit-elle à Quest. « Alors parlez, ou allez vous faire voir. »
L’homme soupira. « Vous êtes une personne difficile, Ms
Roberts. »
Dar haussa les épaules.
« Bon, voici de quoi il retourne. » Continua
Quest. « Ma compagnie, American Visions, prévoit d’être la première ligne
de croisière américaine de tous les temps. » Dit-il. « Nous avons
racheté six bateaux, et nous sommes en train de les reconstruire selon les
normes des USA en Nouvelle-Zélande. »
La Nouvelle-Zélande
« Mais tout est top secret. Si nous pouvons les introduire aux USA
d’ici janvier, nous pourrons saisir une grande partie du marché de la
croisière. »
Dar le regarda. « Top secret ? » Répéta-t-elle. « Ce
sont des bateaux de croisière. Ils font quoi… soixante-dix, quatre-vingt milles
tonnes ? Comment diable comptez-vous les cacher ? »
Quest jeta de nouveau un regard aux alentours. « Nous n’avons pas
révélé qui les possède. » Dit-il. « Et la touche finale sera donnée à
San Diego. Quoi qu’il en soit, soixante-dix pour cent du matériel doit être
fabriqué aux USA, et cela inclut l’infrastructure technique. »
« Et ? »
« Et si nous nous lançons dans un appel d’offres, il y a des chances
que les gens auxquels nous ne voulons pas dévoiler l’affaire découvrent le pot
aux roses, parce qu’ils enverront des espions, pour récupérer des
informations. »
Dar posa son menton sur son poing. « Et si j’étais un de ces
espions ? » Demanda-t-elle.
« Votre compagnie n’a aucun lien avec cette affaire. »
Répondit-il aisément. « Pas plus que les deux autres compagnies
américaines que nous avons mises en concurrence pour ce contrat… et j’ai
quelques amis dans le gouvernement qui m’ont dit que vous saviez vous
taire. »
Dar secoua la tête. « Toujours pas intéressée. » Dit-elle.
« A qui d’autre avez-vous demandé ? Je peux peut-être vous donner quelques
noms. »
Quest la regarda fixement, se mordant l’intérieur de la lèvre. Puis il
se pencha un peu en avant. « Advanced Tech et Telegenics. »
« Ah. » L’expression de Dar ne changea pas, mais une
étincelle sombre s’alluma dans ses yeux. « Choix intéressants. »
« Telegenics est bien parti. Ils ont courtisé mon directeur
à propos d’un autre contrat, et… » Quest haussa les épaules. « De
toutes façons, puisque vous n’êtes pas intéressée, je ne vais pas vous faire
perdre votre temps. » Il se redressa dans son siège et se tourna à moitié,
marquant un arrêt quand une des silhouettes traversant l’entrée attira son attention.
« Apparemment il pleut dehors. »
Dar observa l’objet de son attention, un sourire dont elle n’avait même
pas conscience apparut sur son visage. Même trempée, Kerry marchait tête haute,
et en dépit de ses vêtements imbibés de pluie, elle s’avançait vers eux avec
une grâce innée qui attira plus que le seul regard de Quest. « Mmh. »
Quest commença à se lever quand Kerry se rapprocha, mais elle lui donna
à peine un sourire poli avant de se laisser tomber dans le fauteuil à côté de
Dar et de se pencher sur l’accoudoir. « Salut. »
« Salut toi-même. » Dar pencha la tête sur le côté, et
indiqua son visiteur quelque peu importun. « Kerry, voici Peter Quest, M.
Quest, je vous présente Kerrison Stuart, ma partenaire. »
Kerry tendit la main poliment et saisit la sienne puis la libéra.
« M. Quest. »
« Ravi de vous rencontrer. » Répondit-il. « Bien, Ms
Roberts, comme je vous l’ai dit, je ne vais pas vous faire perdre plus de
temps. Je vous laisse à vos occupations. »
Il se tourna et s’éloigna, laissant Dar et Kerry seules.
Kerry resta silencieuse pendant un instant puis elle se tourna vers
Dar. « Alors, que voulait-il ? » Demanda-t-elle. « Quelqu’un qui
est venu t’accoster, au vu de ce mignon petit ensemble provocateur ? »
« Même pas. » Dar se leva. « Et si on montait pour que
je puisse te déshabiller pendant que je te raconte. » Elle attendit que
Kerry la rejoigne. « Tu ressembles à … »
« Un rat noyé ? » Kerry soupira, et se leva pour suivre sa
compagne. « Je me sens comme une rat noyé qui aurait été frappé sur la
tête avec une brique. » Elle se frotta le cou. « Je ne passe pas une
super journée. »
Dar glissa son bras autour du dos de Kerry, ignorant l’humidité.
« Un problème à la convention ? » Demanda-t-elle. « Tu aurais dû
m’appeler. »
Kerry soupira et resta silencieuse, profitant simplement de la chaleur
et du contact de Dar. « Ce n’était pas l’expo. » Admit-elle après
qu’elles furent montées dans l’ascenseur. « J’ai été harponnée par nos
deux nouvelles amies, et je pense que j’ai perdu mon sang-froid. Elles m’ont
foutue en rogne. »
« Oh mmh. » Dar rit doucement. « Tu as fait couler le
sang ? »
« Ce n’est pas drôle Dar. » Marmonna Kerry. « Je les ai
envoyé balader toutes les deux. »
Dar glissa sa carte magnétique dans la porte et l’ouvrit, puis elle la
tint pendant que Kerry entrait. Elle suivit sa compagne à l’intérieur et ferma
la porte, clignant des yeux quand elle réalisa que le ménage avait été fait
pendant qu’elle était sortie. D’une façon ou d’une autre, ils étaient parvenus
à faire le lit et à replacer l’ordinateur dans la position exacte où elle
l’avait laissé. « Une chance que j’ai pensé à verrouiller l’écran. »
Kerry enleva sa veste et la posa sur le dossier d’une chaise. Elle ne
protesta pas quand Dar vint vers elle, mais quand des mains chaudes et fortes
touchèrent sa nuque et commencèrent à la masser, elle tourna la tête et
effleura la main la plus proche avec ses lèvres. « Alors, qu’est-ce que
voulait ce gars ? »
« Il m’a fait une offre que j’ai refusée. » Dit Dar.
« Mais maintenant je ne suis pas sûre que j’aurais dû. »
« Mmh. Ça été comme ça toute la journée. »
« Je pourrais l’appeler… mais je voulais t’en parler
d’abord. » Répondit sa compagne, en continuant son massage. « Tu as
déjeuné ? »
Kerry secoua la tête. Son mal de tête disparaissait, et elle sentit la
tension s’évaporer grâce au contact habile de sa compagne. Elle déboutonna sa
jupe et la laissa tomber, donnant un coup de pied dedans pour la pousser au
loin, trébuchant presque quand Dar se mit à la chatouiller légèrement entre son
massage. « Alors tu te fiches que j’ai totalement réduit à néant tout
espoir d’avoir une relation civilisée avec nos voisins de stand ? »
« Nan. » Souffla Dar à son oreille. « Tu m’as
simplement évité d‘avoir à le faire. » Elle glissa ses bras autour de
Kerry. « Et puis, ça pourrait tourner à notre avantage si nous entrons en
concurrence pour un nouveau contrat. »
Kerry s’arrêta au beau milieu de son mouvement et regarda par-dessus
son épaule. « Quoi ? »
« Que penses-tu de la Nouvelle-Zélande
Kerry fronça les sourcils. « La Nouvelle-Zélande
Dar rit doucement. « Allons déjeuner, et je t’expliquerai tout
ça. » Dit-elle. « Et tu pourras me raconter ce qu’il t’est arrivé
avec Heckle et Jeckle (NdlT: personnages de Cartoons, deux pies identiques à
l‘humour incisif, qui s‘occupent de leurs ennemis un peu à la manière de Bugs
Bunny). »
« Mmph. » Kerry se tourna à demi dans les bras de Dar et se
blottit contre elle, en détachant une des attaches de la salopette. « C’est
la meilleure chose qu’on m’ait proposée aujourd’hui. » Elle baissa les
yeux vers la table. « Oh. » Elle cligna des yeux. « C’est arrivé
pour moi ? »
« Hmm mhm. » Dar attendit avec espoir. « Tu l’ouvres
? »
Finalement un sourire apparut sur le visage de Kerry, avec un
scintillement diabolique dans ses yeux. « Nan. »
« Non ? »
« Ou nous n’irons jamais déjeuner. » Kerry lui donna un
baiser rapide, puis s’échappa de son étreinte et se dirigea vers sa valise pour
changer de vêtements.
Dar la regarda, puis tourna la tête vers la boîte mystérieuse. Elle
haussa les sourcils et un large sourire apparut sur son visage. « Oh
oh. » Elle croisa les bras. « On ne pourrait pas appeler le service
d’étage plutôt ? »
Kerry se contenta de rire.
* * * * *
Cette fois-ci le hall était nettement plus encombré. Cependant la pluie
avait un peu diminué, et elles étaient très légèrement mouillées quand elles
traversèrent l’entrée pour troquer l’humidité chaude de la pluie contre l’air
conditionné de l’exposition.
Kerry fit courir son regard au-dessus de la foule, et repéra Mark qui
revenait du snack-bar. « Mark ! »
Le directeur du GSI reconnut la voix, s’arrêta, et se tourna pour les
attendre quand il les vit s’approcher. « Salut. »
« Tout va bien ? » Demanda Dar. Elle avait troqué sa
salopette confortable pour un tailleur bien coupé, et elle se rendait compte
que son apparence imposante avait déjà attiré l’attention de plusieurs
personnes autour d’elle. « Il y a du monde. »
« Ça roule, jefe. » Marc hocha la tête. « Les lourdauds
du marketing te cherchaient il y a encore quelques minutes… pour une
présentation ou un truc dans ce genre. »
Dar fronça les sourcils et regarda Kerry. « J’étais supposée faire
une présentation ? On a oublié de m’en parler ? »
Kerry paraissait également surprise. « Je ne suis pas au
courant. » Répondit-elle. « Je n’ai pas vu ton nom sur le programme,
Dar. Je te l’aurais dit. »
« Je sais. » Dar se redressa et scrutant la foule, elle
trouva Eleanor qui se tenait près de l’entrée du hall. « Laisse-moi voir
ce qu’il se passe ici. » Elle s’éloigna, se frayant un chemin dans la
foule avec grâce.
« Tu sais quoi ? J’en ai ras le bol de voir de la super bonne
nourriture gâchée par du crottin. » Kerry secoua la tête et partit
derrière Dar, avec bien plus de difficulté, à son goût.
Elle arriva aux côtés de Dar juste à temps pour la voir prendre une
position belligérante, et elle évita habilement le coude de Dar quand celle-ci
posa ses mains sur ses hanches. « Qu’est-ce qui se passe ? »
Eleanor paraissait plus amusée que contrariée. « Oh, Sa Majesté ne
veut pas nous faire une petite parade, c’est tout. »
« Ce n’est pas la question. » Grogna Dar. « Qu’est-ce
qui t’a fait penser que j’accepterais de me porter volontaire pour ce cirque
? » Elle gardait une voix basse, mais on pouvait sentir une vraie colère
dans ses propos.
« Allez, Dar… j’ai pensé que tu aimerais ça… toi et quelques
autres geeks réunis pour parler de trucs qui nous passent au dessus de la tête…
que demander de plus ? » Protesta la responsable du marketing.
Dar jeta un coup d’oeil aux alentours, repérant une petite cafétéria
juste à côté. Elle attrapa le bras d’Eleanor, se tourna, et tira la femme plus
petite avec elle vers la petite pièce. Ravalant une protestation, Eleanor fit
de son mieux pour rester à sa hauteur, alors que Kerry se glissait de l’autre
côté et ouvrait le chemin avec des petits sourires et quelques ’excusez-moi’
charmeurs.
« Hé. Si vous avez l’intention de me couler les pieds dans le
ciment, vous pourriez me laisser appeler chez moi avant ? » Dit Eleanor
d’un ton exaspéré quand elles atteignirent la salle et y entrèrent. « Ce
sont les affaires, Dar ! »
« Ouais. » Dar se tourna et laissa sa colère prendre le
dessus. « Ce sont les affaires. »
Eleanor fit un pas en arrière par pur instinct. « Dar… » Elle
leva ses deux mains. « Calme- toi. J’irai simplement leur dire que tu n’es
pas intéressée. Je n’avais pas besoin que tu m’embarques ici pour me crier
dessus pour comprendre. »
Dar braqua sur elle un regard intense. « Je n’allais pas
crier. »
« Whoo whoo whoo. » Kerry se glissa entre elles, et posa une
main sur le dos de Dar. « Une minute vous deux. » Dit-elle d’une voix
douce. « Faisons une pause zen. »
Dar tourna la tête vers elle. « Une pause zen ? »
Le but de Kerry était de casser un peu l’énervement de Dar, et elle se
félicita silencieusement d’avoir réussi du premier coup. Ce n’était pas
toujours facile, et en dépit de leur relation elle retenait toujours son
souffle quand elle le faisait. « Dar, tu as raison. »
« Bien sûr que oui, bordel. » Grogna Dar. Eleanor soupira.
« Mais d’un autre côté, c’est vraiment si terrible ? »
Demanda Kerry. « Toi et quelques pros… discutant de concepts électroniques
et de gadgets… ça sera plus sympa que d’écouter le baratin de l’équipe de José
tout l’après-midi. »
Dar fit la moue. « Kerrison. »
Les doux yeux verts l’observèrent. « Alors ? » Demanda Kerry,
comptant simplement sur la logique de son raisonnement. « Je veux dire,
ouais, je sais ce que tu ressens, Dar. Je ressentirais la même chose si
quelqu’un avait proposé mon nom sans même me demander mon avis. » Elle se
tourna vers Eleanor. « Tu n’as pas fait ça, n’est-ce pas ? »
« Ça m’a traversé l’esprit. » Admit Eleanor.
Kerry haussa les sourcils. « Eleanor, c‘est vraiment
déplacé. » Dit-elle. « Nous ne travaillons pas pour toi. »
« Ouais, ouais. » L’autre femme leva une main. « Écoute,
je suis désolée. » Dit-elle. « Honnêtement je ne pensais pas que cela
te poserait un problème, Dar. Tu devais venir de toutes façons, j’ai pensé que
ça pourrait t’amuser. »
« Je décide de ce qui m‘amuse. » Grogna Dar.
Pourtant elle se redressa, se rapprocha de Kerry, et se détendit un peu.
« Eleanor, ne me sers pas de cette merde. » Elle poussa l’autre femme
sur l’épaule, puis elle la dépassa. « Ou je m’assurerai que tout ton
département se retrouve à bosser sur des écrans VGA (NdlT: Video Graffic
Array: ancienne norme d'affichage pour ordinateur, d'une résolution de 640x480
pixels en 16 couleurs). »
Hors du champ de vision d’Eleanor, Kerry donna une tape
sur les fesses de sa compagne, puis la suivit du regard tandis qu’elle sortait
de la pièce pour se diriger vers le hall. Elle tourna ensuite la tête pour
observer Eleanor. Elle posa les mains sur les hanches. « C’était quoi ça
? »
Eleanor haussa les épaules. « T’sais, je n’y avais même pas
pensé. » Admit-elle. « Ces temps-ci, on a tendance à oublier qui est
Dar. Je viens juste d’avoir un petit rappel. Je m’en souviendrai la prochaine
fois. »
Kerry perdit ses mots pendant un bref moment. « Oh, je ne sais pas
Eleanor… je veux dire… »
« Tu ne peux pas dire ça. » La coupa la directrice du
Marketing. « Tu ne peux pas dire qu’elle n’a pas changé, Kerry. Nous le
savons bien toutes les deux. Tu te rappelles comment c’était quand tu es
arrivée. Tu te souviens bien avoir vécu les réunions où tu représentais les
opérations et où tu devais réchauffer l‘atmosphère. »
Kerry s‘en souvenait. « Mmh. » Elle hocha brièvement la tête.
« Punaise, je détestais ça. » Admit-elle. « J’avais l‘estomac
complètement noué tous ces après-midi là. »
Eleanor eut la grâce de paraître embarrassée. « Par la suite, ça a
fait un tel changement, et quoi que les choses bougeaient parfois plus
rapidement avec l’ancienne méthode, je n’échangerais ça pour rien au monde.
J’avais toujours une appréhension avec ces réunions du personnel. » Elle
jeta encore un coup d’œil vers l’entrée, qui commençait à se vider. « Elle
n’intimide plus toute l‘industrie informatique, et ouais, on a probablement
perdu du terrain à cause de ça, mais je m’en fiche. »
Kerry plissa le front. « Tu ne le penses pas vraiment, hein
? » Demanda-t-elle. « Que nous avons perdu des ventes parce que Dar
ne crie plus sur tout le monde tout le temps ? »
« Et bien. » Eleanor se déplaça et appuya une épaule contre
la cloison. « C’est tentant… C’est plus facile de lui mettre sur le dos
les problèmes que de penser que ça vient de José et moi. » Un sourire
sardonique naquit sur son visage. « Nan, je ne le pense pas vraiment. Le
marché actuel fait que les petites compagnies ont le vent en poupe ces
temps-ci. Tout le monde cherche à faire de petites économies. »
« Mais ça ne va pas durer. » Kerry se détendit. « Ce
n’est que temporaire. »
« Mmh. » Sa compagne secoua la tête. « Ça n’aide pas
pour mon rapport trimestriel. » Elle lança à Kerry un regard ironique.
« Tu veux aller écouter la vieille grincheuse renvoyer les apprentis à
l‘école ? Ils ne se doutent même pas que je l’ai inscrite. »
Un sourire irrépressible apparut sur les lèvres de Kerry. « Tu as
un côté diabolique, El. » Elle fit un geste en direction de l’expo.
« Allez, allons admirer le boss. »
* * * * *
Dar fit une pause au bord de l’espace ouvert, passant en revue le petit
groupe d’hommes regroupés sur une estrade. Deux qu’elle connaissait de vue, des
directeurs techniques expérimentés qu’elle avait rencontrés plus tôt cette
année à un meeting, et trois autres dont elle avait entendu parler. Tous des
hommes, tous la trentaine, tous avec un air de détachement que tout technicien
semblait vouloir arborer. Ils portaient tous des pantalons en chino plissé avec
des blousons de sport, ou bien des tenues d’ouvriers.
Dar jeta un dernier regard ennuyé vers Eleanor, puis elle se fraya un
chemin entre la dernière ligne de spectateurs et monta sur l’estrade.
« Bonsoir messieurs. »
Les cinq hommes, et celui qui était apparemment l’animateur, se
retournèrent au son de sa voix. Les deux hommes qui savaient qui elle était
arborèrent immédiatement une attitude que Dar qualifiait de ‘l’avoir mauvaise’
et elle s’aperçut que ça faisait un bail qu’elle ne l’avait pas vue.
Le modérateur fit un pas en avant et lui tendit la main. « Ah, Ms
Roberts ? Ravi de vous compter parmi nous. »
Dar serra ses doigts puis les libéra. « A votre service. »
Elle parla d’une voix traînante, tournant la tête vers les deux hommes à côté
d’elle. « Bonjour John. Comment vont les essais avec les nouveaux
commutateurs ? »
L’homme tressaillit. « Nous… ah… et bien, nous avons modifié nos
plans, Dar. Merci de demander ! » Il se tourna vers son voisin.
« Ted, tu connais Dar Roberts, n’est-ce pas ? »
« Hum… bien sûr. » Ted tendit la main avec précaution.
« Nous nous sommes croisés à la conférence IEEE (NDLT: Institute of
Electrical and Electronics Engineers: organisation qui a pour but de promouvoir
la connaissance dans le domaine de l’ingénierie électrique) il y a quelques
mois, vous avez fait une présentation incroyable. »
« Merci. » Répondit Dar aimablement, donnant aux trois autres
un bref signe de tête pendant que le modérateur faisait les présentations.
« Bon alors, quel est le programme ? On discute de quoi, IPv6 (NDLT:
Internet Protocol version 6, qui forme la base de l‘Internet), ou quelque
chose de vraiment bouleversant comme le dernier bug dans la sécurité du SNMP (NDLT:
Simple Network Management Protocol: protocole simple de gestion en réseau,
c‘est un protocole de communication qui permet aux administrateurs réseaux de
gérer les équipements du réseau, superviser et diagnostiquer des problèmes
réseaux, matériels à distance) ? »
« Oh… euh. » L’animateur finit de mettre en place les
derniers fauteuils pour les invités. « Et bien, le sujet porte sur la
sécurité des réseaux… oui. »
« Mmh. » Dar choisit le dernier siège du rang et s’installa,
laissant son regard parcourir la foule tandis que les autres intervenants se
plaçaient. Elle repéra la silhouette distinctive de Shari au fond de la salle,
mais elle ne laissa pas son regard s’attarder, dirigeant plutôt son attention
sur la femme blonde qui avait choisi de s’installer dans un coin surélevé.
Kerry leva les pouces dans sa direction. Dar leva les yeux au ciel et
croisa les bras, puis elle fit quand même un clin d’œil à sa compagne.
« Okay, tout le monde. » Le modérateur tapa dans ses mains.
« On va pouvoir commencer ce débat. »
« Un débat ? » Dar rit doucement. « Eleanor s’est encore
plantée. Elle a choisi la mauvaise de nous deux. »
John se pencha un peu. « Désolé, vous avez dit quelque chose Dar
? »
« Non. » Répondit Dar.
« La question que nous nous posons tous… » Le présentateur
leur lança un regard réprobateur en coin. « Nos réseaux sont-ils sûrs ? »
Demanda-t-il. « Avec tout ce que nous avons entendu ces derniers temps…
les sites Internet piratés, les cartes de crédit volées, les sociétés écrans…
Cela ne vous inquiète pas ? Vos réseaux sont-ils bien sécurisés ? »
Dar observa les autres se lancer des regards, attendant de voir qui
allait commencer. « C’est une question stupide. » Lança-t-elle
finalement, juste pour s’amuser un peu.
« Qu… quoi ? » Bégaya le présentateur.
« C’est une question stupide. » Répéta Dar plus
lentement. « Vous pensez vraiment que quiconque ici va se présenter devant
des clients potentiels et ses pairs et dire ‘c’est possible… mon réseau est un
vrai gruyère, merci d’avoir posé la question !’ »
Les autres hommes sur l’estrade étouffèrent un rire, et John hocha la
tête en direction de Dar. « Rien à ajouter. »
Déconcerté, l’animateur s’éclaircit la gorge. « Okay, okay, je
vois ce que vous voulez dire. Alors peut-être que… » Il fit une pause. «
Okay, et si un hacker montait sur cette estrade pour vous dire qu’il peut
pénétrer par effraction dans n’importe lequel de vos réseaux. Que lui
diriez-vous ? »
Les quatre autres se regardèrent avant de se tourner vers Dar comme un
seul homme.
« Vous voulez un boulot ? » Dit Dar avec un sourire.
La foule se mit à rire.
« Ms Roberts, c’est une question sérieuse. » Le présentateur
essayait vainement de reprendre le contrôle.
Dar se leva et enfonça les mains dans les poches de sa jupe.
« Bien sûr que oui. » Répondit-elle. « Nous utilisons une part
importante de nos budgets pour renforcer nos réseaux. » Elle pencha un peu
la tête. « Mais pour répondre à votre question, non. »
« Non ? »
« Non, rien n’est jamais parfait. » Dar secoua la tête.
« Vous pouvez mettre en place autant de machines et de mains d’œuvre que
vous voulez, il y aura toujours une faille. Il y a trop de données pour que
tout soit sous contrôle. »
John inclina la tête encore une fois. « Dar a raison. »
Dit-il avant de faire une pause. « Bon, bien sûr, Dar a toujours raison et
nous le savons tous. »
La foule rit de nouveau. Dar répondit avec un sourire plutôt aimable.
Elle leva les yeux quand son regard capta quelque chose derrière les
spectateurs, la distraction s’avérant être Shari qui avait une conversation
animée avec Michelle.
Elles se disputaient. Dar haussa les sourcils quand elle fit un geste
dans sa direction. Mais Michelle agrippa le bras de Shari et l’entraîna avec
elle.
Hmm. Le regard de Dar glissa sur la gauche, et elle vit que Kerry
tournait la tête dans la même direction.
« Mais vous savez, nous avons fait de gros progrès dans ce
secteur… laissez-moi vous en montrer quelques uns. » Continua John.
« Attendez un minute. » S’exclama un homme trapu dans un
costume gris clair. « J’voudrais bien savoir… hé, madame. »
Dar le fixa.
« Vous engageriez vraiment un hacker ? » Demanda l’homme.
« Je veux dire, c’est une grosse info… si ILS se met à engager des
hackers. » Il se tourna et obtint l’accord de ses voisins. En tant que
client, je ne sais pas comment je dois le prendre. »
« Vous n’avez jamais était piraté ? » Demanda Dar.
« Non… je veux dire, pas que je sache. » Répondit l’homme.
« Comme si vous alliez leur dire. » La voix de Shari s’éleva au
dessus de la foule.
Du coin de l’œil, Dar vit Kerry descendre de son perchoir et avancer
parmi la foule d’un air furieux et déterminé. Le côté romantique du geste la
toucha, et le rire qu’elle étouffa balaya le son de la voix de Shari dans ses
oreilles. « Bien sûr qu’on leur dirait. » Dar répondit à la question d’un
ton imperturbable. « Mais on n’a jamais eu à le faire. »
« Vous n’avez pas répondu à ma question. » Accusa l’homme en
gris.
« Quelle était votre question ? » Dar renversa les rôles.
« Vous me demandiez si j’engagerais quelqu’un qui est délibérément entré
dans des systèmes informatiques ? »
« Oui. »
« Bien sûr. » Répondit Dar.
Les autres hommes sur l’estrade s‘écartèrent, mettant une certaine
distance entre eux, comme pour se dissocier de cette simple idée.
« Mais seulement s’il l’a fait avec succès. » Continua-t-elle.
« Je n’engage que les meilleurs. Et c’est pourquoi notre réseau… »
Ses yeux parcoururent toute la salle. « N’a jamais été craqué. »
« Jamais ? » Laissa échapper John.
« Jamais. » Dit Dar avec une certitude tranquille.
« Allez. Faites un essai. » Elle lança le défi. « Qui aura assez
de tripes pour essayer ? » Elle regarda là où Shari se tenait, mais il n’y
avait plus qu’un trou dans la foule maintenant. Kerry avait elle aussi disparu
et ça l‘inquiétait.
« Je parie que votre chef de la Sécurité
Dar lui jeta un regard amusé. « Il se lèche les babines d’un tel
défi. »
« Okay. » Le présentateur tenta de nouveau de reprendre le
contrôle de la situation. « Ce changement de sujet peut s’avérer
intéressant après tout. »
« Très. » Murmura l’homme en gris.
Dar se rassit sur son fauteuil et croisa les bras. Puis elle réfléchit.
Est-ce qu’elle voulait montrer à Eleanor ce que ça donnait quand on proposait
ses services sans la consulter avant ? Elle sentit des regards sur elle, et
elle tourna la tête, pas franchement surprise de trouver son ami Peter Quest
tout près, l’observant, un sourire sur le visage.
Il n’avait pas l’air très inquiet à propos des hackers. Alors que Dar,
de son côté, sentait qu’elle avait besoin de voler au secours d’une certaine
femme aux yeux verts qu’elle aimait sincèrement.
Il était temps de mettre fin à ce débat.
* * * * *
Il y avait des moments, et c’était l’un d’entre eux, où Kerry
maudissait les gènes transmis par sa famille qui l’avait condamnée à être à
jamais plus petite que sa compagne. Elle pouvait voir sa proie devant elle,
mais elle était bloquée par la dernière ligne des spectateurs en costume, et
quand elle arriva enfin, Michelle et Shari avaient disparu.
« Purée. » Kerry se dirigea vers les stands, écoutant d’une
oreille le commentaire accablant de Dar derrière elle. La discussion sur la
sécurité avait mal commencé et ça ne s’arrangeait pas, et sa confirmation à
propos du fait qu’ils engageaient des hackers n’allait pas lui faciliter la
vie, mais c’était de petits détails.
La manière dont Shari avait attaqué Dar ne l’était pas. Kerry fit le
tour des allées, cherchant les deux femmes. Quand elle passa devant leur stand,
cependant, elle marqua une pause. « Okay, attends une minute. » Se
dit-elle. « Qu’est-ce que tu comptes faire au juste quand tu les auras
retrouvées Kerrison ? » Demanda-t-elle. « Commencer un combat de
chats de gouttière ? Démarrer une bagarre au beau milieu de la salle d’expo ?
Ça pourrait faire les gros titres. »
« M’dame ? » Un de ses techniciens l’interpella en la voyant
attendre dans l’allée. « Vous avez dit quelque chose ? »
Kerry soupira. « Rien d’intelligent, non. » Mais ses yeux
continuaient de balayer la salle, espérant à moitié trouver ce qu’elle
cherchait.
« Hé. » Mark apparut. « Dar m’a vendu ! » Il
semblait stupéfait. « Tu as entendu ça ? »
Kerry se pencha sur le bord du stand. « J’ai entendu. Comme tout
le monde. Et je vais passer les deux prochaines semaines à m’expliquer. »
Elle vit la foule revenir de la zone de la convention réservée aux débats, et
sans même se retourner elle sut que d’une façon ou d’une autre Dar venait dans
sa direction.
C’était un sentiment vraiment étrange. Pour voir, Kerry tourna la tête,
et c’est ce moment que choisit Dar pour apparaître à l’autre bout de l’allée.
Elle observa le regard inquiet de sa compagne disparaître pour laisser place au
soulagement quand leurs yeux se croisèrent, et elle se sentit un peu penaude
quand Dar monta près d’elle sur la plate-forme. « Salut. »
« Salut. » Dar jeta un coup d’œil autour d’elle. « Tu
vas bien ? »
Kerry se racla la gorge doucement. « Si tu veux tout savoir, je
n’ai encore aplati personne, non. » Murmura-t-elle dans un souffle.
« Bon sang, je me suis déjà sentie mieux. Je pense que tu ferais mieux de
me sortir d’ici avant que mes hormones nous mènent droit devant un juge. »
« Nan. » Dar sourit. « Je vais t’enfiler un débardeur
avec écrit ‘mon garde du corps’ en travers de ta poitrine. » Elle souffla
sur une mèche de cheveux qui tombait sur son front. « Okay, je pense que
j’ai un peu foutu le bordel, désolée. »
« Eh. » Kerry montra Mark, qui étudiait la console dans leur
cabine. « La plupart de nos clients ont travaillé avec Mark pendant des
années. Ça ne devrait pas prendre trop de proportion. Je m’en occuperai. »
Elle posa sa main sur l’épaule de Dar. « Et le temps que je m‘y mette, tu
auras développé la nouvelle tendance du recrutement dans le secteur
informatique. »
Eleanor traversa leur stand à grands pas et s’arrêta quand elle repéra
Dar. « Okay, tu as gagné ! » Elle leva les deux mains. « La prochaine
fois, je me contenterai de donner des stylos d’ILS pour faire notre pub. »
« Dar ! » José arriva en suant de la direction opposée.
« Jésus ! Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Dios Mio ! »
Dar renifla. « Nous avons attiré l’attention. » Fit-elle
remarquer. « Ce n’est pas toi qui disais que toute publicité est bonne à
prendre ? »
Ils devenaient en effet rapidement le centre d’attention. Leur stand
était entouré de spectateurs curieux, tout autant que de clients qui
réclamaient leur attention. L’homme en gris s’avança, se dirigeant droit vers
Dar.
« C’est à ce moment que je m’en vais en vous laissant balayer
derrière moi ? » Demanda Dar avec un petit sourire.
Eleanor soupira.
« Je blaguais. » Dar fit face à la foule et leva les mains.
« Okay tout le monde, écoutez-moi. »
« Dar… »
« C’est bon. » Lui dit sa compagne tranquillement.
« Garde un œil sur nos amies, si tu les vois… »
« Je dois jouer mon rôle de protecteur des animaux ? » Plaisanta
Kerry.
Dar se retourna et la considéra avec une expression perplexe. « Tu
veux trouver un panda ? »
« Un panda ? » (NdlT: Dar fait allusion au WWF - World
Wild Fund, société internationale protectrice des animaux dont l’emblème est un
panda.)
« Oublie. » Dar se tourna de nouveau vers la foule.
« Très bien. Mettons tout ceci en perspective, vous voulez bien ? »
Elle éleva la voix. « Combien de gens ici pensent que les policiers se
conforment toujours au code de la route ? »
« Quoi ? » Bafouilla l’homme en gris. « Qu’est-ce qu’on
en a à faire ? »
« Levez simplement la main. » Dar l’ignora.
« Allez. »
« Vous pensez vraiment qu’on va faire confiance à quelqu’un qui
viole la loi ? » L’homme garda un visage obstinément fermé. « Hein ? »
Dar le regarda fixement. « Je suis de Miami. » Lui
rappela-t-elle avec un petit sourire. « Nous élisons des criminels. »
« Dar. » Eleanor semblait de plus en plus nerveuse.
Mark intervint. « Hé, M. T ! » Il salua l’homme en gris.
« Comment va votre site web, tout fonctionne comme vous voulez ? »
L’homme fronça les sourcils. « Hum… oui, bien, bien, Mark.
Écoutez, on en discutera plus tard. Pour le moment, je veux savoir ce qui se
passe ici avec les hackers. »
Mark se pencha sur la console et baissa la voix. « Hé, M. T
? »
Contrarié, l’homme lui jeta un coup d’œil énervé. « J’ai
dit… »
« C’est moi le hacker. » Mark pointa sa propre poitrine.
« En fait je ne suis que le numéro deux, si vous voyez ce que je veux
dire. » Son pouce montra la silhouette de Dar. « Vous êtes entre de
bonnes mains. N’en doutez pas. »
L’homme en gris écarquilla les yeux.
« Okay, alors parlons un peu de la sécurité. » Un autre homme
s’avança. « Je me fiche de savoir qui vous engagez. Vous dites qu’on ne
peut pas craquer vos systèmes ? Mon site web à été piraté trois fois en deux
mois. Dites-moi comment je peux arrêter ça. »
« Engagez-nous. » Dar se percha sur le coin du comptoir,
laissant ses mains retomber sur sa cuisse. Son commentaire fit naître quelques
rires, et elle sourit en réponse. « Sérieusement. C’est beaucoup de
travail, et pour un budget fichtrement important. On ne peut jamais arrêter… on
n’a aucun moment pour reprendre son souffle, et se dire ‘cool, nous sommes
nickel’. »
« C’est vrai. » Acquiesça Mark. « Sept jours sur sept,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous vérifions, revérifions, et encore et
encore… on n’arrête jamais nos contrôles. »
Kerry se détendit, réalisant que Dar avait la situation sous contrôle.
Elle s’adossa au pylône central, laissant échapper un soupir de soulagement
silencieux. Et puis soudain, bien évidemment, elle repéra Shari et Michelle aux
abords de la foule. Elle plissa les yeux, mais elles semblaient se contenter
d’écouter.
« Quel cirque. » Eleanor s’appuya contre le pylône à côté de
Kerry. « La prochaine fois j’envoie mon assistant. J’irai en croisière à
la place. »
« Mmh. »
« T’sais, c’est sympa de revoir l’ancienne Dar parfois. » Dit
la femme plus âgée. « Je suis tout simplement ravie qu‘elle soit avec
nous, et pas contre nous. »
Kerry soupira. « Moi je serai heureuse quand ces fichues portes se
fermeront ce soir et que nous pourrons sortir d’ici. »
Eleanor la regarda avec une expression perplexe. « Tu ne te sens
pas bien, Ker ? Tu as été grincheuse toute la journée. »
Vraiment ? Kerry fronça les sourcils, repensant à sa journée.
« Ouais, et bien… » Elle haussa une épaule. « Entre le temps et
nos amies là-bas, mon sang-froid s’est fait embarquer par FedEx droit vers
l’Alaska au déjeuner. »
Eleanor lui tapota l’épaule, puis elle soupira et s’éloigna pour
rejoindre José. Kerry observa la scène pendant un moment, puis elle s’assit
derrière une des consoles et sourit à un client assez courageux pour passer
près de Dar et venir la voir. « Bonjour. »
« Bonjour. » L’homme s’assit à côté d’elle et regarda
l’écran. Il montrait leur logiciel en action, les énormes épines dorsales qui
composaient le noyau de leur réseau. « C’est vraiment
impressionnant. »
« Merci. » Kerry lui sourit. « C’est une conception
incroyable. Il y a une telle redondance que même si on essayait de le mettre en
panne, on ne pourrait pas. »
« Je parie que ça vous a coûté une petite fortune. » L’homme
lui sourit en retour.
« C’est vrai, mais il va se rembourser lui-même. »
Répondit-elle. « Regardez. » Kerry frappa une commande sur le
clavier, coupant un cheminement central du noyau et l’enlevant du réseau. Sans
rien d’autre qu’un petit clignotement de lumière verte, le réseau se rerouta de
lui-même.
« Wow. »
Kerry reconstitua le réseau avant que son bipeur ne s‘affole, et
observa les itinéraires qui se rétablissaient d’eux-mêmes. « Il est
flexible et autonome. C’est un plaisir de l’utiliser. »
« Bonjour. » Répéta l’homme, en tendant la main. « Je
suis Peter Quest. » Il serra la main tendue de Kerry. « On m’a dit
que c’est à vous qu’il fallait que je m’adresse pour parler affaires. C’est
vrai ? »
Les oreilles de Kerry se redressèrent. « C’est possible. »
Dit-elle. « Je suis l’une de ces personnes. Qu’avez-vous en tête ? »
Quest sourit. « Laissez-moi d’abord vous demander quelque
chose. » Dit-il en s’appuyant d’un coude sur le comptoir. « Êtes-vous
partante pour un défi ? Vous pourriez mettre votre nom sur un contrat et entrer
en compétition… pour quelque chose qui pourrait être plutôt incroyable ? »
Kerry plia les mains. « Qu’est-ce que vous me demandez ? » Le
questionna-t-elle. « Est-ce que je peux négocier un contrat pour ILS ?
Bien sûr. »
« Même si quelqu’un d’autre dans votre compagnie a déjà dit non
? »
« Bon. » Kerry se pencha en arrière. « Peut-être.
Pourquoi ne me parlez-vous pas de cette histoire, ensuite on pourra en
discuter. »
Quest hocha la tête, avec un regard satisfait. « C’est tout ce que
je demande. » Il se pencha en avant. « Voici l’affaire. »
* * * * *
A suivre.