Possibilités Infinies, chapitre 2, première partie
Chapitre Deux – 1ère partie
(2A)
« On
peut s’en sortir… » (We can work it out)
Cass
se remit debout près de son poste sur la passerelle. Elle sentait quelque chose
de chaud et humide couler sur le côté droit de son visage et elle savait que
c’était du sang, mais elle repoussa délibérément cette pensée, la considérant
hors de propos pour l’instant. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et vit
plusieurs de ses collègues qui luttaient pour reprendre leur poste. Et elle
constata avec écœurement que certains restaient au sol.
« Rapport ! »
Aboya le Capitaine Janeway en s’accrochant en remontant dans son fauteuil de
commandement, ses cheveux auburn s’échappant de leur chignon.
Cass se dépêcha d’évaluer
quels étaient les systèmes du vaisseau encore fonctionnels.
« Dommages extensifs
en salle des machines, ainsi que sur les ponts cinq et six, Capitaine »,
dit-elle aussi calmement que possible. « Des victimes sur tout le
vaisseau, y compris… » Elle toucha quelques indicateurs, essayant de
comprendre les relevés disséminés. « Bon sang », marmonna-t-elle
entre ses dents. « Y compris l'officier médical en chef, Capitaine. »
Elle leva les yeux et croisa le regard de Janeway.
« Le système de
survie ? »
« Il
fonctionne », dit Cass sans ménagement. « Les dommages sont étendus,
mais n’empirent pas. J’envoie un détachement de sécurité pour s’occuper des
blessés et commencer à recenser les pertes. »
« Bien. Qu’ils
activent l’Hologramme Médical d’Urgence », grogna le capitaine.
« Bien
madame », acquiesça Cass en envoyant par écrit ses ordres à ses officiers.
Janeway s’agenouilla près
du corps immobile de Cavit et posa les doigts sur sa gorge pour prendre son
pouls. Cass vit les épaules du capitaine s’affaisser momentanément. Bon sang,
pensa l’officier de sécurité. C’était quelqu’un de bien.
Le capitaine se releva et
se tourna à nouveau vers Cass, un air sinistre sur le visage ; elles comprirent
tacitement que, pour le moment du moins, le chef de la sécurité était devenu
son bras droit.
« Le vaisseau
Maquis ? » Demanda-t-elle.
« Pris dans
l’explosion également, Capitaine », rapporta Cass. Ses doigts passèrent
rapidement sur l’écran. « Je lis de nombreux dommages à leur système de
survie et à leur moteur à distorsion. Il y a des signes de vie. »
« Pouvez-vous les
verrouiller par téléporteur ? »
« Oui, mais je vais
devoir pomper de la puissance sur nos systèmes d’armement. »
« Faites-le »,
aboya Janeway. « Téléportez-les directement à l’infirmerie. »
Cass engagea le faisceau
téléporteur sur tout ce qu’elle pouvait trouver de vivant sur le vaisseau
Maquis et ce fut juste à temps. Son regard fut attiré par une autre explosion
sur le coin de son écran.
Janeway s’approcha de son
poste de travail.
« Vous les avez tous
eus ? » Demanda-t-elle, gardant volontairement la voix basse.
Cass balaya la liste des
survivants du Maquis et sa gorge se serra.
« Vingt-trois
survivants, Capitaine », répondit-elle, également à voix basse. Elle serra
les dents et lui annonça le pire. « J’ai bien peur que le Lt. Tuvok ne
soit pas parmi eux. »
Pendant un bref instant,
Cass vit un éclair de douleur profonde sur le visage de l’autre femme,
immédiatement remplacé par le masque de commandement pour lequel Janeway était
connue. Elle se tourna vers le jeune enseigne situé de l’autre côté de la
passerelle, à l’opposé de Cass.
« Enseigne Kim,
trouvez-moi où nous sommes. »
« Oui,
madame », répondit-il la voix tremblante, se concentrant rapidement sur sa
tâche. Janeway se tourna à nouveau vers Cass.
« Lt., vous saignez.
Allez à l’infirmerie et ensuite, je veux que vous commenciez à coordonner les
services. Et réunissez également tous les officiers supérieurs, y compris ceux
du Maquis, dans la salle de conférence dans une heure. »
Cass eut à peine le temps
de hocher la tête avant de noter l’expression sur le visage d’Harry Kim.
« Enseigne ? »
« Capitaine… »
Le visage franc du jeune homme montrait de l’étonnement et de la détresse.
« Que se passe-t-il,
Harry ? » Demanda le capitaine en allant rapidement vers sa console.
« Si j’en crois mes
relevés, nous sommes… » Il déglutit bruyamment. « Nous sommes dans le
Quadrant Delta. »
Cass se mit rapidement à
vérifier ses résultats, ayant du mal à croire qu’ils aient pu être propulsés
aussi loin par le Pourvoyeur. Elle nota que Janeway regardait par-dessus
l’épaule de Kim tandis qu’il vérifiait à son tour. L’ordinateur de Cass
gazouilla une réponse et elle fixa sombrement les chiffres devant ses yeux.
« Je confirme,
Capitaine », dit-elle d’une voix rauque. « Nous sommes à 75 000
années-lumière de l’espace de la
Fédération.
Ses paroles restèrent
suspendues comme un nuage noir. Tous les officiers de la passerelle qui avaient
survécu à l’explosion du Pourvoyeur contre le Voyager se retournèrent et la
fixèrent du regard.
Janeway avança lentement
au centre de la passerelle et fixa l’écran et l’espace vide au-delà de la
coque.
« Un signe
quelconque du Pourvoyeur, Lt. ? » Demanda-t-elle d’une voix rauque.
Cass utilisa rapidement
les senseurs longue portée, ou du moins ceux qui fonctionnaient encore.
« Non
Capitaine », répondit-elle. « Il n’y a aucun signe de vie ni de
vaisseaux autour de nous sur une année-lumière. »
Janeway prit une profonde
inspiration. Tu nous as vraiment fichu dedans cette fois, Katie,
songea-t-elle. Pas le moment pour ça.
« Très bien »,
murmura-t-elle. « Tom. » Elle posa la main sur l’épaule du pilote.
« Quel est le statut des moteurs ? »
« Les moteurs à
distorsion sont hors service, Capitaine », répondit-il en passant les
doigts sur tableau de bord. « Je peux vous donner une demi-vitesse
d'impulsion.
« Bien. Trouvez-nous
un joli rocher sûr pour nous cacher et nous pourrons reprendre notre
souffle. »
« Oui,
madame. »
« Qu’attendez-vous,
Cass. »
« J’y vais,
Capitaine. »
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Lis écarta avec
impatience de ses yeux une mèche blonde rebelle. Comme la plupart des membres
de l’équipage qui n’étaient pas impliqués dans les réparations, elle avait été
assignée à l’infirmerie pour apporter son aide face au grand nombre de blessés.
Elle regarda la pièce surpeuplée. Le HMU faisait le triage rapidement et avec
efficacité tandis que les équipes de sécurité apportaient encore d’autres
blessés.
Une inquiétude tenace lui
taraudait l’esprit. Elle savait que Nick allait bien… il l’avait contactée
pratiquement dès que le système de communication du vaisseau s’était remis en
service après l’impact initial. Leur relation avait été très houleuse depuis la
révélation de la présence de Cass à bord, mais, miraculeusement, ils avaient
survécu à ce mois sans trop de carnage, bien qu’il ait fallu pas mal jongler
avec les emplois du temps pour que son mari et son ex-amante soient séparés.
Elle savait que Cassie avait pu en organiser une grande partie et, s’il était
possible d’être à la fois triste et reconnaissant, alors Lis l’était.
Mais
tout ceci n’a plus d’importance maintenant, si les rumeurs sont vraies, songea-t-elle d’un air maussade tandis
qu’elle utilisait un régénérateur dermique sur l’avant-bras tailladé d’un jeune
enseigne.
Cass. C’était ça qui
l’inquiétait, elle le savait bien. Elle ne savait pas si Cassie allait bien.
Toutes sortes de rumeurs couraient sur le vaisseau, alors même que tout le
monde luttait pour reprendre le contrôle sur les systèmes du Voyager. L’une des
choses les plus effrayantes que Lis avait entendues depuis qu’elle s’était
relevée du sol de son bureau, c’était qu’ils avaient été projetés dans un coin
très éloigné de la galaxie sans moyen de retour.
« Dr
Dayton ? » L’enseigne essayait d’attirer son attention.
« Désolée. Oui,
enseigne ? » Elle fit un autre passage sur la blessure avec son
régénérateur, contente de voir qu’elle guérissait doucement devant ses yeux.
« Est-ce que c’est
vrai ? » L’officier au visage poupin n’était sorti de l’Académie que
quelques mois auparavant et Lis le reconnut comme l’un de ses élèves. Elle le
dévisagea, notant la touche d’émotion et d'angoisse visible sur ses traits.
« Qu’est-ce qui est
vrai, James ? » Dit-elle doucement, se rendant soudain compte que si
les rumeurs étaient vraies, il y aurait des conséquences énormes sur le rôle
qu’elle aurait à jouer sur le Voyager à la longue.
« On dit que nous
sommes perdus », dit le jeune homme dans un souffle, les yeux écarquillés
et emplis de frayeur.
Vas-y
doucement, Lis, se dit la psychologue.
« Je ne pense pas que quiconque sache quoi que ce soit pour
l’instant », répondit-elle tranquillement, en tapotant son bras guéri.
« C’est fini. Vous feriez mieux de retourner à votre poste. »
« Mais, si nous
sommes perdus ? » Dit-il avec anxiété. « Comment Starfleet
va-t-elle savoir où nous chercher ? »
« James. » Lis
capta toute son attention. « Ecoutez-moi, d’accord ? Nous ne
connaissons pas les faits pour l’instant. Le capitaine réunit ses officiers
supérieurs dans une heure environ et je suis sûre que nous en saurons plus.
Pour l’instant, vous devriez plutôt vous concentrer sur votre travail et vous
occuper. » Elle garda une expression calme, tandis que l’officier
inexpérimenté scrutait son visage à l’affût de quelque signe de doute. Il n’en
trouva pas et hocha calmement la tête avant de descendre du bio-lit.
« Merci, Doc »,
dit-il avec un sourire en se dirigeant vers la porte.
Un
de moins, plus que 139,
songea Lis, se rendant compte que quel que soit le destin du Voyager, chaque
membre d’équipage allait réagir individuellement et avoir différentes
sollicitations à son égard dans les
semaines à venir. Je vais bientôt être très occupée.
Et c’est à ce moment-là
qu’une silhouette haute et sombre emplit l’encadrement de la porte de
l’infirmerie et Lis poussa un soupir de soulagement. Cass entra, sûre d’elle
malgré la grande quantité de sang sur le côté de son visage et sur tout son
uniforme. Le chef de la sécurité s’avança vers le HMU.
« Je suis plutôt
occupé, Lt. », dit le petit homme zélé. « Et vous ne me donnez pas
l’impression d’avoir besoin d’un spécialiste. » Il fit le tour de
l’infirmerie du regard et fit un geste vers Lis, qui regardait calmement depuis
le coin du bio-lit. « Je pense que cet officier est disponible »,
dit-il.
Cass regarda négligemment
par-dessus son épaule vers Lis et se tourna à nouveau vers l’hologramme. »
« Pas elle », dit-elle
avec brusquerie. « Assignez-moi quelqu’un d’autre. »
Le programme nouvellement
activé compensait en impatience ce qui lui manquait en bonnes manières et il se
tourna vers Cass, le menton agressivement dressé.
« Lt., cet homme a
les deux jambes brisées et peut-être une hémorragie interne. Il a besoin de
toute mon attention. Comme vous pouvez le voir, tout le monde est aussi occupé.
Cet officier est disponible. Alors soit vous la laissez s’occuper de votre
blessure, soit vous sortez de mon infirmerie. »
Cass se mordit la langue.
Elle savait qu’en tant qu'officier médical en chef, l’hologramme faisait partie
des rares personnes à bord de Voyager qui pouvaient lui donner n’importe quel
ordre, même s’il n’avait aucun rang officiel dans Starfleet. Mais elle pouvait,
en revanche, lui montrer exactement ce qu’elle pensait de lui et elle le fixa
de son regard bleu glacé redoutable, qui lui aurait cloué les oreilles en
arrière s’il n’avait été fait que de particules de lumière et de couleur.
« Pas la peine d’essayer
de m’intimider, Lt. », dit-il avec désinvolture, en se tournant à nouveau
vers son patient. « Soit vous allez la voir pour vous faire soigner, soit
vous saignez à mort. Ça ne fait aucune différence pour moi. »
Cass grogna. Qui peut
bien programmer ces foutues choses ? Songea-t-elle s’approchant de Lis
à contrecœur. Le regard vert profond la fixait calmement. Bon Dieu, pensa-t-elle. Ne me regarde
pas comme ça.
« Je suis contente
de voir que tu vas bien, Cass », dit Lis tandis que la grande femme s’asseyait
sur le bord du bio-lit. La psychologue ajusta la hauteur de celui-ci jusqu’à ce
que la blessure à la tête de Cass soit à la hauteur de ses yeux.
« Je saigne comme un
porc embroché », répliqua Cass en ronchonnant, ce qui lui valut un
demi-sourire de son aînée. « Et en quoi ça peut bien vous
intéresser », dit le chef de la sécurité avec froideur, notant le sourire
et décidant de remettre un peu Lis à sa place.
Mais le mois passé en
avait appris un peu plus à celle-ci sur la femme que Cass Lansdown était
devenue et elle ne fut pas du tout impressionnée par la démonstration de
colère. Elle tendit un tissu propre et humide pour essuyer un peu du sang qui
couvrait les cheveux de Cass. Le chef de la sécurité eut un petit mouvement de
recul quand sa main se rapprocha et Lis mit les paumes en avant dans un geste
d’apaisement.
« Doucement,
Lt. », murmura-t-elle et elle attendit que Cass se détende un peu et
revienne à sa portée. Elle commença doucement à nettoyer le sang sur la longue
entaille près de la tempe de la jeune femme. Elle se rendit compte que c’était
la première fois qu’elle était aussi près de son ex-amante depuis son arrivée
sur le Voyager. Elle se sentit vaguement troublée. Cass n’avait rien perdu de
son pouvoir sur elle.
Seigneur,
est-ce qu’elle doit vraiment rester aussi près, gronda Cass intérieurement. Je ne
peux pas réfléchir si elle est aussi près.
« Qu’est-ce qui se
passe Cass ? » Demanda tout bas Lis, consciente de la proximité
d’officiers subalternes à portée de voix. Cass tourna rapidement les yeux vers
elle. « Allez », dit-elle. « Je vais finir par le savoir, de
toutes les façons. Nous sommes perdus ? »
Un sourire sans humour
passa rapidement sur les lèvres de Cass.
« Oh non »,
répondit la jeune femme brune. « Nous ne sommes pas perdus. Nous savons
exactement où nous sommes. »
Lis prit le régénérateur
dermique et commença à guérir lentement la coupure sur le cuir chevelu de Cass.
« Et alors, où sommes-nous ? »
« Dans le Quadrant
Delta. »
Le regard vert choqué
s’agrandit et fixa l’officier de sécurité plusieurs secondes d’un air perdu,
puis Lis laissa retomber ses mains.
« Le Quadrant
Delt… » Elle déglutit. « Mais ça veut dire que… »
Cass hocha la tête en
regardant ses bottes avec mélancolie.
« Ça veut dire que nous
sommes à 75 000 années-lumière et à plusieurs dizaines d’années de la
maison », murmura-t-elle. Elle leva lentement la tête et croisa le regard
de Lis. « Comment penses-tu que Nick va prendre cette
nouvelle ? »
Lis tressaillit. Elle se
rendit compte que Cass faisait de la provocation délibérée et, normalement,
elle aurait ignoré la pique de la jeune femme, mais combiné au choc d’apprendre
qu’ils étaient perdus dans le coin le plus éloigné de la galaxie… Elle secoua
la tête, essayant de reprendre ses esprits.
« Vous feriez mieux
de vous dépêcher et de soigner cette entaille, Docteur, avant que votre mari ne
vienne à votre recherche et vous trouve avec la main sur ma cuisse. »
Lis baissa les yeux et
vit qu’en effet sa main droite était venue se poser sur la jambe de Cass et y
reposait comme si c’était naturel. Elle la retira brusquement.
« C’est bon,
Lis », murmura Cass en détournant à nouveau son regard glacé.
« Malheur à toi si tu te faisais prendre… à nouveau. »
Lis reprit son travail
avec le régénérateur, surprise par la montée de larmes à ses yeux.
« Arrête ça, Cass,
s’il te plaiît », murmura-t-elle plaintivement. « Est-ce que ce n’est
déjà pas assez terrible de se retrouver tous coincés ici sans que tu rendes ça
encore plus détestable ? » Elle repoussa avec soin les cheveux de
Cass tout en traçant la blessure, et en essayant de ne pas remarquer la façon
dont les mèches noires retombaient sur le dos de sa main.
Cass ne dit rien mais ses
pensées tourbillonnaient.
Elle
utilise toujours le même parfum.
Elle ferma les yeux et inspira profondément, reconnaissant la senteur d’abricot
qui émanait de la femme qui se tenait près de son épaule droite. J'ai
toujours pensé qu'elle avait l'odeur de l'été, se souvint-elle. Chaude,
douce et légère comme une brise d’été.
« Cassandra. »
La douceur avec laquelle
Lis prononça son prénom en entier fit profondément vibrer la jeune femme et un
soudain désir la submergea. Elle ouvrit les yeux quand elle sentit un contact
sur son épaule.
« Quoi ? »
Dit-elle, un peu plus rudement qu’elle ne l’aurait voulu.
« C’est
terminé », dit Lis calmement, essayant d’ignorer la douleur qu’elle
ressentait à chaque fois que Cass s’éloignait d’elle.
Leurs communicateurs
émirent un son perçant en même temps.
« Officiers
supérieurs en salle de conférence », dit l’ordinateur.
Les deux femmes se
fixèrent à nouveau et, pour la première fois, Lis fut soulagée de remarquer que
Cass avait légèrement adouci son attitude.
« Vas-y », dit
calmement la jeune femme brune. « Je te rattrape. Il faut que je parle une
seconde à Morgan. » Elle montra de la tête son adjoint à la sécurité qui
venait juste d’entrer avec un autre officier blessé.
Lis hocha la tête et
tenta sa chance, elle prit le risque de tapoter le bras de Cass avant de se
retourner et de sortir de l’infirmerie.
Celle-ci la regarda partir,
souriant à demi en regardant le balancement familier des hanches de Lis. Sois
maudite, Lis Dayton, songea-t-elle, mais pour la première fois depuis bien
longtemps, cette pensée fut accompagnée d'une vague d'autre chose que de
l’hostilité.
*********************************
Janeway observa les
visages sinistres qui lui faisaient face autour de la table de conférence. Elle
s’adossa à la cloison, les mains posées sur le bord du hublot derrière elle.
Tout le monde savait tout ce qu’il fallait savoir sur leur situation difficile
et à voir l’expression des officiers supérieurs, ils n'appréciaient pas trop ce
qu’ils venaient d’entendre.
Et
qu’est-ce qu'il y aurait bien à apprécier Katie, se dit-elle d’un ton de réprimande.
Nous avons épuisé toutes les options. Tout ce que nous pouvons faire, c’est
faire face au Quadrant Alpha et y aller. Elle étudia à nouveau chaque
visage silencieux et ressentit une vague de fierté à la façon dont ses
officiers prenaient la chose. Et ce sont ces gens-là précisément qui peuvent
nous ramener à la maison.
Le menu capitaine se
poussa en avant et vint s’asseoir dans le fauteuil placé au bout de la table.
« Bon »,
dit-elle calmement. « Nous avons un sacré défi qui nous attend. »
Elle regarda les deux officiers du Maquis assis avec inconfort au milieu du
personnel de Starfleet. « Notre première tâche sera d'intégrer les deux
équipages avec le moins de heurts possibles. Nous n’irons nulle part rapidement
si nous n’agissons pas comme une seule équipe. » Elle s’interrompit pour
laisser l’idée faire son chemin. « Nous avons également trois officiers
supérieurs à remplacer. » Elle nota les regards attentifs posés sur elle.
« J’ai décidé de nommer Chakotay, ici présent, Premier Officier à la place
du Commander Cavit. A part le fait qu’il est éminemment qualifié pour ce poste,
cela enverra également aux autres membres du Maquis le message qu’ils sont
considérés comme des membres estimés de cet équipage. »
L’homme trapu aux cheveux
noirs hocha la tête et sourit brièvement, le mouvement faisant plisser le
tatouage bleu qui s’étirait sur la moitié de son front et autour de son œil
gauche.
« Il faut que nous
terminions les réparations et que nous nous mettions en route aussi vite que
possible », continua Janeway. « Nous avons perdu notre ingénieur en
chef quand le Pourvoyeur nous a frappés et aucun des membres restant de
l’équipe d’ingénierie n’a l’expérience pour remplir ce poste. Chakotay m’assure
que B'Elanna Torres est le meilleur ingénieur pour ce travail. » Elle montra la
jeune femme hybride, mi-Klingonne, mi-humaine, assise silencieusement près de
Chakotay. « Avez-vous eu l’occasion de jeter un coup d’œil aux dommages,
Lt. ? »
Torres eut l’air très
surpris de se retrouver bombardée lieutenant dans l’organisation qu’elle avait
rejetée pour rejoindre le Maquis. Cass ne put s’empêcher de se demander si les
deux équipages allaient s'intégrer facilement.
« Rapidement,
Capitaine, oui », répondit Torres avec prudence. « Nous avons bien
deux ou trois jours de travail ardu devant nous. »
Janeway hocha la tête
comme si les paroles de l’ingénieur confirmaient simplement sa propre analyse
de la situation.
« Et bien entendu,
nous devons remplacer le Lt. Tuvok », dit-elle d’un air las, en faisant
tourner son fauteuil pour regarder pensivement par le hublot. « Visiblement,
le Lt. Lansdown va rester notre chef de la sécurité. » Elle fit une pause.
« Tom », elle se tourna et regarda le pilote blond droit dans les
yeux. « Nous devons trouver un autre pilote pour couvrir la troisième rotation.
J’attends vos recommandations pour la fin de la journée. »
« Capitaine »,
murmura-t-il.
« Je ne pense pas
avoir besoin de vous expliquer les implications sur le moral du
vaisseau », continua calmement Janeway. « Vous savez tous ce que vous
ressentez à être perdus ici et, Seigneur, je sais moi ce que je ressens. Le
défi c'est de transformer ces sentiments en quelque chose de positif. J'attends
de vous tous que vous montriez l'exemple. » Elle sourit et croisa le
regard de chacun de ses officiers. « Nous avons aussi la grande chance
d'avoir un conseiller à bord. La plupart des vaisseaux de classe Intrepid ne
sont pas si chanceux. »
Janeway s'arrêta sur le
regard vert soutenu de Lis Dayton.
« Vous allez être
bientôt très occupée, Docteur », dit-elle d'un ton ironique. « Je
veux que vous contactiez chaque personne à bord, d'une façon ou d'une autre,
pendant les prochaines semaines. Evaluez comment les gens appréhendent la
situation, pas seulement le fait d'être échoué ici, mais aussi la fusion des
deux équipages. Avec un peu de chance, vous pourrez nous aider à étouffer les
problèmes dans l'oeuf. »
« Oui,
Capitaine », dit Lis d'un ton ferme.
« Ceci inclut chacun
de vous à cette table », dit Janeway d'un ton étudié, en levant le doigt
avec autorité. « Prenez soin de tout le monde. Nous ne pouvons pas nous permettre de mal faire notre
travail. », dit-elle d'un ton d'avertissement. « Très bien. Nous avons
beaucoup à faire. » Un autre regard circulaire et elle fut satisfaite.
« Cass; Lis, restez. Les autres, rompez. »
Le regard bleu et le regard
vert se croisèrent par-dessus la table, tandis que les autres officiers
supérieurs quittaient la salle de conférences. Janeway reprit sa place au
hublot et fixa le rocher gris et nu autour duquel ils étaient actuellement en
orbite.
Ça
ne présage rien de bon,
pensa Cass, en détournant son regard de celui de Lis pour fixer ses mains
croisées qu'elle referma sur la table.
Elle
est en colère contre nous. Lis s'en rendit compte en observant la posture rigide des épaules du
capitaine.
Il y eut une longue pause
puis leur commandant se retourna pour leur faire face, les bras croisés sur la
poitrine et la tête penchée. Elle garda la voix basse et douce.
« J'ai passé le mois
écoulé à vous observer vous torturer pour essayer de vous éviter »,
commença Janeway. « Cass, vous avez réorganisé les équipes d'exploration
et jonglé avec les tableaux de services pour éviter le contact à la fois avec
Lis et avec son mari. Je vous ai vus tous les trois faire des tours et des
détours lors des événements sociaux comme si votre vie en dépendait. »
Elle s'avança et mit les
mains sur le bureau, fixant les deux femmes d'un regard intense qui ne laissait
aucune place à la discussion.
« Je n'ai rien dit
pendant un mois dans l'espoir que vous résolviez l'animosité qui règne entre
vous. Bien, maintenant je n'ai plus le choix. Nous sommes dans une situation de
vie ou de mort, mesdames. Nous pourrions bien rester ici des années – et en
fait le risque que ça se produise est plutôt grand. Nous devons faire en sorte
de bien nous entendre. »
« Capitaine,
je... » Cass commença à objecter mais fut interrompue par la véhémence du
regard de Janeway.
« Le capitaine a
raison, Cassie », dit Lis doucement. Le regard bleu clair se dirigea vers
elle et la psychologue réussit à ne pas tressaillir sous la lueur sinistre de
ces yeux furieux. « Ce que nous avons fait était parfait pour une courte
période, quand nous n'avions qu'un mois à gérer. Mais maintenant nous devons
réfléchir à quelque chose d'autre. »
Satisfaite, du moins pour
l'instant, de voir que sa remarque était prise en compte, Janeway se redressa
de toute sa hauteur et se recula de la table.
« C'est la dernière
fois que je veux entendre parler ou voir quoi que ce soit sur ce sujet,
mesdames », dit-elle explicitement. « Résolvez cette situation. »
Le capitaine sortit de la pièce et la porte se referma derrière elle dans un
chuintement.
Les deux ex-amantes
restèrent assises en silence pendant de longues secondes.
« Peut-être que nous
devrions aller parler de ça dans mon bureau », suggéra finalement Lis.
« Je n'ai pas de
temps pour ça maintenant, Conseiller », marmonna Cass. C'était la vérité.
Elle avait un million de choses à organiser avant de finir sa période de
travail.
« Cass... »
« Assez. » Cass
frappa la table de la main. « Franchement, Elisabeth. Ce n'est pas moi le
problème ici. Ce n'est pas toi le problème ici. C'est ton mari le problème et
heureusement, c'est entièrement à toi de le gérer. J'en ai fini avec les
jongleries de postes et d'affectations pour protéger son fragile sentiment de paix.
J'ai dépassé ça. Et il serait temps qu'il en fasse autant. »
Lis la regarda tristement
de ses grands yeux verts.
« Pourquoi faut-il
que tu te comportes ainsi ? » Murmura-t-elle. « Qu'est-ce que ça peut
nous apporter de bon ? »
« C'est toi la
psychologue, Lis. C'est à toi de me le dire », rétorqua Cass. Elle se leva
rapidement et cogna sa chaise en la rangeant sous le bureau et se recula.
« Cass, ne tourne
pas simplement le dos... »
Le grand chef de la
sécurité leva les mains dans un geste qui disait qu'elle en avait assez de
cette conversation. Puis elle tourna les talons et sortit sans ajouter un autre
mot.
Lis fixa la porte fermée,
totalement perdue.
« Va au Diable,
Cassandra. »
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La jeune femme qui
frémissait au bout des doigts de Cass Lansdown était belle et sexy. C'était une
enseigne petite et blonde du département d'ingénierie, intelligente et drôle,
vraiment d'une compagnie agréable. Mais les yeux ne sont pas de la bonne
couleur, pensait une partie distante du cerveau de Cass.
Après plusieurs semaines
de flirt assidu, Tina Roberts avait finalement gagné son prix, un rendez-vous
avec la femme qu'une grande partie de l'équipage avait surnommée
« GSD » - grande, sombre et dangereuse. Et le chef de la sécurité plutôt
froid s'était révélé être une compagne merveilleuse jusqu'ici. Le dîner s'était
bien passé et de retour dans les quartiers de l'enseigne –vidés bien à propos
de tout colocataire pour la nuit – au plus profond des ponts inférieurs du
Voyager, les choses avaient bien progressé.
Cass passait un bon
moment. Le jeune et attirant officier ne lui en avait pas trop demandé et elle
était une compagne de lit plus que plaisante. Les quelques deux mois passés
depuis que le Voyager s'était échoué dans le Quadrant Delta avaient été
frénétiques, parfois dangereux et toujours stressants, pour tout le monde, et
Cass n'y avait pas échappé. Dans les quelques heures de répit qu'elle avait pu
avoir, elle s'était amusée avec une succession de membres d'équipage féminines.
L'enseigne Roberts était la dernière en date.
Cass se concentra pour
donner du plaisir à la jeune femme blonde. Bien que sa compagne fût nue,
elle-même gardait son pantalon d'uniforme noir et son sous-pull gris à col
roulé, satisfaite de ne pas avoir à donner plus d'elle-même.
« Cassie ? »
Murmura la jeune femme tandis que Cass déposait des baisers le long de sa
mâchoire.
« Mmmmmmmm ? »
« Laisse-moi te
toucher. » Tina remonta les mains le long de la cage thoracique de Cass,
désireuse d'aller au-delà du tissu soyeux sur le corps chaud et puissant
en-dessous.
Tout en émettant un rire
bas et dangereux, Cass attrapa les mains de l'enseigne et les repoussa sur
l'oreiller au-dessus de sa tête. Elle maintint les deux poignets fins de sa
main gauche et commença à jouer sur le corps de Tina de l'autre, ses doigts
faisant des cercles excitants autour des tétons sensibles. La jeune femme
blonde frissonna et grogna sous elle, toute pensée autre que celle de son
plaisir envolée. Cass sourit en voyant la réponse de la jeune femme et continua
son voyage d'excitation le long du corps mince et ferme sous elle. Il ne fallut
pas longtemps à Tina pour vaciller au bord de l'extase et Cass sentit son
propre désir monter. Elle le repoussa en se concentrant sur le rythme de la jeune
femme blonde, la poussant de plus en plus près du bord en augmentant ses
poussées.
« Oh, ouiiii »,
roucoula Tina tandis que Cass l'emmenait au-delà du point de non-retour. La
jeune femme brune observa avec un étrange sentiment de détachement son amante
se laisser aller sur la vague de l'orgasme avec abandon. Avec un soupir, Cass
roula sur le dos et relâcha les mains de Tina pour mettre les siennes derrière
sa tête. « Oh mon Dieu, Cass », murmura Tina en luttant pour
retrouver ses esprits. « C'était extraordinaire. »
Je
me demande combien de temps je dois rester avant de partir sans avoir l'air
grossier, se demanda Cass. Elle
repoussa le léger sentiment d'irritation lorsque Tina vint se blottir contre
son côté gauche et passa un bras et une jambe sur elle possessivement. Cass
soupira. Pourquoi est-ce qu'elles sont toujours comme ça ? Elle résista
à l'envie de mettre les bras autour de la jeune femme blonde, mais ça ne sembla
pas empêcher Tina de se blottir un peu plus.
Finalement, l'enseigne se
mit à bouger avec sensualité contre elle, déposant des baisers le long du cou
de Cass jusqu'à venir mordiller le lobe de l'oreille du chef de la sécurité.
« Je veux te faire
te sentir aussi bien que tu l'as fait pour moi », murmura-t-elle d'un ton
de séduction.
Cass sourit et tapota son
épaule. « Je vais bien », répondit-elle. « Ne t'inquiète pas
pour ça. »
La jeune femme blonde se
mit sur un coude et regarda le visage impassible de Cass avec une expression
intriguée et légèrement blessée.
« Tu ne veux pas te sentir
bien ? »
Cass réussit à produire
un sourire pincé. « Je me sens bien », répondit-elle. « Et en
fait, on n'a pas beaucoup de temps. Il faut que j'aille dormir un peu. Je suis
en période Alpha demain. » Elle commença à se redresser mais Tina l’arrêta
par une main sur sa poitrine.
« Tu peux dormir
ici », dit doucement celle-ci. « Ma coloc ne va pas rentrer avant
demain. »
Cass soupira à nouveau. Pourquoi
est-ce que c'est toujours si difficile ? Je ne veux pas faire jouer mon rang
avec elle, Bon Dieu. Elle prit doucement la main de l'enseigne et la
repoussa tout en s'asseyant.
« Merci pour
l'offre. Mais il faut vraiment que je dorme dans mon lit ou bien je suis
vraiment grognon le matin. » Elle sourit, en essayant d'alléger son
propos, mais elle pouvait voir la consternation dans les yeux marron face à
elle. « Ça a été une soirée vraiment agréable. J'ai passé un bon
moment », dit-elle rapidement en se glissant hors du lit. Elle chercha sa
veste d'uniforme et ses bottes du regard et elle les repéra près de la porte de
la chambre où elle les avait jetés en vrac.
Tout en enfilant sa veste
d'un mouvement d'épaules, elle revint vers la femme inconsolable assise au
milieu des draps froissés. Pour l'amour de Dieu, pensa-t-elle. Ça
n'était qu'un simple rendez-vous. Arrête d'avoir l'air de quelqu'un avec qui
j'aurais promis de passer ma vie. Elle retourna au lit et se pencha pour
embrasser légèrement la jeune blonde sur les lèvres avant de se redresser.
« Merci »,
dit-elle doucement. Tina hocha la tête en silence.
Cass alla vers la porte
et regarda par-dessus son épaule.
« Bonne nuit,
Enseigne », dit-elle avant de sortir dans le couloir et de s'éloigner,
inconsciente de l'oreiller brutalement jeté qui rebondissait de l'autre côté de
la porte fermée.
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Lis mordillait
nerveusement l'ongle de l'auriculaire de sa main droite. Son dernier
rendez-vous était en retard, pas qu'elle en soit surprise d'ailleurs. Six mois
étant passés depuis leur arrivée dans le Quadrant Delta, l'équipage du Voyager
était maintenant bien habitué aux séances régulières avec la conseillère de
bord. Elles n'avaient pas lieu toutes les semaines, ni même tous les mois, mais
chaque membre d'équipage s'était assis dans le fauteuil face à la psychologue
blonde au moins deux fois. Janeway allait même jusqu'à faire des rapports de
Lis une base régulière des évaluations du personnel.
Il n'y avait que quatre
exceptions à bord. L'une d'elle était Janeway elle-même, le capitaine préférait
garder ses distances, même vis-à-vis du conseiller. Cela inquiétait un peu Lis
parce son œil aguerri pouvait bien voir les signes du stress et de la solitude
sous le masque de commandement de l'officier supérieur. Mais elle se disait que
Janeway connaissait ses propres limites et qu'elle viendrait la voir si c'était
absolument nécessaire. Par ailleurs, elle avait rapidement appris qu'essayer de
faire faire à l'officier commandant le Voyager quelque chose qu'elle ne voulait
pas, était un exercice futile.
La seconde exception
était l'Officier Médical en Chef... mais on se demandait encore si ce docteur
excentrique avait la moindre psychologie à étudier. Lis sourit en pensant à ça.
Elle tendait à penser que oui. Mais que cela signifie qu'il était susceptible
d'être soumis au même stress et aux mêmes tensions mentales que le reste de
l'équipage était une autre affaire.
La troisième exception
était Lis elle-même. Qui peut conseiller le conseiller, songea-t-elle.
Mais c'était un vieux problème que les conseillers de vaisseau avaient retourné
pendant des dizaines d'années.
Et la quatrième
exception... Lis mordit un peu trop fort et trop près de la chair et elle
tressaillit à la douleur près de son ongle. Avec un peu de chance, la
quatrième exception va se montrer cette fois-ci.
Cass avait réussi à
éviter tous les autres rendez-vous que Lis lui avait donnés, mais la
psychologue avait persisté, déterminée à briser le mur froid et dur qui tenait
la colère du chef de sécurité en respect. Il faut qu'elle commence à la
laisser aller, pensa Lis. Pour son propre bien.
Alors que Cass était un
modèle de professionnalisme quand il s'agissait de servir le Voyager, Lis
savait que sa vie personnelle était un mélange chaotique de solitude et
d'histoires sans lendemain. Plus d'une des conquêtes furtives de Cass avait
fini sur le divan de Lis et, bien qu'il serait exagéré de dire qu'elle laissait
une piste de cœurs brisés sur tout le vaisseau, il y avait très certainement
des sentiments blessés et de la confusion dans son sillage.
Et
tout ça grâce à moi,
pensa Lis tristement. Elle soupira. Et qu'en est-il de tes propres
sentiments, Conseiller ? Comment vas-tu la convaincre - et toi aussi d'ailleurs
- que tu es assez objective pour être sa thérapeute et pas son ex-amante ? Lis
se leva avec impatience et alla vers le hublot où elle posa le front contre la
surface fraîche en aluminium transparent. Beuh. Quel bazar.
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Cass faisait les cent pas
devant la porte du bureau. Pendant six mois elle avait réussi à éviter cet
instant, mais elle savait qu'elle avait épuisé ses options. Jusqu'à maintenant,
elle avait eu le sentiment qu'elle contrôlait sa vie privée. Mais dans les
dernières semaines... elle s'arrêta de marcher et s'appuya d'un air las contre
la cloison près de la porte. Je suis si fatiguée, se rendit-elle compte.
Je suis fatiguée d'être si... furieuse, reconnut-elle. Et d'être
seule.
Le sifflement de la porte
du turbolift au bout du couloir attira son attention et elle se redressa. Au
moment où Tina Roberts s'approcha, Cass était revenue en mode de chef de la
sécurité.
« Enseigne »,
murmura-t-elle. La jeune femme lui lança un regard revêche avec à peine un
signe de reconnaissance tandis qu'elle continuait son chemin. Intriguée, Cass
regarda la silhouette attirante disparaître au coin. C'était quoi ça, bon
sang, se demanda-t-elle. Attends une minute. Ça n'est pas... ? Est-ce
que j'ai... ? Est-ce qu'on a... ? Elle se frappa le front de la main. Merde.
Comment est-ce que j'ai pu être aussi foutûment... « Aaah. » Elle
soupira et mit les doigts sur l'arête de son nez où un lent martèlement de
douleur commençait à se faire connaître.
Elle se retourna et posa
la main sur la cloison près des contrôles de la porte. Ça n'est pas bon ça,
pensa-t-elle. Bientôt il n'y aura plus une seule femme à bord qui voudra me
parler, encore moins être heureuse de recevoir des ordres. J'ai besoin d'aide. Elle
leva les yeux vers la plaque sur la porte. Dr Elisabeth Dayton. Mais est-ce
qu'elle est la seule à pouvoir m'aider ?
Juste à ce moment la
porte s'ouvrit et Cass se retrouva face à un regard gris étonné.
« Euuuh
bonjour », murmura Cass en reculant de l'espace personnel de l'autre
femme.
« Bonjour
Lt. », répondit Lis en souriant à demi à la réaction brusque de Cass.
« Entrez je vous en prie. » Elle se mit sur le côté et l'officier de
haute taille entra, la nervosité la submergeant par vagues. « Asseyez-vous. »
Cass jeta un coup d'œil
au bureau spacieux, notant les trois fauteuils et le long divan sous le rebord
de la fenêtre.
« Où ? »
Demanda-t-elle.
« Là où vous vous
sentirez le plus à l'aise », répondit Lis en dépassant Cass pour se
diriger vers le cercle de sièges. « Choisissez. »
Génial, pensa Cass. Juste ce dont j'avais
besoin. Une autre décision à prendre. Elle opta pour le confort et se
glissa dans un coin du divan. Lis se laissa tomber dans un fauteuil en face
d'elle. Je me demande si elle est aussi nerveuse que moi, se
demanda-t-elle en notant la façon dont les mains de la jeune femme blonde
s'agitaient sur ses cuisses.
Elle
veut se mettre aussi loin de moi que possible, observa Lis tristement en regardant Cass s'adosser aux
coussins.
« Alors »,
commença la conseillère. « Comme vous le savez, le capitaine veut que je
fasse un contrôle régulier de chaque membre d'équipage. »
Cass hocha la tête
affirmativement. « Je sais. Je vois les rapports du personnel »,
dit-elle d'un ton brusque.
« Mmm. Mais vous
avez été plutôt réticente à prendre part à ces sessions. »
Cass soupira. « Lis.
Pas la peine de tourner autour du pot, d'accord ? Nous savons toutes les deux
pourquoi je ne suis pas venue à ces sessions. Tu es sensée être un conseiller
objectif mais nous savons toutes les deux que c'est impossible quand il s'agit
de moi. »
Lis hocha lentement la
tête. Elle sait toujours comment aller droit au but, pensa-t-elle avec
ironie. Il n'y aura aucune tergiversation de sa part, je peux voir ça.
« C'est probablement
vrai », reconnut-elle. « Alors pourquoi est-ce qu'on ne se contente
pas de parler ? Dieu sait que nous ne l'avons jamais vraiment fait. Et ce qui
s'est passé entre nous a toujours des répercussions. »
Cass lui lança un regard
noir. « Je doute que vous trouviez un défaut dans la façon dont je fais
mon travail, Conseiller », gronda-t-elle.
« Oh je sais que je
ne risque pas », répliqua Lis. « Mais ce n'est pas le but ici. »
Elle s'interrompit, essayant de penser à une façon d'atteindre la jeune femme.
Elle se pencha en avant et posa les coudes sur ses genoux puis croisa les mains
devant elle. « Es-tu heureuse, Cass ? »
Surprise par le ton
direct de la question, Cass fut momentanément déconcertée. Après quelques
secondes elle se détourna du regard intense de la jeune blonde et regarda le
champ d'étoiles qui défilait rapidement.
« Regarde où nous
sommes, Lis », murmura-t-elle en montrant le panorama de son long doigt.
« Nous ne reverrons peut-être plus jamais nos familles et nos amis. Ça ne
me rend pas heureuse, non. »
Lis secoua la tête, mais
sourit.
« Nous sommes tous
dans le même bateau », répliqua-t-elle doucement. « Et nous trouvons
tous des façons différentes de nous en accommoder. Certains ont choisi de se
fabriquer une famille de choix. La plupart commencent à faire connaissance,
parce qu'ils savent que c'est une question de survie. »
Cass voyait trop
clairement où cette conversation les menait et elle cloua Lis d'un regard bleu
froid.
« Mais pas
moi », dit-elle calmement.
« Non, pas
toi », répondit Lis. « Est-ce que tu te fais des amis, Cass ? »
La jeune femme brune
ricana.
« Je suis le chef de
la sécurité, Conseiller », dit-elle. « Les gens sont un peu méfiants
à mon égard et à bon escient, franchement. »
« Ça ne semble pas
avoir empêché une succession de femmes de te faire assez confiance pour se
mettre au lit avec toi », dit Lis, regrettant instantanément ses paroles
tandis que la rougeur montait aux joues anguleuses de Cass. Bon sang; Lis,
modère-toi. Ça n'était pas juste.
« Et qu'est-ce que
ça a à voir avec tout ça, Bon Dieu ? » Gronda Cass qui essayait de toutes
ses forces de contrôler sa colère.
« Cass, tu n'existes
pas dans le vide. Ce que tu fais affecte les autres gens. Toi, plus que
n'importe qui sur ce vaisseau, tu le sais. » Elle regarda son ex-amante
lutter pour maintenir son équilibre, sa gorge essayant de déglutir sur ce que
Lis était certaine que c'était une montée de larmes. La petite conseillère se
laissa retomber dans son fauteuil avec un bruit sourd quand elle prit
soudainement conscience des choses. J'ai pris ça totalement de travers
depuis le début. Elle prit une profonde inspiration et essaya de
réorganiser ses pensées.
« Je te dois une
excuse », dit-elle doucement. Le regard bleu humide de larmes se tourna
vers elle.
« Qu... quoi
? »
« Je t'ai fait
beaucoup de mal, Cassie. Nous n'avons jamais eu l'occasion d'en parler comme il
fallait. Et pendant ces six derniers mois, je t'ai fait subir beaucoup
d'épreuves pour pouvoir protéger Nick, tout en attendant de toi que tu
surmontes la douleur. Je suis tellement désolée. »
Les yeux bleus azur
écarquillés clignèrent plusieurs fois et, pour la première fois en deux ans et
demi, Lis entrevit la jeune femme dont elle était tombée si amoureuse. Quand
est-elle devenue froide et dure, se demanda-t-elle. Quand tu lui as dit
que tu arrêterais de l'aimer, fut sa réponse douloureuse.
« Tu... tu m'as
tellement manqué », murmura Cassie d'un air malheureux, les larmes
finissant par déborder.
Oh
mon Dieu, pensa Lis. Je ne peux
pas garder mes distances face à ça. Elle déglutit la douleur dans sa gorge,
tiraillée entre son désir de réconforter la jeune femme angoissée et le fait de
savoir qu'elle était supposée maintenir une certaine relation professionnelle. J'ai
tellement envie de la serrer dans mes bras. Mais Dieu sait ce qui va se passer
si je le fais. Je ne me fais pas confiance.
« Tu m'as manqué
aussi, ma chérie », murmura-t-elle en serrant les accoudoirs à faire
blanchir ses phalanges, pour s'empêcher de réduire la distance entre elles deux
et de prendre Cass dans ses bras.
« T- tu m'as
repoussée et je n-ne pouvais pas croire que tu faisais ça », dit Cass en
sanglotant, sa respiration se brisant entre les mots. « Tu as toujours
p-promis que tu ne me r-renverrais jamais. »
Lis ferma fort les yeux
pour retenir les larmes brûlantes, deux ans et demi de regrets douloureux
remontant à la surface.
« Je n'avais pas le
choix », murmura-t-elle. « Je ne pouvais pas vous faire du mal à tous
les deux. Il fallait que je prenne une décision. »
« Et j'ai
perdu. »
« Bon sang,
Cassandra. » La frustration et la colère montèrent en même temps.
« Ce n'est pas... il n'a jamais été question de compétition. Ce n'était
pas... » Elle lutta pour trouver les mots pour essayer de faire comprendre
à la jeune femme. « Il n'était pas question de savoir qui était le
meilleur, ou bien même qui méritait le plus le bonheur, ou qui était le
meilleur amant. » Elle se passa la main dans les cheveux avec brusquerie.
« Qu'est-ce que tu t'attendais à ce que je fasse d'autre ? Nous ne
pouvions pas continuer comme ça. Ça nous tuait tous. Et je lui avais fait des
promesses. »
« Tu m'avais aussi
fait des promesses », rétorqua Cass. « Ne reste pas comme ça à me
dire qu'il a gagné parce que c'était le premier arrivé, le premier
servi », lâcha-t-elle amèrement, regrettant instantanément ses paroles en
voyant Lis tressaillir.
« Je suis
désolée », murmura celle-ci. « Je suis tellement désolée. » Une
larme coula sur sa joue sans qu’elle s’en rende compte.
Les défenses de Cass
s’effondrèrent totalement et elle posa la tête sur le dossier du divan, un bras
sur ses yeux tandis qu’elle pleurait en silence. Je sais qu’elle a raison,
lui dit son cœur douloureux. Je l’ai mise dans une position impossible. Et
nous le payons encore.
« Ça fait tellement
mal », dit-elle finalement en laissant retomber son bras. « Je
pensais que j’allais en mourir. » Elle rit d’un air ironique. « Il y
a eu des moments où je le souhaitais vraiment. » Elle entendit le souffle
de Lis se couper à ces paroles et elle leva la tête, surprise de voir la jeune
femme blonde le visage enfoui dans ses mains. Ohhh, ma chérie.
« Je pensais que
m’éloigner le plus possible de toi, c'était la meilleure chose à faire »,
commença à expliquer Cass calmement. « J’aimerais pouvoir dire que j’ai
rejoint le Moonshadow parce je voulais vous donner à Nick et à toi la meilleure
chance de régler les choses entre vous, mais je ne le peux pas. J’étais
purement égoïste. Je voulais pouvoir prétendre que tu n’existais pas… que toi
et moi, ça n’était jamais arrivé. Je voulais prendre ces sentiments et les
enterrer si profondément qu’ils finiraient par disparaître sans que je m’en
rende compte. Je suis désolée d’être partie sans explication et sans au-revoir.
Je suis désolée que nous n’ayons pas eu l’occasion de parler plus. »
Lis renifla et s’essuya
rapidement le visage, en essayant de reprendre ses esprits.
« Tu devais faire ce
qui te semblait nécessaire, Cass », dit-elle d’une voix rauque. « Je
l'avais compris. J’étais juste si inquiète pour toi. »
Cass cligna des yeux.
« Et pourquoi
étais-tu inquiète ? C’est toi qui m’as renvoyée. C’est toi qui as dit que
tu cesserais de… » La pensée l’atteignit comme une flèche sortie de nulle
part. « T-tu… tu n’as pas cessé… de croire… en nous »,
murmura-t-elle, en regardant Lis pour avoir une confirmation.
« Non »,
répondit celle-ci simplement. « Comment aurais-je pu ? »
« Alors pourquoi…
pourquoi m’as-tu dit le contraire ? »
Lis réfléchit pendant
quelques secondes. Elle savait que la conversation qu’elles étaient en train
d’avoir était cruciale pour leur capacité à permettre de vivre et de travailler
ensemble, peut-être même de devenir amies pendant le long voyage de retour.
« Est-ce que tu
m’aurais laissé partir, si je ne l’avais pas dit, Cass ? » Dit-elle
doucement.
L’air sortit des poumons
de la jeune femme brune comme si on l’avait frappée dans le ventre. Elles
soutinrent leur regard pendant de longues secondes révélatrices, sachant toutes
les deux qu’elles avaient atteint le niveau d’une nouvelle compréhension entre
elles.
Cass hocha la tête d’un
air las.
« Alors, comment
est-ce qu’on fait, Lis ? Je sais que nous avons survécu aux six derniers
mois, mais… »
« Je ne suis pas
sûre que j’appellerais ça de la survie, mon amour », répondit Lis en se
mordant la lèvre aussitôt que le mot doux glissa de sa bouche. Continue donc,
se réprimanda-t-elle. « Tu t’es demandé beaucoup et tu t’es isolée. Et je
me suis torturée pour essayer de faire mes preuves à Nick. »
« Comment il prend
ça ? » Demanda Cass doucement, sans vraiment vouloir entendre la
réponse.
Lis haussa les épaules.
« Il attendait cette mission avec hâte », répondit-elle.
« Apprendre que tu étais à bord en a retiré pas mal de joie. » Cass
hocha la tête. « Mais il s’adapte, tout comme nous tous. Il ne me fait pas
confiance et je ne suis pas sûre qu’il le refera jamais. Je pense qu’il
s’attend chaque jour à ce que je lui annonce que toi et moi sommes… ce que nous
étions. » Elle soupira. « Mais nous y travaillons et il adore les
recherches qu’il peut faire ici. »
« Alors qu’est-ce
qu’on fait maintenant, Conseiller ? »
Le regard vert croisa le
bleu par-dessus la table basse.
« Je pense que nous
allons continuer à parler quand nous en aurons besoin, Cass. Peut-être que nous
pouvons essayer de ne pas nous éviter comme la peste autant qu’avant. Peut-être
que si Nick voit que nous pouvons exister sur le même vaisseau sans finir dans
le même lit, il pourra apprendre à ne pas te craindre autant. Je pourrais me
blâmer moins pour ce que je vous ai fait, à Nick et à toi. Et tu pourrais
trouver le moyen de laisser les gens s’approcher de toi sans les quitter avec
le sentiment d’avoir été une conquête facile. » Elle sourit un peu pour
atténuer ce dernier trait.
Cass fit le geste de
retirer une dague de son cœur.
« Ouille,
Conseiller », dit-elle en tressaillant. « Est-ce que j’ai envoyé tant
de jeunes vierges rougissantes en larmes sur votre divan ? »
Demanda-t-elle en riant à demi.
Liss hocha la tête
honnêtement.
« Je pense que, parfois,
tu oublies combien tu peux être charmante, Cassandra », dit-elle
doucement. « Et il y a quelque chose en toi qui donne confiance aux gens.
C’est une chose très puissante, surtout pour les jeunes enseignes
impressionnables. Tu feras attention avec elles ? »
Cass se sentit à nouveau
rougir.
« Je présume que je
vais devoir présenter des excuses à pas mal de gens », murmura-t-elle.
« Ça aiderait
grandement », acquiesça Lis.
Le chef de la sécurité
hocha la tête et leva les yeux vers la psychologue blonde.
« C’est
fini ? » Demanda-t-elle.
Lis hocha la tête
affirmativement. « Pour l’instant, oui », confirma-t-elle.
Cass se releva et
traversa le petit espace entre elles, jusqu’à se tenir près du fauteuil de
l’autre femme. Elle tendit lentement la main et la posa sur l’épaule de Lis.
« Merci »,
murmura-t-elle. Une petite main couvrit la sienne et la pressa doucement.
Quelques secondes plus
tard, la porte se refermait derrière la jeune brune, laissant un regard vert
fixer le champ d’étoiles qui défilait.
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A suivre – Chapitre 2, 2ème partie (2B)