Sassem, partie VII c
Chapitre 5 :
Le
lendemain matin trouva une Tia particulièrement exaspérée. Elle avait passé la
moitié de la nuit à la recherche des deux derniers vêtements manquant, mais
n’avait rien trouvé. Elle avait finalement renoncé à minuit après que Linya ait
crié, à travers le mur de sa chambre, qu’elle apprécierait de pouvoir dormir sans
entendre toutes les trente secondes un cri de frustration ou un meuble déplacé
avec brutalité.
Tia
avait rétorqué qu’elle n’avait qu’à lui dire où se trouvaient ses affaires. Le
silence avait été lourd de sens et Linya avait finalement passé la tête par
l’embrasure et l’avait dévisagée quelques instants avant de lui faire un grand
sourire et de lui tirer la langue. Tia en était restée figée de saisissement.
La jeune femme avait alors refermé vivement sa porte avant que Tia n’ait la
mauvaise idée de lui faire payer son audace.
A
son manque de réaction flagrant, la mercenaire avait conclu qu’elle devait
aller se coucher et avait stoppé ses recherches en se disant que Linya et
Alexia n’était pas amie pour rien.
Elle
s’était réveillée avec le chant du coq, assez peu reposée et toujours en quête
de ses affaires. Elle aurait pu laisser tomber, après tout, ces sous-vêtements
là, n’étaient ni ses préférés, ni indispensables. Elle en avait d’autres et en
cas de besoin, il y avait quelques boutiques sur l’île assez sympa. Non, si
elle voulait tant les retrouver, c’était pour ne pas perdre la face devant
Alexia. Elle ne voulait vraiment pas voir le petit sourire triomphant qu’elle
ne manquerait pas de lui adresser. Sans parler du fait que si son entreprise
était un succès, non seulement, elle en entendrait parler pendant des plombes,
mais en plus cela donnerait forcément lieu à un renouvellement de la blague. Et
ça, elle devait à tout prix l’éviter. Bref, les raisons étaient multiples et
toutes suffisamment motivantes pour se remettre à la tâche après le
petit-déjeuner.
Pas
avant. Elle aimait beaucoup trop manger pour rater un repas aussi essentiel
dans une journée. Tia descendit et traversa le salon avant d’enfin y pénétrer,
d’un pas manquant singulièrement d’énergie. Linya était déjà accoudée au plan
de travail et sirotait son café d’un air tout aussi fatigué que le sien.
-
Mauvaise nuit ? lança-elle avec un petit sourire, en la voyant entrer.
Tia
lui jeta un regard qui aurait fait frire un poisson à deux mètres. Mais
heureusement pour elle, Linya n’était pas un poisson. Elle leva donc deux
sourcils goguenards à son attention.
-
T’as pas l’air mieux que moi, lâcha enfin la grande femme en buvant une
première gorgée de café et en le savourant comme si c’était un pur nectar des
Dieux en provenance direct du paradis.
Linya
sourit devant l’image et répondit :
-
Ouais, mais moi j’ai une bonne excuse. J’ai passé le reste de la nuit écroulée
de rire sur mon lit.
Tia
plissa les yeux d’un air menaçant, essayant de déterminer si elle devait se
sentir vexée ou non. Elle décida que non. Et se drapa dans une indifférence
suprême. Son air ne trompa pas sa compagne qui ricana alors qu’elle se tournait
pour préparer le petit-déjeuner.
Linya
la regarda faire un peu rêveuse. Elle mangeait drôlement mieux depuis qu’elle
était ici. Tia avait un vrai don pour la cuisine et aimait ça par-dessus le
marché ! Ce qui l’arrangeait bien, elle devait en convenir. Elle avait en
horreur la préparation de ses repas et se contentait souvent de sandwichs ou de
trucs à grignoter très mauvais pour la santé.
Quelques
fois, une des femmes de l’île ou un de ses frères en visite, avait pitié d’elle
et lui apportait des plats maisons, qu’elle appréciait d’ailleurs à leur juste
valeur. Ce qu’elle s’empressait de leur dire, des fois qu’ils aient l’idée de
renouveler le cadeau rapidement.
Elle
observa avec une certaine fascination les muscles jouer sous la peau bronzée de
Tia. Elle n’aurait pas cru que cuisiner requérait autant de muscles. Peut-être
pourrait-elle s’y mettre si elle parvenait à se convaincre qu’en fait c’était
un sport ?
Comme
à son habitude, la mercenaire portait un marcel noir moulant qui dévoilait ses
longs bras musclés mais fins et un short noir large, style caleçon d’homme, et
s’en était peut-être bien un en fait, songea Linya en se penchant pour mieux
voir, une cuillère à la bouche.
-
Tu aimes la vue ? fit une voix grave soudain plus proche qu’elle ne s’y
attendait.
Elle
releva les yeux et avala sa bouché de céréales en rougissant un peu devant le
regard railleur. Puis décida qu’elle pouvait renverser le pouvoir de main.
-
Prise en flag ! s’écria-elle en levant les deux mains joyeusement.
J’avoue, la vue est torride, ajouta-elle en haussant épaules et sourcils d’un
même mouvement. J’ai pas pu résister. Mais motus et bouche cousue hein ?
Il ne faudrait pas qu’Alexia sache que je craque sur sa nana.
Tia
entra dans le jeu et s’installant en face d’elle, se pencha lentement vers elle
avec un air de conspirateur. Elle jeta un rapide coup d’œil alentour, comme
pour vérifier qu’elles étaient bien seules, puis dit, d’une voix basse qu’elle
rendit sexy intentionnellement :
-
Tu as raison. Il ne manquerait plus qu’elle nous soupçonne d’avoir une liaison.
Ça ficherait en l’air tout mon plan pour te séduire, déclara-elle en la
détaillant de haut en bas d’un regard très appréciateur.
Lorsqu’elle
plongea son regard dans le sien, Linya sentit une bouffée de chaleur la
submerger. Et une rougeur subite apparut sur ses joues. « Dieu, elle est
beaucoup, beaucoup trop intense pour moi ! »
-
Continue de me regarder comme ça et je me jette sur toi, dit-elle pas très sûre
d’elle.
Un
lent sourire de triomphe s’installa sur le visage de la grande femme. « Je
l’ai eu ! Après des jours et des jours de bataille acharnée, j’ai
enfin gagné ! » Le sentiment de joie que lui procura cette constatation la
remit sur ses pieds et elle retourna à ses fourneaux sans rien ajouter. Linya
fixa son dos d’un air renfrogné. Elle avait perdu et elle le savait.
-
Ce n’est que partie remise, lança-elle mauvaise perdante.
-
Sûr, acquiesça Tia en lui jetant un œil par-dessus son épaule.
« Mais
maintenant que je sais comment te déstabiliser, je suis sûre de gagner à chaque
fois » conclut la mercenaire en souriant à elle-même. « Attends que
je dise à Lex comment j’ai gagné, songea-elle, elle va être morte de
rire ! »
-
Tu sais, lança-elle l’air de rien, tu n’as pas à t’en vouloir. Je suis sexy et
j’ai énormément de sex-appeal. C’est assez normal que tu ais fini par le
remarquer. Après tout, tu es hétéro pas aveugle.
L’arrogance
et la suffisance de la remarque la firent éclater de rire. Tia la regarda
satisfaite de la voir à nouveau de bonne humeur.
Elle
lui présenta ses pancakes et vérifia les muffins, pendant que Linya leur
resservait du café et sortait de sirop d’érable et du Nutella pour Tia qui en
était dingue. Elles s’assirent en face l’une de l’autre.
-
Tu en es où pour les préparatifs de la fête de Lex ? s’enquit la
mercenaire.
-
Eh bien, j’ai quasiment tout réglé. Tu as une date à me donner ?
-
Je pensais à… eh bien en fait je ne sais pas quand elle rentre, mais je pensais
à après sa mission, si ça te convient.
-
Tu veux la faire sur l’île ?
-
Pourquoi pas ? On a rien de prévu avant un moment, alors tant qu’à bloquer
une semaine, autant le faire quand on est sûr de l’avoir. Après je ne suis pas
certaine qu’on ait du temps. Karl doit bientôt me rappeler mais il me semble
que ça avance vite.
Linya
hésita.
-
Je croyais que tu voulais inviter ta famille ?
-
C’est le cas.
La
mercenaire vit à sa tête qu’elle avait l’air contrariée.
-
Un problème ?
-
Eh bien…
Linya
se mordit la lèvre, ne sachant pas comment s’expliquer.
-
En fait… c’est assez délicat de faire venir tout le monde ici. C’est voyant et
il faut que je sois sûre des personnes qui viennent. Je veux dire…
-
J’ai compris, l’interrompit la grande femme. Trinity te pose problème.
-
Euh… oui. Mais pas seulement elle. Des amies d’Alex aussi. A part moi, de son
ancienne vie, personne ne connaît son implication dans l’association et encore
moins l’existence de tout ceci.
-
Et Alex serait contente de les revoir c’est ça ?
-
Oui. Désolée.
-
De quoi ? Tu n’y peux rien. Mais… je ne vois pas quand, ni même où, alors
si toi tu as une idée, lance-toi, ça ne me gêne pas, mais se serait mieux que
se soit à son retour, on n'a pas tellement d’autre créneau en fait.
-
Ok. Je vais voir ce que je trouve.
Elle
se mit à réfléchir.
-
Sur le continent… marmonna-t-elle perdue dans ses pensées.
Une
petite ampoule s’alluma brutalement au dessus de sa tête.
-
Je connais l’endroit idéal ! s’exclama-t-elle brusquement.
-
Ah oui ? Où ?
-
Mmmm se sera une surprise, fit-elle joueuse.
Un
sourcil hautain la toisa.
- Ok,
ok, je me rends, arrêtez votre attaque maître, je suis morte de peur !
Elle
se jeta soudain à ses pieds et les saisit. Elle les baisa en suppliant :
-
Épargnez-moi, je vous en prie !!!!
-
Ça va, arrête, j’ai compris, ok ?! Linya ! fit-elle en riant.
La
jeune femme se leva en époussetant ses genoux nus d’un air digne. Puis elle lui
fit face et tira la langue. D’un geste rapide comme l’éclair Tia tendit la main
et saisit l’appendice offensant. Linya écarquilla les yeux et suivit le
mouvement qu’amorça la mercenaire en couinant comme une souris.
-
Intéressant les petits bruits qui sortent de ta bouche, déclara-elle en
l’approchant d’elle.
Linya
attrapa son poignet de ses deux mains et essaya de retirer la main de la grande
femme mais ne parvint qu’à accentuer la pression sur sa langue.
-
Y’ ‘e ‘ai, ‘âche ‘a.
-
Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? J’ai rien compris !
fit Tia dans une grand sourire.
-
‘es ‘ôle !
Linya
la fixa avec une moue suppliante mais qui n’eut d’autre effet que de déclencher
un petit rire. Elle la rapprocha encore un peu plus et lorsqu’elle la trouva
suffisamment proche à son goût, souffla un grand coup sur ses yeux, la faisant
cligner et amenant quelques larmes.
L’expression
outragée de la jeune femme était si adorable que Tia se pencha en arrière en
riant, se tenant le ventre et tirant son infortunée victime sans s’en rendre
compte. Linya porta les mains en avant pour se retenir et les posa sur la
première chose qu’elle trouva : les seins de Tia. Celle-ci sursauta et
glissa de son tabouret. Elles tombèrent sur le carrelage froid dans un emmêlement
rieur de bras et de jambes.
-
Elles sont bonnes tes idées, grosse maligne va ! lança la grande Linya en
riant, contente d’avoir retrouvé sa langue.
-
J’avais pas prévu que tu serais à ce point obsédée par mon corps !
répondit-elle entre deux fous rires.
Elles
restèrent quelques minutes à simplement rire sur le sol puis elles reprirent
leur souffle dans un silence bienheureux. Tia se redressa sur un coude et
dévisagea la jeune femme à ses côtés.
-
Quoi ?
-
Tu es marrante.
Linya
rit.
-
Tu le remarques seulement ? Tu as un sens de l’observation de tueuse,
chérie !
Tia
cilla devant le surnom ce qui arracha un nouveau petit rire à sa compagne. Elle
tendit la main et caressa la joue sans même en avoir conscience. Tia, par
contre, ne le rata pas et une expression surprise et un peu inquiète traversa
son regard. Linya s’en rendit compte et se figea avant de lui faire un petit
sourire gêné.
-
Désolée. Je crois que je t’aime vraiment bien. Mais… il faut que je me rappelle
que tu n’es pas du genre à aimer ce genre de contact entre amies.
-Oh,
alors tu le fait aussi avec Lex ? demanda-t-elle très soulagée.
-
Bien sûr ! C’est ma meilleure amie !
-
Et tu touches comme ça tous tes amis ?
-
Non. Seulement ceux que j’aime vraiment. Et je t’aime vraiment. A part Alex… je
ne me suis jamais aussi bien entendue avec personne. Pas aussi vite, pas… avec
mon humour tordu.
-
J’ai le même.
Linya
hocha la tête.
-
C’est une des raisons, je pense, qui fait que je t’aime bien. C’est… facile
avec toi… de rire, de parler… et je ne sais pas… c’est juste facile. Comme avec
Alex.
-
Alors y’a pas d’ambiguïté ? s’assura la mercenaire.
-
Tu veux une réponse sincère ?
Tia
acquiesça et Linya lui sourit.
-
Tu es une femme très très, très belle. Et très sexy et aussi incroyablement
intense. Tu pourrais troubler un eunuque, si tu le voulais. Mais, je ne suis
pas gay. Et je ne te vois pas du tout comme ça.
-
Mais je te trouble… fit la grande femme avec un sourire malicieux, un sourcil
relevé.
-
Oh, ne va pas prendre la grosse tête ! la tança son amie. Tu as une façon
de déshabiller les gens du regard extrêmement embarrassante et tu le sais. Ça
ne veut pas du tout dire que ton corps m’attire.
-
Du tout ? la taquina-elle.
-
Du tout. Mais je confirme les propos d’Alex. Tu es à tomber.
-
La perfection incarnée tu veux dire ? A moins que ce ne soit : un
corps de déesse ? Lin, je suis sexy et je le sais, fit-elle avec un
mouvement de tête provocant, digne des bimbo latinos qui passaient à la télé.
-
Oh, gloussa la jeune femme une main devant la bouche. Alex a raison aussi en ce
qui concerne ta suffisance. T’as du bol qu’elle aime ton expression dans ces
moments là !
Tia
fronça les sourcils, la curiosité remplaçant la malice.
-
Elle te raconte vraiment tout on dirait.
-
Hum hum, fit-elle en secouant le doigt, mais je ne te dirais rien.
Tia
jaugea la détermination de son amie et décida de laisser tomber le sujet.
-
Ok, dit-elle en haussant les épaules. Et qu’est-ce que tu dirais de te relever
maintenant ? J’aime bien être allongée au côté d’une jolie femme, mais le
carrelage est un peu froid et… j’ai faim.
Linya
se releva en souriant, libérant enfin le corps souple et musclé de la grande
femme. Elles s’attablèrent devant les délicieux plats préparés par Tia et
commencèrent la dégustation.
-
Tu comptes appeler Lex quand ?
-
Après mes réunions téléphoniques. J’en ai pour la matinée normalement. Je
t’appellerai avant de le faire, ne t’inquiète pas.
-
Ok. Et pour ce lieu sur le continent dont tu ne voulais rien dire ?
-
Sérieusement, je t’en toucherai un mot quand je serais sûre qu’on peut y faire
la fête.
Elle
leva la tête de sa tasse et croisa son regard.
-
Je m’occupe de tout, ok ? Fais moi confiance. Tout sera prêt pour son
retour. Tu n’as qu’à me donner les numéros de ta famille, je leur donnerai les
dates et instructions. Toi, tu n’as qu’à réfléchir aux cadeaux.
Tia
fronça les sourcils.
-
C’est déjà fait, je t’en ai parlé il me semble non ?
-
Oui. Mais tu ne comptes pas les lui offrir devant tout le monde non ?
-
Bien sûr que non.
-
Mais dans ce genre de fête, il en faut toujours.
Tia
la dévisagea un peu contrariée. Elle aimait de moins en moins ce genre de fête.
Trop de simagrées. Mais Alexia aimait ça. En tout cas avant, alors… elle allait
faire un effort.
-
Quel genre ?
Linya
sourit devant sa résignation dégoûtée.
-
T’inquiète, je vais t’initier aux concepts de vie chez les riches ! On va
faire les boutiques ensemble ! Cet après-midi vers 17h ça te va ?
-
Heu… t’as un moyen de transport ?
-
Je suis la dirigeante, je te rappelle. Je sors et je rentre comme je le
veux !
-
Ha ! Je savais bien qu’il y avait une bonne raison pour qu’on soit amies.
-
On dîne dehors après et si tu es sage je te montrerai le lieu auquel je pense.
Il faut d’abord que je téléphone au proprio.
-
Sortir d’ici ? Ça me botte ! Mais ça suppose qu’on rate
l’entraînement d’après dîner et après hier, ce n’est pas une bonne idée.
D’ailleurs, si on ne veut pas rater celui de ce matin, il faut se dépêcher.
-
Ok, mais… pour ce soir ? J’ai vraiment envie de passer une soirée sur le
continent, fit-elle d’un air de chien battu.
-
Ok. Mais prépare-toi à un entraînement différent alors… fit-elle avec un
sourire en coin.
-
Du genre ?
-
Un entraînement de nuit. Une sorte d’assaut grandeur nature. Je vais prévenir
toutes les équipes. Je voudrais faire un mix des niveaux et mettre en place une
mini-bataille. Huuum, je sens que ça va être amusant !
« Et
moi, je sens que je vais regretter mon caprice » songea Linya avec une
grimace.
****************************************
Alexia
était crevée. Elle tourna la tête vers Gamora et vit que c’était réciproque.
Néanmoins elle était contente de ce qu’elle avait mis la journée d’hier à
mettre en place. Le tournoi était une idée géniale. Après une première réaction
surprise et quelque peu hostile, elle avait su trouver les mots qui avaient
réveillé leurs esprits de compétition et depuis tout le monde y allait de son
idée pour rendre ce challenge inoubliable.
C’était
épuisant. Mais les deux villages se reparlaient et ils étaient presque amicaux
l’un envers l’autre, alors l’objectif était atteint. Elle échangea un regard
satisfait avec Gamora et se demanda en la voyant s’occuper de régler les
derniers détails et apaiser les quelques tensions qui naissaient de part et
d’autre, si sa présence était encore indispensable.
Elle
n’avait qu’une hâte c’était de retrouver sa mercenaire. Se jeter dans ses bras
forts et embrasser sa peau douce. Elle ne regrettait pas d’être venue, elle
avait eu besoin de se prouver qu’elle était encore bonne pour autre chose que
les combats et la destruction, mais maintenant que c’était fait, elle voulait
rentrer. Et voir si Tia avait réussi à remettre la main sur toutes ses affaires
ou pas.
Cependant
elle croisa le regard tendu de Gamora et comprit que la femme se reposait sur
elle pour beaucoup de choses. Après tout, ce genre de manifestation n’était pas
courante. Ils avaient plutôt tendance à bannir ce genre de comportement dans
l’association. Enfin à l’exception des milices, évidemment. Mais, même elle
n’avait comme but que la protection. Là, il fallait savoir mettre des limites
très strictes pour que le tournoi ne dégénère pas et reste bon enfant, tout en
n'en mettant pas trop pour que la raison de son organisation, évacuer toutes
les tensions existantes, soit atteinte.
C’était
un exercice difficile et cela demandait un doigté qui faisait défaut à la
dirigeante Sud-Américaine. Elle soupira et secoua la tête. Ce n’était pas
encore aujourd’hui qu’elle pourrait repartir.
Alors
qu’elle allait donner un coup de main à Gamora, une tape sur son épaule lui fit
tourner la tête. Une des femmes de son escorte, Landis, lui tendait un
téléphone par satellite. Elle le prit en la remerciant d’un sourire.
-
Allo ?
-
Salut Chérie !
-
Linya ! sourit-elle contente d’entendre une voix amie. Tu vas bien ?
-
Eh bien, j’ai de plus en plus de mal à résister au charme ravageur de ta petite
amie. Et je te parle même pas de ses avances sexuelles !
Elle
poussa un soupir dramatique.
-
Il faut vraiment que tu reviennes, elle est vraiment trop sexy toute nue !
Je vais finir par aaaaaah !
Alexia
entendit un bruit sourd. Puis une sorte de bataille.
-
Lâche ce truc, espèce de…, grogna une voix qu’elle connaissait bien.
-
Ah on a peur de la vérité, la taquina Linya.
Alexia
entendit quelques bruits bizarres et quelques insultes, avant qu’enfin une voix
retentisse au bout du fil.
-
Rebonjour mon cœur !
-
Linya ? dit-elle surprise. Qu’est-ce que tu as fait de Tia ?
-
Je m’en suis débarrassée, fit-elle d’une voix d’outre-tombe, définitivement.
Elle
émit ensuite une sorte de ricanement diabolique. Un autre bruit sourd retentit
suivi d’un cri puis d’un hurlement et comme des frottements bizarres. Puis
enfin un ricanement se fit entendre.
-
Lex ?
Son
sourire amusé se transforma en sourire idiot.
-
Tia !
-
Salut.
-
Salut.
Un
silence plein d’affection puis :
-
Qu’est-ce que vous fabriquez toutes les deux ? s’enquit la jeune femme en
riant.
-
Oh, une petite mise au point, rien de bien grave.
-
Où est-elle ?
-
Saucissonnée sur sa chaise, répondit-elle d’un ton nonchalant.
-
Tu l’as attachée ?!
Tia
haussa les épaules.
-
Il faut bien lui apprendre les bonnes manières, répliqua son amie avec
conviction.
-
Et c’est quoi ces bruits que j’entends ?
-
Oh, elle essaye de parler, mais avec un bâillon c’est difficile, ricana la
mercenaire.
-
C’est pas très sympa, rit sa petite amie.
-
Eh ! Elle raconte n’importe quoi ! Ça a des conséquences.
-
Je vois. Sinon ça va ?
-
Super… à part que tu me manques.
-
Toi aussi… J’arrête pas de me demander si tu as réussi à retrouver toutes tes
fringues ! reprit-elle taquine après une petite pause.
-
Très drôle, grinça la mercenaire.
La
réponse et surtout le ton augmentèrent la taille de son sourire. « Elle a
pas tout retrouvé, yeeeeessss ! »
-
Tu rentres bientôt ? demanda Tia qui n’était pas très patiente
aujourd’hui.
-
J’aimerais bien mais…
-
Je vois. Tu as une idée au moins ? Une date ?
-
Je suis désolée…
Tia
soupira particulièrement énervée mais se contrôla.
-
C’est rien, t’as du boulot c’est tout. Ça se passe bien au moins ?
-
Oui ! fit-elle tout excitée.
Et
elle lui raconta tout ce qu’elle avait fait avec Gamora ces derniers jours avec
une grande fierté. Devant son enthousiasme, Tia ne put rester très longtemps de
mauvaise humeur et elle sourit, assez impressionnée par son idée de tournoi.
-
Comment t’es venue cette idée ?
-
Ah ça, c’est toi.
-
Moi ?
-
Ouais, j’ai essayé d’imaginer ce que toi tu aurais pu imaginer.
-
Eh bien… euh… c’est flatteur… je crois.
-
Ça l’est, confirma sa compagne. Tout le monde a adoré !
-
Tant mieux. Je… ah Linya veut encore parler, une seconde.
Alexia
attendit en imaginant la scène et elle ne put retenir un petit rire.
-
Bon, elle veut te poser quelques questions, déclara Tia en reprenant la parole.
Alors je te dis bonne chance et… je t’aime.
Une
douce chaleur se diffusa dans tout son corps à la suite de la déclaration et
elle murmura :
-
Continue comme ça et je vais devoir rentrer très vite.
-
Tant mieux, fit la mercenaire d’un ton suffisant. Parce que c’est ce que je
veux. Alors règle vite tout ça et rentre ou je me jette sur ta meilleure amie
pour apaiser mes pulsions. Déjà qu’elle bave à chaque fois qu’elle me voit,
alors si tu ne rentres pas vite, je vais lui dévoiler tout mes atouts et elle
va se transformer en fan hystérique folle de mon corps.
Alexia
éclata de rire.
-
Sauve là Lex, fit-elle d’un ton grave. Elle compte sur toi.
La
jeune femme mit quelques minutes à se calmer.
-
Ok, ok, je vais faire de mon mieux. Mais pas pour elle, tu me manques c’est
tout.
-
C’est une excellente raison.
Elle
passa ensuite le combiné à une Linya attachée à sa chaise dont elle avait retiré
le bâillon et détaché la main avant de la rattacher de manière à ce qu’elle
puisse poser le téléphone contre son oreille, sans pour autant bouger. Elle
sourit devant le regard noir de la jeune femme et se retira de la pièce en
riant.
-Eh,
reviens ici ! Tia ! Détache-moi ! Tia !
Elle
entendit un rire dans le combiné qui fit écho à celui qui venait de la pièce
d’à côté.
-
Tiiiiiiiiiiiiiaaaaaaaaaaa !
Chapitre 6 :
Tia
relut pour la troisième fois l’email de Karl qui lui résumait les dernières
avancés et les décisions prises à propos du dossier S, comme ses supérieurs le
nommaient. Elle devait donc penser à la stratégie et à l’organisation de
l’attaque. Pour ça elle devait commencer par battre le rappel et voir qui
répondrait à l’appel.
Elle
se mit donc à rédiger divers emails qu’elle envoya à ses contacts, puis se mit
à réfléchir. Elle devait parler à Linya. Elle ne lui avait toujours pas donné
sa décision à propos de sa participation au dossier S. Elle hésita puis renonça
à s’en occuper maintenant. Il était tard et… apparemment Linya n’était toujours
pas remise de l’entraînement nocturne d’hier. Mais elle n’était pas la seule.
L’entraînement
avait été un désastre. Genshenka et Jodie avaient été mises dans des équipes
séparées, pensant qu’ainsi elles seraient plus contrôlables et moins tentées de
créer des ennuis, mais elle s’était trompée. Ça avait été pire, et il y avait
eu des embrouilles à l’intérieur même des équipes fichant en l’air la moitié
des exercices et provoquant des bagarres inattendues.
Sa
réplique ne s’était pas fait attendre. Elle avait exclu les deux femmes de la
milice et après un rapide conciliabule avec Conception et Linya, elle leur
avait annoncé que c’était définitif. Si elles voulaient rester sur l’île comme
permanentes, elles allaient devoir trouver un autre job. Et si elles
souhaitaient pouvoir y revenir un jour, elles devraient prouver qu’elles
avaient changées. Cette sanction s’adressait surtout à Genshenka, Jodie n’étant
pas présente depuis assez longtemps pour être une permanente. Mais sa décision
créait un obstacle quant à son avenir sut l’île.
L’entraînement,
à cause d'une multitude d’incidents provoqués par les deux femmes, s’était
terminé très tôt le matin même. Elle savait que Linya, comme le reste des
femmes de l’île, était fatiguée. Elle avait donc annulé les entraînements de la
journée, mais elle savait que Linya n’était pas encore remise, de même qu’elle
était encore un peu en colère contre elle.
Avant
l’entraînement, pendant le dîner sur le continent, elles s’étaient légèrement
disputées à propos de la fête de Lex. Linya avait imposé une date de retour à
Alexia en lui disant qu’elle avait un autre travail à lui confier et qu’elle
devrait régler celui-là au plus vite. La jeune femme avait été surprise mais
n’avait pas protesté. Cela avait permis à Linya de réserver la salle de son ami
avec une date précise. Le problème avait surgi au moment du règlement.
Linya
avait déclaré qu’elle payait, puisque c’était son amie et que c’était elle qui
organisait la fête et que de toutes façons ça avait toujours été comme ça et
qu’elle avait plus d’argent qu’elle. Tia avait répliqué aussi calmement que
possible que la fête était son idée. Qu’Alexia était sa petite amie et qu’elle
avait bien plus d’argent que ce qu’elle croyait.
Tia
avait finalement réglé la salle mais Linya n’avait pas décoléré. Le seul bon
point de cette sortie était qu’elles avaient trouvé un cadeau pour la fête
elle-même. C’était même la seule chose sur laquelle elles s’étaient mises
d’accord. Le sujet du paiement de ce cadeau spécial avait relancé le débat et
elles avaient passé tout le dîner à discuter âprement le sujet. Le ratage de
l’entraînement n’avait rien arrangé et c’était encore assez tendu entre elles.
Elle
ne s’était pas imaginé que le paiement de la fête serait un tel problème. Et
elle ne voyait pas trop comment elle pourrait apaiser cela. Elle n’était pas
douée en général pour ces choses là.
Elle
soupira en s’allongeant sur son lit. Elle était fatiguée, mais n’avait aucune
envie de dormir. Ses cauchemars, longtemps mis de côté grâce à la présence
apaisante d’Alexia, étaient revenus en force ces derniers jours. Elle avait si
bien perdue l’habitude d’y faire face qu’elle ne savait plus comment faire. Et
Alexia lui manquait tant… La journée, ça allait, elle avait toujours quelque
chose à faire, à penser. Mais la nuit… Le silence, le vide, son réveil en
sursaut… tout renforçait son sentiment de profonde solitude.
Comment
avait-elle fait pour vivre ainsi jusque là ? Comment pourrait-elle vivre
un jour sans Alexia ? Espérons qu’elle n’ait jamais à le savoir…
Elle
se leva, résignée à passer une nouvelle nuit blanche et traversa sa chambre en
direction du balcon. Elle s’accouda à la rambarde et contempla le ciel étoilé.
Il était incroyablement lumineux. Elle l’avait vu sous différents angles,
différents continents et toujours il lui avait donné l’impression d’être
familier. Ici, les étoiles brillaient fort, un peu comme en Colombie.
Au
milieu de la jungle, c’était fou comme leur lumière lui avait paru forte. Pour
l’enfant qu’elle était alors, c’était magique. Comme si ses parents essayaient
de communiquer avec elle. Comme s'ils voulaient lui donner leur force.
Aujourd’hui,
elle savait que ce n’était qu’un rêve, un doux rêve de petite fille pour
s’accrocher à des lambeaux d’une enfance qu’elle n’aurait jamais. Pourtant elle
ne pouvait abandonner sa fascination pour les étoiles, pas plus que son
habitude de rechercher leurs images.
Une
étoile filante passa et elle eut l’impression qu’on lui faisait un clin d’œil.
Était-ce son père ? Sa mère ? Ou bien son frère ? Pouvait-il le
faire au moins ? Grandissait-on après la mort ? Et si c’était le cas,
si Ximenon avait grandi, était-il du genre à faire ce genre de chose ?
Était-il malicieux ? Ou taciturne ? Drôle ou triste de ne pas avoir
pu vivre ici ?
Et
comment le saurait-elle ? Il était mort trop tôt pour dévoiler quoi que ce
soit du garçon, puis de l’homme qu’il serait devenu.
Elle
soupira en baissant la tête vers l’île en contrebas. Décidément ce soir, elle
était déprimée. Ça ne lui réussissait pas d’être aussi loin de sa petite amie.
Il fallait qu’elle se reprenne. Que pouvait-elle faire pour passer le
temps ?
Elle
pouvait se remettre à chercher ses fringues manquantes ou… faire des exercices.
Elle en avait un peu marre de rechercher en vain ses vêtements. Et puis… cela
ferait plaisir à Alexia de l’avoir battue. Elle opta donc pour le sport. Elle
se changea et sortit du chalet. Elle s’échauffa rapidement avant de commencer
un tour de l’île.
**********************************
Le
lendemain matin, Tia entra avec une certaine lassitude et une pointe
d’appréhension dans la cuisine. Elle y trouva une Linya aux yeux fermés qui
savourait son café, comme si c’était la meilleure boisson au monde.
-
Salut, grogna-elle.
Linya
ouvrit les yeux et lui dédia un grand sourire joyeux.
-
Salut ! Tu vas bien ?
Elle
se pencha un peu vers elle et déclara :
-
Ça n’en a pas l’air. Tu as dormi au moins ?
-
Un peu. Mais… tu ne m’en veux plus ? demanda-t-elle en hésitant un peu.
-
Non, répondit son amie en haussant les épaules. C’était une broutille qui ne
valait pas la salive dépensée. Et puis je ne sais pas rester en colère. Ce
n’est pas dans ma nature. Tu avais raison en plus, c’est à toi de payer,
désolée d’être aussi chiante parfois, ajouta-t-elle avec un petit rire
nonchalant.
-
Ça va. C’est pas comme si c’était tout le temps le cas alors… on oublie ?
-
On oublie ! Alors c’est quoi le programme aujourd’hui, chef ?
-
Heu, eh bien avant d’en parler, il faut que je te demande ta réponse à propos de
notre requête.
-
A propos de Sassem ?
-
Oui.
-
Eh bien j’y ai réfléchi et j’en ai conclu que Sassem nous menaçant autant que
le reste du monde, j’allais en parler avec les différents régents. J’ai une
conférence téléphonique avec eux en début d’après-midi. Je leur demanderai de
me donner les noms et fonctions des volontaires dans la semaine. D’ici dimanche
tu auras une estimation.
-
Euh, tu parles de quel genre de participation là ? J’ai la nette
impression qu’il s’agit plus que de simples messagers.
-
Exact. Comme je te l’ai dit Sassem représente une menace pour nous aussi, alors
il me semble plutôt logique que nous apportions notre contribution.
-
Attends une second Lin ! Je croyais que vous étiez pacifique ? Que la
milice était un système de protection, de défense… et non d’attaque ?
-
C’est le cas. Mais je pense que certaines de nos Nazaréennes vont avoir envie
de participer à l’attaque elle-même. Et je ne vois pas pourquoi je le leur
interdirais, cela pourrait être bénéfique pour elles, peut-être même que, pour
des personnes comme Genshenka, ça pourra les sortir de leur cycle haineux.
Elles vont devoir collaborer avec des hommes lors de cette attaque, devoir
compter sur eux pour leur protection, les protéger aussi, si elles veulent que
l’attaque réussisse. Je… pour moi c’est une bonne chose. Mon but est leur
complète guérison. Quel que soit le moyen. Tout ce qui compte dans le cadre de
Lyoko est la réussite de leur réinsertion.
-
Ok, mais…
-
Pas de mais, Tia, la coupa-elle. C’est aussi leur combat. Sassem… c’est une
représentation… parfaite de tout ces hommes qui s’imaginent avoir des droits
sur autrui et plus particulièrement sur les femmes. Il veut dominer quitte à
détruire. Il aime faire mal. Il est l’incarnation même de bourreaux de ces
femmes. Mais ce ne sont pas les seules raisons. Sassem est ambitieux,
intelligent, influent et possède de ressources financières quasiment
illimitées. Il est vraiment dangereux. Que crois-tu qu’il va se passer si vous
ratez votre coup ? Tu penses qu’on sera à l’abri ? Tia tu es bien
trop intelligente pour croire ça. Tu sais que c’est notre combat aussi. C’est
celui de tout le monde en fait. Et… tu vas avoir besoin du maximum de monde.
Alors… ne refuse pas de l’aide dont tu as tant besoin. Pense… à Alexia… à ta
famille… à tout ceux qui compte pour toi. Si tu veux les protéger… utilise tout
ce qui est à ta disposition pour le faire. Range ta fierté. Elle n’a pas sa
place dans ce genre de responsabilité.
Tia
la dévisagea un long moment. Ça l’embêtait de l’admettre… mais elle avait
raison.
-
Tu es plus sage que tu n’en donne l’impression. Je saisis un peu mieux comment
tu as fait pour te retrouver à cette place et paraître crédible alors que tu es
si jeune et si délurée.
-
Merci pour le délurée, fit la jeune blonde avec un sourire. Mais j’accepte le
compliment. Si je comprends bien ta réponse, c’est un oui, c’est ça ?
-
Je n’ai pas vraiment le choix, je crois, dit-elle d’un air résigné.
-
Pas vraiment non. Tu es plus intelligente que tu n’en donne l’impression, c’est
bien.
Tia
lâcha un petit rire.
-
Tu m’as eu !
-
Enfin ! Je désespérais d’y parvenir. Pour fêter ma petite victoire, je te
permets de me demander de t’aider, fit-elle magnanime.
-
C'est-à-dire ?
-
A propos de cette blague que ta chère et tendre t’a faite…
-
Ah ça…
La
mercenaire réfléchit un moment.
-
Non, ça ira. Je vais laisser ce point à Lex. En plus si je veux vraiment la
battre sur ce terrain, je devrais le faire seule. Mais là, je crois qu’elle a
gagné. J’ai tout retourné sans succès et… j’ai envie de lui laisser ce petit
plaisir.
-
Ça ne va pas être trop dur pour ton ego ?
-
Eh bien, je vais encore chercher un peu, mais… si, avoua-elle avec une grimace,
ça va être d’autant plus dur qu’Alexia n’a pas le triomphe discret.
-
Ça c’est l’euphémisme du siècle ! D’ailleurs, je veux être là au moment où
tu lui apprendras ton échec ! J’ai trop envie de voir sa réaction… et ta
tête !
« Si
je peux éviter de faire ça en public je ne vais pas me gêner ! »
songea la grande femme avec un sourire contraint.
-
Bon, eh bien, préviens-moi quand tu as un chiffre à me donner. J’en ai besoin
rapidement.
-
Ok !
Elles
déjeunèrent puis se rendirent à leur entraînement qui se déroula plutôt bien
sans Genshenka et Jodie. Erika vint même s’excuser auprès de Drokqwé.
L’ambiance fut plus détendue et beaucoup plus concentrée. Tia eut enfin
l’impression de leur apprendre quelque chose au lieu de lutter contre elles et
contre elle-même.
Elle
avait trois heures avant son prochain cours, un pour débutantes cette fois,
alors elle se dit qu’il était temps pour elle de retravailler sous l’eau.
Contre Waco, elle avait été assez nulle et il lui fallait vraiment remédier à
cette faiblesse.
Elle
alla chercher dans le hangar à bateau de l’île, une tenue de plongé légère. Une
simple bouteille d’oxygène d’un litre, un masque, un tuba et des palmes. Elle
décida que pour un premier essai, une visite sous l’eau près de l’île était
suffisante. Elle dédaigna donc les bateaux et se déshabilla, ne gardant que le
maillot qu’elle avait enfilé le matin même et attacha un couteau sur sa cuisse.
Elle
ajusta la bouteille sur son dos en sautant sur place, puis posa le masque sur
son front, les palmes à ses pieds et prit une grande inspiration avant de se
jeter à l’eau, les pieds en avant et une main sur son masque.
Elle
se laissa couler doucement, laissant le temps à son corps de s’adapter à la
pesanteur, à la pression et aux bruits différents. Puis elle profita un peu de
l’instant. Le silence plein de vigueur, le doux courant tiède qui lui balayait
le corps, la couleur unique de l’océan mélangée à toutes celles qui vivaient
sous la surface, le flottement plaisant de son corps... elle aimait tout ça.
Peut-être aurait-elle dû s’y remettre plus vite ? Après tout c’était un
changement plus qu’agréable en plus d’un entraînement nécessaire.
Elle
décida d’y aller doucement pour cette fois et commença par une simple visite du
fond sous-marin. Elle se promena ainsi durant un long moment, réapprenant à
simplement vivre sous l’eau. Puis elle décida qu’il était temps de s’y mettre.
Elle
effectua de longues courses rapides entre deux récifs qu’elle avait marqués.
Elle fit des allers et retours de nombreuses fois, poussant son corps même
lorsque ses muscles crièrent grâce.
Elle
força son corps mais s’arrêta bien avant d’atteindre ses limites. Elle voulait
seulement se tester un peu et réhabituer son corps à l’effort qui permettait de
se mouvoir sous l’eau. Après l’exercice d’endurance et de vitesse, elle
commença un exercice de force et de chasse. Elle sortit son couteau de son fourreau
et se mit en quête d’une proie. Elle en trouva une en la personne d’un requin
de bonne taille, sans pour autant être adulte, et sourit.
Elle
le suivit en se faufilant furtivement de récif en récif. Et lorsqu’elle jugea
le moment opportun, elle lui tomba dessus tel un rapace sur une souris. D’un
vif mouvement du poignet elle trancha la tête d’une ouïe à l’autre. Mais il se
débattit et tenta de l’éjecter de son dos. Il était fort et ses mouvements
brusques faillirent la désarçonner plus d’une fois.
Elle
savait que si elle lâchait prise, elle n’aurait même pas le temps de se
protéger avant qu’il ne lui arrache un membre d’un coup de mâchoire, alors elle
tint bon, bandant ses muscles et plantant son couteau plus profondément encore
pour asseoir sa prise. Heureusement, plus le requin bougeait, plus il perdait
du sang et bientôt il fut trop faible pour pouvoir faire quoi que ce soit. Il
cessa de débattre et elle le sentit doucement accueillir sa mort. Lorsqu’enfin,
il ne bougea plus, elle dégagea son couteau et le regarda couler jusqu’au fond
peu profond autour de l’île.
Puis
alors que le sang se répandait lentement dans l’océan, elle découpa la tête
proprement et la jeta au loin, en direction des premiers carnivores qui
arrivaient. Elle traîna ensuite le reste du corps et le remonta à la surface.
Elle le jeta sur le bord de l’île et remonta. Elle posa sa bouteille au sol et
reprit son souffle, les pieds toujours dans l’eau.
Elle
regarda l’eau se rider et les bulles et le sang en troubler la surface. Et sourit.
Elle n’avait pas encore trop perdu. La prochaine fois, elle prendrait le bateau
et irait plus loin.
Dans
quelques jours, lorsqu’elle aurait retrouvé toute ses capacités, qu’elle serait
assez rapide, assez furtive et assez endurante, elle se rendrait dans un ban de
requin et nagerait parmi eux, testant ainsi sa capacité à passer inaperçue. Et
si elle ne l’était pas suffisamment eh bien… elle testerait sa force et sa
rapidité, voilà tout. La possibilité d’être tuée par les requins ne l’effrayait
pas car elle savait qu’elle était plus forte qu’eux.
Elle
avait grandi parmi des requins plus dangereux et plus intelligents que ceux qui
vivaient sous la surface. En conséquence, elle ne craignait pas ces mammifères
là. Elle les aimait presque, d’ailleurs. Ils étaient plus francs et plus
directs que leurs homologues humains. Et eux au moins, ne tuaient que pour
survivre.
Elle
s’interrogea brièvement. Retournerait-elle sous l’eau ? Elle regarda sa
montre et vit qu’elle y avait passé une heure et demie. Pour une première fois
c’était suffisant. Il ne fallait pas aller trop vite, même si son corps lui
disait qu’elle pouvait encore, il fallait toujours penser « et si ».
Et si il y avait un problème ? Et si j’étais trop fatigué pour y faire
face ? Sans parler du fait que trop pousser son corps, alors qu’il n’était
plus habitué à ces exercices, pouvait être mauvais.
Elle
se leva donc, s’étira et rangea ses affaires. Puis elle entama, pieds nus, un
tour de l’île en maillot de bain, se faisant parfois siffler au passage.
*********************************
Quelques
jours plus tard, de bonne humeur parce que sa bien-aimée rentrait le jour même,
Tia se rendit au hangar à bateau pour son entraînement sous-marin. Linya avait
voulu l’accompagner pour une fois et si Tia n’aimait pas trop partager ces
moments-là, elle comprenait que son amie veuille apprendre quelque chose qui
pourrait lui être utile, vu qu’elle habitait sur une île.
Elle
avait donc accepté de lui donner quelques cours particuliers. Heureusement,
elle avait déjà plongé et elle n’aurait, au moins, pas ça à lui enseigner. Elle
ne pensait pas qu’elle serait à l’aise avec autant d’élèves mais en fait, elle
s’était coulée dans ce rôle comme si elle avait fait ça toute sa vie. Et puis,
ça lui avait donné une idée. Si un jour elle voulait raccrocher, il lui
suffirait de se reconvertir dans ce domaine. Elle pourrait être consultante en
stratégie militaire internationale. Sa réputation n’était plus à faire et elle
savait qu’elle trouverait très vite des clients. Ou si elle souhaitait quelque
chose de plus calme, elle pourrait être simplement prof d’arts martiaux. Bien
sûr pour ça, il faudrait d’abord qu’elle gagne un ou deux tournois, histoire de
se faire connaître, mais malgré son âge avancé pour ce milieu, elle savait qu’elle
n’aurait pas de difficulté pour ça.
Puis
elle revint à la réalité. Elle était recherchée par Interpol, alors même si
Sassem n’était plus dans le paysage, elle ne voyait pas comment elle pourrait
passer entre leurs mailles si elle décidait de s’installer quelque part.
Était-ce juste pour Alexia ? Si elles restaient ensembles, elle ne
retrouverait probablement jamais une vie normale.
Alexia
pensait que c’était Sassem le vrai problème, et oui, bien sûr il l’était, mais
même une fois débarrassée de lui, elle ne pourrait pas se poser. Comment
avait-elle pu croire le contraire ? Comment avait-elle pu oublier ce
qu’elle était ? Ce qu’elle avait fait ? Elle ne méritait pas une vie
normale, elle ne méritait même pas Alexia. Mais ça, elle ne pouvait pas y renoncer,
pas si Alexia ressentait réellement ce qu’elle-même ressentait pour elle.
Rompre serait alors vraiment égoïste car se serait dans le seul but de soulager
sa mauvaise conscience.
Si
Lex l’aimait autant qu’elle l’aimait, alors ce serait lui infliger une bien
grande souffrance. Non, elle ne romprait pas, elle avait finalement compris
qu’Alexia avait raison. Elle était le meilleur choix possible pour elle et
vice-versa. Mais comment pouvait-elle raisonnablement lui imposer une vie de
fugitive ?
-
Ouh, ça chauffe dur la dessous ! fit une voix à ses côtés.
Tia
tourna la tête et vit Linya en maillot de bain rouge vif, un deux-pièces, lui
sourire gentiment.
-
Ça va ? Parce que laisse-moi te dire que ça n’en a pas l’air.
-
C’est… compliqué.
-
Ça concerne Alex ? hésita la jeune femme.
Poser
des questions à la mercenaire revenait systématiquement à poser un pied dans un
champ de mines, enfin c’était l’effet que cela faisait à la chef de l’île, et
elle hésitait toujours à le faire, pourtant Tia ne l’avait jamais rabrouée ou
quoi que ce soit dans le genre, mais elle sentait une tension émaner du corps
de sa compagne à chaque fois qu’elle tentait l’expérience. La tension se
répandait dans l’air, jusqu'à parfois devenir très lourde, ce qui lui faisait
invariablement regretter sa question.
Mais
à chaque fois qu’elle voyait la grande femme dans une de ses humeurs sombres,
elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter un peu pour elle et de vouloir faire
quelque chose. En plus, Alexia lui en voudrait si elle laissait sa petite
amie retomber dans une dépression dont elle sortait tout juste. Et puis, bon,
ce n’était pas dans sa nature de laisser une personne souffrir en silence, pas
si elle pouvait faire quelque chose.
-
Un peu, répondit la grande femme en haussant les épaules, comme si ça ne la
gênait pas vraiment.
-
Alors parle-lui-en. Si ça la concerne, tu dois lui en parler. Tu sais comment
elle va mal le prendre si tu fais des trucs dans son dos et qu’elle s’en
aperçoit.
Tia
la dévisagea et lui répondit tout en chargeant leur matériel dans leur petit
hors-bord.
-
Il faudrait déjà qu’elle s’en aperçoive.
-
Ne joue pas avec ça Ti, la tança son amie. Tu sais qu’elle t’observe beaucoup,
elle ne tardera pas à savoir que tu lui caches quelque chose et tu sais combien
le mensonge dans un couple est destructeur, même s’il est dans l’intérêt de la
personne à qui l’on ment. Alors ne fait pas ça, ok ?
-
Ti ? Tu m’as appelé Ti ? répéta la grande femme incrédule.
-
C’est tout ce que tu as retenu de ce que je viens de te dire ? fit celle-ci
les mains sur les hanches.
-
Non, non… mais Ti ? insista la mercenaire.
-
Ouais Ti, répondit Linya en détachant les amarres du bateau et en sautant
dedans. Je trouve que ça te va mieux que Tia. C’est plus… percutant.
Deux
sourcils levés la toisèrent d'un air surpris.
-
Lex dit que c’est Tia qui me va le mieux, parce que ça veut dire amour et que
c’est ce qu’elle éprouve pour moi.
-
Beurk ! J’ai pas besoin d’être au courant de tous les détails salaces de
votre relation !
La
mercenaire rougit quand elle comprit l’allusion.
-
Pas dans ce sens, Lin ! s’insurgea-t-elle très gênée.
Et
puis pourquoi l’était-elle ? Le sexe ne l’avait jamais embarrassée
avant !
-
Je sais, je sais, répliqua-elle en riant devant son air mi-figue mi-raisin. Je
voulais seulement t’embêter.
Tia
secoua la tête, renfrognée, puis se concentra sur la conduite du bateau. Elles
s’éloignèrent de l’île et lorsqu’elles furent parvenues à son coin habituel
d’entraînement, elle stoppa le moteur et descendit l’ancre.
-
Tu veux un coup de main ? s’enquit-elle en désignant son matos de plongé.
-
Non, merci, je pense pouvoir m’en tirer seule, répondit-elle avec un sourire
sarcastique.
La
mercenaire lui retourna son sourire puis y ajouta une pointe de malice,
indiquant une attaque en règle. Linya attendit, avec un peu d’appréhension mais
aussi d’excitation, ce qu’elle allait sortir.
-
Sûre ? susurra-elle d’une voix sexy. Ça pourrait donner lieu à de
chouettes découvertes pourtant, fit-elle en approchant en deux grandes
enjambées.
Linya
recula instinctivement mais pas assez vite pour empêcher la grande femme de
passer ses deux mains derrière son dos, l’attirant ainsi contre sa poitrine,
« mise admirablement en valeur, par son bikini noir », songea-elle le
nez pratiquement dessus. Tia attacha solidement la bouteille à son dos, puis
avec un sourire coquin, elle laissa ses mains glisser sur ses côtes, pour
vérifier que les brides étaient bien ajustées, et vit avec satisfaction la
respiration de sa compagne se couper se faisant.
« Ok,
ok, elle essaie juste de te déstabiliser, ne rentre pas dans son jeu, Lin, tu
peux être meilleure qu’elle ! » Elle respira un grand coup et leva la tête
lui retournant son sourire ce qui surprit la grande femme puis un sourire
entendu le remplaça et Tia admit sa défaite en levant les deux mains en l’air
d’un air innocent.
-
Tu aimes ça hein ? l’interrogea-t-elle néanmoins, décidée à ne pas rendre
les armes trop vite.
-
Quoi donc ? répliqua Linya en fronçant les sourcils.
-
Que je te touche, répondit la grande femme en se penchant vers elle d’un air de
conspirateur.
La
déclaration inattendue la fit rester bouche bée. Ce qui déclencha un rire
irrépressible chez sa compagne. Linya croisa les bras et fit la moue.
-
Très drôle. C’est surtout extrêmement embarrassant d’être touchée ainsi par la
petite amie de sa meilleure amie, admit la jeune femme.
-
Et d’en éprouver autant de plaisir ! poursuivit la mercenaire entre deux
hoquets.
-
Ça va les chevilles ? fit Linya gagnée par son hilarité. Désolée chérie,
mais il te manque un ou deux trucs pour être mon type. Comme un truc là,
fit-elle en mettant la main directement sur la partie concernée, provocant un
sursaut chez Tia qui la fit trébucher et tomber à l’eau.
-
Tel est pris qui croyait prendre ! lui lança-t-elle en se penchant rieuse.
Tia
lui jeta un regard noir. « Non, mais ! La toucher là ! Ça
va pas ! Si Lex l’apprenait… Tu passerais un sale quart
d’heure !»
Elle
se hissa à la seule force de ses bras sur le bateau pendant que Linya enfilait
masque et palmes. Puis elle lui fit un petit coucou en se jetant à l’eau et Tia
enfila sa bouteille.
-
Eh Ti ! s’entendit-elle appeler.
La
mercenaire se retourna et haussa les sourcils à la vue de la chef de l’île.
Avec ses cheveux bouclés mouillés, plaqués contre son crâne et ses yeux rieurs,
elle avait l’air d’une enfant.
-
Ouais ?
-
Je crois que l’ancre n’est pas vraiment au fond, le bateau dérive.
Tia
fronça les sourcils. Elle était pourtant sûre… Elle se rendit vers le tableau
de commande et remonta un peu l’ancre avant de la faire redescendre.
-Et
là, c’est ok ?
Linya
lui fit signe qu’elle allait vérifier et plongea. Elle remonta quelques minutes
plus tard.
-
Non, toujours pas. Je crois qu’il y a un problème avec la chaîne. Elle doit
être coincée dans l’enrouleur.
Tia
réfléchit puis soupira.
-
Ok, bon, je vais changer de bateau. Tu veux venir avec moi ou rester là ?
-
Tu n’en as pas pour longtemps non ?
-
Cinq minutes tout au plus. On est pas très loin de l’île.
-
Bon, alors je reste là. J’ai envie de profiter un peu des fonds marins avant de
commencer le cours.
-
Ok, mais ne va pas trop profond, seul c’est dangereux.
-
Dit la fille qui plonge seule depuis 5 jours !
Tia
fit la grimace mais insista.
-
Peut-être mais moi je sais ce que je fais. C’est mon métier. Alors fais gaffe.
Je veux te retrouver là, dans cinq minutes, c’est compris ?
-
Chef, oui chef ! cria la jeune femme en portant une main à son front.
Tia
rit et fit signe à Linya de se reculer un peu. Elle mit le moteur en marche et
alors qu’elle s’éloignait, le moteur prit feu et quelques secondes plus tard,
le feu atteignait le réservoir d’essence.
Lorsqu’elle
avait senti la fumée, Tia n’avait pas réfléchi et elle s’était élancée vers
l’océan. L’explosion la prit alors qu’elle était en l’air et le souffle et le
feu la frappèrent rudement. Elle cogna l’eau avec une force brute et des
étoiles dansèrent devant ses yeux. Elle lutta contre l’inconscience de toutes
ses forces et remonta à la surface.
Au
moment où elle l’atteignait l'air libre et ouvrait les yeux, une deuxième
explosion retentit et la percuta. Elle but la tasse, s’étrangla mais ne put
reprendre sa respiration. Le souffle de l’explosion l’avait repoussée loin au
fond de l’eau en un rouler-bouler continu qui lui fit perdre la notion de haut
et de bas. Elle ferma les yeux, tentant de décrisper son corps douloureux et de
se laisser entraîner par le courant, pour économiser ses forces en espérant que
ce ne serait pas trop long car le manque d’oxygène se faisait sentir.
Soudain
une surface dure entra violemment en contact avec sa tête, et tout ça n’eut
plus aucune importance.