Répression, partie 8-1
REPRESSION (RETRIBUTION)
Ecrit par Susanne M. Beck
(Sword'n'Quill)
Chapitre
8-1
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Le soleil était levé depuis plusieurs heures lorsque nous
revînmes enfin sur le bitume lisse de la route qui allait vers l’est et que
nous avions explorée toute la nuit. Mon crâne battait atrocement du mauvais
traitement qu’il avait enduré tandis que nous bondissions sur une route à
ornières cabossée après l’autre, à la recherche d’indices qui ne s’y trouvaient
pas, peu importe le souhait que nous avions de leur donner une existence.
Alors que la nuit cédait le pas au jour, mes espoirs cédèrent
également avec la disparition de la lune. Chaque impasse, chaque chemin inutile
me poussait de plus en plus dans un puits de désespoir que je commençais à
penser ne plus jamais quitter.
Mon esprit insistait à me montrer des images du corps sans vie
d’Ice, seule, perdue pour toujours dans le labyrinthe sans fin de la forêt qui
nous entourait.
Et pire encore, des images d’Ice, en sang mais consciente,
mourant à petit feu et incapable de bouger tandis que les bêtes de la nuit se
rapprochaient lentement d’elle, attirées par l’odeur de son sang versé comme
des requins par une baleine blessée.
Je conjurai férocement mon esprit de se taire, de la fermer,
mais plus j’étais fatiguée, plus nous passions des heures inutiles à chercher,
plus il insistait à me passer ces images dans une boucle incessante, chacune
d’elle plus rude et plus déchirante que la précédente, jusqu’à me faire presque
hurler et frapper le tableau de bord à en faire saigner mes poings.
Les Drew nous avaient rejoints à mi chemin, leurs propres
explorations restées vaines. Deux paires d’yeux en plus permirent d’accélérer
les recherches, mais à la fin, cela ne fit aucune différence.
Je revins au présent et frottai mes yeux fatigués tout en me
préparant mentalement à une autre virée sur une autre route avec une autre
série de trous assez grands pour cacher une maison entière. C’est alors que je
remarquai que nous nous dirigions vers l’ouest, loin du soleil levant et de la
prochaine route. Mon cœur se mit à battre plus vite. « Où
allons-nous ? »
Pop ne me regarda pas. Ses yeux ne cillaient pas en regardant
la route. Il était plus que pâle, plus que fatigué, plus que vieux. « On
rentre un peu, Tyler. On a besoin d’une pause. »
« Non ! » Criai-je en attrapant le volant, nous
envoyant presque dans l’un des fossés qui longeaient chaque côté de la route.
« Non ! On ne peut pas abandonner ! ! »
Il retira doucement ma main du volant et redressa la
camionnette. « On n’abandonne pas, Tyler. Johnny et Tommy vont continuer à
chercher jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus. Il faut que je trouve un
téléphone pour demander plus d’aide. Y a trop de terrain à couvrir par ici pour
juste trois groupes. Et tu as besoin de dormir un peu. J’ai pas besoin de
t’regarder pour voir que t’es à deux doigts de flancher et pas pouvoir te
relever. »
« Vous ne comprenez pas. »
Il se gara sur un côté et écarta enfin les yeux de la route
pour me regarder directement. Il avait une expression de tristesse infinie.
« J’comprends mieux qu’tu crois, Tyler. J’ai perdu ma fille par ici quand
elle avait sept ans. Elle et une amie sont parties pour pêcher et elles se sont
perdues. On les a retrouvées deux jours plus tard. L’amie a survécu, pas ma
fille. » Il regarda à nouveau la route, les yeux brillants et assombris,
les mains agrippées au volant. « Elles ont dû glisser dans le noir, tout
près en fait. L’amie ne savait pas dire. On les a trouvées toutes les deux en
bas d’un des ravins. Ma fille avait la nuque brisée. »
« Oh Mon Dieu. » Je fermai les yeux pendant un très
long moment. « Je suis désolée. »
Il me regarda à nouveau. « Je te remercie pour ta
sympathie, Tyler. C’t’arrivé il y a longtemps, mais quelques fois ça revient
très fort. Surtout quand on s’y attend pas. » Il tendit presque avec
hésitation une main rendue rugueuse par le travail et toucha affectueusement ma
joue. « J’aime pas trop les banalités. Je les trouve inutiles en général.
Mais j’ai assez vécu pour savoir une chose. Et c’est que perdre espoir c’est la
pire chose qu’on puisse faire. J’ai beaucoup bourlingué mais j’ai encore jamais
rencontré quelqu’un comme ta Morgan, Tyler. Si quelqu’un peut se sortir de ce
bordel monstrueux, je parierais bien sur elle, si j’étais du genre à
parier. »
« Et si vous ne l’êtes pas ? » Demandai-je à
travers mes larmes.
Son sourire fut doux et gentil et rempli de compassion.
« Je le f’rais pareil. Elle est spéciale. Et toi aussi. Je l’ai entendue
t’appeler ‘Angel’ une fois, et je reconnais que tu es ce que mes yeux en
verront de plus proche. Alors tu la gardes vivante dans ton cœur, et elle
restera vivante. Ok ? »
Après un moment, je hochai légèrement la tête contre sa main
en souriant un peu. « Ok. »
« Très bien, alors. On ramène nos fesses à la maison et
on trouve de l’aide pour la recherche. Et quand on la retrouvera, rappelle-moi
qu’elle a une dette pour m’avoir fait perdre autant de sommeil pour la trouver,
hein ? »
Je faillis rire à ces mots. « Marché conclu, Pop. Je la
tiendrai même pendant que vous récupèrerez cette dette. Laissez-moi m’en
occuper, ok ? »
Il hocha la tête et nous reprîmes notre route, mon âme
infinitésimalement plus légère après cette conversation.
Il est étonnant de voir combien l’espoir peut être un
médicament puissant.
*******
J’étais assise à la tête du lit et je regardai sans voir par
la fenêtre. Bien que je soies restée plus de trente-six heures sans, le sommeil
était évasif, inutile. Bien que mon corps et mon esprit le réclamaient avec une
douleur profonde et permanente, mon âme repoussait son confort induit, sachant
que c’était un leurre. Le sommeil n’apporterait pas l’oubli dont j’avais
besoin ; il n’apporterait que les cauchemars, ou pire, des rêves de
bonheur dont je ne me réveillerais que pour mourir à nouveau lorsque mon enfer
éveillé me reviendrait, me frappant tel un coup de poing aux tripes.
Non, il valait mieux que je reste éveillée pour combattre des
démons que je pouvais contrôler, plutôt que de m’endormir et de laisser ce
contrôle aux vautours qui attendaient juste au bord de ma conscience.
Le bruit du ronflement léger de Pop flottait jusqu’à moi
depuis le séjour en bas, où il était allongé sur l’un des canapés. Je souris
furtivement et remerciai Dieu d’avoir apporté cet homme dans ma vie. Il avait
réussi à joindre un très grand nombre d’amis proches comme éloignés. Des amis
aussi discrets et obstinés que lui et à qui on pouvait donc confier cette tache
délicate et dangereuse.
Ruby avait appelé juste au moment où nous arrivions à la
cabane - j’avais cessé de penser à cet endroit comme ma maison. Mes paroles
revenaient me hanter. Là où était Ice, était ma maison. Où elle n’était pas, ça
ne le serait jamais – pour partager avec nous la bonne nouvelle que Corinne,
bien que grièvement blessée, allait se remettre complètement.
Elle avait ce que Ruby appelait un hématome subdural, qu’elle
expliqua être quelque chose comme une très mauvaise commotion cérébrale. Les
médecins lui avaient donné des médicaments puissants à la fois pour la calmer
et pour diminuer le gonflement dans son cerveau. Qui était censé se résorber
seul sans intervention chirurgicale, ce dont j’étais profondément
reconnaissante.
Avant de raccrocher, Ruby me fit comprendre en termes clairs
qu’elle s’attendait à avoir des explications quand tout serait fini. Si cela se
finissait jamais.
Je répondis de la même manière, lui promettant que je lui
dirais tout ce que je pourrais.
Si je le pouvais.
Je me détournai de la fenêtre et m’assis le dos contre la tête
de lit, mes yeux scrutant la chambre, regardant tout et n’importe quoi, à part
l’oreiller posé tout près de moi. Un oreiller que j’avais serré pendant quatre
heures – ou était-ce cinq ? Six ? Le temps était à nouveau mon ennemi
– au lieu de la femme que je voulais tenir contre moi. Son odeur s’y trouvait
toujours, je le savais, piégée dans le tissu, apportant le réconfort, apportant
la paix.
Mais pour combien de temps ? Assez longtemps pour passer
une vie entière sans elle ? Assez longtemps pour apaiser l’abîme de nuits
vides et de rêves brisés ?
Les larmes revinrent et cette fois, je ne tentai pas de les
retenir, me refusant à accepter l’aide de son odeur. Ice ne pouvait m’aider
maintenant. Personne ne le pouvait.
Je m’entourai de mes bras et je sentis que je commençais à me
balancer, lentement, d’avant en arrière, dans une tentative primitive de me
consoler. Mes larmes continuaient de tomber et je les laissai toujours, sachant
qu’elles n’étaient que le début d’un vaste océan de douleur retenu par la digue
éreintée qu’était ma force intérieure, et qui diminuait rapidement.
Après un très long moment, mes larmes, qui tenaient bien leur
rôle, se calmèrent et me laissèrent avec le sentiment, sinon d’aller mieux, du
moins d’être nettoyée. La douleur était toujours là, une vague noire
déferlante, mais elle était plus facile à dompter après avoir trouvé un
exutoire, même si fugace.
Et avec ce sentiment nouveau – même temporaire – de paix, vint
la force de me rendre compte que je ne pourrais pas tenir totalement seule. Je
tendis la main et attrapai l’oreiller pour y enfouir mon visage rougi,
absorbant la sensation du tissu frais et l’odeur exotique et réconfortante
d’Ice, au plus profond de moi, pour m’aider à fortifier les murs éreintés par
le torrent incessant de la douleur.
Mon esprit repassa les images de moments plus heureux et je les
laissai me bercer vers un sommeil plus que nécessaire, l’oreiller toujours
serré avec désespoir contre mon corps.
*******
Lorsque je me réveillai, ce fut pour ce soulagement aveugle
qui fait battre le cœur, qu’on a quand on se rend compte qu’on vient juste
d’être sauvé des serres d’un cauchemar brutal.
Mais je regardai alors autour de moi.
Et je me rendis compte que le cauchemar était toujours
présent, et pire que la plus horrible des sombres illusions créées par mon
esprit.
Quand la réalisation que la pièce était presque plongée dans
le noir filtra, et que j’avais dormi toute la journée, je serrai les dents de
colère et sautai du lit, et je faillis tomber à genoux lorsqu’une douleur
atroce frappa mes pieds. Je m’accrochai au bord du lit et pris plusieurs
inspirations profondes avant de forcer mes jambes à soutenir mon corps, peu
importe la douleur que je ressentais.
Après un long moment, elles finirent par m’entendre.
Tandis que je descendais l’escalier en boitant, ma douleur
cédant la place à la colère, je me hasardai à jeter un coup d’œil à l’horloge
sur le manteau de cheminée, et je vis que je n’avais pas dormi toute la
journée, mais seulement deux heures. Lorsque je parvins enfin au
rez-de-chaussée, ma colère s’était un peu calmée, laissant assez de place à ma
douleur permanente pour qu’elle recommence à me tarauder.
Pop, le visage gris de fatigue, était en train de raccrocher
le téléphone lorsque j’entrai dans le séjour. « Des
nouvelles ? » Demandai-je, très effrayée d’entendre la réponse.
Il secoua lentement la tête. « Non. Mais une tempête du
Feu de Dieu est en train de monter. Elle va effacer les quelques traces qui
restent. »
Je suivis son regard vers la grande baie vitrée qui couvrait
une grande partie du mur. Le ciel était d’un noir menaçant avec des nuages
déferlants desquels sortaient des éclairs, de l’un à l’autre, comme un bâton
dans une course entre Zeus et sa famille.
Il ne pleuvait pas encore mais le monde extérieur semblait s’y
préparer : calme, silencieux, en attente. Je me retournai vers Pop.
« On dirait bien qu’on ferait mieux d’y aller alors, non ? »
Pendant un instant, j’eus l’impression qu’il allait dire
quelque chose, mais quoi que ce soit, ça mourut sur ses lèvres et il se
contenta de hocher la tête. « Ouais. Allons voir ce qu’on peut
faire. »
La tempête frappa au moment même où nous sortions. Mais au
lieu de pluie, c’est de la grêle de la taille d’une balle de golf qui commença
à tomber, fonçant vers le sol à une vitesse stupéfiante et avec une volonté
diabolique.
« On attend que ça se calme, Tyler », dit Pop de
dessous l’avancée du porche de l’arrière. « C’est trop dangereux d’y aller
comme ça. »
« Non. Si vous ne voulez pas y aller, alors donnez-moi
les clés. Je ne reste pas ici. »
« Tyler… »
« Non ! Je ne la laisserai pas là-dessous, Pop. Je
ne peux pas. » Des images de grêle s’abattant sur son corps sans défense
prirent vie dans mon esprit avec tous les détails sanglants, la glace qui
remplissait ses yeux morts et fixes, comme dans un spectacle aux effets
spéciaux remplis d’une horreur macabre. Je les repoussai férocement. « Je
ne peux tout simplement pas. Alors soit vous venez avec moi, soit vous restez
là, mais moi j’y vais. Avec ou sans vous. »
Puis je saisis les clés dans sa main et je fonçai vers sa
camionnette, sans même sentir la grêle qui me tombait dessus.
Et avec un ‘bon sang’ marmonné que je pus à peine entendre
dans la furie de la tempête, Pop vint me rejoindre en courant, reprenant ses
clés d’un geste brusque avant de me pousser sur le siège du passager tout en
ouvrant sa portière pour se glisser dans la cabine.
En quelques secondes, nous étions partis, notre trajet
accompagné d’un vacarme sinistre de grêle qui rebondissait sur la carrosserie
de la camionnette et sur le pare-brise, rendant toute vue presque impossible,
encore moins la conduite.
*******
La grêle se changea bientôt en une pluie battante qui
transformait les routes forestières en bourbiers aspirant avidement les pneus
au passage. Plus d’une fois, il fallut faire appel au treuil de la camionette
de Tom Drew pour sauver un véhicule enfoui jusqu’à la portière dans la boue.
Mais nous continuions pourtant, entraînés par les nouvelles
qu’un des amis de Pop avait reçues de l’un de ses amis qui se trouvait être
juste à la frontière.
Bien
Alors, à moins que Pop n’ait tort et qu’en fait il y avait bien un moyen de traverser la frontière
en voiture sans passer par les routes contrôlées, Ice était toujours au Canada.
Quelque part.
Et le jour céda de nouveau la place à la nuit, ce que je ne
vis que par le mouvement des aiguilles sur la montre à mon poignet. La tempête
continuait sans relâche, les éclairs figeant et illuminant tout brièvement, des
photos glacées du temps, comme si un photographe avec le plus grand appareil
photo du monde prenait une série de photos pour documenter notre recherche.
Puis ce fut à notre tour de plonger dans un de ces puits de
boue et nous sortîmes tous deux de la camionnette tandis que Pop envoyait un
message radio à Tom pour venir nous aider.
« Quand il nous aura sortis de là, on rentre à la maison,
Tyler. On fait juste tourner nos roues là maintenant. On pourrait aussi bien
être sur elle et ne pas le savoir avec la tempête. Il
« Je suis désolée, Pop, mais je ne peux pas faire ça.
Vous pouvez rentrer si vous voulez. Je continuerai à pied. »
« Tu peux pas faire ça ! Tu vas foutrement te
perdre ! »
« Je m’en fiche. Je ne peux pas arrêter de chercher, Pop.
Je ne peux pas, c’est tout, je suis désolée. » Et sur ces mots, je
m’éloignai, trempée jusqu’aux os, aveugle dans le noir, et plus que ça encore,
à moitié folle du désir de retrouver le corps de mon amour.
« Ne fais pas ça, Tyler, merde ! »
Je me retournai et vis les lumières approchantes de la
camionnette de Tom. « Que Tom vous sorte de là, Pop. Et rentrez. Ça va
aller pour moi. »
Et avec un sentiment de calme profond, j’attendis que l’éclair
suivant illumine la zone, puis je sortis de la route pour aller dans les bois.
J’entendais les cris derrière moi mais je ne leur prêtai aucune attention.
Je me frayai un chemin aveuglément, sentant les branches
poussées par le vent me fouetter le visage et le corps, sans m’en soucier.
Quand l’éclair suivant arriva, je me retrouvai à fixer le vide, mais je fus
incapable de m’arrêter et je tombai dans un précipice, vers une rive jusqu’ici
inconnue, sentant les cailloux et les branches tombées frapper et griffer ma peau
et ma tête nues.
Mon élan fut finalement stoppé par un arbre déraciné. Je me
cognai dedans, le genou le premier, et la douleur explosa derrière mes yeux, me
faisant crier.
Dans cette demi-seconde d’abandon bienheureux, quand la
douleur diminua et que je me retrouvai à fixer le vide, je pensais Mon Dieu, je suis morte. Je peux enfin la
retrouver.
Mais la douleur revint, et avec elle, le souffle dans mes
poumons et les bruits à mes oreilles. J’entendis mon nom, et douloureusement,
je tournai le cou pour voir les silhouettes à contrejour de Pop, Tom et John
qui regardaient dans le ravin où j’étais tombée. Ils criaient quelque chose
mais je ne comprenais pas dans le hurlement du vent et le battement de la
pluie.
Mais ce n’était pas important. J’étais toujours vivante et Ice
était toujours partie, et ça, c’était
la seule chose qui avait de l’importance.
Je me repris lentement et commençai à sortir du piège dans
lequel j’étais tombée. Je m’assis avec précaution et utilisai mes deux mains
pour sortir ma jambe coincée sous les grandes racines tordues du vieux pin dans
lequel je m’étais cognée.
Je faillis m’évanouir quand elle se libéra enfin de la prise
avide de l’arbre et je vis des morceaux de peau à l’endroit où s’était trouvé
mon genou.
Mais je n’allais pas laisser un peu de sang m’arrêter, et,
serrant les dents contre la douleur atroce, je me remis debout en boitillant,
titubant en tentant de retrouver mon équilibre.
Je regardai encore vers le haut juste à temps pour voir Tom et
John descendre la rive en glissant, essayant de garder pied avec très peu de
marge. Tom finit par atteindre l’endroit où je me trouvais et il tendit la main
vers moi, mais je m’écartai, les dents serrées dans un sourire féroce.
« Ne me touchez pas ! »
« Allons, Tyler. Vous êtes salement blessée. Il faut
remonter pour qu’on regarde cette jambe. »
« La seule chose dont j’ai besoin, espèce de salaud,
c’est qu’on me laisse tranquille. »
« Tyler… »
« Trouillards ! » Criai-je, une partie de moi
choquée par cette folie, mais le reste s’en réjouissant. « C’est tout ce
que vous êtes ! Des trouillards ! Rentrez à la maison, Tom. Allez
vous réchauffer et vous sécher dans votre jolie petite cabane chauffée. Saluez
votre femme de ma part et ne vous inquiétez pas pour moi. Allez… rentrez. Je me
débrouillerai toute seule. »
Pendant cette horrible seconde, tout ce que je ressentais
c’était de la haine. Je
« Tyler, s’il vous plait… »
« Non ! Laissez-moi
tranquille ! ! »
Mais il ne lâcha pas et m’attrapa d’une poigne ferme d’ours à
laquelle je n’avais pas la moindre chance d’échapper, folle ou pas. Comme un
animal piégé et sauvage, je luttai de toutes mes forces, donnant des coups de
pied et griffant, et même mordant, mais il résistait avec patience à ma rage.
Et quand ma rage se transforma à nouveau en douleur, il me fit
tourner, me prit dans ses bras et me serra très fort, caressant mes cheveux
sales et mouillés tandis que je sanglotais de tristesse contre son torse
massif.
*******
« Est-ce que Pop va bien ? » Demandai-je depuis
le canapé, mon genou méchamment endommagé bien nettoyé et bandé de plusieurs
couches de serviettes, surélevé sur deux oreillers.
Tom me sourit légèrement en arrivant dans le séjour depuis la chambre
de Corinne, où il avait emmené Pop quand nous étions rentrés à la cabane.
« Ouais. Il a un peu mal à la poitrine. C’est la tension, je pense. »
Je m’assis. « Il faut l’emmener à l’hôpital alors. »
« Nan. Il est plus têtu que vous sur ce genre de
choses », dit-il avec un regard peu équivoque. « Je lui ai donné les
médicaments qu’il prend pour ce genre d’attaque et il se repose maintenant. Un
peu de sommeil et il ira mieux. »
« Vous êtes sûr ? »
« Ouais. C’est déjà arrivé. Le Doc Steve a vérifié son
rythme cardiaque et c’est bon, en règle générale. Détendez-vous. Ça va aller
pour lui. » Il traversa la pièce et vint près du canapé. « Et vous
comment ça va ? »
« Je vais bien. »
« Il faut vraiment faire contrôler ce genou, Tyler. Je ne
suis pas très bon infirmier. »
« Vous avez fait ce qu’il fallait. Et je vais le faire.
Le faire contrôler, je veux dire. Plus tard. »
Il se mit à rire. « Vous êtes bien pareils vous
deux. » Puis il regarda par la fenêtre. « Je viens d’avoir John sur la CB. La
« Ok. »
Il sourit et tendit la main pour m’ébouriffer les cheveux
avant de se retourner pour partir.
« Tom ? »
Il se retourna. « Oui ? »
« Je veux juste dire que je suis désolée pour ce que j’ai
dit là-bas. Je n’en pensais pas un mot, vous savez. »
« Je sais, mon chou. La douleur nous fait faire des trucs
cinglés. Mais souvenez-vous bien de ça, Morgan est aussi mon amie. Et je ne
vais pas m’arrêter avant de l’avoir trouvée. Aucun de nous. »
Soudainement intimidée, je regardai mes mains. « Je sais »,
marmonnai-je, encore une fois au bord des larmes. « Et ça signifie
énormément pour moi, Tom. » Puis je levai le menton et le regardai droit
dans les yeux. « J’ai besoin que vous le croyiez. »
« Je vous crois, Tyler. Croyez-moi. Je vous crois. »
*******
Plusieurs heures plus tard, Pop sortit de la chambre, les
cheveux emmêlés, les yeux rougis, le visage pâle et tiré, avec une barbe de
quelques jours. « Comment tu tiens, Tyler ? » Demanda-t-il d’une
voix rendue rauque par le sommeil.
« Je me suis déjà sentie mieux. Et vous ? »
« Pareil. » Il bâilla et s’étira, puis il s’assit
dans le fauteuil près du canapé dans lequel j’étais allongée. « Des
nouvelles ? »
« Non. »
Il hocha la tête, puis regarda par la fenêtre. « Le temps
s’est éclairci. C’est bon ça, au moins. »
« Remercions le Ciel pour ses petites faveurs. » Ça
semblait sarcastique et en fait, ça l’était. Je me raccrochais au plus ténu, au
plus usé des fils, mais j’étais plus déterminée que jamais à ne pas
m’abandonner à nouveau à ma colère et à ma tristesse.
Et, en effet, la nuit avait joliment chassé le mauvais temps.
La brise semblait douce et fasant balancer les pins, et les étoiles et la lune
formaient une belle tapisserie dans le ciel. Tom avait ouvert les fenêtres
avant de partir et l’air qui effleurait ma peau était frais et odorant.
Nous restâmes assis un moment en silence, à écouter le chœur
des grenouilles qui gazouillaient pour appeler leur compagnon.
Puis elles se turent et je regardai vers Pop, qui avait
également remarqué et se levait lentement du fauteuil, le visage figé.
« Qu’est-ce que c’est ? » Murmurai-je.
« J’sais pas. Mais j’vais aller voir. Ces salopiots ne
s’arrêtent pas sauf en cas de danger. »
« Un ours, peut-être ? »
« Peut-être. Ou autre chose. » Il alla vers le coin
de la pièce et attrapa son fusil avant de l’armer. « Reste ici. Je vais
aller voir. »
« Certainement pas », répliquai-je, en me soulevant
dans le canapé pour poser mes pieds nus sur le sol chaud.
« Tyler, t’as pas besoin de te lever avec ton g’nou comme
ça »
« Je m’en occuperai plus tard. Allons voir ce qu’il y a
là-dehors. »
Je me forçai à ne pas m’effondrer alors que les élancements
aigus remontaient dans ma jambe et dans mes tripes. Je mis un peu de poids sur
ma jambe, hochai la tête une fois avec les dents assez serrées pour faire
couler le sang sur mes lèvres, puis je sautillai sur le sol, mis ma main sur le
dos étroit de Pop et nous continuâmes à traverser la salle à manger pour sortir
par l’arrière de la maison.
Nous scrutâmes l’obscurité à travers les écrans du porche mais
ne vîmes rien d’autre que les arbres qui balançaient doucement. « T’es
prête ? » Me demanda-t-il, le fusil bien serré entre ses mains.
« Oui. »
Du pied il poussa la porte et sortit sur le patio avec moi sur
les talons.
Le silence menaçant persistait, brisé par le seul bruissement
des feuilles et le murmure du vent dans les arbres.
« Je ne vois rien », murmurai-je.
« Moi non plus. C’est bien ça qui m’inquiète. »
Je fus tentée de laisser passer, mais la tension qui émanait
de Pop m’en empêcha. Je me tins aussi immobile que possible, tentant de
repousser de mon mieux la douleur dans ma jambe, ne serait-ce que pour un répit
d’une seconde.
Puis je vis quelque chose, un mouvement dans les buissons
qu’Ice avait plantés entre le bord de notre terrain et la route, un mouvement
qui n’était pas causé par le vent. Je me raidis, mon cœur battant à tout
rompre, la douleur finalement oubliée tandis qu’un nouveau danger se
présentait.
A côté de moi, Pop, également conscient du mouvement, leva
lentement son fusil, et plaça la crosse contre son épaule. « Je suis pas
d’humeur à m’amuser, qui que vous soyez, alors rendez-nous service et sortez de
là avant que je commence à tirer. » Sa voix, bien que basse, était ferme
et puissante.
Le bruissement continua.
« Sortez, maintenant, ou je jure devant Dieu que je vais
appuyer sur la gâchette et vous ferez plus rien d’autre. »
Après un autre instant, un lapin blanc, engraissé par les bienfaits de l’été, sautilla hors des
buissons et fit tourner son museau impudent dans notre direction, ses yeux
rougis par la lumière du porche.
Je m’affalai contre Pop de soulagement mais il resta bien
droit, son fusil toujours immobile.
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Y a du sang sur le lapin. »
« Oh merde. » La tension redoubla en moi et mon regard
scruta la nuit noire.
« Dernier avertissement ! Sortez ! »
Une silhouette sortit des buissons comme une bête surgie d’un
cauchemar, couverte de sang, déguenillée et portant un pistolet dirigé contre
Pop.
Mon hoquet d’horreur résonna dans mes propres oreilles.
Mais quelque chose d’aussi proche d’une prémonition que je ne
le vivrai jamais, s’approcha, agrippa mon âme et envoya mon bras repousser le
fusil une demi-seconde avant que Pop ne tire. « Non ! »
Hurlai-je. « Ne tirez pas ! »
« Rentrez à l’intérieur, Tyler », ordonna Pop, en
remettant son fusil dans l’axe. « Je m’occupe de ça. »
« Non ! » Criai-je à nouveau, en attrapant
l’arme avec une force désespérée. « Ne tirez pas ! C’est
Ice ! »
« Quoi ? »
« Regardez, Pop ! C’est Ice ! Ne tirez
pas ! S’il vous plait ! »
Il plissa les yeux en regardant l’apparaition couverte de sang
qui se tenait toujours devant nous, l’arme pointée sur lui. « Morgan ? C’est vous ? »
« Ecarte-toi d’elle, mon vieux. Ecarte-toi avant que je
te tue. »
« Faites-le, Pop ! Posez votre arme et écartez-vous. S’il vous plait. »
« Mais… »
« S’il vous plait ! ! »
Lentement, il abaissa son arme et recula avec prudence de trois pas, les yeux toujours collés
sur le corps âbimé et les yeux luisants et morts d’Ice. Qui tenait toujours
fermement son arme en suivant ses mouvements.
Je me retrouvai seule et levai les mains. « Ice ?
C’est moi. Angel. S’il te plait, pose ton arme, ok ? Je vais bien. Il ne
m’a pas fait de mal. S’il te plait pose ton arme. »
Le pistolet se tourna rapidement vers moi, l’expression d’Ice
inchangée. Si l’Ange de la Mort
Sa posture vacilla une brève seconde tandis qu’elle fermait
les yeux, puis les rouvrit. « Angel ? » Murmura-t-elle.
« Oui, ma chérie. C’est moi. » Je tentai de sourire
à travers mes larmes. « Bienvenue à la maison. »
Comme frappé par un coup par derrière, elle sembla se
ratatiner. Le pistolet tomba de ses mains et elle se traîna hors des buissons.
Je failler hurler en voyant les dommages qu’elle avait subis. La plus grande
partie de ses vêtements avaient été déchirés, et elle saignait abondamment de
plus d’une douzaine de blessures, y compris deux par balles bien visibles sur
sa cuisse gauche et son flanc droit, juste au-dessus de sa hanche. Son visage
était couvert de sang d’une blessure qui saignait à profusion juste au-dessus
de son sourcil. La peau sur ses bras et ses jambes était égratignée et
déchirée, couverte de la boue dans laquelle elle était assurément tombée plus
d’une fois pendant son voyage.
J’espère ne pas vivre assez longtemps pour ne jamais revivre
l’expérience de voir la force énorme dont elle eut besoin pour bouger sur les
quelques mètres qui nous séparaient.
Je me précipitai pour venir à sa rencontre à mi-chemin, et je
l’écrasai dans une étreinte qui aurait tué une simple mortelle.
« Je les ai tués, Angel », murmura-t-elle dans mon
oreille, sa voix rauque et irritée. « Je les ai tous tués. Ils ne te
feront plus jamais de mal. »
Et elle s’effondra contre moi, inconsciente, m’entraînant au
sol avec elle tandis que son voyage désespéré vers la maison se terminait
enfin.
« Jesus, Marie, Joseph », jura Pop en se
matérialisant près de moi. « Je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais pas
vu de mes propres yeux. Je ne suis toujours
pas sûr d’y croire. »
« Aidez-moi à la rentrer dans la maison, Pop », lui
répondis-je en me sortant de dessous Ice tout en prenant sa tête entre mes
mains. « S’il vous plait. »
« Très bien. Tu prends les épaules. Je m’occupe des
pieds. On va voir si on peut le faire sans la laisser tomber. »
A trois, nous la soulevâmes avec précaution. C’était un poids
mort qui semblait incroyablement lourd, et mon genou pensait sérieusement à
prendre sa retraite. Je fis quelques pas traînants en arrière avant de devoir
m’arrêter, ma jambe tremblant trop violemment de douleur pour supporter ce
poids en plus. La tête d’Ice dodelinait entre mes bras.
« Il faut qu’on la pose, Pop, je ne peux pas… »
« C’est bon, Tyler, c’est bon. Pose-la tout doucement. On
va trouver autre chose. »
Et juste à ce moment, des lumières de phare apparurent dans
l’allée et une camionette vint s’arrêter en glissant à quelques pas de nous.
Tom en sauta, le visage rougi par l’excitation. « Pop ! Tyler !
John vient juste de trouver… Doux Jésus ! C’est Morgan ? ! ? Mais Bon
Dieu comment… ? »
Je le regardai. « Tom. S’il vous plait… A l’aide. Nous…
je... ne peux pas… »
« Je m’en occupe. » Il me poussa doucement hors du
chemin, se courba et souleva Ice facilement dans ses bras énormes, avant de la
tenir doucement contre son torse. « Je dois l’emmener où ? »
« Vous pouvez l’emmener en haut sur le lit ? »
« Pas de problème. Ouvrez la porte. »
Pop attrapa la porte et l’ouvrit en grand pour que Tom puisse
passer en portant Ice tandis que je me concentrais pour me mettre debout.
Mais c’était drôle. Ma jambe ne semblait plus faire aussi mal.
Ma joie de voir Ice vivante additionnée au fait de savoir avec assurance par
quoi elle était passée pour revenir vers moi dans la condition dans laquelle
elle se trouvait, rendait ma propre blessure quasiment insignifiante.
Je me retrouvai à quasiment passer la porte en volant, porte
que Pop gardait aimablement ouverte pour moi, et je fonçai sur le parquet en
bois avant de monter les marches deux par deux et j’arrivai à temps pour voir
Tom poser doucement Ice sur notre lit. L’expression de son visage était un
mélange curieux de tristesse, de stupéfaction et de dévotion extrême.
Je soupçonnais le mien de porter la même expression.
Il nota ma présence après avoir arrangé ses bras et ses jambes
avec précaution dans une position confortable sur les draps, et il se mit hors
du chemin, me laissant de la place pour me mettre à genoux près du lit,
attraper doucement sa main et la porter vers ma joue tandis que mon regard
passait sur son visage abîmé et rouge de sang.
Mais je ne voyais rien de cela. Pas à ce moment-là. Pas
encore.
Au lieu de ça, je m’absorbai dans la vision d’elle, vivante,
respirant et aussi belle à mes yeux que le premier jour où je l’avais vue, qui
semblait être il y avait une éternité.
« Il faut qu’on l’emmène à l’hôpital », dit Tom
finalement, brisant le silence qui était tombé sur la pièce.
« Non », dis-je immédiatement en le regardant.
« Pas d’hôpital. »
« Si tu as peur pour la dépense, Tyler, tu ne dois pas.
On va… »
« Non. Ce n’est pas ça. C’est… » Je pris une
inspiration profonde, tentant de rassembler mes esprits. « On lui a tiré
dessus. »
Il me regarda comme si j’évais régressé au stade de bébé.
« Oui, je sais ça. C’est pour ça qu’il faut qu’on l’emmène à
l’hôpital. »
« Vous ne comprenez pas. »
« Visiblement. Ça vous ennuierait de
m’expliquer ? » Il y avait un soupçon de colère dans sa voix.
Justifiée, je pense, étant donné ce qu’il avait fait pour rechercher la femme
qui se trouvait précisément devant lui, allongée, grièvement blessée, sur le
lit.
« La première chose que les docteurs vont faire,
Tommy » dit Pop en entrant dans la chambre, « après l’avoir
stabilisée, c’est appeler les flics. »
« Et alors ? C’est si mauvais ? Ces types l’ont
kidnappée et ont essayé de la tuer ! Je pense que faire venir la police
serait une bonne chose juste
là ! »
« Ça changera rien, Tommy. Ils sont déjà morts. »
Tom se tourna vers Pop, les yeux écarquillés de choc.
« Quoi ? »
Pop montra le lit. « Elle les a tués. »
Tom regarda vers Ice, puis vers moi, la mâchoire affaissée. Je
hochai la tête. « Tous ? »
Je hochai à nouveau la tête.
« Doux Jésus », murmura-t-il. « Mais... elle
pourrait plaider la légitime défense, non ? »
« Bien sûr », répondit Pop, « après qu’ils lui
auront demandé pourquoi ces types de la Mafia
« Oh. »
« Ouais. Oh. »
Tom tendit la main et la passa sur le front d’Ice. Il fronça
les sourcils pensivement. « Bon, vous faites comme vous voulez mais il
faudra que ce soit vite. Elle est brûlante. »
Et soudain, je pus le sentir aussi dans la main abandonnée
d’Ice dans la mienne. Bien que toujours aussi chaud qu’un fourneau, son corps
irradiait une chaleur inhabituelle même pour elle. Je regardai vers Pop, mes
craintes visibles sur mon visage.
« Je descends chercher des serviettes mouillées. Ça va
aider à la rafraîchir d’ici qu’on trouve qui appeler. »
« Pourquoi pas Steve ? » Demanda Tom.
« C’est un médecin de village plutôt doué mais je ne
pense pas qu’il ait les talents dont nous avons besoin, Tommy. »
Puis il se tourna et descendit l’escalier, nous laissant
seuls. Je tentis ma main libre et touchai avec prudence les mèches sales
couvertes de sueur et de sang sur le front pâle d’Ice, essayant d’éviter avec
précaution les myriades de coupures et d’égratignures inscrites dans sa peau,
une tâche quasiment impossible. Il semblait n’y avoir aucune surface préservée
où que ce soit.
Les larmes étaient présentes. Je pouvais les sentir brûler mes
yeux, exigeant d’être relâchées, mais je ne les laissai pas couler. Il serait
bien assez temps plus tard, quand elle serait sortie d’affaire.
Avec le besoin de détourner mon esprit de ce que voyaient mes
yeux, même pour un instant, je regardai Tom. « Quand vous êtes arrivé,
vous aviez l’air d’avoir des nouvelles, non ? »
Mon ami sursauta, comme sorti d’un rêve. « Oh !
Oui ! John a trouvé quelque chose à environ trente-cinq kilomètres sur la
route où nous cherchions hier. On l’a probablement raté à cause de la
tempête. »
« Il a dit ce que c’était ? »
« Non. Ils allaient juste s’y rendre. Mais il était
plutot excité. » Il gratta la barbe déjà bien poussée sur sa joue.
« Ce qui me fait penser. Je ferais mieux de retourner à ma camionnette et
aller voir ce que c’était. Pas que ça fasse une grande différence, Dieu
merci. »
« Ça pourrait. »
« Pourrait quoi ? »
« Faire une différence. Si elle a laissé les… euh… corps
sur place. »
« Bon sang », répondit Tom en se frottant le front.
« Je n’avais même pas pensé à ça. » Il secoua la tête. « Je
descends voir ce qui se passe. »
Pop arriva dans la pièce, lourdement chargé de serviettes
humides, aussitôt que Tom partit. « Allez », dit-il en les posant sur
le lit tout en se tournant vers moi, « On lui enlève ce qui reste de ses
habits et on pose ces serviettes sur elle. Ça pourrait bien faire un peu
retomber la fièvre, au moins. »
« D’accord. » Je me mis difficilement debout et
m’occupai du haut de son corps tandis que Pop s’occupait du bas. Il n’y avait
plus vraiment grand-chose de la simple chemise boutonnée qu’elle avait portée
et son soutien-gorge était aussi une cause perdue, arraché au long du chemin.
Je n’eus pas de difficulté à la débarrasser des restes déchirés qui pendaient
de son corps blessé.
« Oh… Ice », murmurai-je en regardant le corps nu
devant moi. Sa poitrine était bleuie et couverte de sang. On voyait plusieurs
longues coupures sous la couche abondante de sang et de boue qui peignait sa
peau. Sa cage thoracique était bizarrement déformée sur la droite, et je
devinai qu’elle devait avoir trois ou quatre côtes cassées. Il y avait une
longue coupure ouverte qui faisait une ligne sinistre juste sous le sternum et
passait sous le jean incrusté de sang que Pop avait actuellement du mal à
déboutonner.
Et, bien sûr, il y avait le trou fait par la balle juste
au-dessus de sa hanche, entouré de peau gonflée et rougie et d’un liquide qui
s’en écoulait constamment.
Avec un grognement satisfait, Pop finit par réussir à ouvrir
le bouton qui retenait le jean d’Ice et d’un geste rapide mais doux, il le
retira en même temps que ses sous-vêtements.
A part la seconde blessure par balle dans sa cuisse, ses
jambes semblaient avoir échappé aux dommages, bien qu’elle portait quand même
plusieurs coupures méchantes sur ses mollets, ses tibias et ses deux genoux
étaient gonflés, égratignés et saignaient.
Pop et moi travaillâmes ensemble et réussîmes à la couvrir de
serviettes fraîches et humides de la tête aux pieds, espérant contre tout
espoir que nous avions mis un frein à la fièvre brûlante qui la tenaillait.
« Vous avez une idée ? » Lui demandai-je lorsque nous eûmes
enfin fini.
« J’y pensais », répondit-il. « J’ai un ami
dans la campagne qui se débrouille plutôt pas mal avec un scalpel et sait tenir
sa langue. Ça pourrait nous aider pour commencer. »
Je me sentis m’affaisser de soulagement contre le lit.
« Dieu merci. Vous allez l’appeler ? »
« J’y vais. »
Alors qu’il se retournait pour partir, nous nous raidîmes en
entendant des cris filtrés dans la cabane. On ne discernait pas bien les mots
mais à entendre le ton élevé, il était plutôt clair que Tom faisait de son
mieux pour garder quelqu’un dehors, tandis que ce ‘quelqu’un’ essayait aussi
fort d’entrer.
Il y eut un bruit sourd et j’entendis mon nom.
« Angel ! »
Ce qui était étrange parce qu’aucun homme de la ville ne
m’appelait par ce nom.
Ma première pensée fut pour André, mais il était Canadien
Français et parlait avec un accent lourd, bien que plaisant. L’homme qui
prononçait mon nom n’avait pas un tel accent.
« Angel, vous êtes là ? C’est Bull ! Il faut
que je vous parle tout de suite ! »
« Bull ? » Je me mis lentement debout.
« Tom, c’est bon ! Laissez-le entrer ! C’est un
ami ! »
J’allais vers la rampe en bois tandis que Bull fonçait dans la
cabane, Tom sur ses talons, leurs visages toujours rougis de colère.
« Angel ! Dieu soit Loué, je ne suis pas en retard.
Où est Morgan ? Il faut que je vous parle à toutes les deux. C’est
vraiment important. »
« Elle est là-haut, Bull », répondis-je en absorbant
la vision d’un ami que je n’avais pas vu depuis un an. Il n’avait pas changé,
le même jusqu’à la lourde barbe qu’il se fichait pas mal de raser visiblement
même dans la chaleur de l’été.
« Euh, vous pouvez lui dire de descendre ? S’il vous
plait ? »
« Je ne peux pas faire ça, Bull. Montez. »
Il enleva sa casquette et la fit tourner entre ses mains,
rougissant légèrement sous sa barbe lourde. « Vous êtes sûre ? »
Je lui souris légèrement. « Ce n’est pas le moment d’être
timide avec moi, Bull. Montez simplement. »
« Très bien. »
Je pus l’entendre monter les marches trois par trois tandis
que son corps énorme passait à peine la largeur de l’escalier. Il arriva en
haut, puis s’arrêta, le visage avachi par le choc et une émotion plus profonde.
« Je suis en retard »,
dit-il dans un souffle. « Bon Dieu. Non ! »
Il alla vers le lit et regarda le corps immobile d’Ice, des
grosses larmes coulant le long de ses joues barbues. « Seigneur, Morgan,
non. Tu ne peux pas… Non. »
Je m’avançai et mit la main sur son dos. « Elle est
toujours vivante, Bull », dis-je doucement dans un effort d’adoucir sa
douleur. « Ils ont essayé, mais ils n’ont pas réussi. »
Il se tourna vers moi, les yeux brillants de larmes, les mains
serrés dans des poings massifs et les phalanges blanchies.
Je hochai la tête. « Du moins je le pense. Cavallo
n’était pas avec eux. Mais elle semblait en connaître un. Un type du nom de
Carmine. Il avait l’air d’être le chef. »
Il me retourna mon signe de tête, son visage tordu dans une
expression de colère. « Ouais, elle le connaît bien. Carmine était un ami
à elle, avant qu’il ne tourne sa veste et devienne le valet de Cavallo. Salaud.
Quand je le retrouverai, je… »
« Pas besoin. Il est mort. »
Bull écarquilla les yeux. « Morgan ? »
« Oui. Elle les a tous tués, puis elle a réussi à revenir
ici, bien que je ne comprenne pas comment. »
« Vous voulez dire qu’ils l’ont emmenée ?
Vivante ? Mais comment ? »
Je soupirai. « C’est une longue histoire, Bull. Disons
pour l’instant qu’ils ne sont plus une menace. »
« Ils n’auraient jamais dû être une menace au départ, bon
sang ! » Je pus entendre ses dents grincer de colère.
« Il est arrivé quelque chose ? »
« Ouais », lâcha-t-il. « Ils ont réussi à
trouver André, bien que je ne sache pas comment. »
« Oh, Seigneur. Il va bien ? »
« Il est vivant. Ils l’ont sacrément battu mais il est
vivant. »
« Il leur a dit ? »
« Non. André ne cracherait rien même si on lui arrachait
les ongles à la racine. Il est coriace. »
« Alors qui ? »
« Le compagnon d’André. Il n’a pas pu supporter de le
voir battu comme ça. Il a réussi à emmener André à l’hôpital, ensuite il m’a
appelé. J’étais dans les montagnes et je n’ai rien su jusqu’à ce matin. J’ai
conduit toute la journée en priant de ne pas arriver trop tard. » Il
essuya les larmes de ses yeux. « Mais je l’étais quand même. »
Je passai ma main le long de son dos large, essayant de le
consoler. Ça ne marchait pas. Il était plus tendu qu’un ressort. « C’est
bon, Bull. Vous ne pouviez pas savoir. »
« J’aurais dû,
bon sang ! » Il s’essuya à nouveau les yeux. « J’aurais dû, et
je ne l’ai pas fait. Et maintenant Morgan est… est… »
« Elle est vivante, Bull. Elle est vivante. »
Après un moment, il prit la main d’Ice dans la sienne.
« Je suis désolé, Morgan ; Seigneur, que je suis désolé. » Puis
il me regarda. « Elle est brûlante de fièvre. »
« Je sais. On lui a tiré deux fois dessus et elle a un
tas d’autres blessures en plus. On allait justement appeler un ami pour avoir
de l’aide. »
« Laissez-moi faire. S’il vous plait. Je n’ai pas pu
empêcher ça d’arriver mais au moins je peux aider à la remettre
d’aplomb. » Il se tourna vers moi, le regard intense et implorant.
« J’étais toubib de guerre au Vietnam. J’ai tout foutu en l’air et je suis
venu ici quand ma période s’est terminée, mais j’ai gardé toutes mes compétences.
J’en sais peut-être pas beaucoup mais je sais comment traiter des blessures par
balles. » Il tendit sa main libre et attrapa la mienne, la serrant
fermement. « S’il vous plait, Angel. S’il vous plait, laissez-moi vous
aider. Il faut que je me rattrape d’une façon ou d’une autre. J’ai… »
Je lui fis mon meilleur sourire. « C’est la meilleure
offre que j’ai eue de la journée, Bull. Merci. »
« Non, Angel. Merci à
vous. » Il se retourna alors et faillit percuter Pop, qui avait gardé
le silence en écoutant notre échange. « Oh, je suis désolé. Heu… je suis
Bull. »
Pop sourit. « C’est ce que j’ai cru comprendre.
Pop. » les deux hommes se serrèrent la main tandis que Pop évaluait avec
soin mon colosse d’ami. « Vous connaissez Morgan depuis longtemps,
non ? »
« Ouais. Depuis qu’elle est gamine. Je l’aime comme une
sœur. Depuis toujours. »
Pop pinça les lèvres et hocha la tête, une fois. « Alors
très bien. Vous avez besoin de matériel ? »
« C’est dans ma camionnette. Je vais aller le
chercher. » Après un dernier regard vers Ice, il se retourna et fonça pour
descendre l’escalier et aller à sa camionnette.
« Je crois qu’on a de la chance », commenta Pop.
« Oui. Je crois que oui. »
Dieu soit loué.
********
A suivre – Chapitre 8-2