Notre dernière vie ensemble, de honey
Notre
dernière vie ensemble.
De
honey
Les yeux fermés, elle chantait… accompagnant cette musique
qui collait tellement à ce qu’elle ressentait qu’elle comprit qu’elle n’était
pas la seule, ni la première à souffrir de ce manque… de ce vide…
Mais elle s’en fichait tellement…
“Pleaaaaaaaaase, please…
don’t leave me… “
Ses lèvres formaient les mots mais aucun son n’en
franchissait la barrière.
“Pleaaaaaaaaase, please…
don’t leave me…”
Elle avait si mal…
Deux larmes dévalèrent ses joues devenues froides. Elle
avait tant de mal à faire face à ce vide… cette solitude dont elle ne
connaissait pas l’existence avant de l’avoir rencontrée.
L’autre nuit, elle avait dormi avec une autre fille pour la
première fois depuis… depuis…
Elle secoua la tête. Même en pensée, elle ne pouvait pas le
dire.
Cette nuit là… cette nuit là, lui avait rappelé leur
dernière nuit ensemble. A son corps contre le sien. Au poids devenu si vite
tellement familier… à son bras autour d’elle… à sa tête sur son épaule…
Et cela avait été si dur… si dur de se rendre compte qu’elle
ne l’avait pas oubliée. Qu’elle l’aimait toujours… qu’elle ne pourrait jamais
l’oublier… Elle faisait pourtant tellement d’efforts pour ça.
La radio passa une autre musique… mais si le ton était plus
joyeux, pour elle il n’y avait que cette tristesse perpétuelle qui accompagnait
chacune de ses journées. Devant ses amis, sa famille… la plupart du temps, elle
parvenait à faire bonne figure, mais la nuit… lorsque la solitude n’était plus
possible à éviter, alors tout revenait.
Et elle se souvenait.
Elle se couchait aussi tard que possible, se levait aussi
tôt que possible, s’occupait autant que possible. Et tout ça… tout ça pour être
si fatiguée la nuit venue qu’elle ne puisse rien faire d’autre que dormir.
Qu’elle ne rêve pas. Surtout pas d’elle…
Et lorsqu’elle pensait y être enfin parvenue… avoir franchi
une étape… alors une musique aux notes mélancolique, une photo qu’elle aurait
préférée avoir perdue, un mot, un nom, qu’elle avait oublié, frappait à sa
porte et tout revenait.
Et elle se retrouvait comme maintenant, à retenir des larmes
qu’elle ne supportait plus de laisser couler, lui rappeler combien elle avait
mal. Combien la trahison, l’abandon, la solitude, combien tout ceci était impossible à supporter.
Elle avait essayé… vraiment essayé.
Mais c’était perdu d’avance. Elle s’était accrochée parce
qu’elle le lui avait promis et que pour elle la vie était sacrée. Mais elle ne
pouvait pas… elle ne pouvait simplement pas…vivre sans elle.
Elle se rappela ses beaux verts, presque délavés par cette
maladie qui l’avait épuisée, son expression fatiguée, tellement fatiguée, mais
gardant son étincelle, cette étincelle qui l’avait fait craquer lors de leur
toute première rencontre, lorsqu’elle n’était qu’une gamine de 16 ans nommée
Gabrielle qui rêvait de s’enfuir de Potéidaia et qu’elle-même cherchait
désespérément une raison d’être.
Un regard, un seul… et elle avait su que même si elle
parcourait le monde entier avec Argo. Jamais plus elle ne retrouverait
quelqu’un qui lui correspondrait mieux qu’elle… jamais.
Et vie après vie, elles s’étaient retrouvées. Leur karma
éternellement lié, comme promis.
Mais Arès… Arès avait mis fin à tout cela. Leur cycle
karmique était arrivé à leur terme avait-il annoncé avec un air de compassion qu’elle
ne lui connaissait pas. Et elle avait compris ce que cela avait signifié.
Elles vivaient leur dernière vie ensemble.
Xena/ Marissa avait eu peur mais comme à son habitude
Gabrielle/ Anna l’avait rassurée. Elles avaient tellement de temps devant elles !
Et puis Anna était tombée malade. VIH. Elle n’avait eu qu’un seul homme dans sa
vie. Un seul. Et une seule fois où elle avait oublié de se protéger. Une seule
fois. Un seul homme. Mais cela avait suffi.
Marissa avait hurlé sa rage. Supplier Arès de l’aider,
promis d’être sa reine même, s’il acceptait de l’aider. Mais il avait refusé.
Il avait dit que les maladies humaines n’étaient pas de son ressort. Qu’il ne
pouvait intervenir.
Elle l’avait repoussé en hurlant, l’avait frappé. Il s’était
laissé faire et elle s’était effondrée, en larmes.
L’année suivante, Anna était morte.
L’année suivante, Marissa aurait voulu être morte.
L’année suivante, elle avait dû survivre au nom d’une
promesse faite au seul être qui avait jamais compté pour elle. Son soleil
s’était éteint en même temps que les yeux verts se refermaient pour la dernière
fois sur le visage autrefois si souriant de sa barde préférée.
“Pleaaaaaaaaaase don’t
leave me…
Pleaaaaaaaaaase don’t
leave me…”
La revoilà cette musique si entêtante, si douloureuse.
Marissa renifla pitoyablement, et posa son regard autrefois d’un bleu si pur
qu’il faisait penser à un ciel d’été, sur l’arme qu’elle tenait en main.
Gabrielle aurait détesté ça. Anna aurait détesté ça. Dans
chacune de ses vies, Gabrielle avait été fidèle à sa haine de la violence et
des armes, et à mesure que le monde se civilisait, elle avait enfin pût déposer
les siennes et lutter pour la paix sans avoir à s’en servir.
Dans sa dernière vie, Gabrielle… Anna… était avocate… Elle
avait été si heureuse. Elle maniait les mots comme personne. Parfois, juste
pour le plaisir d’entendre la mélodie que faisait sa voix lorsqu’elle plaidait,
Marissa s’asseyait au fond de la salle du tribunal et l’écoutait.
Elle avait alors l’impression d’avoir à nouveau sa barde en
face d’elle. Gabrielle contant une histoire dont elle était l’héroïne et se
retrouvait propulsée en un temps et un lieu où elle pouvait négocier avec les
dieux afin de garder son amour auprès d’elle.
Marissa chargea l’arme et la contempla un instant.
Elle se mordit la lèvre et fixa son reflet dans la baie
vitrée du balcon. Elle était assise en tailleur, ses cheveux noirs emmêlés, ses
yeux avaient une expression qu’elle ne leur avait jamais vue. Perdue, hagarde…
L’arme qu’elle tenait de sa main droite pendait presque.
Comme si sa main ne lui appartenait plus.
Elle n’était pas sûre, avec sa connaissance des dieux, que
ce qu’elle s’apprêtait à faire lui permettrait de retrouver Gabrielle. Mais
elle n’était pas non plus sûre de la retrouver si elle ne le faisait pas.
Et la patience n’avait jamais été son fort.
Cette attente… sans savoir si cela en valait la peine…. Ca
la rendait dingue.
Beaucoup de gens disait que l’être humain ne vient au monde
que dans le but de trouver sa raison d’être. L’âme sœur qui lui donnera
l’impression d’exister vraiment. Cette personne si particulière et qui rend la
vie tellement plus belle.
Que fait-on une fois qu’on l’a trouvée ?
Que fait-on une fois qu’on l’a perdue ?
Y’a t’il une autre raison de continuer son chemin ?
Pourquoi rester en vie, si la raison même de notre existence n’est plus ?
Certains vous diront qu’on ne sait jamais. Qu’on peut
trouver une nouvelle raison d’être. Qu’on peut la remplacer.
Mais ceux-là n’étaient pas Xena. Non… Ils ne savaient pas ce
qu’elle savait. Ceux-là n’avaient pas vécu ses vies aux côtés de la même
personne. Toujours la même. Anna était irremplaçable. Elle l’avait toujours
été.
Et maintenant… elle n’était même pas sûre de la revoir.
Peut-être irait-elle en enfer ? Après tout… elle avait suffisamment
repoussé le châtiment qui aurait dû être le sien. Et Lucifer lui en voulait
tellement. Nul doute, qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour la
récupérer.
Gabrielle lui en voudrait c’était certain. Elle regarda
l’arme une fois de plus.
Mais que pouvait-elle faire d’autre ? Ce vide qu’Anna
avait laissé en elle en disparaissant… ce vide n’avait cessé de se creuser.
Jour après jour. Heure après heure. Rien ne semblait pouvoir enrayer cette
douleur immense. Rien à part la destruction.
Ses anciens instincts revenaient. Et sans Gabrielle pour la
calmer, elle ne parvenait pas à se contrôler. Bien souvent elle avait maudit la
soi disant chance qui l’avait empêché elle-même de tomber malade.
Aujourd’hui encore Marissa ne parvenait pas à comprendre
comment tout cela était arrivé. Anna avait, comme bien des adolescentes,
expérimenté des choses. Oh rien de bien méchant, mais ayant toujours eu
l’impression d’être attirée par sa meilleure amie, Marissa, elle avait voulu se
convaincre que ce n’était rien, et elle avait couché avec le premier gars qui
l’avait invité au bal du lycée.
C’était là qu’elle l’avait attrapé. Bien plus tard, toutes deux s’étaient souvenues de qui elles
étaient et la peur de ce qu’elles ressentaient l’une envers l’autre s’était
dissipée. Mais c’était trop tard… Anna était déjà contaminée.
Elle resserra sa main sur la crosse en acier froid. Elle
n’acceptait pas la décision des dieux qui l’obligeaient à vivre alors que son
âme sœur avait été rappelée.
Une autre musique remplaça Pink et Marissa ferma ses yeux
douloureux en gémissant.
“ Should I leave… Should
I stay…”
Elle aimait cette musique… elle l’avait toujours appréciée
mais en cet instant, elle reflétait si bien ce qu’elle se demandait… c’était
comme un signe. Peut-être était-ce Gabrielle qui à sa façon communiquait avec
elle. Lui disait quoi faire, comme elle le faisait toujours lorsqu’elle devait
prendre une décision difficile et qu’elle n’était pas sûre d’elle-même.
Marissa attendit la prochaine musique avec l’espoir qu’elle
lui dirait quoi faire.
Et les première notes s’égrenèrent… elle la reconnut
immédiatement… c’était le même artiste. Elle se mordit la lèvre en proie à une
douleur indicible.
- Tu ne peux pas me demander ça ! cria-t-elle aux
cieux. Tu ne peux pas !
Mais la musique se poursuivait et les paroles s’incrustèrent
malgré elle dans sa tête.
« Et s’il faut attendre que le temps passe, que la
lune montre une autre face, je saurais tenir le coup, je t’attendrais jusqu’au
bout… j’ai trouvé un sens à ma vie et s’il le faut j’en paierais le prix. S’il
faut que le temps passe, que la lune change de face, j’attendrais, je
t’attendrais jusqu’au bout, toi le sens
de ma vie, mon amour sans prix… »
Marissa se mit à sangloter comme un bébé, les larmes
glissèrent sur ses joues en un torrent sans fin et s’écrasèrent sur ses genoux
nus. Elle leva l’arme comme pour s’assurer de sa solidité à travers le rideau
flou de ses yeux et elle pleura de plus belle.
Elle ne pouvait pas faire ça… elle ne pouvait pas gentiment
attendre que son heure vienne sans savoir si elle aurait une chance de la
revoir là-haut… elle n’était pas aussi forte que sa barde… elle ne l’avait
jamais été et n’avait certainement jamais eu sa foi.
Xena, Alexia, Angela, Marissa… tout ces noms, toutes ses
vies… et elle n’avait jamais cru qu’en une seule chose, une seule personne…
- J’ai besoin de toi ! cria-t-elle encore.
Elle baissa la tête et murmura :
- J’ai besoin de toi maintenant…
Elle leva l’arme et la contempla une dernière fois. C’était
une belle pièce, faite d’acier brillant et d’une gravure offerte par Anna le
jour où elle l’avait reçue. C’était son arme de service. Dans cette vie elle
avait choisi d’être policier et elle était plus que compétente.
Anna était si fière d’elle. Dans cette vie Marissa n’avait
jamais commis le moindre mal. Et c’était comme si elle avait enfin pu racheter
chacune de ses erreurs passées. Elle s’était sentie si bien… Comme neuve.
Elle avait fait le bien toute sa vie durant et on la
remerciait en lui enlevant la seule chose qui l’avait poussée à tenir bon vie
après vie.
- Quelle ironie, lâcha-t-elle amère… des siècles passés à
essayer de se rattraper et lorsqu’enfin c’est le cas… on t’enlève à moi… J’en
connais un qui doit bien se marrer, ajouta-t-elle en pensant à son âme damnée
qui n’avait cessé d’essayer de la récupérer quelque soit le nombre de refus
reçus.
Elle avait pris sa décision et sentait enfin le calme
revenir en elle. Elle posa le canon de l’arme contre sa tempe et retira le cran
de sécurité. Elle ferma les yeux et une dernière larme coula alors qu’elle
murmurait :
- J’arrive mon amour…
Elle appuya sur la détente… et le temps se suspendit. Une
lumière brillante l’éclaira violemment et l’obligea à rouvrir les yeux. Et
comme jadis… un ange apparut devant elle. Mais il ne s’agissait pas de Callisto
cette fois… non… cet ange ci était mille fois plus beau, mille fois plus
lumineux…
C’était Gabrielle… C’était son Anna…
Les yeux verts ne pétillaient pas de malice. Non, ils
étaient emplis de tristesse. Elle se mordit la lèvre mais n’esquissa pas un
geste. Elle avait si peur que cela ne soit qu’un rêve…
Anna/Gabrielle tendit alors la main, non pas vers elle, mais
vers l’arme qu’elle tenait toujours contre sa tempe.
- Ne fais pas ça Marissa…
La voix douce aux consonances si musicales était bien réelle
et Marissa éclata en sanglots en laissant retomber sa main sur le sol.
- Tu me manques tant…
Gabrielle/ Anna secoua la tête.
- Ce n’est pas une raison.
- Mais on ne renaîtra plus… on ne se reverra plus…
- Qui a dit ça ? Arès ? Tu sais très bien qu’il a
toujours été retors. On ne renaîtra plus c’est un fait… mais on se reverra.
J’en suis sûre.
- Comment ? Comment peux-tu en être si sûre ? lui
demanda-t-elle les yeux noyés de larmes.
L’ange s’agenouilla devant elle et plongea son regard si
doux dans celui de la femme qu’elle avait aimée à travers les âges.
- Parce que l’on se retrouve toujours.
Marissa cessa de pleurer. Anna avait l’air si sûre d’elle.
- Même si tu devais traverser l’enfer… et moi le paradis,
ajouta-t-elle avec un petit sourire, tu sais bien que l’on se retrouvera tôt ou
tard. J’ai confiance en toi. J’ai toujours eu confiance en toi. Tu trouveras
une solution. Tu trouves toujours. Et on se retrouvera. Et cette fois… cette
fois, fit-elle avec les yeux brillants d’espoir, on ne sera plus séparée…
Anna baissa les yeux sur l’arme que tenait toujours son âme
sœur et releva des yeux inquiets sur elle. Xena avait toujours été si têtue.
- Ne l’utilise pas. Je t’en conjure. Ne gâche pas ce qui
pourrait être notre seule chance. Tu n’as rien fait de mal dans cette vie. Ne
commence pas maintenant.
Marissa resserra la main sur la crosse de son arme en se
crispant.
- Et je fais quoi en t’attendant ?
- Ce que tu as toujours su si bien faire… faire régner la
justice… Vis Marissa. Pour moi. Pour nous. Pour notre futur.
La gorge de la jeune femme se serra.
- Et si tout ça était vain ? Si nous n’en avions
pas ?
Cette fois, ce fut la gorge d’Anna qui se serra. Elle ne
pouvait pas envisager cette possibilité. Vivre, exister… sans Marissa… non
c’était impossible.
- Vis Marissa. C’est tout ce que nous pouvons faire,
répondit-elle avec la certitude que c’était effectivement la seule chose à
faire.
L’ange tendit une main presque éthérée vers celle qui
faisait si violemment battre son cœur, même alors qu’elle se trouvait être sans
vie, et toucha la joue humide de sa vis-à-vis.
- Je t’aime Xena. Je t’ai aimé à chacune de nos existences
avec la même force brutale. Je ne cesserais jamais de t’aimer. Quoi que nous
réserve la suite. Je n’oublierais jamais tout ce que tu es pour moi, tout ce
que tu m’as apporté. Je n’oublierais jamais l’amour que tu avais pour moi
et cette façon unique que tu avais de prendre soin de moi. Je ressentirais
toujours la force de ton amour, même si tu n’es plus à mes côtés. Je t’aime
Xena. Je t’aime.
Marissa posa sa main libre sur celle de sa bien-aimée et
profita de ce touché si familier et si absent pourtant.
Et puis Anna commença à disparaître. Paniquée Marissa
referma ses doigts sur la main d’Anna mais elle ne rencontra que le vide.
- Ne me laisse pas ! cria-t-elle.
Anna la fixa de son regard vert aussi plein de tristesse que
le sien. La séparation était dure dans les deux sens. Vivement, l’ange se
pencha sur Marissa et l’embrassa brièvement.
- N’oublie pas que je veille sur toi, souffla-t-elle en
plongeant peut-être pour la dernière fois son regard vert dans les yeux si
bleus de Marissa.
Des yeux qui ressemblaient tellement aux cieux…
Et elle disparut. Un instant Marissa refusa la réalité de la
chose. Non Anna ne pouvait pas avoir encore une fois disparu. Elle ne pouvait
pas l’avoir à nouveau laissée seule. Non, c’était impossible.
« Je veille sur toi… », avait-elle dit.
Marissa lâcha son arme de service et éclata en sanglots, la
tête dans les mains.
Fin.