Repression, chapitre 9-1
REPRESSION
(RETRIBUTION)
Ecrit par
Susanne M. Beck (Sword'n'Quill)
Chapitre
9 – 1ère partie
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Je sentis une main sur mon épaule et, dans ma terreur, elle
était froide et squelettique. Je tournai la tête, m’attendant à demi à voir le
cadavre pourrissant de Carmine me demandant de le suivre. Ou bien – que Dieu
m’épargne cette image – une Ice qui aurait décidé que j’étais un témoin de sa
dépravation dont il valait mieux se débarrasser.
Mais au lieu de ça, ce fut le visage meurtri et inquiet de
Corinne qui m’accueillit, un million de questions dans les yeux.
« C-Corinne ? »
« En chair et en os, comme tu le vois. » Elle pencha
la tête et me regarda par-dessus ses lunettes. « Tu avais l’air de faire
un sacré cauchemar. »
« Un cauchemar ? »
Elle plissa les yeux. « Tu vas bien, Angel ? »
Je tendis une main tremblante et effleurai son bras du bout de
mes doigts. Il était chaud et solide, et très réel.
Il ne m’en fallut pas plus.
Je me lançai en avant et me jetai dans ses bras, m’enfouissant
dans sa chaleur, la laissant infiltrer le froid de la mort qui m’entourait
comme une puanteur d’abattoir, trop vide pour même me soulager en pleurant.
Après un moment, elle m’entoura de ses bras et je sentis sa
main caresser affectueusement mes cheveux tandis qu’elle murmurait doucement à
mon oreille.
Quelques instants plus tard, elle s’écarta avec précaution,
avec affection et me garda à distance de ses bras, à me regarder attentivement.
« Bon, tu veux bien me dire ce qu’il se passe et pourquoi tu es en bas en
train de faire des cauchemars, et pas là où je m’attends à ce que tu
soies ? »
Après quelques tentatives hésitantes, je finis par rassembler
ce qui me restait d’esprit et je lui racontai mon rêve ; tout, jusqu’à la
dernière scène horrible. Qui était une chose, pensai-je, que je ne serais
jamais capable de raconter à quiconque tant que je vivrais.
« Ça me semble plausible », fit remarquer Corinne
lorsque j’eus fini, d’un ton pas plus surpris que si je lui avais raconté que
je venais d’aller faire une ballade. « Y a-t-il autre chose ? »
Un peu perdue, je la fixai. Où était ma colère ? Où était
l’outrage que mon esprit devrait conjurer à la vue d’une telle image
horrifiante de la femme que je disais aimer ?
Après un instant, son expression changea. Son visage se durcit
et elle plissa les yeux. « S’il te plait, dis-moi qu’il y a autre chose,
Angel. »
Je la regardai, incapable de dire quoi que ce soit, incapable
de comprendre où ça nous menait.
Elle soupira. « Angel, Ice a dû te regarder être menacée
par une arme, On l’a assommée et trainée loin de chez elle pour être exécutée.
Est-ce que tu t’attendais à ce qu’elle laisse ça se produire
simplement ? »
« Non. Non ! C’est juste que... »
« Juste quoi, Angel ? » Ses yeux noirs
brillèrent d’une terrible pitié et je me sentis sur la défensive.
« Arrête de me regarder comme ça, Corinne. »
« Comme quoi ? » Demanda-t-elle, avec un
sourire moqueur.
« Comme si j’étais une fichue gamine à qui on vient de
dire que le Père Noël n’existe pas. »
« Peut-être quand tu cesseras de te conduire comme
ça. »
« Corinne ! »
« Combien de fois Ice t’a-t-elle dit qu’elle était une
meurtrière, Angel ? »
« Quoi ? Je ne… »
« Combien de fois ? »
Je sentis que je m’échauffais tandis que je la regardais, mes
poings s’ouvrant et se refermant sans cesse. « Je ne sais pas. »
« Une fois ? Plus d’une fois ? Tu dois bien te
souvenir d’une telle chose, Angel ?
Je grinçai des dents. « Corinne… »
« C’est une simple question, Angel ? Combien de
fois ? »
« Je ne sais pas. Plusieurs fois », concédai-je.
Elle sourit et hocha la tête. « Et comment as-tu répondu
à ça ? Lui as-tu dit que tu comprenais ? T’es-tu sauvée en
hurlant ? Quoi ? »
« Tu sais bien ce que j’ai dit, Corinne. » Je
pouvais entendre les battements de mon cœur dans mes oreilles.
« Je ne sais pas, Angel. Mais je peux l’imaginer. Tu lui
as dit que tu comprenais, n’est-ce pas ? »
« Je ne… » Elle me regarda. « Oui ! Oui,
ça te va ? Je lui ai dit que je comprenais ! »
Elle hocha la tête, apparemment satisfaite. « Mais tu ne
comprenais pas, n’est-ce pas », commença-t-elle, sa voix adoucie par une
compassion qui me brûlait plutôt qu’elle ne me guérissait. « Tu ne la
comprenais pas du tout malgré que tu lui aies dit le contraire. Tu ne
comprenais pas ce que c’était que d’avoir le cœur si froid et si noir que prendre
la vie d’une autre personne ne faisait pas plus d’effet que d’aller faire un
tour au marché. Tu ne comprenais pas que quand la mort ne signifie rien, la vie
encore moins. »
« Ça suffit, Corinne ! » Hurlai-je, mes mots
rebondissant sur l’étendue plane du lac et faisant s’envoler un petit groupe
d’oiseaux effrayés. « Ça suffit. »
Elle sourit à nouveau. « Ah oui ? Je ne le pense
pas, Angel. En fait je pense que c’est loin de suffire. » Son expression
s’adoucit un peu. « Ice est une tueuse, Angel. Elle n’est peut-être pas
que ça, mais ça constitue une grande partie de ce qu’elle est. Ça dessine ses
pensées, façonne ses actions. C’est instinctif, comme de respirer. » Sa
voix douce traina un instant tandis qu’elle fermait les yeux. Quand elle les rouvrit,
ils étaient remplis d’un savoir horrible dont je voulais détourner mon regard
et pourtant je ne le pouvais pas.
« Chaque jour de sa vie, Angel, chaque jour, elle doit faire le choix conscient de vivre sans
violence. Un autre jour à lutter contre ses instincts. Un autre jour à essayer
désespérément de se raccrocher à la plus fine et la plus frêle des cordes qui
la relient au chemin qu’elle a choisi. Et tu sais pourquoi elle le fait,
Angel ? »
Je la regardais, soudainement perdue, doutant soudain de la
seule chose dans ma vie que je pensais être immuable. Les convictions d’Ice.
« Parce qu’elle sait que c’est ce qui est juste ? » Hasardai-je.
Le sourire qu’elle me fit, triste et rempli d’une douce
déception, tirailla mon cœur. « Non, Angel. Bien que ça puisse être ce qui
est ‘juste’, ce n’est pas la raison pour laquelle elle le fait. »
« Alors pourquoi ? »
Elle prit ma main et la serra fort. « Elle fait ces
choses parce qu’un jour, il y a plusieurs années de ça, elle a rencontré
quelqu’un qui, sans même essayer, l’a touchée au fond d’elle et a pris un cœur
qu’elle ne se souvenait plus d’avoir. Une personne qui, contre toute attente,
l’a capturée sans effort et la retient aujourd’hui encore. Et une personne dans
les yeux de laquelle elle ne se laissera jamais voir autrement que
parfaite. » Elle sourit à nouveau. « Elle fait ces choses pour toi, Angel. Parce qu’elle t’aime. Et
parce que tu as réussi à faire une chose que personne n’avait réussi à
faire. »
« Quoi donc ? » Demandai-je, consciente que ma
voix était rauque.
« Tu lui as fait voir qu’elle valait la peine d’être
aimée. C’est ce qui l’aiguillonne, ce qui dicte ses actions aujourd’hui. Ça
pèse lourdement sur chaque décision qu’elle prend, parce que peu importe ce qui
advient, peu importe, elle ne veut
pas, jamais, que tu la vois comme quelqu’un d’indigne. »
Les larmes tracèrent silencieusement des ruisseaux sur les
collines et les vallées de mes joues et de ma mâchoire. En les voyant, Corinne
serra ma main plus fort, pour me réconforter, et peut-être pour me montrer
qu’elle comprenait. « C’est un fardeau pour n’importe qui, Angel. Je le
sais. Ice le sait aussi. Mais quand tu lui as dit, pas une seule fois, mais de
nombreuses fois, que tu comprenais et que tu acceptais qui et ce qu’elle était,
elle a eu l’impression que c’était un fardeau que vous pourriez porter
ensemble. »
De sa main libre elle essuya doucement mes larmes. « Elle
t’a ouvert son cœur et son âme, Angel. L’obscurité et la lumière. C’est un cadeau que peu de gens reçoivent dans ce
monde. Un cadeau inestimable. Et quand elle prend des décisions contre sa
nature, comme de permettre à Cavallo de vivre, tout en sachant d’instinct
qu’elle va le payer, elle le fait parce qu’elle veut que ce soit cette personne
que tu vois quand tu la regardes chaque jour. »
Un sanglot monta spontanément dans ma gorge et je me couvris
la bouche pour le retenir. « Elle m’a dit ceci un jour », dis-je en
hoquetant, comprenant seulement le sens vrai derrière ses paroles. « Que
tout ce qu’elle voulait être, c’était la personne que je voyais en la
regardant. »
Corinne hocha la tête, le visage doux mais grave. « Elle
croit en toi, Angel. Elle croit que tu
l’aimes pour ce qu’elle est autant que pour la personne qu’elle pourrait
devenir. Sa noirceur sera toujours là. Parce qu’elle n’est pas mue par elle ne
signifie pas qu’elle est partie, peu importe la force de votre désir pour que
ce soit le cas. Ce n’est pas une tache que l’on peut nettoyer ou un péché qui
peut miraculeusement être pardonné, comme dans la confession d’un pénitent face
à un prêtre en robe noire. C’est une partie d’elle aussi profonde que son amour
pour toi. Aucun d’eux ne peut être effacé. »
Son regard se durcit et j’eus l’impression qu’elle regardait
aux tréfonds de mon âme. « La décision t’appartient, Angel. Soit tu
l’acceptes pour tout ce qu’elle est, sachant que, étant donnée la vie que vous
partagez, il y aura des moments où elle devra agir selon son instinct, parce
qu’elle s’est permis d’aller contre cet instinct dans le passé et qu’elle doit
maintenant en payer le prix, ou bien… »
Je sentis ma respiration bloquée dans ma gorge. « Ou
bien ? »
« Vas-t-en, Angel. Vite et loin. Brise tes liens avec
elle et ne regarde jamais derrière toi. Bull me dit qu’elle pense peut-être que
tu es morte. Si tu ne peux pas être celle dont elle a besoin, la seule personne
au monde qui l’aime sans conditions, alors s’il te plait, pour son propre bien,
laisse-la pleurer ta mort et en finir avec ça. Ne la blesse pas plus en la
laissant voir la condamnation de sa nature dans tes yeux. »
Après un long moment, elle relâcha ma main et se leva.
« Pense à ce que j’ai dit, Angel. Je serai là-haut avec Ice. »
Je me levai aussi. « Je viens avec toi. »
Il ne fallut qu’un simple contact sur mon bras pour arrêter
mon élan. « Tu as écouté un seul mot de ce que j’ai dit,
Angel ? »
« Oui, Corinne. Mais il faut que je la voie. Que je sois
avec elle. Je dois… »
Elle secoua lentement la tête d’un air triste. « Non,
Angel. C’est quelque chose que tu vas devoir faire sans elle. Ice ne peut pas
t’aider. »
« Mais… »
« Non, Angel », dit-elle d’un ton ferme. Son regard
s’adoucit légèrement. « Angel, je t’aime de tout mon cœur. Tu le sais.
Mais j’aime aussi profondément Ice. Et je ne veux pas la voir blessée, par toi
ou n’importe qui d’autre. Alors s’il te plait. Reste ici et réfléchis à ce dont
nous avons parlé. Ecoute ton cœur, Angel. Il te dira ce que tu dois
faire. »
Je sentis mes épaules s’affaisser dans la défaite. Presque
contre ma volonté, je hochai la tête pour accepter sa requête. Une requête dont
je savais bien, connaissant aussi bien Corinne, qu’elle était plus un ordre
qu’une simple demande ou une faveur.
Elle sourit légèrement et avec un hochement de la tête, elle
se retourna et quitta le ponton. Je la regardai repartir avec précautions vers
la cabane, mes pensées tournoyant vertigineusement.
Quand elle eut disparu au coin de la maison, je me retournai
et fis face à l’eau sombre, sans vraiment la voir à cause des larmes qui
brouillaient ma vision.
Les larmes passèrent et je restai lasse, vide et très désorientée.
Je voulais tellement aller auprès d’Ice. La voir, la tenir, lui caresser les
cheveux, sentir que quelque part toutes les réponses à mes questions seraient
dans cette simple connexion si profonde entre nous. Une connexion que je
pouvais sentir même à cette distance. Une distance que, par ma peur, j’avais
causée.
Je me contentai de remercier Dieu dans toute sa pitié qu’Ice
ne soit pas réveillée pour la voir.
Je savais aussi que Corinne avait raison. Ice ne pouvait pas
m’aider. Personne ne le pouvait, à part moi-même.
Je m’entourai de mes bras alors qu’un vent froid passait sur
le lac, avant-coureur d’un hiver proche, même maintenant, au milieu d’un été
glorieux.
Tandis que je regardai par-dessus le lac et que le vent
faisait plier les arbres, je me forçai à examiner les plus difficiles des
questions de Corinne. Est-ce que j’aimais Ice pour elle-même ? Pour la
femme qu’elle était vraiment ? Ou bien, est-ce que j’aimais plutôt la
femme que je voulais qu’elle soit, une image que j’avais construite dans mon
esprit ; un chevalier blanc chargeant sur un étalon, le cœur pur et l’âme
sans tache.
Je reniflai doucement. Peut-être étais-je allée trop loin avec
cette analogie du ‘Chevalier Errant’. Ice n’avait jamais été, même dans les
premiers moments où je la connaissais, ce que quiconque considèrerait un cœur
et une âme purs.
Mais là encore, qui parmi nous l’était ?
Certainement pas moi.
Alors la question subsistait. Qui aimais-je vraiment ?
Un être humain réel, fait de chair et d’os ? Ou une image
en surimpression sur cette personne, qui la rendait plus acceptable pour ma
sensibilité, en tous cas en l’état.
Ce serait fichtrement facile de tout envoyer promener et de
faire ce que mon cœur me dictait, à savoir que j’aimais Ice de toutes mes
forces, qu’elle tenait mon cœur dans le creux de sa main, que je lui avais
donné ma confiance comme à personne d’autre, et que la seule pensée de ne plus
l’avoir dans ma vie me retournait les tripes.
Mais je savais aussi que faire cela nous rendrait un mauvais
service à toutes les deux.
Le rêve me terrifiait plus que je n’étais prête à l’admettre à
quiconque. Et jusqu’à ce que je trouve pourquoi, jusqu’à ce que je trouve une
explication qui satisfasse mon besoin de savoir, je ne serais d’aucune utilité
à aucune de nous deux.
Et Ice ne méritait que le meilleur de ma part.
Comment j’allais le lui donner était une toute autre question.
Je m’entendis grogner tandis que je m’asseyais à nouveau avec
raideur sur le bois froid et usé du ponton. Tant de pensées, de sentiments,
d’émotions et d’images passaient dans mon esprit qu’il m’était difficile de
savoir par où commencer. Et même, de savoir comment
commencer.
« Le meilleur endroit pour commencer est souvent le
début », aimait à me dire ma mère.
Je haussai les épaules pour moi-même. Ça me semblait un aussi
bon endroit qu’un autre.
Un nom me vint à l’esprit et je m’y accrochai.
Cavallo.
Le salaud qui avait tout commencé. Le salaud qui avait failli
tout terminer.
De ce que je pouvais me souvenir de son histoire, racontée par
bribes par Corinne, Cavallo était ce qu’on appelait ‘une taupe’. Il avait
grandi dans les rangs de la Famille criminelle à laquelle Ice était attachée,
les Briacci, tout en étant profondément blotti dans la poche arrière du plus
grand rival des Briacci. Espérant planter la graine de la méfiance, il avait
monté un piège contre Ice, l’envoyant tuer un innocent.
Mais, et j’avais presque oublié ce point dans ma terreur suite
au cauchemar, elle avait refusé de le tuer.
« Elle a refusé », murmurai-je presque à voix haute,
rendant cette idée réelle et présente.
Même en sachant que ce refus pourrait entrainer sa propre
mort, elle était quand même allée contre les ordres.
« Beaucoup d’entre nous ont dressé des limites et c’était
une de mes limites. Je n’ai jamais tué d’innocents et je n’ai jamais tué de
témoins, peu importe contre qui ils témoignaient. »
Je me souvenais de ces paroles comme si elle les avait
prononcées cet après-midi même au lieu d’il y a cinq ans. Elles prirent soudain
une autre signification tandis que la première partie de mon puzzle se mettait
silencieusement en place.
Lorsque l’homme fut quand même tué, Ice avait décidé de
casquer pour ça, pour employer le vocabulaire de prison un instant, allant
aussi loin que refuser même les services juridiques extraordinaires de Donita,
pour qui elle comptait beaucoup et qui voulait tellement l’aider.
Et parce que l’Ice que je rencontrai au Bog cette première
fois, était une femme qui avait accepté la part de lumière dans son âme et bien
qu’elle ne fût pas coupable du crime pour lequel on l’avait condamnée, elle
était déterminée à être châtiée pour ceux pour lesquels elle n’avait pas été condamnée, même si cela
signifiait, comme cela semblait être le cas alors, donner sa liberté en
paiement pour le reste de sa vie.
Aurais-je pu faire la même chose ?
Et bien, d’une certaine façon, je l’avais fait. Je n’étais pas
plus coupable d’avoir tué mon mari qu’Ice ne l’était pour le meurtre d’un
innocent, mais moi aussi, je voulais en payer le prix parce que, que ce soit ou
pas un meurtre, je l’avais bel et bien tué.
Alors, de cette façon en tous cas, Ice et moi étions plutôt
semblables.
Une autre pièce s’ajouta sur le plateau.
Je retournai mon esprit vers Cavallo. Non content d’avoir
piégé Ice, il voulait tourner le couteau dans la plaie de toutes les manières
possibles, alors qu’il était toujours dans la Famille, avec l’intention, un
jour, de fomenter un coup d’état et d’en prendre la direction. Il avait piégé
la femme de Briacci, une femme qui avait pratiquement été une seconde mère pour
Ice, qui avait été jetée en prison puis avait vu son meurtre mis en scène pour
une seule personne dans le public.
La femme que j’aimais.
Et bien que dévastée par la mort d’une personne qu’elle avait
aimée, et bien que je sois sûre qu’elle avait toutes les occasions de perpétrer
sa propre justice sur cet homme, elle était restée en prison, déterminée à
payer pour ses crimes.
Une autre pièce du puzzle se mit en place tandis que je
commençais à regarder les événements de cinq ans de ma vie sous un jour totalement
nouveau, me demandant, avec un peu de honte, pourquoi je ne m’étais pas
inquiétée de le faire avant.
Cavallo avait tourné le couteau encore un peu plus dans son
cœur en passant un marché avec le directeur de la prison, condamnant Ice à la
servitude en lui faisant faire ce qu’il voulait, à savoir démonter des voitures
qu’il vendait ensuite à un prix plus que profitable. Et quand elle en eût
finalement assez et qu’elle refusa de continuer, Cavallo, par son avocat
marron, Morrison, la menaça de faire du mal à la chose la plus chère à son cœur
dans ce monde.
Moi.
Croyez-moi quand je vous dis que je ne prends pas ça à la
légère, ni que c’est comme un énorme massage à mon ego en pleine santé que de
dire une telle chose aussi banalement. C’est tout simplement la vérité telle
que je la connaissais à l’époque et telle que je la connais aujourd’hui.
Est-ce qu’une tueuse sans conscience aurait pris cette menace
au sérieux et se serait couchée ? Ou bien est-ce qu’elle n’aurait pas
plutôt taillé le directeur en pièces et pris le premier otage venu, pour aller
en ville en mission spéciale pour délivrer personnellement à Cavallo son arrêt
de mort ?
Ice avait simplement répondu à ma question par ses actions.
Elle avait pris le fardeau. Elle avait accepté le couteau au fond
de ses tripes, pas avec calme non, mais elle l’avait accepté tout autant, pour
me garder en sécurité, en bonne santé et toute entière.
Et pourtant,
ça ne suffisait pas encore pour Cavallo.
Dans une scène qui hante toujours mes rêves et continuera à le
faire, je le crains, jusqu’à ce que j’aie fini de dérouler mon fil mortel, il
s’est retrouvé face à face avec elle – avec un grillage et une dizaine de
gardes armés jusqu’aux dents entre eux, courageux comme il l’était – il s’est
moqué d’elle et quand il a vu qu’elle ne mordait pas à l’hameçon à sa guise, il
lui a tiré dans le dos.
Quasiment contre ma volonté, la scène repassa dans toute sa
splendeur et en Technicolor dans mon esprit.
Serrant une dernière fois et dans un hurlement de Cavallo, Ice
relâchait sa prise et levait ses mains nues en souriant. Elle reculait
volontairement de deux pas du grillage, faisait un clin d’œil au mafieux, puis
elle se retournait.
Nos regards se croisaient tandis qu’elle finissait de se
retourner et le monde commençait à tourner au ralenti. Du coin de l’œil, je
pouvais voir Cavallo passer sa main valide dans son manteau.
« Ice ! »
Je m’élançais vers elle, en direction de ses jambes.
« Nooooon ! »
Elle écarquillait les yeux de questionnement.
Le bruit d’un coup de feu résonnait, bizarrement assourdi dans
l’air turbulent.
La question dans ses yeux était devenue un choc tandis que le
sang giclait et tachait le petit trou noirci soudainement apparu dans le coin
gauche de sa combinaison. Elle baissait les yeux puis me regardait à nouveau.
Son regard devenait vide comme dans mon rêve et elle
s’écroulait au sol sans un bruit.
J’atterrissais sur elle en hurlant.
Je m’écartais rapidement, essuyant brutalement mes larmes
tandis que je la mettais sur le dos. « Oh Seigneur, non. Ice, non. S’il te
plait. Oh Seigneur. »
Le sang sortait de la blessure par à-coups lents et paresseux.
Mais cela signifiait qu’elle était toujours vivante. Je pressais une main sur
le trou dans sa poitrine et utilisais l’autre pour écarter les cheveux de son
visage. « Oh Seigneur, s’il te plait, réveille-toi, Ice. S’il te plait, ne
meurs pas. S’il te plait. Ne me fais pas ça. S’il te plait. Oh Seigneur. Oh
Seigneur. »
Je paniquais et je le savais. Mais je ne semblais pas pouvois
m’arrêter. Le sang coulait dans l’espace entre mes doigts, me peignant dans sa
vibration brûlante. « Ne meurs pas, Morgan Steele. Je te défie de mourir
devant moi ! »
Le bruit de pas hâtifs me faisait lever les yeux. Les visages
pâles et effrayés de Sonny, Pony et Critter me faisaient face.
« Oh merde ! » Grognait Pony en s’agenouillant
près de moi, posant sa main sur la mienne dans une tentative pour arrêter le
flot de sang.
« Appelez une ambulance ! » Hurlais-je sans
même sentir la pression de la main de Pony sur la mienne.
« Allez ! »
Sonny hochait brusquement la tête et se retournait pour partir
en courant, en direction de la prison dans une course effrénée. La foule
choquée se séparait pour la laisser passer.
« Ils sont partis ? » Demandais-je à Pony, ma
vue bloquée derrière moi par son corps musclé.
« Qui ? » Demandait Pony d’un ton distrait, le
visage grimaçant tandis qu’elle augmentait la pression sur ma main. »
« Le directeur et… le tireur. »
Mon amie regardait par-dessus son épaule, me bloquant toujours
la vue sur la grille et la zone au-delà. « Y a une bagnole qui fait
crisser ses pneus en sortant du parking », me disait-elle en grognant,
puis elle retournait toute son attention à sa tâche pour ralentir le saignement
qui s’écoulait de ma compagne avec chaque battement de son cœur.
« Dieu soit loué. »
« Pourquoi tu r’mercies Dieu ? Ça pourrait bien être
l’assassin d’Ice qui se sauve ! »
« Elle ne mourra pas. Je le sais. Elle ne peut
pas. »
« J’aimerais bien avoir ta foi, Angel. »
« Tu n’en as pas besoin. J’ai assez de foi pour nous
toutes. »
Je clignai des yeux et essuyai les larmes sur mon visage
tandis que mon esprit relâchait enfin sa prise et me laissait revenir au
présent.
« J’ai gardé la foi, Ice », murmurai-je. « Et
tu ne m’as pas laissé tomber. »
Et pourtant, même après avoir reçu ce coup de feu dans le dos
comme un animal enragé, elle n’était toujours pas partie le chercher.
Non, pas avant que la dernière goutte ne soit versée dans le
vase. Une goutte représentée par une visite de Morrison à l’hôpital pour la
prévenir que, si quelqu’un devinait l’identité de la personne qui lui avait
tiré dessus, ma vie deviendrait un enfer, et toute chance pour moi de retrouver
un jour la liberté serait balayée comme des immondices dans le ruisseau et,
très sûrement, mon âme avec elle.
« Je savais alors que je ne pourrais jamais faire marche
arrière. Il fallait que… je m’occupe de certaines choses pour que cette menace
ne devienne jamais une réalité. »
Ce ne fut que quand la dernière goutte fut finalement versée
dans un vase totalement plein qu’elle se lâcha complètement, pas pour se
protéger elle, mais pour me protéger moi.
Parce qu’elle m’aimait.
Et quand elle avait enfin eu l’occasion de se débarrasser de
toute la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et de la rage sur le seul
homme qui avait causé tout ceci, qu’avait-elle fait ?
Je fermai les yeux pour me souvenir.
« Je voulais tellement le tuer que je pouvais en sentir
le goût. Mon doigt pressait la gâchette, un millimètre de plus, le coup serait
parti et tout aurait été terminé. »
Elle avait penché la tête et avait regardé le plafond, les
muscles de sa mâchoire en mouvement tandis qu’elle se passait les mains dans
les cheveux. « Je n’ai pas pu le faire », avait-elle murmuré d’un ton
dur. « Je le voulais, Seigneur, je le voulais tellement. Je voulais mettre
fin à sa misérable petite vie puante. » Elle avait soupiré et secoué la
tête. « Mais je n’ai pas pu. »
Pourquoi ? Me rappelai-je lui avoir demandé.
« Je le regardais dormir et j’ai pensé à toi. » Et à
ce moment-là, son regard, pour la première fois, s’était posé sur moi. Elle
avait légèrement souri. « Au moment où j’avais tenu la vie de Cassandra
entre mes mains. Je me souvenais de toi en train de me dire de ne pas
abandonner mes rêves, qu’elle n’en valait pas la peine. Et je me suis rendu compte
que si je redevenais cette personne, celle qui tuait pour se débarrasser de ses
problèmes, ce serait exactement ce que j’aurais fait. » Les larmes
brillaient dans ses yeux. « Mes rêves ne valent peut-être pas grand-chose,
mais c’est tout ce que j’ai. Et je ne pouvais pas les abandonner. Pas pour lui.
Pour personne. »
« Oh, Ice » murmurai-je comme je le fis à l’époque.
Tant de choses prenaient du sens à mes yeux maintenant, quand
je les regardais avec la distance du temps. L’attachement constant d’Ice aux
changements qu’elle avait commencé à faire dans sa vie bien avant que nous ne
tombions amoureuses. Son refus d’être entrainée à faire quelque chose qui
devenait injuste pour elle, jusqu’à ce qu’elle soit placée dans une situation
où les choix n’existaient pas.
Je commençais enfin à voir deux très différents côtés dans la
partie d’Ice qui était une tueuse. L’une d’elle tuait dans la fièvre de la
passion, pour se protéger ou protéger ceux qu’elle aimait. L’autre,
diamétralement opposée à la première, tuait avec le désintérêt froid et
lointain d’un assassin, ce qu’elle avait été pendant très longtemps.
La première était une part inhérente de sa nature, une nature
forgée par la vie qu’on l’avait forcée à vivre quand une innocente filette de
dix ans s’était réveillée un beau matin pour découvrir que ceux qu’elle aimait
n’étaient plus.
La seconde, que je commençais à entrevoir, était plutôt contre
nature pour elle, bien qu’elle avait développé un certain talent pour ça au
cours du temps, et qu’elle l’utilisait autant que les outils dont elle se
servait pour réparer les autos.
Si rien d’autre, Ice était une femme faite de passions
incroyables. Elle avait une capacité immense, presque infinie, à aimer. Et une
capacité pratiquement égale pour la colère. Alors que l’amour avait toujours
été réprimé comme un poulain ombrageux et vulnérable, la colère avait pu
fleurir.
Et alors, pour une raison qu’elle seule connait, Ice avait
décidé de saisir l’occasion de révéler son cœur et de laisser l’amour sublimer
la rage dans son âme.
Cette décision avait demandé un grand tribut cependant. Un
tribut qu’elle payait aujourd’hui. Et un tribut que moi, dans mon égoïsme, je
n’imaginais pas exister.
Jusqu’à aujourd’hui.
Tel l’apôtre Paul sur la route de Damas, les écailles me
tombaient enfin des yeux et je vis pleinement ce que le fait pour Ice de
laisser Cavallo vivre signifiait vraiment.
Un saut les yeux bandés du haut d’une haute falaise avec la
confiance pour seul filet.
La confiance en elle-même, dans son cœur, qu’elle prenait la
bonne décision. La confiance dans un système de justice qui avait misérablement
failli à faire ce qui était juste. La confiance dans un dieu ou une sorte de
destin miséricordieux qui verrait son action de rédemption et en serait
satisfait.
Un jour, un sage a dit, je crois, que deux sur trois, ce n’est
pas si mauvais, je suis sûre qu’il serait d’accord pour dire qu’un sur trois
c’est plutôt minable.
Comme une rangée de dominos ou un château de cartes poussés
par la main d’un enfant insouciant, ce simple acte miséricordieux a lancé une
série d’événements inévitables qui nous a menées à cet endroit, où tout ce qui
aurait pu tourner de travers l’a fait et où la femme assurée et fière qui avait
fait ce saut, était maintenant allongée, brisée et en sang, en châtiment d’un
acte de bonté qui s’était retourné contre elle par vengeance.
Je repensai à la nuit où elle avait reçu l’appel téléphonique
l’informant que Cavallo avait été libéré et était à la poursuite de chair
fraîche. Elle avait voulu garder cette information pour elle-même, mais je
l’avais bousculée, aiguillonnées, cajolée et j’avais pleurniché jusqu’à ce
qu’elle s’ouvre à moi et dépose ses tracas devant moi.
Et qu’est-ce que je lui avais donné en retour ?
La dérision. Le sarcasme. La tyrannie de ma morale. J’avais
même eu le culot de la traiter de froussarde. Je l’avais accusée d’utiliser
Cavallo comme excuse pour fuir les gens qui l’aimaient. Je l’avais menacée de
m’accrocher à chacune de ses pensées, à chacun de ses mouvements, comme un
parasite indésirable
Quand avais-je cessé de faire confiance à son instinct ?
Quand avais-je commencé à penser que le mien était
meilleur ?
Je sentais mon visage rougir de honte. La chair tendre de mes
paumes protesta quand mes ongles y creusèrent leur domicile.
Tout ce qu’elle avait voulu, c’était créer un espace de
sécurité autour de moi. Un endroit où je serais heureuse, où je me sentirais en
sécurité, où je serais aimée et où je ne manquerais jamais de rien. Meneuse
d’hommes innée, elle avait réprimé cette qualité et avait choisi de marcher à
mon côté, m’apportant son aide, sa chaleur, sa force et son amour pour
s’assurer que mes rêves étaient comblés, du mieux de ses capacités
considérables et bien au-delà de mes espoirs les plus fous.
Et qu’avais-je fait de cette liberté qu’elle m’avait
donnée ? Je l’avais saisie et je m’étais sauvée avec et je l’avais bien
piégée, la plaçant avec mes paroles dans une cage dont les barreaux étaient
formés et dessinés par les liens d’amour que nous partagions.
Une cage dorée, peut-être, mais une prison plus grande encore,
d’une certaine façon, que le Bog ne l’avait jamais été.
« C’est une adulte », me dis-je. « Tout à fait
capable de prendre ses propres décisions. Ne lui enlève pas ça aussi, en
croyant que tu l’as en quelque sorte piégée contre son gré. Ce n’est pas ce qui
s’est passé et tu le sais très bien. »
« Peut-être », me répondis-je. « Mais lui as-tu
posé la question ? As-tu pris, ne serait-ce qu’une minute, pour savoir ce
qu’elle désirait, plutôt que de projeter tes rêves et tes désirs sur elle et de
considérer que c’était bien ? »
Est-ce que je l’ai fait ?
Je repensais à la conversation que nous avions eue dans cette
minuscule chambre d’hôtel qu’Ice avait prise juste après nos retrouvailles. Je
me souvenais de l’odeur de moisi du radiateur tandis que l’air qu’il soufflait
faisait légèrement bouger les lourds rideaux qui masquaient la chambre aux yeux
indiscrets. Je me souvenais de la texture raide et brillante du dessus de lit.
Mais plus que tout, je me souvenais de l’expression sur le visage de mon amour,
de la lueur dans ses yeux, du ton de sa voix.
« Bon sang, Angel ! ! Si tu restes avec moi, tu
vas juste t’enfermer dans une autre prison ! Tu peux comprendre
ça ? »
Oui, elle était en colère. Mais cette fois… cette fois, je
n’avais pas peur.
« Ice, la seule prison dans laquelle je vais retourner,
c’est celle dans laquelle tu vas m’envoyer en refusant de me laisser prendre
mes décisions moi-même sur ce que je veux faire de ma vie. Il n’y aura pas
d’autres barreaux que ceux qui entoureront mon cœur. C’est un endroit où je ne
veux pas aller, jamais. Ce serait un million de fois pire que le Bog le sera
jamais. » Je lui avais attrapé la main que j’avais serrée très fort,
levant nos mains jointes pour qu’elle puisse les voir pleinement. « Ma vie
est avec toi, Morgan Steele. Et ça depuis le premier jour où je t’ai vue. Ça ne
changera jamais, que tu me laisses rester avec toi ou pas. »
Pour la première fois depuis que je la connaissais, Ice avait
eu l’air effrayé. Ce n’était pas de la panique, j’en suis sûre, mais elle avait
peur. « Je… ne peux pas… »
J’avais mis le doigt sur ses lèvres. « Peut-être
pas », avais-je murmuré. « Mais moi je peux. »
Et je l’avais fait.
Et en le faisant, j’avais proprement et avec efficacité,
retourné la situation à son détriment. En me clivant à elle malgré ses
objections sincères et recevables, j’avais pris la décision de ses mains et je
l’avais transformée pour en faire la mienne.
Elle avait tenté de m’avertir – oh Seigneur, combien de
fois ? – qu’un jour on en arriverait là.
Et quand ce fut le cas, je lui donnai tout sauf ce dont elle
avait le plus besoin.
Mon soutien.
Elle avait fait ce qu’elle avait à faire. Ses actions, plutôt
que d’être l’émergence des tréfonds osbcurs d’un cœur noirci, étaient, tout
simplement la seule chose qu’elle pouvait
faire. Pas d’exceptions, pas d’excuses.
Elle avait été acculée dans un coin et en était sortie en se
battant.
Si ça avait été moi, je serais morte dans cette clairière.
N’importe qui d’autre que je connaisse aussi.
Elle avait survécu.
Et à la fin, après l’annonce des résultats, c’était tout ce
qui comptait
Elle avait survécu.
Et d’un seul coup, tous mes doutes, tous mes soucis, mon
sentiment d’insécurité, s’effritèrent et s’envolèrent. Ma honte était toujours
prégnante et c’était une chose que je devrais gérer encore très, très
longtemps.
Et bien, ça n’avait pas d’importance.
Ce qui en avait, c’était que la femme que j’aimais de toute
mon âme avait besoin de moi, peut-être plus qu’elle n’avait jamais eu besoin de
personne auparavant.
Et peu importe que survienne l’enfer, ou un tsunami ou une
bibliothécaire âgée avec une affinité pour le poison, le poker et les théières,
je ferais de mon fichu mieux pour être pour Ice ce qu’elle était pour moi.
Tout.
Imprégnée de ma mission, je me relevai, à peine consciente de
la raideur dans mes muscles et de la douleur sourde dans ma jambe. Je sortis du
ponton à grands pas déterminés, montai la colline et entrai dans la maison,
ignorant les regards interrogateurs lancés dans ma direction par les hommes et
les femmes venus apporter leur soutien à une amie blessée et dans le besoin.
Le visage figé dans un masque de pierre que j’empruntai
temporairement à Ice, je montai les marches et entrai sur le champ de bataille,
lançant à Corinne un regard qui disait, avec le plus grand sérieux, que si elle
voulait la guerre, elle l’aurait. Et que je ne cesserais pas avant de l’avoir
gagnée.
Elle lut parfaitement l’intention dans ces premières secondes
silencieuses, écarquillant légèrement les yeux avant de se détendre dans le
fauteuil qu’elle avait tiré près du lit. Elle me fit un petit sourire
d’acceptation et pencha légèrement la tête en direction d’Ice, toujours
profondément endormie.
« Est-ce qu’elle s’est réveillée un instant ? »
Demandai-je en luttant pour empêcher mon visage de rougir à nouveau.
« Non. Elle se repose tranquillement. »
Je hochai la tête. Puis j’adoucis consciemment mon regard.
« Je l’aime, Corinne. Toute entière. Tu peux me croire ou non, ça te
regarde. Mais je l’aime vraiment et je ne l’abandonnerai jamais. » Je
déglutis, fort. « A moins qu’elle ne me le demande. »
« Et si elle le fait ? »
Je pris une inspiration profonde, la relâchai et prononçai les
mots inscrits dans mon cœur. « Si elle le fait, je la laisserai partir.
Sans discuter. »
Après un moment, Corinne hocha la tête. Puis elle eut un
sourire de travers. « Est-ce qu’il y a jamais eu aucun doute ? »
« Non. Des questions, oui. Des peurs, oui. Un
doute ? Non. »
Ses yeux brillèrent. « Je ne le pensais pas. »
Mes yeux s’écarquillèrent à leur tour. « Tu ne le pensais
pas... Alors pourquoi ? »
« Parce que tu avais besoin de t’asseoir pour examiner
les choses par toi-même, Angel. Une partie de toi a vécu dans un monde de rêves
pednant très longtemps. Et à moins que tu ne te donnes le temps de découvrir la
réalité de tes vrais sentiments, les choses auraient continué à faire boule de
neige jusqu’à ce qu’on soit tous ensevelis. Ice ne mérite pas ça. Ni toi
d’ailleurs. » Elle rit doucement. « Tu as pris la bonne décision,
Angel. »
Je ne pus m’empêcher de rire de soulagement.
« Rappelle-moi de te frapper plus tard. »
« Oooooh, c’est promis. »
Je résistai à l’envie de lui mettre une bonne claque, mais je
me glissai plutôt sur le lit pour me blottir tout près de la seule personne au
monde qui tenait mon cœur dans sa paume, et je sombrai immédiatement dans un
profond sommeil sans rêve, sans remarquer quand son bras s’enroula autour de
mes épaules dans un geste inconscient d’acceptation et d’amour.
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A suivre – Chapitre 9 – 2ème partie et fin