Répression, chapitre 9-2 (FIN)
REPRESSION (RETRIBUTION)
Ecrit par Susanne M. Beck (Sword'n'Quill)
Chapitre 9 – 2ème
partie et fin
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Lorsque je repris conscience, le
visage inquiet de Bull fut la première chose que je vis.
Tandis que cette expression se
frayait un chemin dans mon esprit qui s’éveillait lentement, je me redressai
d’un coup et attrapai son bras. « Quelque chose ne va pas ? Qu’est-ce
qui s’est passé ? Ice va bien ? » Interrogeai-je, trop effrayée
pour me tourner et regarder moi-même l’objet de mes questions frénétiques
jusqu’à ce que j’aie une meilleure idée de ce que je pourrais trouver.
« Elle va bien »,
répondit rapidement Bull, en faisant des gestes d’apaisement, un peu comme
quelqu’un qui essaie de calmer un animal ou un enfant effrayé. « Elle est
juste un peu agitée. » Puis il sourit et je me détendis. « Elle s’est
réveillée un instant, vous a vue, a souri et s’est rendormie aussi vite. Je
n’ai même pas eu à lui faire une piqûre. » Il me prit affectueusement le
bras en riant. « Je me demande si ça l’embêterait que je vous emprunte
pour des sorties de chasse. Vous avez l’air de faire des miracles et ça
m’économiserait du fric en somnifères. »
Je ne pus m’empêcher de lui
sourire. « Moi ? Seule avec un groupe d’hommes en sueur dans une
cabane surchauffée à vous regarder retirer des balles du derrière de quelqu’un
à la lueur des bougies ? Non merci. Je pense que je vais refuser l’offre, bien
qu’elle soit charmante. »
Je tournai le dos à sa moue
théâtrale et finis par rassembler assez de courage pour regarder ma compagne.
Son visage avait l’air paisible, lisse d’une façon inhabituelle, même quand
elle dormait. Sa peau n’affichait ni la couleur intense de la fièvre ni la
pâleur cireuse que j’avais vue avant de m’endormir. Je tendis la main et la
posai sur son front que je trouvai frais et sec. « La fièvre est
tombée ! »
« Oui », répondit Bull.
« Il y a quelques heures. »
« C’est plutôt bon,
non ? » Demandai-je sans détourner mon regard d’elle.
« Et bien, on n’est pas tiré
d’affaire encore, mais oui, c’est bon signe. »
« C’est un signe génial,
oui », répliquai-je en me penchant pour poser un baiser sur la joue d’Ice.
« Elle est coriace. »
« Je suis tout à fait
d’accord avec vous, Angel. C’est la personne la plus coriace que j’ai jamais
connue, et j’ai connu pas mal de gagnants, croyez-moi. »
Je bâillai et m’étirai, résistant
au désir de simplement me blottir à nouveau près de la femme dont j’étais
restée trop longtemps éloignée. Je regardai le réveil et me rendis compte que
douze heures avaient passé depuis que je m’étais endormie.
Bull dût lire la question sur mon
visage parce qu’il sourit en réponse. « Vous en aviez besoin »,
dit-il simplement. Puis il se mit à rire. « En plus, même si vous aviez
été réveillée, vous n’auriez pas pu faire grand-chose de toutes les façons. Ice
n’avait pas l’air très décidée à vous laisser partir avant un moment. »
« Qu’est-ce que vous voulez
dire ? »
« Juste ce que j’ai dit. Elle
s’accrochait à vous comme si vous étiez son nounours. » Il rougit.
« Pas que je veuille dire qu’Ice a jamais eu un nounours, v’savez… Elle…
euh.. ooooh merde. »
Je ris. « Je ne le dirai à
personne si vous ne le faites pas. »
Il hocha la tête, soulagé.
« Marché conclu. »
J’entendis la porte du bas
s’ouvrir, suivie du bruit de voix d’hommes qui parlaient calmement tout en
entrant dans la cabane. Bull jeta un coup d’œil par-dessus la rambarde, puis
vers moi, les deux sourcils haussés dans une interrogation silencieuse.
« Bien sûr. Faites-les monter. »
Il fit un geste et j’entendis ces
hommes monter l’escalier, venir dans la chambre et s’avérer être Tom et John.
Tous les deux étaient couverts de boue et avaient l’air fatigué, mais ils
avaient aussi l’air particulièrement contents d’eux, et ils affichaient le même
sourire satisfait.
« Qu’est-ce que vous faisiez donc
tous les deux ? »
« Oh un peu de ci, un peu de
ça », répondit Tom, en sautillant comme un petit garçon avec un petit
secret – ou une vessie pleine.
« Ça vous ennuierait d’être
plus précis ? »
« On s’est occupés à se
débarrasser de la preuve », répondit John en donnant un coup de coude dans
le ventre de son frère.
La preuve. Mon esprit rejoua la
scène de mon rêve, la voiture écrabouillée, les corps mutilés, les armes…
« Le pistolet ! Il porte
les empreintes d’Ice partout ! »
« T’inquiète, Tyler »,
répondit Tom. « On s’est aussi occupés de ça. »
« Comment ? »
Les deux hommes se regardèrent.
« Dites-le moi, les gars,
s’il vous plait ? »
« Dites-lui. »
Trois paires d’yeux s’agrandirent
et je me tournai pour voir ma compagne très réveillée et qui me regardait.
« Ice ? »
Elle sourit légèrement, malgré ses
lèvres sèches et crevassées et je vis que cet effort lui était douloureux.
« Salut. » Elle tendit son bras valide et écarta les mèches de mon
front. « Tu n’as pas l’air très en forme », observa-t-elle, la voix rauque
d’être restée silencieuse et pourtant le son le plus beau que je crois bien
avoir jamais entendu.
Je lui pris doucement la main et
déposai un baiser sur ses phalanges, puis je l’amenai à ma joue.
« Peut-être pas, mais je me sens merveilleusement bien. Maintenant. Et
toi, mon cœur ? »
Elle ferma un instant les yeux, comme
pour faire l’inventaire. Puis elle les rouvrit et me réchauffa de l’amour contenu
dans son regard. « Pas trop mal. »
« Dit la crêpe au vingt
tonnes qui lui est passé dessus », blagua Bull, un verre d’eau dans la
main.
Personne dans la chambre ne fut plus
surpris que moi, quand Ice me laissa l’aider à se redresser un peu contre
quelques oreillers que Tom avait posés contre la tête de lit. Bien sûr, l’aider
à boire était hors de question. Elle accepta l’eau et sirota avec précautions à
travers ses lèvres bleuies et gonflées jusqu’à ce que le verre soit vide.
« Merci. »
Elle me rendit le verre puis
reprit ma main et me pressa de me rasseoir près d’elle, contre la tête de lit.
J’obéis avec empressement, en souriant si fort que je suis certaine que mon
visage risquait de se briser en deux.
Après que je fus installée
confortablement, elle retourna son regard vers Tom et John, un sourcil dressé.
Tous les deux avaient visiblement
l’air mal à l’aise mais Tom finit par faire un pas en avant au sens figuré.
« On… euh… on se demandait comment faire pour se débarrasser de la preuve.
Au début, on a pensé qu’on allait juste remettre les corps dans la voiture et y
mettre le feu, mais Pop a dit qu’on allait juste finir par foutre le feu à
toute la forêt et attirer encore plus l’attention.
A côté de moi, je sentis Ice qui
hochait la tête pour approuver.
« Alors », reprit John,
« on a fait avec ce qu’on avait et on a décidé de faire croire à un
accident de voiture/meurtre/suicide. »
Ice ricana.
« Tu veux bien expliquer
ça ? » Demandai-je, perplexe.
« Ben, tout était là.
L’accident de voiture, c’était évident. Tout comme la scène de lutte. Alors,
tout ce qu’on avait à faire, c’était de prendre l’arme d’Ice, d’essuyer ses
empreintes, de la mettre dans la main du type qui avait pris une balle dans la
tempe et le tour était joué ! La voiture s’était enfoncée dans un arbre,
le type en était sorti, avait fichu une raclée aux autres, leur avait tiré dans
la tête, puis avait mis fin à ses jours en se tirant une balle dans la
tempe. »
« On a même effacé les traces
de Morgan », ajouta Tom, en souriant avec fierté. Je jure que si cet homme
était né cabot, sa petite queue aurait remué à tout va. « Même Pop était
impressionné, et vous savez combien ça
c’est difficile. »
« On est deux alors »,
dit Ice, la voix chaude bien qu’un peu enrouée. « Bon boulot. Merci
beaucoup à tous les deux », ajouta-t-elle.
Des rougeurs jumelles éclairèrent
les visages de nos amis tandis qu’ils bougeaient les pieds sur le parquet,
apparemment pas bien sûrs de savoir quoi faire de ce compliment.
Heureusement pour eux, ils
n’eurent pas besoin de trouver une réponse parce qu’Ice se rendormit,
s’affalant contre moi ce faisant. J’eus un bref instant de panique, mais le
calme dans les yeux de Bull me détendit et ensemble, nous l’aidâmes à retrouver
une position plus confortable sur le lit.
Cette tâche terminée, je regardai
à nouveau Tom et John. « Autre chose ? »
« Euh, ouais », finit
par dire Tom. « La rumeur dit que ces types étaient en ville quelques
jours avant de venir ici. On dirait bien que notre bonne amie Millicent les a hébergés
pour le week-end. Pop pense qu’elle leur a même dit où était la cabane. »
Je sautai si rapidement du lit que
ma tête se mit à tourner au changement abrupt de position. « Qu’est-ce que
tu dis ? » Dis-je d’un ton pressant en attrapant le bras énorme de
Tom. « Tu veux dire que cette garce est derrière tout ça ? C’est ça
que tu es en train de me dire ? »
« Du calme, Angel », dit
Tom en retirant doucement mes doigts de son bras. « Pour l’instant, ce
n’est qu’une rumeur. Personne ne sait rien de manière sûre. »
« Et comment est-ce que cette
rumeur a démarré ? » Demandai-je, les poings serrés.
« Mary réparait quelque chose
au Pin Argenté et elle a entendu Millicent parler à quelqu’un au téléphone au
sujet des six hommes charmants qu’elle avait accueillis pour le
week-end. »
« Espèce de garce ! »
« Angel… »
« Quoi ! ? »
Criai-je en tournant sur moi-même pour me rendre compte sur qui je criais.
« Ice ? Oh seigneur, je suis désolée. Je ne voulais pas te
réveiller. »
« C’est bon », dit-elle
doucement. « Viens ici. »
« Mais… »
« Viens »,
insista-t-elle en tendant le bras.
Incapable de résister, je
m’approchai d’elle, grimpai à nouveau sur le lit et me glissai dans son
étreinte aimante, en prenant soin de ne pas bousculer ses blessures en voie de
guérison. Elle me fit un petit sourire et m’embrassa sur la joue, puis elle
m’installa contre elle avant de tourner la tête vers Tom. « Qu’est-ce que
Pop dit de tout ça ? »
« Il pense qu’elle l’a fait
mais il ne pense pas qu’elle savait vraiment
ce qu’elle faisait. Ou même qui étaient ces hommes. »
« Ce n’est pas une
excuse ! » Dis-je. « Elle n’a pas le droit de dire à de parfaits
inconnus où on habite ! Absolument pas ! «
« C’était stupide, j’en
conviens », répondit Tom. « Mais être stupide c’est pas pareil que
d’envoyer délibérément quelqu’un se faire kidnapper et tuer, Tyler. »
« C’est Millicent dont on parle ! » Répliquai-je. « Celle
qui a envoyé quelqu’un faire rosser Pop ? Celle qui a payé quelqu’un pour
mettre le feu à sa station ? Est-ce que je suis la seule ici à voir cette
femme pour ce qu’elle est vraiment ? »
« Très bien, Angel, ça
suffit », dit doucement Ice près de moi.
« Ice, ce n’est pas… »
« Assez, Angel. Ça ne va nous mener nulle part. »
Je soupirai, je ne voulais pas
abandonner le combat mais je me rendais compte qu’il n’y avait aucune raison de
continuer. « Quand est-ce que quelqu’un va enfin l’affronter ? »
Demandai-je après un long moment. « Chaque fois qu’elle a fait quelque
chose de mal, on s’est contenté de tendre l’autre joue. Et à chaque fois, elle
a continué et a fait quelque chose de pire. Ce sera quoi la prochaine fois,
Ice ? Et si la prochaine fois, c’est… »
Je m’arrêtai mais je savais
qu’elle pouvait lire dans mes pensées sur ce sujet. Ma plus grande peur c’était
qu’une nuit, notre sommeil soit dérangé par l’arrivée de la police. Ce scénario
n’était jamais bien loin dans mes pensées et continuait à hanter mes rêves.
Comme s’il ressentait la
signification profonde de notre conversation, Tom s’éclaircit la voix, poussa
son frère du coude et tous deux ils attrapèrent un Bull inconscient de la
situation et sortirent. « On… euh… on sort un moment », dit Tom
tandis qu’ils descendaient et s’éloignaient rapidement.
Quand nous fûmes seules, je me
tournai vers Ice et mit la main sur sa joue bleuie. « Je suis
désolée », murmurai-je. « Je déteste me sentir sans défense. »
La peau douce de son visage se
plissa sous ma paume tandis qu’un coin de sa bouche se redressait dans un
sourire. « C’est bon. Je sais que ça a été dur pour toi. »
Je la fixai avec une expression
sérieuse. « Pas pour moi, Ice. Pour nous.
Toi et moi. » Je m’écartai légèrement et l’examinai de la tête aux pieds,
des larmes dans les yeux. « Regarde-toi, mon amour. On t’a battue, tiré
dessus, presque coupée en deux. Tu aurais pu mourir. »
« Mais ce n’est pas le cas,
Angel », dit-elle simplement. « Je suis ici et je suis
vivante. »
« Mais pour combien de
temps ? »
Je fus saisie par un sanglot et je
me sentis m’affaisser. Puis ses longs bras m’enserrèrent, m’étreignant tandis
qu’une voix douce et des mains délicates m’apaisaient. « Chh. Ne pleure
pas, Angel. S’il te plait, ne pleure pas. Tout va bien se passer. Je te le
promets. Tout va bien se passer. Chh. »
J’acceptai son réconfort, son
amour, pendant un long moment vraiment nécessaire avant de tenter de m’écarter.
Comme elle ne me relâchait pas, je levai la tête. « C’est moi qui suis
supposée te réconforter. C’est toi qui a traversé l’enfer et qui en est
revenue. Pas moi. »
Elle rit doucement. « Quelque
chose me dit que tu as aussi un peu traversé l’enfer, Angel. » Elle me
prit le menton dans sa main et passa son pouce sur mes lèvres. Bien qu’elle me
regardât droit dans les yeux, son regard semblait perdu au loin. Après un bon
moment, elle parla à nouveau. « Quand ça a été terminé, après que j’ai tué
Carmine et ses amis, la seule chose qui m’a empêchée de m’effondrer dans ce
champ, c’est toi, mon Angel. Ton sourire. Ton rire. Le son de ta voix quand
nous faisons l’amour. Il fallait que je revienne vers toi, il fallait que je
revienne vers la seule bonne chose en ce monde que je connaisse. Ta lumière. Ta
chaleur. Ton amour. » Sa main traina sur mon visage et mon cou pour venir se
nicher sur mon sein, là où mon cœur battait fort. « Toi. »
Son regard revint pour me percer.
« Tu dis que tu es sensée me réconforter. Est-ce que tu ne le fais pas
chaque jour ? »
Je la regardai sans expression
pendant un moment, incapable d’assimiler pleinement ses paroles et leur
signification.
Son visage s’adoucit dans un
sourire. « Tu le fais, Angel. Chaque jour, sans même y penser, en étant
simplement toi. » Sa voix prit une tonalité rauque. « La femme que
j’aime. »
Elle glissa sa main dans le creux
de ma nuque et usa de sa force implacable pour nous redresser et réclamer mes
lèvres dans un baiser enflammé, plein de passion et de promesses. Je répondis
instantanément, avec urgence, avec le besoin désespéré de lui montrer ce
qu’elle signifiait pour moi, cette femme faite de feu, de fureur et d’amour
sans barrières.
Perdue dans les sensations de la
passion étourdissante, mes mains se mirent à bouger de leur propre gré sans
même sentir les bandages qui couvraient ses nombreuses blessures. Un léger
grognement me ramena à la réalité rapidement et je retirai brusquement ma main
de son ventre comme si je m’étais brûlée. « Oh Seigneur, je suis
désolée ! Je ne voulais pas. »
« Chut », répondit-elle
en m’attirant à nouveau contre elle. « C’est bon. Je vais bien. »
« Tu es blessée. »
Elle me captura sans effort par le
pouvoir de son regard brûlant. « J’ai envie de toi. »
Pour ces mots, j’aurais vendu mon
âme avec plaisir, et j’aurais damné le diable lui-même.
Elle me prit la main et la porta à
son sein, sur sa peau chaude et ferme. « Touche-moi »,
murmura-t-elle.
Je m’entendis gémir tandis que je
fermai les yeux face à la douceur exquise de la sentir sous ma paume
tremblante. Lorsque son corps répondit sans aucun doute possible à mon toucher
hésitant, explosant sous ma main, je me sentis entrainée dans une vague
submergeante d’émotion que j’eus du mal à contenir.
« Laisse-toi aller,
Angel », murmura-t-elle en utilisant sa main libre pour faire à nouveau se
toucher nos lèvres, emmêlant ses longs doigts dans les mèches courtes de mes
cheveux. « Laisse-toi juste aller. »
Comme un doux chant des sirènes,
je laissai le son de sa voix, le mouvement de son corps, balayer la honte et la douleur, la
colère et la peur. Nos lèvres se touchèrent à nouveau, presque en feu, et je me…
laissai aller.
Je passai mes doigts sur ses
seins, légèrement au début, puis avec plus d’urgence tandis que la passion et
l’envie d’elle s’enflammaient en moi, un brasier d’amour, de désir attisé par
un combustible dévorant et éternel.
Je sentis sa respiration plus
profonde quand son gémissement résonna sur ma langue. Mes mains bougeaient avec
plus d’assurance, imprimant le contact de sa peau soyeuse dans mon esprit
tourbillonnant d’images ineffaçables. Même les bandages qui l’enveloppaient
finirent par ne plus être un obstacle. Plutôt que de cacher ses blessures,
celles-ci devinrent des symboles de son immense courage, de sa volonté
invincible, telles les gardiennes du souvenir d’une bataille durement menée et
d’une guerre dûment gagnée.
Je déposai des baisers doux sur
chacune d’elles, m’imprégnant de la force de cette femme prodigieuse,
merveilleuse sous mon corps. Son odeur emplit mes sens ; son goût, celui
d’un vin sacramentel. Le son de sa voix plus beau pour moi que la musique d’un
millier de chœurs sur un millier de mondes.
Je levai la tête de mon sacrement
et mes yeux brûlant d’un indigo sombre de passion, je sentis la force immuable
et invincible de notre lien primitif, ses racines plongeant encore plus dans
les tréfonds de mon âme.
Et lorsque mes mains glissèrent
entre des jambes ouvertes pour moi, signe de me rapprocher encore, d’entrer en
elle, des larmes de joie coulèrent sur mes joues tandis que mes doigts étaient
doucement accueillis par la chaleur humide et soyeuse de son corps.
« Je t’aime, Morgan »,
murmurai-je en poussant mes doigts pour être en rythme avec son corps. Une
combinaison curieuse de douleur et d’extase s’affichait sur ses traits
magnifiques mais ses yeux...
Si l’amour est une chose tangible,
capable d’être vue autant que ressentie, alors c’est dans l’expression dans ses
yeux quand nous faisons l’amour. Une expression qui dit que je suis la chose la
plus précieuse et la plus aimée que l’univers n’ait jamais créée. Qui dit que
je suis plus désirée et aimée que je ne puisse jamais espérer le comprendre.
Qui dit qu’en moi réside le rêve d’une femme que j’aime de tout mon cœur, de
tout mon esprit, de tout mon corps et de toute mon âme.
Ma peur tenta de revenir à ce
moment, tenta de me rappeler que j’étais loin de mériter le cadeau qu’elle me
faisait.
Mais elle le vit, comme elle le
voyait toujours, avec des sens bien trop étrangers à ma compréhension. Elle se
redressa brusquement malgré la douleur atroce de ses blessures et elle m’attira
contre elle, dévorant mes lèvres des siennes, conquérant une fois de plus ma
honte avec le pouvoir de son amour.
Tandis que mes doigts continuaient
à danser en elle, les siens tracèrent une ligne de feu sur mon corps et
glissèrent sous la barrière insignifiante de mes vêtements, se baignant dans
mon essence nouvellement jaillie, me peignant et m’excitant avec l’évidence de
mon propre désir avant de glisser profondément en moi et de me remplir
pleinement.
Nos corps fusionnés par nos
bouches et nos mains, nous donnâmes et prîmes, avançâmes et fîmes retraite,
rassemblant nos énergies pour mieux les rendre au double, au triple, nos cœurs
battant à un rythme affolant, nos respirations laborieuses. Nos âmes
fusionnèrent et se séparèrent, pour revenir se toucher dans des grognements
haletants et des gémissements primaires tandis que chaque contact, chaque
caresse, nous emmenait de plus en plus haut jusqu’à ce que, enfin, nous
atteignîmes les cimes et sautâmes comme nous étions montées.
Ensemble.
Et lorsque nous nous affaissâmes
l’une contre l’autre, nos corps glissants de la sueur de la passion,
chevauchant les derniers courants d’une volupté inestimable, tremblant dans
chaque petit mouvement jusqu’à ce que, enfin, nous soyons à nouveau sur la
terre ferme.
Lorsque je retrouvai assez de
force pour relever la tête, je vis une larme unique tracer un chemin sur sa
joue. Son sourire aveuglant me dit tout ce que j’avais besoin de savoir et,
tout en embrassant cette larme, je la déposai avec amour sur le lit que nous
partagions, lui rendant son sourire quand je sentis son visage rougi et chaud
dans mon cou, sentant le moment exact où elle retournait dans le calme apaisant
du sommeil, ses lèvres telles une marque douce sur ma peau.
Et, enveloppée et en sécurité dans
une couverture d’amour et de confiance si puissante et si profonde, je la
suivis dans les ombres où les cauchemars n’osaient pas me suivre.
*********
Je clignai des yeux pour effacer
le sommeil et tentai de me concentrer sur le visage penché sur moi.
« Corinne ? »
« Je m’exerce à ‘Louella, la
bibliothécaire tatouée’, aujourd’hui », me répondit-elle en souriant.
« Est-ce que c’est réussi ? »
Je la regardai de plus près et je
vis pour la première fois la myriade de bleus de toutes les couleurs qui
remontaient sur le côté droit de son visage et de sa mâchoire. Je me sentis
rougir, honteuse de ne pas l’avoir remarqué avant. « Comment te
sens-tu ? »
« Comme on peut s’attendre à
se sentir plusieurs jours après avoir été frappée par un pistolet, je
suppose », dit-elle, les yeux brillants.
Je tressaillis. « Je suis
désolée, Corinne. »
Elle rit. « Pour quoi ?
Je ne me suis jamais autant amusée depuis que les démons de l’enfer ont trouvé
bon de me relâcher de leur petit repaire d’iniquité ! »
« Notre définition pour
‘amusée’ semble différer un peu. »
« Mais bien sûr, Angel ;
Tu es à peine une criminelle en devenir, tandis que moi », elle se
redressa de toute sa hauteur, le nez levé d’un air royal vers le plafond,
« je suis la Veuve Noire. »
Je grognai et levai les yeux au
ciel en voyant son air faussement pompeux, puis je me retournai rapidement pour
voir si Ice était endormie.
Elle l’était, le corps et le
visage détendus, et pourtant avec ce fond de tension toujours présent en elle,
à part quand elle avait été assommée par les médicaments que Bull lui avait
donnés. Je sentis mon visage s’adoucir tandis que je tendais la main pour
lisser ses mèches emmêlées mouillées de sueur.
Son visage se tendit un instant,
assimilant sans aucun doute, l’intrusion dans son espace personnel, puis
s’adoucit pour reprendre les traits apaisés du sommeil tandis que sa
respiration se calmait et que son corps plongeait un peu plus dans le nid
d’oreillers qui l’entourait.
Lorsque je levai les yeux, je vis
un sourire supérieur et hautain sur le visage de mon amie. « Ne dis pas un
mot, Corinne. Pas un seul. »
Elle écarquilla les yeux de fausse
innocence. « Moi ? (NdlT :
en français dans le texte) Tu dois me confondre avec une dégénérée
quelconque, Angel. »
« Mmm. Hmm. Peut-être qu’on
devrait commencer à te faire payer le spectacle nocturne. »
Elle fit la moue brièvement, puis
sourit. « Est-ce que ça servirait à quelque chose que je dise que j’ai été
tentée d’applaudir une fois ou deux ? Ou que je suis connue pour prendre
des notes à l’occasion ? »
Je sentis une énorme rougeur
monter. « C’est plus que je ne souhaitais savoir, Corinne. Bien plus que
je ne souhaitais savoir. »
Elle rit. « Alors je suppose
que je ne devrais pas te raconter la fois où je… »
« Stop ! »
Ordonnai-je en levant la main et en enfouissant mon visage dans les oreillers
près de la tête d’Ice. « S’il te plait. »
« Oh, all… » Le
téléphone sonna, coupant heureusement son commentaire avant qu’il ne quitte ses
lèvres. Avant que je puisse bouger, elle était près de la table de chevet,
soulevait le combiné et le portait à son oreille, murmurant des mots que je
n’avais pas la force d’écouter.
Après un instant, elle reposa le
téléphone et me fixa d’un regard que je ne pouvais déchiffrer.
« C’était qui ? »
« Une certaine septuagénaire
un peu vexée de ne pas avoir été invitée pour le thé. »
Oh merde. « Ruby.
Merde, je l’avais complètement oubliée. Avec tout ça, ça m’est sorti de
l’esprit. »
« Et bien, c’est certainement
compréhensible pour quelqu’un qui sait
ce qui se passe. »
« Tu veux dire que tu ne lui
as pas dit ? »
« Bien sûr que non, Angel. Elle
ne sait que ce que les docteurs lui ont dit. »
« Et c’est ? »
« Que je me suis sentie un
peu faiblarde, que je suis tombée et que je me suis cogné la tête contre la
table. Ils m’ont crue. Elle n’a pas semblé me croire mais elle n’a pas cherché
à en savoir plus à ce moment-là. »
« Elle le fait
maintenant ? »
« Pas avec autant de mots,
non. Mais je suis sûre qu’elle apprécierait quelques explications pas trop
obscures. » Corinne mit doucement la main sur mon épaule. « Ruby
tient beaucoup à toi, Angel. Elle sait que tu souffres, mais elle ne sait pas
pourquoi. Tout ce qu’elle sait, c’est que tu sembles l’avoir écartée pour une
raison quelonque. Peut-être que simplement la rassurer de ta bonne santé et de
ta bonne humeur arrangerait les choses. Elle est inquiète, comme je le serais
dans une pareille situation. »
Je hochai la tête, convaincue.
« Je vais l’appeler tout de suite. »
« Ne t’inquiète pas. Elle a
dit qu’elle allait s’absenter quelques jours pour rendre visite à une amie.
Lorsqu’elle sera de retour, peut-être que tu pourrais l’inviter pour
discuter. »
Je soupirai et m’affaissai contre
la tête de lit. « Plus tard, alors. » Je souris légèrement. « Au
moins une bonne chose est sortie de tout ça. »
« Et c’est quoi ? »
Demanda-t-elle en me faisant une très bonne imitation d’Ice, sourcil et tout.
« Vous semblez mieux vous
entendre toutes les deux. »
« Nous... nous
comprenons », fut tout ce qu’elle daigna dire.
*******
Cette conversation avait eu lieu
quelques heures auparavant, bien qu’à juger de l’état de flou dans lequel
étaient mes pensées éternellement vagabondes, ça aurait pu être il y a une
semaine, ou bien une année. Un rapide coup d’œil au réveil me dit qu’une autre
journée avait rendu l’âme pour qu’une nouvelle aube, pas si lointaine, puisse
s’avancer et comme la bête de Betlehem, naître à son tour. (NdlT : tiré de The Second Coming,
William Butler Yeats)
Repasser la dernière année de ma
vie ou presque m’a fatiguée à un point que je ne saurais dire, et pourtant je
n’arrive pas à trouver assez d’énergie pour m’allonger sur le lit et essayer de
dormir. Ou peut-être que ce n’est pas d’énergie que je manque, mais simplement
de courage.
Là où des rêves souvent plaisants
m’aidaient lors des nombreuses nuits solitaires au Bog, les cauchemars règnent
en maître ici, dans l’endroit même où j’aurais cru pouvoir rendre ces rêves
réels.
Près de moi, Ice repose toujours,
sa respiration est profonde et calme. Est-ce
que tu rêves ? Je me le demande en amenant la main chaude toujours
dans la mienne jusqu’à mes lèvres pour déposer un tendre baiser sur les
phalanges.
Elle ne répond pas, bien sûr.
Depuis toutes ces années où je la connais, c’est une des rares questions que je
n’ai jamais osé lui poser.
A part la tension qui la
caractérise même dans cet état particulièrement paisible (sauf, peut-être,
après avoir fait l’amour), elle semble toujours dormir du sommeil des
innocents, préservée du temps, de la mort et du danger, qui ont été ses
compagnons permanents bien plus longtemps que moi je n’ai pris ma place pour la
chérir.
Peut-être que c’est sa récompense,
ce sommeil paisible, pour avoir lutté contre ses démons intérieurs et avoir
choisi de marcher dans la lumière.
Ou peut-être qu’elle rêve
vraiment ; des cauchemars basés sur une réalité que je ne pourrai jamais
espérer saisir vraiment, mais seulement comprendre et accepter, ce que je fais.
Peut-être qu’ils lui ont tenu
compagnie si longtemps que son corps n’use plus d’énergie pour y réagir,
choisissant plutôt de conserver sa puissance pour le moment où l’obscurité
revient la demander.
Mais à la fin, je me rends compte
que cela n’a pas vraiment d’importance. Les rêves d’Ice sont à elle. Qu’elle
choisisse de partager sa vie avec moi, c’est ce qui compte vraiment, et c’est
quelque chose que je chéris comme un cadeau essentiel avec chaque respiration,
éveillée ou bien endormie.
L’expérience m’a appris la leçon
amère de ne jamais considérer ce cadeau comme acquis.
Quand j’ai dit à Corinne que je
quitterais volontairement Ice si je le faisais de nouveau, je pensais chaque
syllabe. C’est une promesse qui vit dans mon cœur chaque jour.
Elle s’est tellement ouverte à moi
dans cette dernière année ; elle a dénudé une âme remplie d’une lumière
tellement brillante et d’une obscurité si profonde ; elle a été tout ce
que j’avais besoin qu’elle soit, et plus encore.
Tellement plus.
Peut-être que d’avoir passé
quelques heures à réfléchir sur tout ce qui avait été mal, ou bien, dans cette
dernière année de notre vie passée ensemble, s’était avéré bien meilleur que
n’importe quoi d’autre le serait jamais. Mon corps était littéralement
douloureux de la réalisation de combien je l’aimais profondément et totalement,
de combien de mon âme elle possédait sans même le vouloir, et de combien
j’avais été proche de tout perdre.
La honte se cache toujours en mon
cœur, et attend son moment sans aucun doute, attend d’attaquer quand je serai
la plus vulnérable. Mais je ne la crains plus. Qu’elle vienne. Je la combattrai
avec l’arme la plus puissante en ce monde.
L’amour.
Je regarde par la fenêtre et je
vois que la pluie a cessé, mais les nuages gonflés, arrêtés sur l’obscurité un
peu obsédante du lac, promettent que la trève ne sera que temporaire.
Mes paupières s’alourdissent,
pourtant mon corps continue à lutter contre l’attrait séduisant du sommeil.
Jusqu’à ce que sa main se détache
de la mienne et que son long corps mince se redresse pour me prendre dans ses
bras, me berçant tendrement tandis qu’elle nous repose sur le matelas. Elle
repousse d’une caresse mes cheveux de mon front et dénude l’espace pour que ses
lèvres viennent s’y poser.
« Dors maintenant »,
murmure une voix sonore, suivie du doux chantonnement d’une berceuse qui me
baigne de sa douce sérénité, chantée par une femme dont le cœur et l’âme sont
plus beaux que l’aube qui finit par apparaître de dessous les nuages noirs.
Et si vous vous demandez, comme
moi, ce que j’ai fait pour mériter tant de beauté et de joie dans ma vie, je
vous répondrai honnêtement.
Je ne sais pas.
Mais ce que je sais, c’est que
chaque jour, de toutes les façons possibles, je me rendrai digne de ce cadeau
inestimable.
C’est la récompense la plus
adaptée que je puis trouver pour tout ce qu’elle m’a donné. Son cœur, son âme,
son corps et son esprit.
Sa vie.
*******
Cinq jours ont passé depuis cette
nuit. Des jours remplis d’un sentiment de paix et d’appartenance plutôt
inattendu, et pourtant bienvenu, étant donné tout ce qui s’est passé
auparavant. Je suppose que d’être forcée par le danger de réexaminer sa vie –
la théologie de la tranchée, comme aurait dit mon père – remet vraiment les
choses en perspective. Il faudra que je me rappelle ce truisme. Comme si je
pouvais un jour l’oublier. (NdlT :
en anglais « foxhole theology » ou « Il n’y a pas d’athées dans les tranchées ». Cette maxime, vieille de plus de cent ans,
signifiait à l’origine que, face à la mort ou au danger, l’être humain se
découvre toujours une foi.)
Ice est bien en chemin pour guérir
complètement, comme on pouvait s’y attendre, étant donné tout ce que je vous ai
raconté sur elle jusqu’ici. Le troisième jour, elle avait même réussi à faire
fuir comme un vol de cailles effrayées, le groupe de bien-pensants réunis
autour de son lit – des vautours observant la mort, comme elle les appelait –
d’un seul regard bien placé et d’un grognement menaçant ajouté pour faire de
l’effet.
J’ai essayé avec force de réfréner
un rire en voyant les expressions sur leurs visages, mais j’ai bien peur de
n’avoir pas très bien réussi. C’était bon de rire à nouveau, pour dire la
vérité.
La pluie semble s’être installée,
étalant une couverture un peu prématurée sur la saison touristique cette année.
Bien que beaucoup de mes amis vivent des visiteurs extérieurs à la ville, je ne
peux pas dire que je suis très triste que la saison se finisse. Plus vite l’été
se terminera, plus vite je pourrai mettre derrière moi toutes les horreurs que
les jours de chaleur ont apportées.
Le bonus pour une saison écourtée,
c’est bien sûr la fermeture anticipée du Pin Argenté et la perte corollaire de
sa propriétaire, une garce de première classe du nom de Millicent Harding-Post.
Je peux vous assurer que les
seules larmes que je vais verser sur cette perte précise seront des larmes de
joie.
Ice dit qu’elle a réfléchi à un
plan pour rendre à Ms. Harding-Post toutes les gentillesses qu’elle nous a
distribuées cette dernière année. Elle n’est pas encore prête à le partager
avec moi encore, mais je serai patiente. Elle me le dira quand elle sera prête,
ça je le sais. Et je sais aussi que je vais en adorer chaque instant.
Bull nous a quittées il y a
quelques jours. J’étais triste de le voir partir, mais, amitié mise à part, ses
talents de guérisseur n’étaient plus vraiment requis. Ice est un toubib plutôt
doué elle-même, et même si elle ne l’était pas, il nous a laissé assez de
fournitures médicales pour ouvrir une clinique. Et alors que la pluie a choisi
de nous rendre visite ici dans les contrées inférieures, là-haut dans les
montagnes, la neige tombe et il fallait qu’il monte aux cabanes de chasse tant
que les routes étaient praticables, pour s’assurer de leur solidité et de leur
ravitaillement pour la saison rude qui s’annonce.
Tom et John nous ont fait leurs
adieux et sont retournés dans leurs familles qui étaient, aucun doute
là-dessus, prêtes à attacher des rubans jaunes autour des vieux chênes dans
l’espoir de leur retour. Même Corinne avait décidé de nous donner un peu de
temps à nous, en choisissant de passer quelques jours en compagnie de Pop, qui
ne se sentait pas très bien après l’excitation des dernières semaines. Je
m’inquiète pour lui, parce que c’est quelqu’un que j’ai fini par aimer
profondément, mais je sais qu’il est en de bonnes mains avec Corinne.
La Veuve Noire semble avoir perdu
de son mordant auprès de Pop.
Et, si je connais bien Corinne
autant que je le pense, s’il doit vraiment
finir par quitter cette vie, il partira avec un sourire sur le visage.
La pluie s’est un peu arrêtée ce
matin et Ice était dehors avant que la dernière goutte ne soit tombée,
déterminée à aider sa force en cours de récupération rapide avec une marche
rapide dans les bois. Grande et fière, avec des vêtements qui couvrent ses
bandages, n’importe qui aurait bien du mal à dire qu’elle a ne serait-ce qu’une
égratignure, encore moins deux blessures par balles et plusieurs longues et
profondes coupures, même moi.
Je l’ai regardée avec respect –
et, pour dire la vérité, une petite once de jalousie – se laver et traverser la
maison à grands pas sans même un soupçon de douleur tandis que je trainassais
sur le canapé, à soigner mon genou toujours douloureux et à faire la moue.
Avec un sourire et un baiser, elle
est partie tester son corps de la façon dont nous, simples mortels, pourrions
tester un gâteau pour voir s’il est assez cuit. Et pourtant, je n’ai pu
m’empêcher de lui renvoyer son sourire et de hocher la tête, sachant parfaitement
qu’il était inutile que je l’attende avant la tombée de la nuit, au moins.
Ce qui me laissait bien entendu
seule, avec une seule chose à faire.
Appeler Ruby, qui était rentreé
chez elle la veille au soir, et l’inviter pour, comme l’avait dit Corinne, une
petite discussion.
C’est une chose que je crains
depuis que Corinne a trouvé judicieux d’amener le sujet cinq jours plus tôt.
Alors que je veux vraiment voir mon amie et mentor de longue date et tout lui
expliquer, je ne veux vraiment pas
voir l’expression dans ses yeux une fois qu’elle aura réalisé que pratiquement
tout ce que je lui ai dit jusqu’ici n’était qu’un mensonge.
Je déteste mentir. Ça va contre
toutes les choses en lesquelles je crois. Je ne suis pas très bonne pour ça,
comme vous l’avez sans doute deviné à présent, et chaque fois que je pense
avoir réussi, je me retourne pour voir un panneau indicateur dans mon dos.
Et pourtant, plus je tarde avec
ça, plus je laisse la vérité se cacher derrière le poids de ma culpabilité et
de ma honte, plus il sera dur de dire enfin la vérité. Comme disait toujours ma
mère quand j’étais jeune, retirer rapidement le sparadrap fait bien moins mal
que de l’arracher petit à petit.
Elle était intelligente, ma mère.
******
Ice est enfin rentrée il y a une
heure, trempée jusqu’au os, mais rayonnant d’une vitalité qui manquait
cruellement cette dernière semaine, les yeux luisant de bonne santé et de bonne
humeur. Elle a refusé de me dire ce qu’elle a fait cette demi-journée, se
disant sans doute que j’allais vouloir m’occuper d’elle et tout et tout, mais
elle a fini par accepter de dire que peut-être une douche chaude et un bon lit
douillet n’étaient pas une si mauvaise idée.
C’est bon de savoir que mes
talents de persuasion fonctionnent toujours. Et c’est même mieux de réaliser
qu’après six ans, j’ai fini par les maîtriser.
Après une douche et un sandwich
que j’avais préparé à la hâte, elle est allée directement au lit, où elle dort
même maintenant, bien emmaillotée face au léger froid de l’air qui persiste
même après que j’ai poussé le feu à un niveau respectable.
L’automne est décidément dans
l’air.
Et je me retrouve assise là, les
tripes tenaillées, à attendre le coup qui va annoncer l’arrivée de Ruby, à
repasser encore et encore dans mon esprit les mots que je lui ai dits, jusqu’à
ce qu’ils soient réduits à leur plus simple expression, sans signification
après autant de répétition.
*******
Le coup finit par arriver et je me
levai d’un coup, mon genou m’envoyant un pincement d’avertissement ce faisant.
J’ajustai mes vêtements et me passai rapidement la main dans mes cheveux, me
sentant étrangement comme une écolière qu’on envoie chez le principal, tandis
que j’allais vers la porte et l’ouvrais pour accueillir mon amie.
Le sourire de Ruby avait l’air
plutôt forcé tandis qu’elle passait le seuil pour entrer, et que je l’amenais
dans la cabane même et la faisait s’asseoir dans le séjour. « Tu veux du
café ? Du thé ? »
« Non merci »,
répliqua-t-elle en s’installant sur le canapé, sans s’inquiéter de me cacher
qu’elle m’évaluait de la tête aux pieds ce faisant. Elle plissa les yeux.
« Comment te sens-tu ? »
« Mieux maintenant »,
répondis-je avec honnêteté.
Elle hocha la tête. « C’est
bon à entendre. »
La conversation, aussi mince
soit-elle, s’interrompit, le craquement du feu apportant le seul bruit dans la
pièce.
Incapable de soutenir le silence
plus longtemps, je pris plusieurs respirations profondes et me tournai vers mon
amie. « Ruby, je suis vraiment désolée de n’avoir pas… »
Elle leva la main, son sourire
légèrement plus volontaire. « C’est bon, Tyler. Je comprends. Je sais ce
qui s’est passé ici. »
Je la regardai stupéfaite.
« Tu le sais ? »
« Oui. J’ai eu quelques
soupçons au début, et ce que j’ai appris depuis me les a confirmés. »
Je penchai la tête. « Est-ce
que… tu voudrais bien m’expliquer, s’il te plait. »
Son sourire devint triste.
« Tyler, je suis peut-être une vieille femme, mais je ne suis ni aveugle
ni sourde. Regarde-toi, Tyler. Tu as des bleus et tu es meurtrie. Tu as été
battue. Et Corinne est pareille. Elle dit qu’elle est tombée et qu’elle s’est
cogné la tête sur la table, mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? »
Je soupirai. « Non. Ça ne
l’est pas. »
Elle hocha la tête d’un air sage.
« Je sais. » Elle se tourna complètement vers moi, et me prit les
deux mains. « J’ai appelé ta mère l’autre jour, Tyler. »
Pendant un instant, j’oubliai de
respirer. « Tu… quoi ? »
« Tu m’as entendue. Elle m’a
dit ce qui s’est vraiment passé pendant que tu étais à Pittsburgh. Que tu lui
as dit que ton mari avait abusé de toi et que tu l’avais tué pour te défendre.
Que tu as passé du temps en prison et qu’on t’a relâchée en appel. »
Stupéfaite n’était pas un faible
mot pour ce que je ressentais, et pourtant, je ne pus qu’hocher la tête,
confirmant ses paroles, me sentant soudain toute petite et toute jeune, et
toute piégée.
« Ta mère n’est peut-être pas
la personne la plus chaleureuse et ouverte au monde, Tyler, mais je crois
vraiment qu’elle croit ce que tu lui as dit. Je sais que moi oui. Tu n’es pas
le genre de personne à tuer quelqu’un de sang-froid. Tu n’as pas ça en toi. Je
le sais. »
Je souris un peu, soulagée qu’elle
au moins, croie en mon innocence.
Elle me retourna mon sourire et me
serra les mains. « Tyler, je connaissais plutôt bien ton père. Il avait
cette cabane bien avant d’épouser ta mère et avait passé de nombreux étés ici.
Je savais quel genre d’homme c’était, et je ne pouvais qu’espérer que ta mère
pourrait le calmer un peu. »
« Je ne suis pas sûre de
comprendre ce que tu es en train de dire », répondis-je, mon esprit
tentant résolumment de suivre les circonlocutions de son histoire et échouant
lamentablement.
« Ton père pouvait être un
homme charmant et aimant de temps en temps, Tyler. Mais il pouvait aussi être
pire qu’un ours enragé si quelque chose lui restait en travers. Plus d’une fois
j’ai eu envie de m’interposer quand sa colère était dirigée contre toi. Mais
pour ma honte éternelle, je restais là à ne rien faire. »
Je la fixais, des émotions
conflictuelles luttant pour trouver leur place en moi. La honte pour un secret
de famille si longtemps tu, finalement porté à la lumière. Du soulagement qu’on
en parle enfin. De la confusion, aussi, de ne pas savoir où cette conversation
menait.
« Avant que je n’épouse mon
mari, j’étais enseignante. Et une des choses que j’ai apprises, c’est que, très
souvent, les filles de pères abusifs cherchent inconsciemment la même chose
dans des conjoints potentiels. Ce n’est pas inhabituel, ni même une chose dont
il faut avoir honte. Je pense que c’est ce que tu as fait avec ton mari. Et je
pense que c’est ce que tu fais avec ton amie Morgan. »
« Quoi ? » Je
retirai brusquement mes mains des siennes, et me mis debout si vite que la
pièce se mit à tourner. Je repoussai le vertige et la fixai, les yeux brillants
de fureur. « Je n’ai aucune idée d’où ça t’est venu, Ruby, mais tu as
tort. Définitivement tort. »
« Ah oui ? »
Demanda-t-elle, les yeux brillant tout autant. « Toi et Corinne vous avez
été battues presque à mort, Tyler. Je suis arrivée là dehors juste à temps pour
l’entendre partir en voiture et t’entendre lui crier de revenir. » Son
visage se figea et ses traits prirent une expression sauvage. « Ne me
prends pas pour une idiote, Tyler. Je sais ce que j’ai vu. »
« Tu es une idiote, Ruby », répliquai-je, sentant une fureur plus profonde
que jamais me consumer de son feu brûlant. « Tu as additionné deux et deux
et tu as trouvé sept. Je pense que tu ferais mieux de partir avant que nous le
regrettions toutes les deux. »
« Elle t’a bien appris ta
leçon, je vois. »
« Sors, Ruby. Tout de
suite. »
« Je sais qui elle est,
Tyler », continua Ruby, refusant de bouger d’un pouce. « Je sais qui
est Morgan Steele. Son nom familier m’était familier quand nous nous sommes
rencontrées pour la première fois. Quand Millicent m’a dit que ces policiers
lui avaient demandé la route pour la cabane, j’ai su que mon pressentiment
était juste. Alors j’ai passé les derniers jours à passer en revue des vieux
dossiers jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais. Elle est la Morgan
Steele qui a tué ces enfants. Celle qui est devenue un assassin de la Mafia.
Celle qui s’est échappée de la même prison dans laquelle tu étais incarcérée.
Celle qui t’a amenée à tomber amoureuse d’elle pour qu’elle puisse avoir un
billet gratuit dans ce pays pour fuir la justice. Et celle qui a finalement
craqué sous toute la pression qu’elle avait mise sur vous deux et a frappé de
ses poings comme un animal. »
J’étais paralysée par ses
accusations, par un malentendu si énorme qu’il ne pouvait pas être réel. Mon
esprit m’hurlait de la faire se taire, de lui arracher les membres un par un,
ou au minimum, de la soulever et de la jeter aussi loin que possible de la
maison que je le pouvais.
Mais mon corps était plongé dans
le plomb, incapable de bouger.
Prenant mon silence pour ce qu’il n’était
pas, son visage s’adoucit. « Ça n’a pas de raison de continuer, Tyler. Je
ne pouvais rien faire avant, avec ton père. Mais je peux maintenant. Je peux et
je l’ai fait. »
Mais ça, ça perça
finalement dans mon esprit. Je m’avançai et la soulevai du canapé par l’avant
de sa robe, le tissu se déchirant lorsque j’amenai nos visages à quelques
centimètres. « Qu’est-ce qu tu as fait, Ruby. Qu’est-ce que tu as
fait ? ! ? »
« Je fais ce que j’aurais dû
faire il y a bien longtemps, Tyler. Je mets un terme à tout ce bazar. La police
est en chemin. Tu n’auras plus jamais à t’inquiéter d’elle. Je te le
promets. »
« Non. » Ce fut un
murmure mais il portait le poids du monde avec lui.
« Oui, Tyler. Oui. Enfin. Je
le fais parce que je t’aime. Tu ne le vois pas ? Je t’aime et je veux ce
qu’il y a de mieux pour toi. Alors viens avec moi. S’il te plait. Tu seras en
sécurité quand la police arrivera. »
« Non ! ! ! »
Je la repoussai comme si elle ne
pesait rien, tournai sur moi-même et montai l’escalier à la hâte, hurlant le
nom d’Ice à pleins poumons tout en courant, glissant, tombant et me relevant.
Elle était déjà réveillée et
debout quand je fonçai dans la pièce. Elle se détourna de la fenêtre, les yeux
luisants et tristes, le visage figé dans une résignation lugubre.
« Ice », dis-je dans un
souffle, en courant vers elle pour la prendre dans mes bras, « tu
dois partir d’ici. Prends la camionnette. Va dans les montagnes. Je te
retrouverai quand tout ira bien. Tu as encore le temps. S’il te plait. Fuis ! »
Elle secoua lentement la tête.
« C’est fini, Angel. »
« Ce n’est pas fini ! Je ne le laisserai pas finir ! » Je tirai sur
elle mais c’était comme si j’essayais de bouger une montagne. « Bon sang,
Ice, bouge. Tout de suite ! ! ! »
Elle retira ma poigne de fer de
son bras et leva ma main vers ses lèvres pour déposer un baiser sur mes
phalanges. « Je t’aime, Angel », murmura-t-elle. « Ne l’oublie
jamais. Jamais. »
« Non. Oh Seigneur, non. S’il
te plait, Ice. S’il te plait, ne fais pas ça. » Voyant les lumières bleues
de ce qui devait être un millier de voitures de police passer entre les arbres,
je secouai la tête dans une négation aveugle. « S’il te plait, Ice, non.
Bats-toi, bon sang ! Bats-toi ! ! ! »
Elle sourit légèrement et me prit
la joue. « Je me bats, ma douce Angel. Pour toi. »
Elle m’attira contre elle et
m’embrassa, longuement et profondément, avant de s’écarter et de prendre ma
main. « Viens. »
Croyant qu’elle avait fini par
retrouver son bon sens, je la suivis rapidement tandis qu’elle descendait
l’escalier et allai dans le séjour où Ruby, de nouveau debout et essuyant le
sang sur ses lèvres, la fixa avec une lueur de haine intense dans les yeux.
Et je ne suis pas le moins du
monde honteuse d’avoir voulu, avec chaque fibre de mon corps, regarder Ice
effacer cette expression sur son visage pour toujours.
Mais au lieu de ça, ma compagne me
poussa dans les bras de Ruby, puis la fixa d’un regard plus brûlant que le
soleil. « Chaque mot que vous avez dit est vrai. Je suis un monstre. Je l’ai manipulée et j’ai fait en sorte qu’elle
tombe amoureuse de moi pour pouvoir avoir un billet gratuit. Elle n’était rien
d’autre qu’un otage. Un ticket de sortie. Et vous devriez bien vous rappeler de
tout ça quand la police commencera à vous interroger. »
Ruby ricana. « Vous ne me faites
pas peur. »
La lèvre supérieure d’Ice se
recourba pour montrer ses dents. « Alors vous êtes vraiment idiote. »
Puis elle se raidit, la tête
tournée vers l’arrière de la maison. « A plat ventre. »
« Vous ne pouvez pas… »
« Tout de
suite ! ! ! »
Sans effort elle nous fit tomber
sur le sol et se mit au-dessus de nous dans une attitude protectrice, la tête
toujours penchée, concentrée sur quoi que ce soit qu’elle entendait.
Les cieux s’ouvrirent alors,
envoyant la pluie sur la Terre dans un déluge tandis qu’un éclair divisait le
ciel et que le tonnerre explosait au-dessus de nous, secouant la maison.
Je l’entendis alors, le bruit des
sirènes qui encerclaient la cabane. Je luttai pour me remettre debout mais Ice
me repoussa, me clouant au sol de son regard noir intense.
« Votre attention dans
la cabane ! Vous êtes encerclés. Sortez tranquillement les mains au-dessus
de la tête et personne ne sera blessé ! Votre attention dans la
cabane ! Vous êtes encerclés. Sortez tranquillement les mains au-dessus de
la tête et personne ne sera blessé ! »
« Reste là », dit Ice en
me lançant un dernier long regard avant de se détourner et de partir vers la
porte.
« Ice ! !
Non ! ! ! »
Mais elle n’écoutait pas. Foutue
bonne femme, elle n’écoutait pas.
Je me mis difficilement debout et
faillis tomber sur Ruby quand celle-ci tenta de me retenir, je la repoussai
furieusement au sol.
Je courus après la silhouette de
ma compagne qui s’éloignait, mais j’arrivai à la porte une éternité trop tard.
Les policiers grouillaient autour
d’elle, poussant son corps sans résistance au sol sur son estomac tout en lui
tirant les bras derrière le dos pour la menotter, leurs armes sorties et
pointées sur elle avec une intention mauvaise.
Lorsqu’ils la remirent debout, son
beau visage était taché de boue et de sang. L’avant de sa chemise, juste
auparavant d’un blanc brillant, était peint de marron des sutures qui s’étaient
arrachées.
Comme un homme changé en pierre
par un dieu vengeur, j’étais condamnée à rester regarder mon monde tout entier
emporté dans la nuit.
Il faisait froid. Si froid.
Et sombre, comme au fond d’une
tombe fraîchement creusée.
Mon corps tout entier était
engourdi ; mon cœur enchâssé dans un bloc de glace qui promettait de ne
jamais fondre.
Je sentais la pluie autour de moi,
tombant en des draps de feu brûlant presque horizontaux, agités par la frénésie
d’un vent épouvantable.
Un volet de bois, arraché par la
puissance de la tempête, cognait sans cesse contre la paroi en bois abîmée,
faisant résonner un glas par-dessus le hurlement du vent et le gémissement des
sirènes. Des sirènes qui, comme le brouillard, se rapprochaient de plus en
plus, pas sur des pattes de velours non, mais sur des griffes sanglantes de
dragon.
Un éclair traça un dessin pointu
sur le ciel, s’imprimant sur mes rétines.
Le tonnerre résonna et roula,
amenant une pensée saugrenue dans mon esprit. Dieu joue encore au bowling avec les anges, disait la voix de mon
père sortie quelque part de la tombe.
Et pourtant j’attendais, aveugle
et figée comme une sorte de statue immortelle. J’attendais que le vent cesse sa
furie incessante. J’attendais que la pluie écarte son rideau opaque.
J’attendais une vision que mes
yeux ne pouvaient voir. Une vision que mon âme ne pouvait oublier.
Comme attirées dans la clairière
par la force de ma prière silencieuse, d’autres voitures arrivèrent, leurs
pneus projetant la boue. Leurs phares puissants brisaient le manteau de brume,
illuminant la scène que je souhaitais si désespérément voir, figée sur le
porche de la maison que j’avais aidé à construire.
Un foyer, un rêve, que je
quitterais de mon plein gré, sans m’arrêter pour regarder derrière moi, si
seulement quelqu’un voulait retirer ces écailles de mes yeux.
Si seulement.
Elle se tenait là, droite et grande, éclairée par la lumière
artificielle derrière elle ; mon amour, mon cœur, mon âme. Le dos fier et
droit, la tête haute, les yeux flamboyants.
Fière, oui. Mais impuissante.
Pas contre les bras qui la retenaient, ni contre les liens qui
entouraient ses bras puissants, ni même contre les armes pointées vers chaque
point vulnérable d'un corps autrement invulnérable.
Non, pas contre ça. Jamais contre ça.
Impuissante contre le poids d'un passé qui s'était, une fois
de plus, retourné contre elle.
Impuissante contre le poids d'un amour pour lequel elle avait
vendu son âme.
J'emporterai l'expression de ses yeux dans la tombe. Une tombe
qui, si Dieu veut, ne sera pas longue à venir.
De la colère contre son passé qui s'imposait. De la rage
contre les bras qui la retenaient, contre les armes qui la poussaient de leurs
canons argentés et creux. De la tristesse aussi, que la chance que nous avions
eue s'arrête si vite.
Et de l'amour.
Toujours de l'amour.
Elle écarta les lèvres et je me forçai pour entendre ses mots
par-dessus la furie redoublée de la tempête. Mais même eux me furent enlevés
aussi sûrement qu'elle allait être emportée dans la brume qui n’apporte que des
conclusions.
Mais pourtant, je regardais ces lèvres former des mots que
seul mon cœur pouvait entendre.
Je t'aime.
Et puis arrivèrent les mots qui brisèrent mon âme.
Adieu.
****************
Fin
NdlT :
fini de traduire en décembre 2009 – Pour information, en anglais cette histoire
a une suite (non traduite à ce jour mais qui le mériteraitJ)
« REPARATION » et qui clôt la trilogie de Sword’n’Quill.