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24 janvier 2010

Réparation, chapitre 1A

Réparation

Chapitre 1, 1ère partie

******************

Ecrit par Susanne M. Beck (Sword'n'Quill)

(Traduit par Fryda (commencé le 19/12/2009))

Avertissements (de la traductrice) : Les personnages de ce roman sont la création de l’auteure. Cette histoire est une 'uber' et c'est une suite de Retribution (traduit sous le titre de Répression), qui est à son tour une suite de Redemption (traduit sous le titre de Rédemption). C’est donc une trilogie et il faut vraiment que vous lisiez les précédentes avant de vous lancer dans celle-ci. Et comme le dit l’auteure : il y a peut-être une ressemblance avec des personnages que nous connaissons et aimons, et qui sont la propriété de PacRen et Universal Studios.

Avertissement sur la violence et le langage cru : L’auteure s’est plus lâchée que dans la précédente, pas autant que dans Rédemption mais il y a pas mal des deux ici et n’oubliez pas qu’on a affaire à pas mal d’anciennes taulardes mêlées à d’autres énergumènes plutôt bien assortis.

Avertissement de subtext : Il y en a aussi. Cette œuvre traite de l'amour et de son expression physique entre deux femmes adultes. Il y a des scènes crues dans cette histoire, que l’auteure a essayé de rendre avec autant de bon goût que possible pour ne pas offenser les âmes sensibles. (NdlT : j’ai aussi tâché de faire de mon mieux :-)

 

*****************************

 

Le temps est la pièce de monnaie qui mesure votre vie. C’est la seule que vous avez et vous êtes le seul/la seule à pouvoir déterminer comment elle sera dépensée. Soyez attentif à ce que d’autres ne la dépensent pas pour vous.

Ma mère avait toujours adoré Carl Sandburg. Je ne sais pas pourquoi. Lire un de ses poèmes m’avait toujours fait penser à l’odeur de la craie et de l’encre à polycopier, et à la voix ronronnante de Mme Davis qui m’intimait de venir sur l’estrade pour réciter son œuvre « par cœur, Miss Moore, s’il vous plait. »

Je n’ai jamais aimé Mme Davis.

J’aime encore moins Sandburg.

Et pourtant, sans en avoir le désir conscient, j’entendis cette citation dans mon esprit alors que j’étais assise sur un banc au dossier haut près du centre de ce même tribunal où, sept ans auparavant presque jour pour jour, ma vie telle que je la connaissais alors, avait pris fin.

Les tribunaux sont des endroits intéressants. Comme les prisons, ils ferment les yeux au passage du temps tel que le reste de la société le connait. Les modes ne signifient rien. Le passage des saisons n’est rythmé que par les couches de vêtements que les visiteurs portent en entrant. Pour les victimes, les roues sont pesantes dans leur lenteur. Pour les accusés, seuls les éclairs vont plus vite.

La Justice, cette femme aux yeux bandés qui tient une balance dans une main et un livre dans l’autre, se contente de s’éterniser, sans rien voir, sans s’occuper de rien, tenue par des lois qui sont là depuis des siècles, quasiment les mêmes qu’à leur création.

Le temps, plutôt que de ressembler à une pièce de monnaie, était tel un tunnel dans lequel le passé et le présent avançaient pour se mêler dans un espace fini unique, m’affectant d’un sentiment étrange de déjà vu. Bien que j’étais maintenant assise derrière le portillon qui séparait les accusés des victimes, au lieu de devant comme ça avait été le cas sept ans auparavant, mon but était essentiellement le même.

Je luttais pour ma vie.

Et bien que ce combat fût plutôt silencieux, je luttais avec plus d’intensité et de désespoir que je n’avais jamais lutté pour quoi que ce soit auparavant.

Et, tout comme il y a sept ans, j’étais en train de perdre.

Méchamment.

Allez, Ice. Je sais que tu sais que je suis là. Je sais que tu sais que je suis là depuis que le procès a démarré. Retourne-toi, s’il te plait. Il faut que je voie ton visage. Il faut que je sache que tu vas bien. Il faut que je sache que… tu ne me hais pas.

Si mes yeux avaient été des rayons laser, ils auraient foré un trou dans son crâne, tellement était grande l’intensité de ma prière inconsciente. Mais puisque Dieu avait décidé de ne me pourvoir que d’objets destinés à saisir la lumière, mon regard appuyé était aussi efficace que des bottes en caoutchouc sur des poulets.

Ce qui signifie, absolument pas efficaces du tout.

Un murmure parmi les spectateurs, suivi de coups de marteau du juge, me sortit de mes pensées et je regardai autour de moi, surprise.

« Silence ! Je veux le silence dans cette salle ! » Alors que le marteau frappait à nouveau, le bruit se calma et je me tournai pour regarder Corinne, assise sur ma gauche, les sourcils dressés d’interrogation.

« Donita vient juste de demander un verdict imposé», murmura mon amie, ses lèvres toutes proches de mon oreille, son odeur réconfortante recouvrant, pour le moment du moins, celle âcre de trop de gens entassés les uns contre les autres dans une pièce quasiment sans air.

« C’est quoi un verdict imposé ? » Demandai-je aussi doucement que possible pour ne pas attirer sur moi l’attention de la juge imposante.

« Basiquement, ça signifie que la défense pense que les preuves de l’accusation sont si minces qu’elle n’a pas besoin elle-même de présenter une preuve contraire, et elle veut qu’on rende un verdict tout de suite. » (NdlT : La requête pour verdict imposé ou en non-lieu : la poursuite doit, avant de déclarer terminée la présentation de sa preuve, avoir soumis une preuve complète de l'infraction, i.e. sur chacun des éléments qu'elle devait prouver. Le non-respect de cette obligation entraînera l'acquittement de l'accusé sans que ce dernier n'ait à décider de présenter ou non une défense)

« Mais c’est de la folie ! » Dis-je, un peu plus fort que je n’en avais l’intention.

Pas mal plus fort, remarquai-je, alors que les yeux noirs de la juge, grossis à la taille de balles de golf derrière ses énormes lunettes à montures d’écailles de tortue, dirigeaient leur colère vers moi. « Pour ceux d’entre vous qui auraient du mal à comprendre les choses simples », dit-elle d’une voix qui dégoulinait d’une patience outrancièrement exagérée, « je vais me répéter une fois de plus. Si l’un d’entre vous imagine faire, ne serait-ce qu’un seul bruit pendant que la Cour officie, je le ferai personnellement escorter hors de mon tribunal jusqu’à une cellule plutôt inconfortable pour le reste de la journée. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Si une tornade avait choisi cet endroit particulier pour se manifester, je n’aurais été que ravie de ficher le camp. Mais comme le ciel décida plutôt de rester bleu et ensoleillé, je m’enfonçai dans mon siège aussi profondément que je le pus et fis de mon mieux pour ne pas remarquer que mes voisins s’écartaient rapidement, comme s’ils venaient d’apprendre que j’étais porteuse de la peste bubonique.

Lorsqu’un silence absolu et intégral régna à nouveau dans le tribunal, la juge hocha la tête d’un air autoritaire et tourna son regard vers l’avant de la pièce. « Avocats, approchez-vous s’il vous plait. »

Je regardai Donita se lever et lisser la jupe de son tailleur rouge vif avant d’approcher de la juge, le procureur sur ses talons. Puis je me tournai à nouveau vers Corinne, m’assurant que ma voix était à son registre le plus bas. « C’est de la folie. Est-ce qu’elle a écouté l’accusation ? Je pense qu’ils vont mettre ça dans le dictionnaire de droit juste à côté de la définition du ‘cas transparent’. » (NdlT : open-and-shut case en anaglais, qui signifie que l’affaire ne fait aucun doute)

« On pourrait le penser, oui », murmura-t-elle à son tour. « Mais Donita a toujours été plutôt perfectionniste. Je suis sûre qu’elle a une carte ou deux dans sa manche. »

« Seigneur, j’espère que tu as raison. » Je me tournai pour faire face à nouveau à la Cour, mon regard fixé sur l’arrière noir brillant de la tête de ma compagne qui elle, comme elle l’avait fait depuis le premier jour du procès, regardait droit devant elle.

« Elle sait que tu es là, Angel », murmura Corinne, lisant mes pensées.

« Alors pourquoi elle ne me regarde pas ? Ça fait trois mois, Corinne. Trois mois ! » Je me mordis l’intérieur de la joue pour garder la voix basse alors que je sentais la piqûre des larmes dans mes yeux.

Une saison entière était passée depuis cette nuit horrible et fatidique où mon univers tout entier avait été brisé, au-delà de toute réparation semblait-il. Une saison de larmes, de culpabilité, de désespoir. Une saison de trajets répétés jusqu’au Bog, juste pour être renvoyée à la porte. Une saison d’appels téléphoniques sans réponse et de lettres retournées. Une saison sans manger et sans dormir.

Et maintenant, après trois longs mois passés à mourir à chaque heure écoulée, j’étais enfin assez près pour la toucher et elle ne regardait même pas dans ma direction.

« Je suis sûre qu’elle a ses raisons, Angel. »

Ce n’est que là que je détournai les yeux de ma compagne insensible pour clouer Corinne sur son siège de mon regard. « J’espère seulement que tu ne sauras jamais combien j’ai la nausée de cette foutue piètre explication, Corinne. »

A peine outrée par mes paroles sarcastiques, Corinne tourna calmement la tête vers l’avant, avec l’air de regarder la procédure toujours silencieuse avec un intérêt attentif et me laissant, une fois de plus, rager toute seule.

Un claquement de talons sur le sol en bois bien ciré attira à nouveau mon attention vers le devant de la pièce. Donita saisit mon regard et sourit légèrement avant de se retourner et de se rasseoir près de ma compagne. Je ressentis un éclair irrationnel de jalousie cinglante lorsqu’elles penchèrent leurs têtes pour se rapprocher, Ice acquiesçant pour répondre à sa belle avocate d’une manière que je ne l’avais vue faire qu’avec moi.

Ça suffit maintenant, Angel, dis-je, à peine capable de m’empêcher de le dire tout haut. C’est son procès et cette femme là, c’est la meilleure chance qu’elle ait de pouvoir sortir de ce bazar.

Et pourtant, je ne pus m’empêcher de soupirer de soulagement lorsqu’Ice hocha la tête et qu’elles se séparèrent, prenant toutes deux la même posture de confiance tranquille tandis qu’elles attendaient que la juge prononce les paroles suivantes.

« L’audience est suspendue pour une durée indéterminée. J’attends les deux avocats dans mon cabinet demain à midi. Vous pouvez vous retirer. »

Le marteau résonna tandis que l’huissier s’avançait. « Levez-vous. »

Me sentant étrangement comme faisant partie d’une congrégation de fondamentalistes extrémistes – les Pentecôtistes peut-être – je me levai en communion avec mes voisins et regardait la petite juge, qui ne ferait pas

1,50 m

même si elle se tenait sur la pointe des pieds sur l’annuaire des pages blanches de New York, attraper sa robe et quitter la salle du tribunal par une porte arrière située juste sur la gauche de son siège.

Puis le jury, composé de cinq hommes blancs et de sept femmes blanches, sortit par une autre porte, incité par l’huissier toujours serviable. Leurs visages étaient inexpressifs tandis qu’ils sortaient à la queue-leu-leu, comme des enfants obéissants quittant la salle de classe le dernier jour de l’école.

Ce ne fut que quand le dernier juré eut quitté la salle qu’une troisième porte s’ouvrit, lassant passer quatre gardes bien armés, dont deux portaient, comme des vêtements cruels destinés à une reine déchue, des menottes et des chaines avec lesquels on allait garder la société en sécurité face à la femme que j’aimais.

Ice se tenait debout, détendue, tandis qu’ils entouraient sa taille fine d’une chaine, et elle leva tranquillement les poignets pour qu’un garde trop zélé les menotte tandis que les autres regardaient, les mains sur leurs armes dans leurs étuis. Même avec des talons plats, elle les dépassait tous, l’air élégant et raffiné, l’antithèse totale d’un animal enchainé dans son costume noir de grand couturier.

Ses poignets sécurisés, un autre garde s’agenouilla, avec une vue très rapprochée de ses jambes qui n’en finissaient pas – une vue pour laquelle j’aurais tué à ce moment ou à n’importe quel autre – tandis qu’il attachait les fers à ses chevilles avant de se relever, un sourire presque penaud sur son visage autrement sombre.

Ça aurait pu être drôle, cet enchainement minutieux et rituel d’une femme assez belle pour quasiment sortir d’une couverture de magazine de mode, hormis l’air dangereux toujours présent qui planait autour d’elle comme un halo terni presque – mais pas tout à fait – visible.

Je sentis mes voisins réagir lorsqu’elle s’étira nonchalamment, les chaines tintant avec ses mouvements aisés, les longues lignes musclées de son corps parfait à peine cachés sous la coupe onéreuse de son costume.

Tout autour de moi, la foule de spectateurs se raidit comme si le tribunal était le Colisée de Rome et Ice le lion affamé.

Est-ce que la bête partirait en paix, ou bien allait-elle vouloir se nourrir ?

Je jurerais en avoir au moins entendu un soupirer de déception quand Ice prit position docilement au centre de l’armée de gardes, sans regarder ailleurs que l’espace juste devant elle, maintenant occupé par le crâne à la calvitie naissante d’un garde qui entraina la procession hors de la salle.

Des murmures tranquilles s’élevèrent dans le vide laissé et je sentis les murs se rapprocher sur moi à nouveau. « Il faut que je sorte d’ici », dis-je à Corinne, en me frayant aveuglément un chemin à coup d’épaules à travers la foule qui s’amassait, mes poumons asphyxiés et mon estomac faisant des nœuds. Mon cœur, lui, ne faisait aucun bruit. Il avait déjà été brisé et restait tranquille tandis que le reste de mon corps se rebellait.

Je sentis que Corinne me suivait mais je ne lui accordai qu’une pensée furtive, tellement était grand mon besoin de me libérer d’une pièce qui retenait entre ses murs les pires journées de ma vie.

Je passai les portes ouvertes et ne m’arrêtai pas avant d’être dehors sur les marches, les mains sur les genoux, haletant pour avaler de l’air au milieu des sanglots. La tête me tournait comme si je venais de descendre d’un manège de foire et mon champ de vision était réduit à un point de lumière entre mes pieds.

Je vais m’évanouir ! Pensai-je avec incrédulité au moment où mes genoux se mirent à s’entrechoquer.

Heureusement, ma rencontre imminente avec le ciment fut par bonheur arrêtée par deux bras puissants qui m’enlacèrent et me remirent debout.

Lorsque mon champ de vision s’élargit enfin, ce fut le beau visage de Donita que je vis, ses yeux plissés d’inquiétude fixés sur moi. « Tout va bien, Angel ? »

Je secouai la tête pour l’éclaircir, en l’occurrence une très mauvaise idée lorsque ça ne servit qu’à remettre en route le carrousel. Elle me serra plus fort et je ressentis de la gratitude pour son étreinte inquiète, usant de la sécurité et de la force qu’elle m’offrait pour reprendre la mienne avant de m’écarter à contrecœur. « Oui, ça va. Je pense. »

Elle me sourit légèrement. « Vous pensez ? »

« Et bien, je ne me suis jamais évanouie avant, alors je ne peux pas être trop sûre. »

Son sourire s’agrandit et elle me relâcha complètement, mais entoura mon épaule de son long bras et me guida loin de la foule en bas des marches. « Et bien, on va vous installer à l’ombre pour que ça ne recommence pas, d’accord ? »

« C’est… plutôt une bonne idée pour l’instant. »

Corinne se mit de l’autre côté et ensemble, nous traversâmes l’herbe du tribunal brunie par l’hiver, pour nous mettre sous un chêne dénudé qui produisait quand même au moins un peu de répit face au soleil étonnamment puissant de novembre.

Des bancs en faux marbre entouraient une table ronde en béton et je m’assis avec bonheur sur l’un d’eux, appréciant la douce fraîcheur de la pierre sur mon corps surchauffé et surstressé. Après un moment, me sentant de nouveau à peu près moi-même, bien que vidée, je levai les yeux vers Donita qui était toujours là, debout, une main élégamment posée sur la table. « Pardonnez-moi si je semble impertinente, mais pourquoi êtes-vous ici ? Vous ne devriez pas être avec Ice ? »

« Elle est en chemin pour le Bog. Je la reverrai plus tard. »

« Le Bog ? Pourquoi est-ce qu’on ne la garde pas ici pour la durée du procès ? »

« Elle risque de s’évader. La cour pense que sa petite prison de comté ne pourrait pas la retenir. »

Je secouai la tête, incrédule. « Est-ce qu’ils ont oublié qu’elle s’est livrée à la police ? » Je ne voyais pas comment ils pouvaient l’avoir oublié en fait. C’était une scène qui hantait chaque minute de ma vie.

Donita eut un léger rire. « Ça ne compte pas pour eux. C’est une dangereuse criminelle, selon eux. Elle s’évade à nouveau, et des têtes vont tomber. »

« Alors encore une fois… pourquoi êtes-vous ici ? »

Elle s’assit en face de moi et posa sa mallette sur la table avant de croiser ses mains dessus. « Parce qu’il faut que vous soyez avec nous dans le cabinet de la juge demain, Angel. C’est très important que vous soyez présente. »

Un sentiment curieusement proche de la terreur me traversa, mais cette fois j’y étais préparée et je le laissai passer. « Ça vous ennuierait de me dire pourquoi ? »

« Je ne peux pas. Pas encore. Mais vous le saurez demain. »

La réponse ‘pas vraiment satisfaisante’ pâlissait cependant en comparaison de la question que j’hésitais à poser.

« Oui », dit Donita, en y répondant quand même. « Elle sera là. »

« Alors j’y serai aussi. »

Elle tendit les mains et serra les miennes avant de se lever et de reprendre sa mallette. « Merci, Angel. Alors à demain. Je vous dis au revoir pour l’instant. Au revoir, Corinne. »

Elle avait fait trois pas, peut-être cinq, quand je me mis brusquement debout. « Donita ! »

« Oui ? » Demanda-t-elle en se retournant à demi.

« Dites-lui… vous voulez bien lui dire que je l’aime ? »

Son sourire était presque triste quand elle hocha la tête. « Je le ferai. »

« Merci. »

« Au revoir, Angel. »

« Au revoir », murmurai-je alors qu’elle s’éloignait.

Je levai les yeux lorsque la main chaude de Corinne atterrit doucement sur mon épaule. « Viens », dit-elle en donnant un coup de tête vers la gauche, « partons de ce petit gâchis de terrain immobilier de première classe avant que les oiseaux ne commencent à nous confondre avec des ornements de pelouse qui auraient besoin d’être décorés à leur tour. »

Je souris un peu et pressai sa main. « Si ça ne t’ennuie pas, je pense que je vais rester ici un petit moment. Continue, toi. Je vais prendre un taxi et je te retrouverai à l’hôtel. »

« Tu es sûre ? Je peux rester si tu veux. »

Je hochai la tête. « J’en suis sûre. Je rentre dans un petit moment. »

« Très bien. » Son odeur emplit à nouveau mes sens lorsqu’elle se pencha et me déposa un petit baiser sur la joue. « Reste forte, Angel. Ceci arrive pour une bonne raison. Demain tu sauras de quoi il retourne. »

« J’espère que tu as raison, Corinne. »

« J’ai toujours raison, Angel. »

Je la regardai traverser la pelouse et monter dans un taxi en attente. Ce n’est que lorsque la voiture jaune brillante s’éloigna que je posai la tête sur la table froide, les yeux fermés, me remplissant de l’image de ma compagne telle que je m’en souvenais ; libre et belle, les yeux remplis d’amour.

« Seigneur, Ice », murmurai-je. « Que tu me manques. »

*******

L’horloge marquait le quart d’heure lorsque je fus emmenée dans le cabinet d’une certaine juge Judith Allyson Baumgarten-Bernstein, dont le nom était plus long qu’elle-même n’était grande et ceci après au moins un long kilomètre et demi tortueux.

Dans la mesure où ma seule approche d’un cabinet de juge se limitait à l’émission Night Court (NdlT : Tribunal de nuit : SITCOM des années 80/90 dont les histoires se passent… dans un tribunalJ), je ne savais pas exactement à quoi m’attendre lorsque je passai la porte en chêne massif qui gardait le Sanctum Sanctorum comme un Sphinx aveugle gardait les secrets des tombes égyptiennes.

Night Court doit avoir eu un conseiller juridique, pensai-je en jetant un rapide et pas très subtil coup d’œil circulaire pour m’assurer que j’étais la première arrivée. Ou alors un type qui a passé trop de temps dans les tribunaux. Du mauvais côté.

Ce n’était pas de la décadence urbaine de la première heure, mais dans tous les autres aspects, tout ce qui manquait, c’était un huissier imposant de plus de deux mètres pour me faire penser que j’étais entrée sur un plateau de studio Dieu sait où (NdlT : toujours une allusion à la série et à un acteur gigantesque, Richard Moll, qui jouait un huissier). Tous les signes familiers et attendus se trouvaient là : des diplômes de droit encadrés, des lettres d’éloges allant d’un citoyen de haut rang à l’autre – dans l’unique but de citer leur acquointance sans aucun doute – des livres en cuir reliés posés en rangées sur des étagères en bois rayé, un porte-manteau derrière la porte, et même une photo sur un large bureau vernis. Mais au lieu de Mel Tormé (NdlT : acteur, chanteur apprécié du juge de la série NC), l’image montrait un jeune homme à lunettes portant toque et robe et ressemblant tellement à la bonne juge qu’il y avait peu de chances qu’il soit autre chose que son fils.

Et, au centre de tout ça, le champ de bataille, une grande table carrée avec trois fauteuils d’un côté, dont le dessus hautement poli luisait d’un air suffisant dans la lumière douce, m’accablant de la myriade de secrets qu’elle seule pourrait dévoiler.

Tandis que je me tenais là à passer le doigt sur le dossier du fauteuil le plus éloigné du bureau de la juge, la porte s’ouvrit sur une Donita souriante, vêtue de l’un de ses innombrables et merveilleux tailleurs, celui-ci d’un vert brillant. Après m’avoir chaleureusement et amicalement embrassée, elle tira un fauteuil pour moi avant de s’asseoir juste à ma droite et de poser sa mallette sur la table.

« Est-ce qu’elle est ici ? » Demandai-je, cette première question toujours à mon esprit.

« Oui, elle est ici. »

Je hochai la tête puis déglutit. « Est-ce qu’elle sait que je suis là. »

« Elle le sait. »

Avant que je puisse ouvrir la bouche pour poser une autre question, le Procureur entra précipitamment, nous lançant un bref coup d’œil tout en s’asseyant, avant d’en jeter un autre à sa montre comme pour nous rappeler que son temps était bien trop précieux pour être gâché avec des gens de notre sorte.

Il était l’incarnation de tous les procureurs, vivants, morts ou fictifs, que j’avais jamais vus. Keebler doit les fabriquer en série, pensai-je, me mordant l’intérieur de la joue en imaginant les petits elfes travaillant dur dans leur maison dans les arbres pour fabriquer procureur après procureur après procureur et les emballer pour les envoyer vers des endroits inconnus. (NdlT : la société Keebler fabrique des gâteaux et ses mascottes sont des elfes)

Costume sombre, cravate militaire, cheveux bruns raides coupés par une personne aux mains sûres et sans une once de créativité, et des traits si mielleusement beaux qu’on l’oublierait sitôt qu’on l’aurait dépassé perdant son sang dans le caniveau.

Ce qui, bien entendu, était exactement l’endroit où je l’imaginais.

Juste au moment où j’allais serrer le nœud de sa cravate si haut et si fort sur son cou que le son suivant qu’il produirait serait un hoquet sifflant au lieu d’un soupir agacé, la porte s’ouvrit et la juge entra majestueusement, sa robe noire flottant autour d’elle comme les voiles d’un minuscule bateau pirate fonçant à toutes pompes sur un port infortuné.

« Je suis si contente que vous ayez tous pu arriver à temps », dit-elle en s’asseyant dans le fauteuil au bout de la table et en nous scrutant chacun notre tour. Le regard qu’elle me lança me fit comprendre de manière plus que certaine qu’elle se souvenait de ma petite sortie dans son tribunal, et que son offre pour une cellule confortable pour la nuit était toujours valable si j’étais encore encline à réagir de la même façon en sa présence.

Je fus tentée de lui dire que cette cellule ne me faisait aucunement peur, mais quelque part je pense qu’elle le savait déjà.

« Bien, si nous sommes prêts à commencer, que l’huissier fasse entrer l’accusée. »

Quatre paires d’yeux, aucune plus anxieuse que la mienne, se tournèrent vers la porte face à celle par laquelle j’étais entrée, lorsqu’elle s’ouvrit pour admettre deux gardes au visage figé suivis de près par l’invitée d’honneur, enchainée et menottée. Resplendissante dans sa combinaison orange vif de prisonnière, elle était exactement comme la première fois que je posai les yeux sur elle ; froide, calme, pleine de sang-froid et fidèle à son surnom.

Comme toujours, le battement de mon cœur s’accéléra et ma bouche s’assécha à sa vue et il me fallut chaque once de volonté pour ne pas me lever d’un bond et me précipiter vers elle ; pour ne pas mettre mes bras autour d’elle et enfouir mon visage dans la douce chaleur de sa peau ; pour ne pas attraper l’arme d’un des gardes pour tenter une évasion, en tirant de tous les côtés.

L’expression dans son regard quand il croisa le mien stoppa cependant toutes ces pensées à peine nées. Brillants et argentés, ses yeux étaient absolumment vides et morts, comme si son âme était déjà partie vers des pâturages plus verts, ne laissant que la coquille de son corps derrière elle.

Un frisson involontaire parcourut mon corps et seule la chaleur de la main de Donita sur la mienne me donna la force de rester où j’étais, et de retourner le regard qu’elle me lançait avec autant de chaleur et d’amour que je pouvais en donner.

Dans un léger tintement de chaines, Ice s’assit avec grâce dans le fauteuil que le garde avait tiré pour elle, son regard quittant finalement le mien pour se tourner vers la juge, qui la fixa à son tour avec une expression indéchiffrable.

« Et bien », commença la juge après un moment, le ton de sa voix juste un peu moins confiant qu’auparavant, « puisque nous sommes tous présents et légitimes, pouvons-nous commencer ? »

Les deux avocats ouvrirent leurs mallettes et en sortirent d’épaisses enveloppes kraft pleines de documents. Le procureur ouvrit son dossier le premier, en sortit un document très épais couvert de haut en bas de caractères dactylographiés et le fit glisser vers la juge, qui ajusta ses lunettes et commença à lire.

Complètement perdue et faisant de mon mieux pour ne pas m’agiter, je choisis de passer ce moment de calme pour regarder Ice et lire l’histoire de sa capture dans les traits maigres et pâles de son visage. Des traits qui me disaient que les trois derniers mois n’avaient pas été plus bienveillants pour elle qu’ils ne l’avaient été pour moi.

Et bien que pour un étranger, sa posture pouvait paraître complètement détendue et totalement confiante, je pouvais dire en regardant les mouvements des muscles sur son dos large qu’elle était plus tendue qu’un ressort de montre.

Après quelques instants, la juge finit par lever les yeux du document et les plisser légèrement. « Ceci est plutôt… irrégulier. »

Le procureur hocha la tête et plia ses longues mains sur le dossier ouvert. « Je le sais, Votre Honneur, mais c’est dans les limites de la loi. »

« Je m’en rends bien compte », répliqua-t-elle avec brusquerie, tout en repoussant le document vers lui. « Ou pensez-vous qu’on reçoit cette robe en cadeau au fond d’une boite de biscuits ? »

Donita ricana doucement lorsque le procureur rougit et lui lança un regard noir peu convaincant.

« Et vous êtes d’accord avec ceci ? » Demanda la juge à Donita, avec de l’incrédulité dans la voix.

« Je le suis, Votre Honneur. »

La juge secoua la tête d’étonnement et se tourna vers le procureur. « Lisez l’accord tout haut, si vous voulez bien, que tout le monde sache de quoi il retourne. »

Mon regard de gratitude fut dédaigneusement ignoré.

Le procureur s’éclaircit la voix et ajusta sa cravate avant de lever le document et de le parcourir. « Le ministère public accepte d’abandonner toutes les charges contre l’accusée, Morgan Steele, liées à son évasion de la prison correctionnelle pour femmes de Rainwater et de plus, accepte de demander au juge de commuer la sentence précédente à la peine déjà purgée. »

Ma première impulsion de sauter en l’air et de hurler ma joie – au diable l’ordre de la juge – s’éteignit à l’instant même où je réalisai qu’il n’avait pas tout à fait terminé.

« L’accusée sera remise en liberté sur son engagement personnel qu’elle assistera les forces de police pour appréhender et conséquemment faire condamner Joseph Cavallo. Elle sera sous l’examen constant desdites forces de police et devra se conformer à une période de temps décidée à l’avance par l’Etat, dans laquelle cette capture devra être effectuée. Si elle manque à son devoir, l’accord sera déclaré nul et non avenu et elle sera de nouveau mise en détention préventive sous la juridiction de l’Etat et forcée de servir la totalité de sa peine en plus de toute autre peine que le juge souhaitera lui imposer suite à son évasion. Le ministère public demandera bien entendu que la peine maximale soit ajoutée à la fin de la sentence.

« Non », murmurai-je en plaquant les mains sur le bureau et en me mettant brusquement debout. « Non ! Ceci est ridicule ! Ice, tu ne peux pas faire ça ! Donita, dites-lui ! »

« Asseyez-vous, Ms Moore », ordonna la juge, ses yeux clignotant comme des néons d’avertissement derrière ses verres de lunettes épais.

« Non ! Pas avant que quelqu’un ne crie ‘Poisson d’avril’ ! Donita, vous ne pouvez pas la laisser faire ! Vous ne pouvez pas la laisser retourner dans le puits dont elle a eu tant de mal à sortir ! Vous ne pouvez pas ! »

« Asseyez-vous, Ms Moore ! Je ne le redirai pas ! »

« Pourquoi faites-vous ça ? » Insistai-je en l’ignorant. « Donita, pourquoi ? Vous pouvez gagner ! Sa condamnation était une imposture ! Vous le savez bien ! Pourquoi est-ce que vous ne luttez pas ! »

« Huissier ! »

« Angel, asseyez-vous », dit enfin Donita, me suppliant de ses yeux noirs. « S’il vous plait. »

Je secouai avec colère la grosse main qui venait d’atterrir sur mon épaule et je me rassis, frappant le cuir si fort que mes dents s’entrechoquèrent, manquant de me couper la langue.

Un hochement de tête de la juge et l’huissier retourna à sa place près de la porte.

« Continuez », ordonna-t-elle.

Le procureur remua ses papiers, soupira et reprit la parole. « De plus, si l’accusée remplit avec satisfaction le devoir qui lui est assigné dans cet accord, aucune action judiciaire ne sera entreprise contre la dénommée Tyler Moore pour avoir aidé et encouragé l’évasion d’une fugitive devant la justice, et de plus, aucune action judiciaire ne sera entreprise contre Ms Moore pour avoir consciemment donné asile à une fugitive. Si elle échouait, Ms Moore serait poursuivie pour ces deux charges, ainsi que pour toute autre que l’Etat estime appropriée, dans toute la mesure permise par la loi. »

Ma mâchoire, jusque là figée par une rage extrême, pendouillait maintenant que je réalisais que l’Epée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de Ice n’était plus le Bog mais moi.

« Fils de pute », murmurai-je en me tournant vers le procureur. « Espèce de foutu fils de pute ! ». Je tendis rapidement la main et attrapai sa cravate pour le tirer à moitié sur la table, mon cœur battant douloureusement dans mes oreilles et ma vision rougie par la fureur.

« Angel, non ! » La voix de Donita semblait éloignée lorsqu’elle m’attrapa par derrière et me fit tourner pour lui faire face. « Ne faites pas ça, Angel. »

« Pourquoi ? Parce qu’ils vont m’arrêter ? Bien ! Génial ! Je veux qu’ils m’arrêtent. En fait, je l’exige ! » Je virevoltai de nouveau vers le procureur qui me fixait comme s’il était un lapin et moi un semi-remorque qui lui fonçait dessus à toute allure. Je lui tendis les poignets. « Allez-y ! Arrêtez-moi ! Je ne ferai pas de résistance ! Je ne me battrai pas ! Je vous rendrai les choses faciles ! Mettez-moi les menottes ! Jetez-moi en prison ! Je le reconnais ! Je suis coupable ! J’ai hébergé une fugitive ! Je viens d’agresser quelqu’un ! Arrêtez-moi, Bon Dieu ! ! »

« Angel, ne… »

« Arrêtez-moi ! «  Hurlai-je avant que les sanglots ne prennent le dessus et je m’effondrai dans la chaude étreinte de Donita. J’entendis le tintement de chaines mais je ne pus voir ma compagne car l’avocate me bloquait la vue.

« Je sais que ce n’est pas vraiment le protocole », entendis-je Donita dire par-dessus ma tête, « mais pourriez-vous nous donner un moment, Votre Honneur ? S’il vous plait ? »

Après un long moment de silence et de tension, le regard de la juge s’adoucit juste un peu et tandis que je la regardais, elle hocha lentement la tête et se leva du bout de la table. « Mais seulement un instant, Ms Bonnsuer, et les gardes restent à l’intérieur. »

« Merci, Votre Honneur. »

Sans répondre, la juge tapa sur l’épaule du procureur toujours immobile et ils sortirent ensemble de son cabinet en refermant doucement la porte derrière eux.

Rassemblant ce qui me restait de force, je me degageai de l’étreinte ferme de Donita, fis un pas de côté pour éviter son mouvement pour m’attraper et marchai d’un pas résolu vers ma compagne, ses mains menottées serrées si fort que le blanc de ses phalanges apparaissait même sur la pâleur délavée par la prison de sa peau habituellement bronzée.

Bien que mon esprit luttat avec un million de questions, j’ai bien peur que mes lèvres ne parvinrent à en articuler qu’une seule. « Pourquoi ? »

Malgré les murs d’acier de ses yeux derrière lesquels ses émotions étaient piégées, je pouvais voir des choses lutter, se battre de leur mieux pour sortir. Mais, avec la force obstinée et déterminée de sa volonté intimidante même pour moi, pourtant exposée chaque jour pendant plus d’années que je ne pouvais les compter, son visage gardait une expression figée, une montagne de granite sur laquelle aucune eau ne coulait pour l’adoucir et changer sa façade vide et impressionnante.

Le seul signe que la femme que j’aimais se trouvait quelque part sous toute cette distance prudente, était la faible vibration qui courait, presque imperceptible, sur ses poings serrés.

Je tendis une main tremblante et touchai presque – presque – la peau chaude dénudée devant moi, mais je reculai à la dernière seconde et me couvris la bouche. « S’il te plait, Ice. Pourquoi ? S’il te plait, réponds-moi. Je le mérite, au moins. »

Si je pensais que mon appel tomberait dans l’oreille d’une sourde, je fus péniblement trompée. Ce fut comme si le son de ma voix faisait se baisser les volets de ses yeux toujours changeants, me les refermant une fois de plus. Et avec eux, je le craignais, aussi son âme.

Et cela me mettait en colère. Mon cœur avait connu trop de peines, trop de culpabilité, et bien trop de larmes pour laisser passer sans me battre. « Réponds-moi, Ice. »

Elle carra ses larges épaules et leva le menton, puis détourna son regard du mien, me laissant un trou béant à la place du cœur.

Autour de moi, le monde sembla devenir lointain et sans importance. J’avais l’impression qu’une partie de moi s’était détachée sans douleur du reste de mon corps et planait au-dessus de moi. « Réponds-moi, Bon Dieu ! »

Est-ce que c’était vraiment ma voix qui semblait si petite et si effrayée ?

Etait-ce vraiment mon bras qui se levait dans la périphérie de ma vision ?

Était-ce vraiment ma main qui frappait brutalement le visage pâle de ma compagne à la vitesse d’une vipère qui attaque ?

Le bruit de la claque, résonnant comme un coup de fusil dans l’air toujours calme et figé de la pièce, me fit reprendre trop rapidement mes esprits. Tandis que je regardais, extrêmement horrifiée, ce que je venais de faire, le rouge fleurissant de la marque de ma main apparut sur sa joue, une sentence de mort qui ressortait sur le blanc cru et aveuglant.

Pour la seconde fois en quelques jours, je sentis le monde tournoyer sans que j’y puisse rien tandis que mes jambes tremblaient sous moi. Mais cette fois, j’accueillis avec satisfaction l’obscurité que je savais suivre.

Une obscurité qui fut à nouveau arrêtée par deux mains chaudes et vivantes qui m’attrapèrent à la dernière seconde par l’avant de ma chemise, me relevant et me stabilisant.

Je repoussai les taches noires devant mes yeux et regardai dans des yeux noircis non pas de colère mais d’une compréhension profonde, d’une tristesse immense et de plus qu’un peu de respect.

« Ice ? » Murmurai-je, pas trop sûre de la réalité de ce que je voyais.

« Angel. » Sa voix était rauque, rude et fêlée, comme inutilisée depuis un siècle, ou peut-être deux.

Tout ce qui aurait pu être dit fut perdu lorsqu’un garde massif vint derrière elle et mit sa matraque sur sa nuque en la tirant en arrière. Ses mains relâchèrent sa prise sur moi rapidement pour ne pas m’entraîner. Tout aussi vite, je sentis qu’on m’attrapait par-derrière et qu’on m’éloignait.

« Non ! » Hurlai-je en essayant de la toucher du bout de mes doigts tandis que la distance grandissait entre nous.

En face de moi, Ice imita ma tentative, étirant ses longues mains puissantes à la limite de ses chaines. Le bout de nos doigts s’effleura pendant un millième de seconde avant de glisser à nouveau.

« Non ! » Hurlai-je à nouveau, essayant de toutes mes forces de me tortiller pour sortir de la poigne ferme qui m’était imposée. Un grognement sourd et roulant me fit comprendre que j’étais sur la bonne voie et, encouragée, je redoublai d’efforts, luttant de toutes mes forces pour échapper à la prise du garde.

Je sentis une matraque sur ma gorge bloquer ma respiration pendant un moment de douleur atroce. Mon réflexe de panique prit le dessus et je hoquetai pour avaler un air qui ne se trouvait plus là. Je levai rapidement les bras pour écarter le bâton assez longtemps pour pouvoir prendre une inspiration, mais j’aurais aussi bien pu être en train de pousser un rocher vers le haut de la montagne pour tout ce que cet effort m’apporta.

Un rugissement, que je pris tout d’abord pour celui de mon sang privé d’oxygène battant d’un riff désespéré sur mes tympans, monta lentement puis prit de la force et du volume jusqu’à ce que le monde tout entier semble rempli de sa rage primale et angoissée.

Bien que je soies sûre qu’à cet instant, la seule pensée du garde ait été pour ma sécurité, autant que pour la sienne, il avait réussi à faire la seule chose qui lui garantirait une condamnation à mort aussi valide que si le gouverneur lui-même l’avait signée.

Il m’avait touchée contre ma volonté.

Et si ma compagne avait son mot à dire là-dessus, vu l’expression dans ses yeux et son hurlement, ce serait la dernière chose qu’il toucherait jamais.

Luttant contre chaque instinct de réponse en moi, je me forçai à me laisser tomber mollement entre ses bras. Assurément surpris par cette action inattendue, le garde me lâcha.

Ce fut la seule chose qui lui sauva la vie.

Avançant aveuglément tout en haletant pour retrouver mon souffle, je courus vers Ice qui fonçait. Quelque part, même dans l’état où elle était, elle dut me reconnaître parce que je sentis ses mains toujours menottées s’accrocher à nouveau à l’avant de ma chemise et m’attirer contre son corps tendu. Je l’entourai rapidement de mes bras et l’étreignis de toutes mes forces, mes poumons toujours essoufflés et mes narines emplies de son odeur merveilleuse, lourde et désespérément absente.

Quatre gardes nous tombèrent dessus dans la seconde ; une version du système américain de justice d’une défense de ligne de but, avec moi dans le rôle du ballon et Ice dans celui du demi-arrière.

Ça commence à devenir une très mauvaise habitude, pensai-je tandis que mes jambes se cognaient une nouvelle fois sous moi.

Sa posture compromise par les menottes à ses chevilles, Ice ne put m’empêcher de tomber cette fois, mais elle réussit à me couvrir de son corps tandis que nous étions toutes les deux projetées au sol sous le poids des gardes. Sa longue silhouette me protégea complètement, ses mains attachées atterrissant dans un endroit que, si ça s’était passé ailleurs que dans le cabinet d’un juge, j’aurais grandement apprécié. Un léger grognement fut la seule indication que les gardes faisaient à Ice plus que simplement essayer de l’écarter de moi.

Ce qui, bien entendu, commença à me faire voir rouge à nouveau.

Avant que je puisse faire quoi que ce soit de ma colère, cependant, le corps d’Ice fut à nouveau séparé du mien et elle fut brutalement mise debout, la matraque refaisant une apparition importune sur sa gorge. Je gigotai pour me remettre debout, un flot d’injures assez obscènes pour faire rougir tout un bordel prêt à sortir de ma bouche.

La porte choisit cet instant pour s’ouvrir et la juge entra brusquement, suivie de près par le procureur. En la voyant, tout le monde se figea comme si c’était la directrice et que nous avions tous des cigarettes allumées entre les doigts.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? » Demanda-t-elle brutalement, les mains sur les hanches.

« La prisonnière attaquait cette femme », dit l’un des gardes, en secouant sa matraque contre la gorge d’Ice pour faire bonne mesure, bien qu’il fût évident qu’elle ne tentait pas de s’enfuir.

« Recommencez et vous allez vous retrouver à un coin de rue à mendier », l’avertit Donita en le clouant d’un regard noir de colère.

Contrit, le garde relâcha sa prise. Ce qui fut une bonne chose pour lui parce que s’il l’avait maintenue ne serait-ce qu’une seconde de plus, il aurait souhaité qu’Ice l’ait tué. Je me tournai vers la juge. « Ce n’est pas ce qui s’est passé. »

Un sourcil apparut de derrière le verre protecteur de ses lunettes. « Voudriez-vous bien expliquer ce qui s’est vraiment passé, alors Ms Moore ? »

« Je… heu… je l’ai giflée. »

Je n’avais jamais vu quelqu’un écarquiller autant les yeux, pensai-je tandis que le regard de la juge passait sur moi, puis sur Ice, pour revenir sur moi. « Ok, j’admets que ce n’était pas franchement malin de ma part. »

La juge sourit légèrement. « Est-ce que quelqu’un vous a déjà dit que vous aviez un don pour la litote, Ms Moore ? »

« Plus d’une fois, Votre Honneur. »

« Mm. Et alors elle vous a attaquée ? »

« Elle ne m’a pas attaquée. Après que je me soies rendu compte de ce que j’avais fait, je me suis en quelque sorte… effondrée. Elle m’a juste empêché de tomber. Puis les gardes ont tenté de nous séparer et… et bien… vous êtes arrivée à la fin de ce qui s’est passé après. »

La juge passa en revue chaque garde. « Est-ce qu’elle dit la vérité ? »

« On aurait pourtant bien dit qu’elle était attaquée », marmonna un garde.

« Et vous autres ? »

Les autres gardes semblèrent soudain être affectés d’un cas de laryngite spontané.

« Je vois. Voulez-vous porter plainte ? »

« Elle ne m’a pas attaquée, Votre Honneur ! ! »

« Ce n’est pas à vous que je parlais, Ms Moore. »

« Non. » La réponse venait d’Ice et une légère lueur d’humour colorait la mélodie basse et liquide de ses paroles. « Je crois que je survivrai. »

On entendit un léger coup et la tête d’un huissier apparut dans l’encadrement de la porte. « Ils vous attendent, Votre Honneur. »

« J’arrive tout de suite, M. James. » Elle retourna à la table et souleva le lourd accord. « Pendant que les enfants s’amusaient, le procureur m’a renseignée sur une partie des dessous de ce cas. Bien que ce soit très irrégulier, il a raison quand il dit que c’est dans les limites de la loi. Comme c’est le cas, s’il n’y a pas d’objection de la part des parties, je vais signer cet accord et vous pourrez tous partir. »

« Pas d’objection, Votre Honneur », dit le procureur.

« Pas d’objection », ajouta rapidement Donita, visiblement anxieuse que je puisse dire quelque chose qui fasse capoter le marché au dernier moment.

Je me mordis la langue et tournai la tête pour regarder Ice droit dans les yeux. Leur bleu éblouissant faillit m’avaler toute entière. Fais-moi confiance, Angel, disait simplement son regard.

Et bien que cela me tuat de le faire, sachant très exactement ce que cette confiance impliquait, je n’avais simplement pas le choix. « Pas d’objection », murmurai-je.

L’expression dans ses yeux fit pâlir en silence tout ce par quoi j’étais passée ces trois derniers mois, tandis que la force et le pouvoir de son amour éternel m’emplissaient à nouveau, me laissant presque étourdie dans leur reflux.

Le soupir de soulagement de Donita fut audible quand la juge se pencha au-dessus de la table et, avec le geste auguste d’un Président signant un traité de paix entre deux pays du Tiers-Monde en guerre, apposa son paraphe sur le document qui allait renvoyer ma compagne dans les tréfonds de l’obscurité.

*******

Fin du chapitre 1, 1ère partie - A suivre chapitre 1, 2ème partie

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Commentaires
S
Merci Fryda ^^<br /> Y'a rien d'embarrassant, lol. C'est normal de laisser des commentaires, quelque soit le travail effectué et mis en ligne gratuitement, c'est un juste retour des choses quand des personnes prennent le temps et la peine de travailler pour le plaisir des autres, alors merci à toi. (Et à ce propos je vous ai lié chez moi chose que j'étais persuadée avoir fait..)
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F
J'ai cliqué sur le lien SF par curiosité, joli graphisme et plein de bonnes infos.<br /> Et c'est en rougissant que je remercie SF pour son message embarrassant mais aussi gratifiant :-)
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S
Je lis rarement des ubers.. En tout cas, sans savoir ce que vaut le texte original, la traduction est un petit bijou.
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K
merci beaucoup Fryda pour avoir pris la traduction du troisième volet de la trilogie <br /> C'est plus qu'un ravissement!!
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I
Je suis ravie au possible!!!!<br /> Merci Fryda d'avoir "céder" à la demande pour nous offrir une fin de trilogie digne de ton talent de traductrice.<br /> <br /> Isis.
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