Quand tombent les ténèbres, 1ère partie, chapitre 1
Quand tombent les ténèbres
Par
Melissa Good
(Traduction par Fryda, commencée en décembre
2009)
NdlT : Pour bien
comprendre le contexte dans lequel arrive cette FF, à la fin de Reflections
from the Past (Reflets du Passé), Melissa – Missy - Good explique que Darkness
Falls commence après le « Rift » (Maternal Instincts – Bitter Suite),
ces épisodes de la saison 3 de la série qui marquent une période difficile de
rupture entre les héroïnes
Chapitre 1 – 1ère
partie
*******************
Le
campement était paisible. Le cercle d’arbres qui l’entourait protégeait ses
occupants de la plus grande partie du vent violent ce soir-là, mais des petits
tourbillons faisaient craquer le feu par à-coups et remuaient les feuilles, qui
se frottaient l’une contre l’autre comme si elles se murmuraient des secrets.
Au-delà
du rond de lumière du feu, une jument broutait paresseusement, son pelage doré
reflétant le moindre rayon argenté tandis qu’elle entrait et sortait du clair
de lune, à la recherche de mottes d’herbe plus succulentes. De temps en temps,
elle levait la tête pour tourner ses yeux ronds et doux vers les deux femmes
assises dans le camp, puis elle revenait à sa tâche.
Une
femme aux cheveux blonds-roux était assise jambes croisées tout près du feu, un
parchemin relié posé sur sa peau nue. Elle portait une jupe portefeuille de
couleur brun grisâtre et un haut court vert prairie de la couleur de ses yeux.
En
face d’elle se tenait une femme bien plus grande, aux cheveux noirs, vêtue
d’une tunique en cuir marron foncé, et dont l’attention était tournée vers une
pièce d’armure en cuivre qu’elle retravaillait de ses mains. Un crépitement
sourd s’éleva en provenance du feu et cette dernière leva les yeux puis posa
son travail, se mit debout, alla vers le feu et s’accroupit pour prendre une
petite marmite d’eau bouillante et en verser le contenu dans deux tasses posées
sur un rocher plat.
Elle
s’interrompit et attendit patiemment que les herbes infusent, humant la senteur
qui montait du breuvage pour juger s’il était prêt. Après quelques minutes,
elle versa un peu de miel dans chaque tasse, remua, se releva et alla vers la
jeune femme aux cheveux clairs à qui elle en tendit une.
Gabrielle
leva les yeux et prit le thé qu’on lui tendait avec un sourire hésitant.
« Merci. »
Xena
lui sourit en retour et hocha la tête, puis elle retourna à sa place et reprit
la pièce d’armure, en s’installant sur le sol avec un léger soupir.
Très
consciente des yeux verts qui l’observaient. Et du silence.
Gabrielle
regarda tristement sa compagne éclairée par le feu, puis elle posa sa tasse,
reprit sa plume et fixa son journal d’un air triste, en relisant ses dernières
lignes.
Je ne m’inquiète plus d’aller au Tartare. Ça ne peut pas être
pire que ce que je... ce que nous avons vécu cette fois-ci.
Je ne vais pas rester là assise à chercher qui blâmer… ça ne
servirait à rien et je pense que nous le savons toutes les deux. J’ai pris de
très mauvaises décisions, elle a pris de très mauvaises décisions.
Nous avons payé pour ça. Très cher.
Nous avons renoncé à la paix, et au bonheur, à une bonne
partie de nos âmes, et très probablement… à une amitié unique. La seule chose
qui reste, c’est l’amour que nous partageons. Mais nous avons payé le prix fort
pour ça aussi.
Parce que chaque fois que je la regarde, ça me fait mal. De
savoir ce que nous nous sommes faits l’une à l’autre, ce que nous avons
ressenti. Ce que j’ai ressenti. Ce que j’ai perdu.
Elle ne me fera plus jamais confiance. Oh, bien sûr pour la
plupart des choses, oui. Les trucs de tous les jours, les choses banales, oui.
Mais quand je regarde dans ses yeux, je ne vois plus au fond de son âme comme
auparavant. Maintenant, il y a des barrières levées contre moi et le pire,
c’est que je ne peux pas la blâmer de les avoir érigées.
Pour ce qui me concerne… et bien, il n’y a plus d’endroit où
je soies en sécurité, n’est-ce pas ? La seule chose que je savais… JE
SAVAIS… c’était qu’elle ne me ferait jamais de mal consciemment.
Elle l’a pourtant fait. Avec une brutalité dont j’ai toujours
su qu’elle était capable, mais que j’aurais juré du fond de mon âme ne jamais
voir tournée contre moi… et j’avais tort. Je n’ai jamais eu peur d’elle, mais
maintenant si, et elle le sait.
Je le vois dans ses yeux quand elle me regarde. Ça fait mal
quand je me souviens qu’il y avait des rires qui s’y cachaient avant. Quand je
me souviens l’avoir appelée ma copine de jeu. Quand elle souriait et me
chatouillait, juste comme ça.
Plus maintenant. Nous sommes très… prudentes... l’une avec
l’autre. Comme s’il y avait quelque chose de très fragile, qui pourrait se
briser.
Nous nous aimons. C’est la seule chose qui me reste. Je suis
contente que ça, ça ait survécu, mais parfois ça rend les choses encore pires
parce que je peux me souvenir de comment c’était entre nous, et maintenant…
Ma meilleure amie me manque.
Je me demande si nous retrouverons jamais cela.
Elle
referma son journal et posa sa plume dessus, puis elle prit une gorgée du
liquide tiède, souriant tristement au goût de menthe qui emplit sa bouche. Elle
leva les yeux vers le feu de camp bien trop calme et vit que Xena fixait les
flammes, sa pièce d’armure oubliée dans une main, une expression terne et
perdue sur le visage. « Hé », cria-t-elle doucement.
Les
yeux bleus presque violets dans la lueur du feu se tournèrent avec hésitation dans
sa direction. « Mm ? »
« Un
dinar pour tes pensées », répondit le barde doucement.
Xena
baissa les yeux vers ses mains qui tortillaient la pièce d’armure. « Ça ne
vaut pas un dinar, Gabrielle. » La guerrière se leva et se frotta les
mains, jeta la pièce d’armure en l’air et la rattrapa avant d’aller vers sa
sacoche de selle pour l’y ranger. Elle hésita, une main sur la poignée de son
épée et regarda au loin dans l’obscurité environnante pendant un long moment.
« Xena ? »
Gabrielle sentit qu’elle choisissait ses mots avec précaution et eut une pensée
nostalgique pour l’époque où elle n’avait pas besoin de le faire.
La
guerrière tourna la tête et regarda par-dessus son épaule.
« Oui ? »
Le
barde eut l’impression qu’elle marchait sur des œufs et elle détestait ça.
« Ecoute… tu... as l’air un peu fatiguée... pourquoi est-ce que tu ne
laisserais pas passer ce soir pour te détendre un peu ? » Elle
combattit fermement son malaise et se concentra sur le fait qu’elle avait
raison de dire cela.
Xena
scruta son visage pendant un long moment de silence puis un faible sourire
étira ses lèvres. « Tu as raison », admit-elle calmement.
« C’est une bonne idée. » Presqu’avec un air de soulagement, elle se
leva, alla de l’autre côté de leur couchage commun pour s’y laisser tomber et
elle commença à retirer sa jambière avec un soupir.
Gabrielle
se mit sur le dos et tendit la main avec prudence vers la lanière arrière,
consciente de la façon dont la jambe de Xena se figea lorsqu’elle la toucha.
Elle détacha la boucle usée puis tendit la main sous les genoux de Xena pour
attraper la seconde, et elle donna une dernière petite tape sur le mollet de la
guerrière. « Ok. »
« Merci. »
La voix de Xena flotta tandis qu’elle attendait que Gabrielle s’écarte avant de
retirer l’armure et de la poser sur le côté. Puis elle s’allongea, la tête
posée sur son manteau plié, et elle fixa l’explosion d’étoiles au-dessus
d’elle.
Le
barde observa son profil silencieux pendant un moment puis baissa le regard sur
la fourrure où ses doigts jouaient nonchalamment avec le tissu. « Je me
demande comment va Arès ? » Demanda-t-elle doucement, en pensant à
leur loup domestiqué, laissé derrière elles à Amphipolis avant qu’elles ne
partent au-delà des océans.
Xena
s’éclaircit un peu la voix avant de répondre. « Je suis sûre que maman
s’occupe bien de lui. » Elle tourna un peu la tête pour que le visage de
Gabrielle soit dans son champ de vision, mais elle ne la regarda pas
directement. « Ça va aller pour lui. »
« Il
me manque. » Gabrielle sentit que les larmes montaient, en même temps que
la réalisation que ce n’était pas seulement son animal qui lui manquait. Arès,
c’était la maison et la famille, et des moments plus heureux.
Xena
serra fermement la mâchoire, les muscles bien dessinés dans la lumière du feu.
« Moi aussi », finit-elle par dire, d’une voix très basse, puis elle
ferma les yeux. « Bonne nuit, Gabrielle. »
Celle-ci
laissa les larmes couler en silence pendant un moment et mouiller la fourrure
soyeuse sous sa joue, ses yeux étudiant le visage familier près d’elle. Elle
s’attarda avec lassitude dans la contemplation de sa compagne, bien qu’elle
passa rapidement sur la cicatrice qui s’effaçait sur le cou de la guerrière,
comme elle le faisait toujours.
Le doux tintement des pierres et l’odeur d’opium avaient
envahi la chambre et elle s’était allongée, le cœur battant sauvagement
lorsqu’elle avait senti la présence toute proche de Xena.
Tellement de choses lui traversaient l’esprit. Son choix
désespéré, le marché qu’elle avait passé avec Ming Tien, son espoir fragile et
obsédant que Xena se rendrait compte qu’elle n’avait fait tout ça que pour de
bonnes raisons.
Si elle avait fermé les yeux, elle aurait presque pu sentir la
pression légère des lèvres de la guerrière sur son crâne lorsqu’elles s’étaient
séparées sur les quais, le regard triste, mais compréhensif de Xena quand elle
lui avait dit qu’elle ne pouvait pas venir avec elle. Elle ne pouvait affronter
l’idée de voir Xena retomber dans l’obscurité. Elle ne pouvait supporter la
distance grandissante entre elle, depuis... Britannia.
Depuis qu’elle avait menti. Depuis qu’elle avait dû faire un
choix déchirant entre sa fille et son âme-sœur. Et elle l’avait fait, lui
cachant Hope dans l’espoir désespéré de lui sauver la vie, sachant que Xena la
tuerait… pourrait… la tuer.
Elle avait donné une chance à Hope, mais de le savoir avait
créé une distance entre elles et elle l’avait ressentie. Elle savait que Xena
l’avait ressentie, elle le savait en voyant la tristesse obsédante dans les
yeux qui lui faisaient face pendant le long voyage de retour sur l’océan.
Et puis ce message, et le dessein résolu de la guerrière, et
cette histoire de haine et de trahison qui rendait Gabrielle malade malgré tous
ses efforts.
Une partie d’elle avait voulu s’éloigner des quais et trouver
un trou profond quelque part pour s’y allonger. Mais l’autre partie, celle qui
revendiquait Xena, l’avait résolumment fait continuer, l’avait poussée vers
l’avant, sans jamais s’arrêter, sans jamais accepter le moindre refus, jusqu’à
ce qu’elle l’amène à cet endroit, à ce moment. « Je prendrai ta
place », avait-elle dit à Ming Tien.
« Tu vas mourir », l’avait calmement avertie le
dirigeant de Chine, en alignant ses paumes de mains avec soin et précision.
« Non. » Le barde avait parlé avec une calme assurance.
« Elle ne me fera pas de mal. »
Et à ce moment, avec la brise douce qui faisait bouger les
tentures inconnues, et l’odeur d’épices bizarres, Gabrielle avait envoyé une
prière à ses dieux très lointains et avait espéré avoir raison.
Un mouvement. Elle avait levé les yeux, l’éclair d’une lame…
Puis une lueur de reconnaissance avait jailli et, en l’espace
d’un souffle, Xena s’était figée et avait laissé passer un unique cri étouffé.
Gabrielle s’était rétractée et elle avait senti quelque chose
se ratatiner tout au fond d’elle en l’entendant, et elle avait vu le choc se
transformer en horreur, puis en une douleur intense dans les yeux de Xena. Elle
n’avait pas bougé un seul muscle mais le barde pouvait lire chaque torsion de
ses sentiments.
Elle avait vraiment, sincèrement, pensé qu’elle la sauvait.
Mais un seul regard vers ces yeux et le barde avait senti un doute glacial la
remplir. Et elle avait su, peu importe le reste, que Xena, qui lui avait fait
confiance totalement et avec une honnêteté qu’elle ne s’était jamais autorisée
avec personne, Xena, savait qu’elle était trahie.
Ça avait fait mal.
Et
maintenant tout était fini, les mensonges étaient à nu, les trahisons avaient
fait leur chemin et leur relation était dans des lambeaux si fragiles qu’elle
pensait souvent que c’était le seul fait qu’elles soient, en toute vérité, des
âmes-sœurs, qui les avaient fait s’accrocher aussi obstinément l’une à l’autre.
Elles
s’étaient pardonnées mutuellement. Ceci étonnamment, avait été la partie la
plus facile, entrainée par l’épuisement, la douleur et le besoin qu’avait
chacune de l’autre. Mais ça ne lui avait pas rendu leur proximité et l’amitié
que l’horreur leur avait volées. A des moments comme celui-ci, pensa Gabrielle
avec tristesse, elle se demandait si elles retrouveraient même une once de tout
ça.
Elle
renifla avec lassitude, puis elle resserra son manteau autour d’elle dans cette
brise nocturne et elle lança un dernier long regard vers Xena. Elle ne dormait
pas, ça Gabrielle le savait. Sa respiration était trop irrégulière et elle
pouvait sentir la tension qui entourait la guerrière. Xena n’avait pas rejeté
les efforts de Gabrielle pour la toucher mais elle gardait ses propres contacts
à un degré de politesse minimum, et se tenait tanquillement à distance de tous
leurs jeux de mains passés.
Ça
aussi ça faisait mal. Le corps de Gabrielle était en manque du contact,
terriblement. En soupirant, elle reposa la tête et enfin, incapable de s’en
empêcher, elle entoura le bras de Xena d’une main hésitante et elle sentit les
larmes couler à nouveau en retrouvant le contact chaud et familier.
Elle
ferma les yeux et attendit que les cauchemars reviennent.
Xena
patienta jusqu’à ce que la respiration du barde soit plus profonde puis elle
tourna la tête pour regarder sa compgane avec nostalgie. La main enroulée
autour de son biceps lui procurait un confort disproportionné à ce simple
geste, et pendant un long moment, elle se contenta de le ressentir, comme un
baume sur la douleur qu’elle portait en elle.
Elle
avait traversé beaucoup de choses dans la vie, la plupart du temps mauvaises.
Mais ceci… avec précautions elle tendit la main et couvrit celle de
Gabrielle ; le barde émit un petit bruit semblable à un miaulement et se
rapprocha, le visage collé contre l’épaule de la guerrière.
Celle-ci
savait ce qu’elle voulait faire. Elle voulait juste ouvrir les bras et y serrer
Gabrielle, sentir le corps chaud du barde contre elle et laisser la connexion
qui, contre toute logique, existait toujours entre elles, tenter de recoller
les morceaux qu’elles avaient brisés.
J’en ai besoin, admit-elle
tranquillement. Nous en avons toutes deux besoin. Mais… quelque part,
quand elle se mettait à penser à cela, une autre pensée figeait son corps.
Une
scène horrible, après qu’elle eut emmené Gabrielle hors du village des Amazones
et qu’elles aient chevauché en silence jusqu’à une petite grotte toute proche,
et que…
Par
les dieux. Elles avaient été tellement en colère toutes les deux. Contre
elles-mêmes, contre l’autre… Gabrielle avait dit des choses qui faisaient
encore mal quand elle y repensait et elle… elle ne se souvenait même plus
l’avoir fait, juste le contact solide de son poing qui frappait…
Elle
ferma les yeux et lutta contre le souvenir du corps de Gabrielle qui
s’affaissait au sol devant elle, avec un hoquet de douleur qui l’avait…
stoppée. Puis elle avait commencé à avancer vers le barde dans la confusion,
pour voir Gabrielle se tortiller et s’éloigner d’elle avec terreur.
Ça
avait brisé quelque chose en elle, quelque part au fond d’elle. Elle s’était
arrêtée et avait commencé à reculer jusqu’à ce que ses épaules touchent le
granite, et elle était restée là, remplie de douleur. A cause de tout. D’avoir
perdu Solan, dont elle avait pris la responsabilité, d’avoir perdu Gabrielle,
ce qu’elle venait de sceller avec sa propre violence.
Elle
ne se souvenait pas s’être effondrée, juste une pensée que… c’est bien...
Gabrielle peut s’enfuir et partir d’ici. S’éloigner… d’ici. D’elle.
Et
elle s’était réveillée en sentant les bras de Gabrielle autour d’elle, tandis
que le barde la berçait contre sa poitrine ensanglantée, où les lèvres coupées
et le nez en sang l’avaient tachée. Alors enfin, épuisées, elles avaient
simplement parlé, très longtemps.
De
tout. De tous les mensonges et de toute la douleur. De savoir qu’elles avaient
besoin l’une de l’autre, et que pardonner allait être difficile. Qu’elles
savaient qu’elles allaient toutes les deux porter la faute pendant longtemps,
probablement pour toujours. Que les choses ne seraient plus jamais les mêmes.
Et
à ce moment-là, elles s’étaient mises à pleurer et elle s’était rendu compte,
d’une manière très éloignée, que basiquement, certaines choses n’avaient pas
changé. Et qu’elles seraient toujours les mêmes. L’amour, après tout, était
plus fort que la haine.
Et
elle était là, avec la peur d’étreindre sa compagne, parce que voir cette
terreur dans ses yeux lui porterait un autre coup et peut-être que cette
fois-ci, elle ne s’en remettrait pas. Elle avait essayé une fois de la toucher
dans la grotte et le barde avait tressailli. Elle n’avait plus réessayé.
Gabrielle
émit un léger grognement et remua en bougeant dans son rêve.
Ou
son cauchemar, soupira Xena, tandis que le barde poussait un cri de détresse.
« Hé… » Dit-elle doucement en pressant les doigts sous les siens. Le
barde cria à nouveau et Xena roula sur le côté, puis mit la main sur l’épaule
de Gabrielle pour la secouer doucement. « Gabrielle ? »
« Non… »
Gémit le barde, les doigts serrant le bras de Xena comme une serre.
Xena
l’étudia avec tristesse. Le barde avait souffert de ces cauchemars chaque nuit
depuis... Xena ferma les yeux de défaite et ses épaules s’affaissèrent. Elle avait raison. Tout est de ma faute.
Tout. Il n’y a pas une seule chose qu’elle n’ait faite par amour, et il n’y a
rien que je n’ai fait par haine. Je suis exactement ce qu’elle a dit que
j’étais dans la grotte.
« Xena ? »
La voix monta doucement vers elle et elle sentit la douceur des doigts sur son
visage. « Tu vas bien ? »
La
guerrière ouvrit les yeux et apprécia le regard inquiet de Gabrielle avec une
ironie douloureuse. « Oui… tu faisais... un mauvais rêve… je ne pouvais
pas…. » Elle laissa l’échec planer. « Tes cauchemars avant, c’était
que je meure. Ce sont probablement tes beaux rêves maintenant. »
Ces
paroles sortirent sans sa permission et elle se laissa retomber et fixa les
étoiles, jusqu’à ce qu’elle sente Gabrielle bouger et la vue fut bloquée par
des cheveux blonds-roux et des yeux verts attentifs.
« C’est
vraiment ce que tu penses ? » Demanda doucement le barde, en reniflant
et en repoussant ses cheveux derrière une oreille. « Tu as tort »,
ajouta-t-elle doucement d’un ton mélancolique. « Crois-moi s’il te
plait. »
La
guerrière la regarda puis ferma les yeux et déglutit.
Gabrielle
soupira. Une théorie qui mûrissait dans son esprit s’avança au premier plan,
entrainée par son cauchemar récent. « Xena… quelque chose me
taraude. »
Le
regard bleu clair l’étudia mais la guerrière garda le silence.
« Depuis
que nous nous sommes rencontrées… depuis les Erynies… c’est presque comme si...
tu étais obsédée par quelque chose », dit Gabrielle avec prudence.
« Et c’était de pire en pire… c’était presque comme si j’étais avec une
étrangère. » Elle toucha la joue de Xena. « Et là… c’est comme si je
retrouvais ma Xena ; »
En morceaux, songea la guerrière.
« Ça a toujours été moi, Gabrielle. Ne me cherche pas d’excuses pour ce
que j’ai fait. »
Le
barde secoua la tête. « Non… pas d’excuses… mais je te connais. »
Elle se pencha. « Il y avait quelque chose derrière tout ça, Xena...
quelque chose qui veut vraiment nous séparer. » Elle baissa la voix.
« Je ne vais pas le laisser se reproduire. »
Xena
la regarda en réfléchissant à ces paroles, puis elle s’arma de courage et leva
la main droite vers le visage du barde, dans l’attente de la voir tressaillir.
Ce
qu’elle ne fit pas. Ses doigts touchèrent la peau douce et elle sentit les
muscles minuscules sur le visage de Gabrielle bouger tandis que le barde lui
faisait un léger sourire, et un calme soulagement la traversa. « Je n’ai
jamais voulu te voir blessée », murmura-t-elle faiblement. « Et c’est
ce que j’ai fait ces derniers temps. »
Gabrielle
secoua la tête et laissa ses longues mèches effleurer la poitrine de la
guerrière. « Même dans les pires moments, je l’ai cru, Xena… à Britannia,
tu as abandonné le champ de bataille pour venir vers moi. En Chine, tu as tenté
de m’épargner ce que tu allais faire. »
« Je
t’ai menti », dit doucement Xena.
« Parce
que tu savais que si tu tuais Ming Tien, ça signifierait que tout ce que
j’avais fait n’aurait aucune valeur, répondit calmement Gabrielle. « Alors
tu m’as laissé penser que j’avais eu une influence. »
Pas
de réponse mais un très léger mouvement de la bouche de Xena.
Elles
se regardèrent et Xena put lire la requête derrière ces yeux vert brume. Elle prit
une inspiration et glissa son bras gauche sur un côté dans une invitation
timide, incapable de s’empêcher de sourire faiblement quand le barde accepta
immédiatement l’offre et se blottit contre elle avec un petit soupir
tranquille.
Le
léger poids de la tête du barde posée contre son épaule était si bienvenu que
cela en faisait presque mal et elle mit le bras autour des épaules chaudes,
tandis que Gabrielle lui rendait son mouvement en pressant sa taille. Elle se
laissa flotter tout en se repassant ce que le barde avait dit pour l’examiner.
Est-ce que c’était possible ? Son
esprit résistait à trouver des excuses pour ce qu’elle avait fait. Résistait à
la pensée qu’elle pouvait avoir été un pion dans un jeu quelconque. Mais les
mots de Krafstar continuaient à lui revenir et elle s’interrogea.
Mais
chaque chose en son temps. Elle avait une vie à reconstruire si elle pouvait,
et une confiance à restaurer petit à petit, si cela était possible, et ensuite,
peut-être qu’elles trouveraient qui ou quoi était derrière tout ça.
Et
qui que ce soit, il paierait.
****************************
Gabrielle
sentit le monde se fondre lentement, tandis que le soleil chauffait son dos et
qu’elle entendait le chant matinal bas et joyeux des oiseaux autour d’elle.
Elle passa un moment à se souvenir tristement puis elle se rendit compte que
c’était du cuir qu’elle sentait sous ses doigts et sous sa joue, et elle
réalisa où elle se trouvait.
Oh combien ça m’a manqué. La pensée lui
amena des larmes aux yeux avant qu’elle puisse ne l’empêcher et elle sentit un
sursaut léger dans la respiration de Xena lorsque la guerrière les vit. Une
main hésitante vint devant ses yeux et essuya les larmes, et le cœur de
Gabrielle se serra quand elle vit combien la guerrière tremblait en le faisant.
Elle leva la main et prit doucement celle de Xena, puis entoura ses doigts des
siens et elle sentit la pression tranquille en retour.
Je
voulais te tuer. Les mots qui sortaient
de la bouche de Xena l’avaient en quelque sorte en partie tuée. Elle s’était
sentie si… perdue… elle avait eu tellement besoin de Xena… après ce qui s’était
passé avec Hope... et Xena lui avait tourné le dos et était partie. Ça avait
mis en pièce ce qui restait de ses défenses déjà abîmées, qui s’étaient
effritées et l’avaient laissée plus vide que n’importe quoi dans sa vie ne
l’avait jamais fait.
Perdre Solan l’avait choquée et rendue malade, et lui avait
fait comprendre, d’une manière profondément sombre, ce que Xena avait su depuis
le début. Ce qu’elle avait refusé de croire, et ce qui avait coûté à Xena… leur
avait coûté à toutes les deux... un fils. Arriver au coin de la hutte de
Kaleipos et voir Xena tenir le corps sans vie du garçonnet dans ses bras… ça
avait été comme de prendre une lance dans les tripes.
« Va-t-en. » Ces mots à demi murmurés, à demi
grognés, l’avaient frappée plus fort que n’importe quel coup l’aurait fait. Ça
avait été un des pires moments de sa vie, de voir le visage figé et pâle et de
voir la douleur dans chaque partie du corps de Xena. Si elle avait pu tout
abandonner, sa vie, son âme… pour une chance de changer ça… mais non.
Elle ne pouvait pas laisser en plus Xena porter le fardeau de
la mort de Hope… elle avait appris de la guerrière qu’on devait être
responsable de ses actions, n’est-ce pas ? Réparer ses erreurs, comme
disait Xena.
Elle l’avait fait. Et ça l’avait tellement déchirée… et elle
avait eu tellement besoin du pardon de Xena…
Je voulais te tuer. Les mots de Xena.
« J’aurais voulu que tu le fasses. » Sa réponse dans
un murmure. Elle avait passé trois longues journées de Tartare dans cette hutte
amazone, essayant de trouver un petit espace en elle qui ne lui faisait pas
trop mal pour y ramper et simplement y rester. Son univers était perdu et elle
avait perdu… tout ce qui avait jamais signifié quelque chose pour elle, et
quand elle avait entendu le tonnerre familier des sabots dehors, elle avait
presque accueilli la colère de Xena.
La rage et la violence qu’elle avait vues dans ces yeux bleus
étrangement nouveaux, avaient été le reflet parfait de la désolation qui
l’habitait. Elle avait repoussé les mains protectrices d’Ephiny et était…
simplement partie… vers la seule personne qui signifiait encore tout pour elle.
Même si les conséquences étaient horribles et douloureuses et elle tremblait
encore quand elle se souvenait de la manière brutale dont Xena l’avait attrapée
et jetée au sol. Elle avait toujours su combien Xena était forte… par les
dieux… comment ne le serait-elle pas ? Mais elle s’était toujours sentie
en sécurité avec elle… comme un lionceau dans la bouche de sa mère, n’est-ce
pas comme ça qu’elle se le représentait ?
Et bien, le lionceau avait été mordu. Et elle n’était plus en
sécurité nulle part. Et ça faisait mal. Sentir l’impact du poing de Xena et
savoir que c’était voulu… dieux… cela faisait encore mal.
Pourrait-elle encore se faire confiance là-dessus ?
Elle
sentit le tremblement dans les doigts de Xena posés légèrement contre son
visage et un filament unique et chaud se dérouler d’elle, dans un endroit très
froid et très solitaire. Elle tourna légèrement le visage et effleura le pouce
de la guerrière de ses lèvres, et elle entendit le cœur de Xena s’arrêter un
instant. Je trouverai un moyen, d’une
façon ou d’une autre.
Elle
leva la tête et regarda la guerrière dont le visage était à demi éclairé par le
soleil doré matinal. « Il est tard. »
Xena
remua un peu et concentra son regard quelque part au-dessus de l’épaule gauche
du barde. « Oui… et bien... j’étais heu… » Elle secoua légèrement la
tête. « En train d’essayer de… »Prendre
quelques minutes pour me souvenir de ce que d’être aimée d’elle me faisait.
Une
étincelle chaleureuse se fraya un chemin dans les yeux de Gabrielle.
« Merci de m’avoir laissée dormir. » Elle baissa le regard sur la
tenue en cuir de Xena et la tapota légèrement. « La… hum… magie marche
toujours. Pas de rêves. » Elle regarda Xena droit dans les yeux. « En
tous cas pas un dont je ne veux pas me souvenir. »
Xena
l’étudia avec sérieux. « Les larmes, c’était pour quoi alors ? »
Demanda-t-elle.
Gabrielle
renifla puis sourit à demi. « C’étaient de bonnes larmes »,
répondit-elle doucement. « Je réfléchissais juste à combien ça m’avait
manqué de me réveiller comme ça. » Elle leva les yeux et saisit
l’expression affligée de Xena, ce qui la fit soupirer. « Désolée…
je… »
La
guerrière hocha lentement la tête. « Ça m’a manqué de t’avoir ici »,
admit-elle. « Tu peux... je veux dire… tu es… »
« Merci.
Je le ferai. » Le barde finit sa pensée pour elle. « Ça me fait me
sentir mieux. » Une légère victoire après une longue, très longue série de
défaites.
Xena
soupira. « Moi aussi. » Elle s’allongea un long moment à regarder
avec un sourire triste la voûte de feuilles au-dessus d’elles ainsi qu’un
couple de rouges-gorges qui se lissaient mutuellement les ailes, tandis qu’un
bout de poésie lui traversait l’esprit, irritant et entêtant.
Quand
je te regarde,
Je
vois tout ce que je suis, et tout ce que je pourrais espérer être.
Mon
passé, mon futur,
Mon
seul havre de paix dans un monde terrible.
Quand
je te regarde,
Je
vois ma meilleure amie et ma complice de jeu,
Ma
protectrice et ma défenseuse,
L’amour
de ma vie et la détentrice de mon âme.
Comment
ai-je pu trahir cela ? La vague sombre d’angoisse la traversa. Comment
ai-je pu laisser quoi que ce soit venir entre nous ? Elle laissa passer un
soupir face à la douleur et sentit les mains de Gabrielle se resserrer sur sa
combinaison en cuir. Et cela coupa net ses pensées tandis qu’elle ouvrait les
yeux et croisait le regard du barde à quelques centimètres d’elle.
Elles
se fixèrent et Xena sentit son cœur commencer à battre hors de tout contrôle,
tandis qu’un minuscule sourire plissait le coin des yeux de son âme-sœur.
« Je l’ai ressenti », murmura le barde. « C’était la chose la
plus terriblement merveilleuse que j’ai jamais ressentie. »
Leur
lien, cette chose à demi ressentie, à demi perçue qui leur avait manqué depuis
si longtemps, bloqué par la colère et tout ce qui s’était passé, il se faisait
lentement et timidement sentir à nouveau. « Dé… »
« Je
te défie de t’excuser », l’interrompit Gabrielle, puis elle baissa le
regard. « Je présume qu’on ferait mieux de se lever, non ? » N’en fais pas toute une montagne… laisse…
juste passer… sois heureuse de l’avoir ressenti et avance.
« Oui »,
répondit Xena doucement, un peu incertaine. « Heu… je vais… tu l’as
vraiment ressenti ? »
Gabrielle
hocha lentement la tête. « Oui. » Elle regarda les yeux bleus voilés
cligner, puis s’adoucir dans un espoir timide. « Assurément. »
Xena
partit chercher le petit déjeuner tandis qu’elle mettait l’eau à chauffer et qu’elle
rangeait le couchage, prenant quelques instants pour simplement respirer l’air
frais et regarder autour d’elle. Il n’y avait pas grand-chose, songea-t-elle,
mais les choses étaient… juste un peu plus brillantes ce matin. Elle pouvait
encore sentir la douce odeur du cuir sur sa peau et ça... Elle soupira. Il y
avait tellement d’endroits douloureux.
Elle
leva les yeux à l’arrivée de Xena qui portait une feuille à demi enroulée
devant elle. La guerrière s’arrêta quand elle sentit le regard du barde sur elle
et leva les yeux, pour lui faire un demi-sourire hésitant. « Salut. »
Elle continua et s’arrêta devant la jeune femme les mains tranquillement
tendues. « Je sais que tu as dit que tu n’avais pas faim, mais j’ai pensé
que tu pourrais… heu... »
Gabrielle
regarda dans le paquet et sentit un sourire tirer irrésisitiblement ses lèvres.
Elle prit le paquet des mains de Xena et choisit une baie, avant de la mordre
et de sentir le jus exploser partout. « Ouahou. » Elle avala le fruit
et se rendit soudain compte qu’elle avait quand même faim. « Merci. »
Elle
les finit en marchant, Xena menant une Argo à l’amble tranquille tandis
qu’elles avançaient dans l’herbe à hauteur de genou le long d’une rivière de
bonne taille. Les grillons ponctuaient le silence, ainsi que le sifflement et
le craquement de l’herbe sur leurs jambes, et Gabrielle était consciente de la
tranquilité, sachant qu’elle en était la pierre angulaire.
Ses
histoires… semblaient être sorties en catimini de sa vie il y a un moment et
elle ne voyait aucun signe de leur retour. Ses parchemins étaient rangés dans
une sacoche et elle n’avait même pas eu le cœur de les sortir depuis… et bien,
depuis un bon moment. Elle savait que cela ennuyait Xena mais la grande femme
avait gardé le silence là-dessus et n’avait pas dit un seul mot quand elle
avait poliment décliné une requête dans le dernier village qu’elles avaient
traversé.
C’était
un sentiment étrange. Ses histoires avaient fait partie de sa vie tellement
longtemps… des images qui l’amusaient pendant les longs kilomètres parcourus et
qu’elle avait joyeusement transformées en contes pour les amuser, elle et Xena,
pendant qu’elles voyageaient. Mais maintenant… elle soupira doucement.
Maintenant, son esprit était rempli de scènes qu’elle n’avait pas l’intention
de relater. Rien de nouveau, rien d’original… et ça lui manquait. Ça lui
faisait mal de lire son journal et d’y voir des bouts de poésie…. Et de
craindre qu’elle n’ait plus ça en elle. Que c’était mort en chemin, en même
temps que Meridian. En même temps que Hope.
En
même temps que sa foi en la bonté et sa croyance en elle-même, et en Xena, et
dans l’amour pour conquérir la haine.
« Il
y a un petit village à une demi-journée d’ici », dit Xena. « Je
manque de provisions… on pourrait s’y arrêter. » Il y avait un léger
questionnement dans sa voix, reflet de la colère de Gabrielle parce qu’elle
prenait toujours toutes les décisions toute seule.
Le
barde la regarda. « Hum… oui… ça… je pourrais avoir besoin d’herbes… bonne
idée. » Elles sortirent du champ pour aller sur la route le long de la
rivière, leurs pieds faisant voler des petits nuages de poussière lorsqu’elles
atteignirent le sol sec. L’odeur forte de la rivière qui s’écoulait lentement
les submergea, une odeur riche de verdure, et le soleil réchauffa leurs épaules
tandis qu’elles descendaient la rive vers l’ouest.
Elles
s’arrêtèrent quand des taches apparurent au loin, et qu’elles grandirent à leur
approche. Xena dit en leur lançant un regard sec. « On dirait des
brigands. » Elle tourna le regard vers sa compagne. « Tu veux… te
cacher quelque part ? Je peux m’occuper de ça. »
Gabrielle
serra plus fort son bâton. « Non. » Elle laissa doucement passer un
soupir. « Ça fait partie de ma vie. »
Il
ne fallut pas longtemps. Elles continuèrent à avancer jusqu’à ce qu’elles
puissent distinguer le groupe hétéroclite, un mélange typique de types en
demi-armures en cuir avec des armes mal entretenues. Le chef stoppa sa monture
et les fixa. « Bonjour, mesdames. »
Xena
s’épargna une de ses répliques cinglantes habituelles et se contenta de
s’avancer, une main vers son épée. « Ecarte-toi de mon chemin. »
L’homme
se mit à rire. « Ooooooh… une femme pleine de fougue… » Il lança son
cheval dans un grand galop et se pencha vers elle, balançant une masse de
combat lorsqu’il arriva à hauteur de la guerrière qui continuait à avancer.
Xena
laissa son épée dans le fourreau et attrapa la masse, tira fortement et fit
tomber le brigand de son cheval avec un coup brutal. Elle le laissa toucher le
sol puis le redressa à demi et lui mit un coup de genou dans la tête, et on
entendit le craquement nauséeux lorsque sa nuque se brisa, puis elle le laissa
tomber en un tas sans vie à ses pieds.
Elle
leva les yeux. « Suivant ? » Ses yeux projetaient un froid
glacial. Ils bougèrent sur leurs chevaux qui ressentirent leur frayeur soudaine
et se cabrèrent. Puis celui qui était le plus près d’elle fit reculer son
cheval et les contourna, gardant une bonne distance entre elle et lui.
« Bon choix. » Elle attendit que tous s’en aillent puis reprit sa
marche silencieuse avec Argo qui dodelinait de la tête près d’elle.
Gabrielle
les suivit en silence, amenant son bâton devant elle en rythme et faisant en
sorte de ne pas regarder derrière elle le tas sombre effondré sur la route.
Après
le virage suivant, elles purent voir de la fumée qui s’élevait à l’horizon.
Xena s’arrêta et la regarda. « C’est le village. »
Le
barde soupira. « C’est probablement de là que ces types venaient. »
La
guerrière acquiesça de la tête et se tourna, enfourcha Argo et prit les rênes
dans une main. Elle fit approcher la jument de côté près de l’endroit où se
tenait le barde et tendit le bras avec hésitation. « Est-ce que… je… je
veux dire, tu peux attendre ici si tu veux, Gabrielle, ou bien… »
Le
barde lui fit un tout petit sourire et s’avança, attrapa le bras tendu et se
prépara à être soulevée lorsque Xena bougea sur sa selle et tira, puis attendit qu’elle s’installe derrière
elle sur la selle d’Argo avant de lancer la jument dans un petit trot.
Les
plaques d’armure chauffées par le soleil étaient agréables contre elle, et elle
mit son bâton hors du chemin de Xena tout en passant son bras libre autour de
la taille de la guerrière pour se maintenir. Continue à chevaucher, Xena… si tu le fais, je peux rester assise là et
prétendre que tout va bien de nouveau, non ? Est-ce que tu sais combien je
le veux ? Elle posa la tête sur la large épaule et laissa la douleur
la remplir, tandis que la chaleur familière du corps de Xena contre le sien
déclenchait des souvenirs nostalgiques de temps meilleurs.
« Hé »,
dit doucement Xena. « Ça va ? »
Gabrielle
serra un peu plus fort sa taille. « Oui. »
Une
longue pause. « Tu es sûre ? »
Ces
paroles creusèrent un point chaud en elle. « Qu’est-ce qui te fait penser
le contraire ? » Répondit-elle en tournant la tête pour que sa voix
puisse arriver aux oreilles de la guerrière.
En
réponse, la main de Xena couvrit les siennes et tapota l’endroit où elles se
trouvaient.
Oh… « C’était juste un souhait », dit le
barde en soupirant. Au moins on est là, et on se parle, et... peut-être que…
peut-être qu’un jour je la verrai me sourire à nouveau. Et… je sourirai à mon
tour. Et tout ira bien. La douleur la submergea à nouveau. Oh par les
dieux… je ne veux pas perdre ce que nous avons… s’il vous plait… s’il vous plait.
Une main réchauffa soudain les siennes et elle sentit les doigts de Xena
s’enrouler autour des siens et les presser.
« Peut-être
que si nous souhaitons la même chose assez fort, elle finira par
arriver. » Le vent lui apporta la voix de Xena. Elle ne s’était pas
attendue à cette réponse et elle la calma tandis qu’elle frottait sa joue d’un
air absent contre l’armure de cuir.
Peut-être. La douleur disparut pour l’instant
et elle se concentra sur leur destination qui grandissait maintenant devant
elles et sur leur droite. La moitié du village était en flammes et Argo
s’ébroua, roulant des yeux alors que les vagues de chaleur les atteignaient.
Xena
arrêta la jument et glissa de son dos, se retourna et attrapa Gabrielle qui
faisait de même, pour la déposer doucement sur le sol dans un mouvement
spontané. « Heu… je… allons voir si nous pouvons apporter notre
aide », dit la guerrière tranquillement, en laissant retomber ses mains
avec confusion.
La
journée fut longue. Les brigands avaient mis le feu à l’entrepôt de grains et à
l’écurie commune, et ils avaient aussi arraché le puits du village. Xena
regardait Gabrielle qui commençait à organiser l’aide et elle hocha
tranquillement la tête pour elle-même, tout en commençant à remonter des seaux
d’eau du puits à demi effondré et à les vider sur le feu. Le labeur était dur
mais elle en était contente, ça lui occupait au moins l’esprit et les regards
tranquilles et reconnaissants des villageois étaient un baume inattendu sur une
âme qui se sentait pas mal âbimée.
Ils
finirent par éteindre le feu et Xena entra dans l’écurie à demi calcinée,
évitant les poutres du toit qui pendaient dangereusement tandis qu’elle
déverrouillait la première stalle et faisait des bruits apaisant à l’intention
de son occupant inquiet. « Doucement… doucement… »
L’étalon
se cabra et renifla, ses yeux roulant sauvagement, ses poumons pleins de l’air
lourdement enfumé.
Xena
le contourna avec précautions et attrapa son licou. « Doucement
maintenant… » Elle lui parla d’une voix douce et fut récompensée par un
reniflement exaspéré. « C’est ça… du calme.. » D’un mouvement rapide
du poignet, elle jeta un morceau de lin qu’elle avait posé sur son bras à cette
fin, sur la tête du cheval, ce qui eut pour effet de l’aveugler.
Il
se calma et elle put le guider hors du bâtiment, sous les acclamations et le
soulagement évident des villageois réunis. « C’est votre
étalon ? »
Le
forgeron lui prit le licou. « Oui. » Son regard marron croisa celui
de Xena. « Sois remerciée par les dieux… après cet hiver, c’était notre
seul espoir. » Il tendit une main couverte de suie.
« Antenius. »
Xena
soupira intérieurement. Bon, ça a été
agréable le temps que ça a duré. Elle prit le bras et le secoua.
« Xena. »
Il
haussa les sourcils. « Vraiment ? » Il se retourna pour faire
face à la foule. « Hé ! C’est Xena ! ! » Il se
retourna vers elle. « Mon frère vit à Potadeia… c’est le forgeron là-bas…
il n’arrête pas de parler de toi. »
La
guerrière cligna des yeux. « Je me souviens de lui », répondit-elle
lentement. « Son apprenti a épousé ma… » Elle hésita puis continua.
« La sœur de ma compagne. » Son regard fit le tour à la recherche du
barde, puis elle se figea. « Oh par Hadès. »
Gabrielle
était presque au sommet de l’arbre qui dominait la cour centrale du village, sa
silhouette nerveuse étendue sur une branche qui balançait, en train de se
diriger vers un chaton très effrayé et tès désorienté.
Xena
serra la mâchoire pour retenir l’avertissement qui menaçait de sortir de sa
gorge dans une explosion. Est-ce que ce
n’est pas une des choses qu’elle a dit détester ? Que je la traite comme
une enfant ? Comme quelqu’un qui ne sait pas ce qu’elle fait ? Je
sais que je l’ai fait. Elle laissa passer un soupir fatigué. J’aurais juste souhaité savoir combien elle
détestait ça. Combien elle me détestait quand je le faisais. Elle regarda
en silence le barde avancer centimètre après centimètre sur la branche, une
main tendue vers la créature miaulante.
« Elle
est courageuse », murmura Antenius. « C’est Gabrielle le barde,
non ? »
Le
regard de la guerrière était cloué sur le barde. « Oui. »
Le
forgeron laissa passer un énorme soupir, sa main libre caressant le cou de
l’étalon affectueusement. « Ça va faire une sacrée histoire, hein mon
gars ? Tu as été sauvé par Xena ! Tu as une longueur d’avance sur tous
les autres étalons, pour sûr. »
Le
barde avait atteint son but et le chaton reniflait ses doigts, semblant y
trouver quelque chose, parce qu’il rampa vers elle et Gabrielle put mettre la
main autour du petit animal.
Mais
elle se redressa pour se retourner sur la branche qu’un coup de vent fit
violemment bouger et la délogea, l’envoyant voler en lui donnant à peine le
temps de se rattraper d’une main suspendue haut au-dessus du sol.
Xena
ne se souvint pas avoir bougé mais… elle était soudainement là, sous l’arbre et
concentrait son regard sur le corps qui balançait au-dessus d’elle.
« Gabrielle ! » Elle sentait son cœur battre fort.
« Ecoute-moi… »
« Ok »,
répondit celle-ci faiblement. « Je t’écoute. »
« Laisse-toi
simplement… tomber. » Xena se rendit compte de ce qu’elle demandait et
elle sentit son cœur s’arrêter. Est-ce qu’elle allait le faire ? Est-ce qu’elle va me faire confiance ?
« Je vais te rattraper. »
Gabrielle
déglutit en entendant ces paroles. Elle avait horreur du vide et la pensée de
simplement relâcher sa prise et tomber… par les dieux… Elle regarda le chaton
qui miaulait faiblement. « Je pense que c’est une question de confiance,
hein ? Tu m’as fait confiance pour te sortir de là. »
« Miaou ? »
Le chaton la fixait des ses yeux effrayés.
« Tiens
bon, ok ? Parce que j’ai une amie là en bas qui va s’occuper de tout,
« promit-elle doucement puis… elle lâcha tout.
Xena
vit les doigts de Gabrielle se détendre et elle s’accroupit, regarda le barde
tomber puis bondit en l’air tandis que celle-ci chutait, et entoura de ses bras
en plein air un barde stupéfait, avant de les faire atterrir, d’amortir
l’impact de ses jambes et de se dérouler vers le haut dans un petit saut.
Elle
relâcha immédiatement la jeune femme qui s’accrochait à elle, les yeux fermés.
« Gabrielle ? »
Celle-ci
ouvrit ses yeux verts et la regarda. « Belle prise », balbutia-t-elle
doucement, ce qui lui valut un sourire honnête. Pas ce genre de petit sourire
narquois dont Xena usait avec les autres gens, mais un de ces sourires ouverts
et vrais qui plongea en Gabrielle qui sourit en retour.
« Jolie
chute », répondit doucement la guerrière, consciente que la foule
s’agglutinait.
Gabrielle
souleva le chaton. « Je… craque toujours pour un joli minois. »
Elles
croisèrent tranquillement le regard et Gabrielle sentit quelque chose remuer
très profondément en elle, une chose qu’elle pensait partie pour toujours. Elle
l’attrapa et l’amena contre son cœur tandis qu’une petite main tirait sur sa
jupe. « Et voilà. » Elle s’agenouilla et rendit son chaton à la
petite fille. Le visage taché et couvert de suie se fendit en un énorme sourire
à son intention.
« Berci. »
La fillette serra contre elle l’animal qui miaula de protestation et elle
partit en trottinant.
Gabrielle
la regarda partir, incapable de repousser le nœud dans sa gorge. Elle se
souvenait d’Hope et de ce qu’elle ressentait quand elle était nichée entre ses
bras pendant cette courte période de temps. Elle soupira et sentit une main lui
toucher l’égèrement l’épaule. Un contact qu’elle connaissait bien. Elle se
releva et se tourna à demi pour faire un sourire de gratitude à Xena.
« Alors… comment ça se passe là en bas ? »
Xena
la fixa un petit moment encore puis hocha la tête vers le forgeron qui testait
avec précautions les jambes de l’étalon. « C’est le frère de
Tectdus. »
Le
forgeron se releva et lui tendit le bras. « J’ai entendu beaucoup de
choses sur toi, Gabrielle. »
Le
barde prit son bras et le serra. « Hum… merci. » Elle utilisa son
autre main pour repousser ses cheveux de son front. « Qu’est-ce qui s’est
passé ici ? »
Xena
le laissa raconter son histoire malheureuse au barde et alla au puits où le
maçon du village se trouvait, agenouillé, en train de jurer. « Un sacré
bazar, hein ? »
Il
leva les yeux avec lassitude. « Quels salauds. » Cracha-t-il.
« Pas assez qu’ils aient pris ce que nous possédions… il fallait aussi
qu’ils nous rendent la vie impossible ? » Il traina une pierre pour
la remettre en place et grogna un remerciement quand Xena se mit sur un genou
pour l’aider. « Content que vous soyez arrivées toutes les deux. » Il
regarda par-dessus son épaule. « On a beaucoup misé sur ce cheval… il doit
couvrir une douzaine de juments en chaleur. »
Xena
mit une autre pierre en place et lissa de la boue par-dessus, puis elle plaça
une troisième pierre au-dessus. « Contente d’avoir été dans le
coin. » Ils travaillèrent en silence un petit moment, à remettre le puits
en état.
« Tu
as le coup pour ça, dis donc », dit le maçon avec une note de surprise
dans la voix. « Tu l’as déjà fait ? »
Xena
lui fit un bref sourire sardonique mais avant qu’elle ne puisse répondre, une
voix douce s’éleva par-dessus son épaule.
« Elle
a de nombreux talents. » Gabrielle s’était approchée derrière eux et elle
mit la main sur l’épaule de la guerrière pour s’appuyer nonchalamment.
« On a une chance qu’il sorte de l’eau de ce puits ? » Elle
regarda le maçon tirer un seau, le plonger et lui tendre la louche avec un
sourire grognon. « Merci. »
Xena
resta silencieuse et calme, se contentant de secouer la tête lorsque des
gouttes d’eau lui tombèrent dessus de la louche.
Un
léger rire s’ensuivit. « Désolée. »
La
guerrière retint douloureusement son souffle, essayant de se souvenir de la
dernière fois où elle avait entendu Gabrielle rire. Elle renonça lorsque la
louche vint au niveau de ses yeux, et elle la prit avec précaution.
« Merci. » Elle fut récompensée par un effleurement de ses cheveux,
avant que le barde ne parte pour continuer à aider les villageois à remettre
leurs boutiques en état.
« C’t’une
ben jolie fille », dit le maçon en grognant, tout en lui lançant un
regard.
Xena
soutint son regard. « Oui. » Elle haussa un sourcil en avertissement.
Le
maçon leva la main. « Ah là… j’pense pas d’mal en l’disant, guerrière. Je
peux bien voir qu’elle est prise. » Ses yeux brillèrent à son expression
de surprise. « J’suis pt’être plus vieux qu’ces collines là autour, mais
j’sais r’connaître l’amour quand j’le vois, oui madame. » Il lui fit un
gros clin d’œil et retourna à son travail.
Xena
se releva et alla vers l’écurie, le visage tourné vers le vent qui balaya ses
cheveux loin de ses yeux. Ainsi. Même
maintenant, même après tout ça… Son regard s’égara vers le vieux maçon. J’espère par tous les dieux que tu vois
quelque chose qui existe toujours, mon ami. Elle leva les yeux et déglutit. Parce que je ne pense pas pouvoir vivre
sans. Elle regarda ses bottes, couvertes de poussière et de suie. Plus maintenant.
Elles
déclinèrent l’offre de passer la nuit au village, disant qu’elles seraient tout
près et reviendraient le lendemain matin pour finir de remettre la cité en
ordre. C’était juste... Xena soupira. Plus facile pour elles deux… malgré leur
inconfort à être ensemble, c’était pourtant mieux que d’avoir à le gérer avec
des étrangers autour d’elles. Et surtout des étrangers qui sauraient qui elles
étaient et tanneraient sûrement Gabrielle pour qu’elle raconte des histoires si
elles restaient en ville.
Alors
elles établirent un autre campement silencieux, dans la brume violette tombante
du crépuscule, abritées contre une formation de roche qui offrait un
arrière-plan reflétant la lumière du feu et faisait sautiller et danser leurs
ombres sur sa surface.
Gabrielle
s’examina et releva les yeux avec un sourire désabusé. « Il me faut… un
bain. » Le barde était couverte de suie et de boue et littéralement
barbouillée de farine de l’entrepôt dévasté.
Xena
la regarda depuis sa place près du feu où elle déposait des morceaux de bois.
« Moi aussi. » Elle se passa la main sur le visage et en sortit de la
suie, qu’elle fixa. « Tu peux passer d’abord. » C’était devenu une
habitude, forcée et bizarre étant donné qu’elles n’avaient jamais été prudes
l’une avec l’autre, même quand elles venaient de commencer à voyager ensemble. Encore une autre réalité douloureuse, je
présume. Xena fixa le sol d’un air las.
Un
long silence tomba entre elles, jusqu’à ce que Gabrielle prenne une inspiration
et s’éclaircisse la voix. « Euh… tu sais, je pensais… d’une pierre deux
coups… et tout ça… que peut-être tu vas trouver un poisson. » Elle
s’interrompit avec un peu de gêne. « Il n’y a pas de raison que tu
souffres dans ce machin qui gratte plus longtemps que nécessaire… je veux
dire… »
La
guerrière leva les yeux. « Très bien, je viens avec toi. » C’était
une chose infime mais elle y tenait et la chérissait.
Elles
marchèrent en silence jusqu’à la rivière et elles se déshabillèrent, prenant
leur vêtements avec elles pour les nettoyer. Gabrielle oeuvra tranquillement
sur les siens, lançant des regards en cachette vers la guerrière, baignée par
la douce lumière de la lune, sa tête sombre penchée sur sa tâche. J’avais oublié combien j’aime la regarder.
La pensée s’imposa à elle dans un murmure. C’était étrange de pouvoir
simplement le faire et de ne pas ressentir la culpabilité obsédante qui les
avait tenues éloignées pendant si longtemps, faite de secrets, de colère et du
ressentiment qui avait grandi entre elles et avait écarté les choses
importantes.
Comme
le fait que regarder les muscles sur les épaules de Xena l’avait toujours
fascinée. Et le fait qu’elle était vraiment belle dans la lumière de la lune.
Elle reflétait sa peau bronzée et faisait ressortir les tons légèrement bleutés
de ses cheveux, et le barde serra la mâchoire face aux larmes de soulagement
qui menaçaient de la submerger à cause des sentiments simples et tranquilles
qu’elle ressentait.
Une
vague légère et soudaine la frappa et elle leva les yeux pour voir le regard
bleu tourné vers elle à distance de ses bras. « Hé… si tu… as fini…
je… » Xena fit un geste vers les branches d’un arbre tout proche.
« C’est un bon endroit pour sécher. »
Gabrielle
sourit et lui tendit son haut et sa jupe. « Merci. » Elle regarda la
guerrière aller vers l’endroit où l’arbre surplombait la rivière et se sortir à
demi de l’eau pour installer les vêtements à sécher. Le regard du barde passa
sur la silhouette familière et une minuscule ride d’inquiétude apparut sur son
front. Bon sang… qu’elle est maigre…
quand est-ce que c’est arrivé ? Puis elle baissa le regard et laissa
passer un léger soupir. Ça fait un moment
que c’est arrivé. Mais tu ne voulais pas le voir. Elle canalise tout à
l’intérieur et ça la déchire. Réveille-toi, Gabrielle.
« Un
dinar pour tes pensées », demanda Xena sans la regarder.
Gabrielle
baissa les yeux vers l’eau et tapota doucement la surface. « Tu… ne veux
pas les connaître. Tu m’accuserais d’être une mère poule », répondit-elle
calmement, sentant l’eau onduler à nouveau contre elle avec la présence toute
proche de Xena. Elle leva les yeux et croisa le regard de la guerrière.
« Je
veux les connaître. » Xena s’installa près d’elle et entoura son genou
d’un bras tout en fixant le barde droit dans les yeux.
Etrangement,
songea Gabrielle, c’était mieux que toutes ces précautions. « Tu ne manges
pas. » Elle rendit le regard. « Tu ne prends pas soin de toi, pas
vrai ? »
Quelque
chose dans les yeux de Xena fondit, avant qu’elle ne baisse le regard.
« Pas trop bien, non », répondit-elle d’un ton rauque. « Je ne
pense plus être très bonne pour ça. »
Comme
dans un rêve, Gabrielle vit sa main se lever et s’emmêler dans les cheveux
noirs qui flottaient dans l’eau. « Tu cherches une candidate pour ce
travail ? »
La
respiration de Xena fit remuer l’eau. « Tu es volontaire ? »
Gabrielle
sentit les larmes arriver et cette fois elle les laissa venir, tandis que les
barrières ombrageuses s’éteignaient dans les yeux de sa compagne et elle eut un
éclair de la personne qu’elle connaissait. « Oui », réussit-elle à
répondre. « J’ai de l’expérience. » Sa main glissa dans les cheveux
noirs soyeux et elle toucha la joue de Xena, sentant la peau chaude rafraîchie
par l’eau sous ses doigts. S’il te plait…
Xena… ne te referme pas. Je suis si fatiguée d’être là dehors dans le froid.
Xena
sentit son cœur bondir dans sa poitrine dans un rythme irrégulier tandis
qu’elle luttait contre une vague de panique, prise entre un besoin désespéré et
la peur glaciale de s’ouvrir à nouveau. Puis son esprit se concentra sur une
main qui relâchait une branche en toute confiance plus tôt ce jour-là et elle
sentit le calme envahir ses sens énervés.
Elle
leva les yeux et laissa passer un léger soupir effrayé. « Je pense que tu
es engagée. »
Gabrielle
sentit qu’elle recommençait à respirer, avec un léger souffle d’air qui lui
apporta l’odeur riche de l’eau et de leur savon. « Très bien… je vais te
dire, si tu nous trouves un poisson, je parie que je peux arranger un
dîner. » Elle fit un sourire gêné à la guerrière. « Je pense que
c’est un bon début. »
Un
coin de la bouche de Xena se releva et son regard fut lointain pendant un
instant, puis un mouvement rapide sous l’eau surprit le barde.
« Hou ! »
Cria-t-elle en regardant Xena sortir la main de dessous l’eau avec un énorme
poisson argenté.
« Grogh »,
grogna le poisson dans sa direction. Même Xena eut l’air surpris. Elle frappa
le poisson sur le côté de la tête et il se calma. « Désolée. »
Gabrielle
se mordit fort la lèvre pour ne pas bafouiller. « Heu.. » Elle jeta
un coup d’œil au poisson. « C’est quoi... ça ? »
Xena
examina le spécimen et renifla d’un air pensif. « Je ne sais pas. Je vais
appeler ça un grognement. »
Le
barde pencha légèrement la tête. « C’est bon à manger ? »
La
guerrière haussa les épaules. « Tu t’arrangeras bien pour que ça le
soit. »
C’était
une petite remarque désinvolte, imprévue et quelque part ça la rendait encore
plus spéciale. Gabrielle sentit quelque chose se délier un peu en elle et elle
absorba le commentaire avec un plaisir simple. « Merci. »
Elles
sortirent de l’eau accompagnées du poisson qui sortit de sa torpeur et grogna à
nouveau, faisant sursauter le barde qui avançait à un pas ou deux devant sa
compagne. Elle se retourna et lança un regard noir au poisson qui fut
promptement renvoyé dans les limbes par Xena.
Le
barde se dirigea vers leurs affaires aussitôt arrivée au campement,
s’agenouilla et sortit deux chemises de nuit, puis elle se releva et alla vers
sa compagne qui s’assurait que le poisson ne la surprenne plus. La guerrière
leva les yeux à son approche et tenta un sourire hésitant, puis elle concentra
son regard sur ce que tenait le barde.
« Comme
ta combinaison en cuir est en train de sécher, j’ai pensé… » Expliqua
Gabrielle doucement, en tendant une des chemises, puis elle s’arrêta en voyant
le sourire sur les lèvres de la guerrière.
« Ça
t’ennuie que je prenne l’autre ? » La voix de Xena comportait une
tonalité bizarrement timide.
Le
garde lui sourit. « Non... je heu… c’est bon. » Elle lui donna la
chemise en question et mit l’autre contre elle avant de la passer par-dessus sa
tête pour l’installer sur son corps avec un sentiment de joie tranquille, une
émotion si étrangère ces derniers temps qu’elle semblait exotique.
Xena
finit d’écailler le poisson avant de s’essuyer les mains et elle se releva,
puis elle passa la chemise que la barde avait posée sur son épaule. « Il
est tout à toi », dit-elle à Gabrielle en s’éloignant du feu pour regarder
le barde s’agenouiller et commencer à préparer le poisson. Elle observa avec un
sourire nostalgique les reflets dans ses cheveux que la lumière du feu faisait
ressortir. Elle s’assit sur un rocher tout proche et posa les coudes sur ses genoux,
satisfaite de simplement être assise et d’observer en silence.
Ça avait été le plus difficile, songea-t-elle avec tristesse,
de se rendre compte que Gabrielle ne lui faisait plus confiance. Ne croyait
plus en elle. Elle l’avait su au moment même où elle avait regardé dans les
yeux du barde au moment où Gabrielle lui avait dit qu’elle avait tué Hope, en
haut de cette montagne, et qu’elle savait que ce n’était pas vrai.
Cela avait détruit quelque chose en elle, ce quelque chose qui
l’avait résolumment maintenue sur le chemin qu’elle suivait pour se retrouver,
parce que quelque part sur ce chemin, elle s’était rendue compte que Gabrielle
signifiait plus pour elle que d’arriver au bout de sa route. C’était par la foi
de Gabrielle qu’elle tentait de continuer son voyage et sans ça…
Ça faisait mal. Et ça faisait encore plus mal de les voir
s’éloigner de plus en plus l’une de l’autre. J’aurais dû essayer de lui parler
de mes sentiments, songea Xena pour la millième fois. Ce que je ressentais au
sujet de ce que j’avais fait à Hope. Pas étonnant qu’elle m’ait abandonnée.
Quand Gabrielle avait décidé de ne pas aller en Chine, ça ne
l’avait pas vraiment surprise. Elle avait passé tout le voyage drapée dans sa
tristesse, à fixer les flots battus par la tempête et à se raccrocher
désespérément aux petits souvenirs chauds, la seule chose qui lui restait de ce
qui avait été le centre de sa vie il y avait si peu de temps, elle le savait.
Même alors, même en sachant que c’était fini, Gabrielle lui manquait plus
qu’elle ne l’aurait cru possible et elle s’était maudite d’avoir été assez
folle pour croire en quelque chose d’aussi stupide et de dangereux que…
l’éternité.
Je n’abandonne pas aussi facilement, avait dit Gabrielle lors
du voyage de retour. Pas sur quelque chose qui compte tellement pour moi.
La trahison ? Xena laissa un petit sourire s’installer
sur ses lèvres. C’était supposé être un aller simple. Puis elle se figea
lorsqu’une pensée lui apparut.
Ming Tien… ce salopard… il l’avait manipulée pour qu’elle le
tue. Pourquoi ? Une autre pensée. Krafstar aussi l’avait fait. Et si
Gabrielle avait raison… et si tout ça… était planifié ? Ce qu’ils avaient
pris à Gabrielle était évident… mais de moi ?
« Hé
? » Le son léger d’une voix juste devant elle la fit sursauter et lever
les yeux.
« Désolée. »
Elle cligna des yeux. « Je réfléchissais. »
Le
barde s’assit sur le rocher près d’elle et prit la même posture de façon que
leurs épaules se touchent. « C’est ce qu’il semblait », dit-elle
doucement puis elle fixa le feu. « Ça m’a pris un peu de temps... le
poisson était énorme. » Elle baissa les yeux et regarda ses doigts
croisés.
« Je
pense que tu avais raison. » Xena prononça ces mots avec précautions.
« Hmmm ?
A propos de quoi ? » Gabrielle plissa le front. « Le
poisson ? »
« Il
y avait quelque chose derrière ce qui est arrivé », répondit brusquement
la guerrière en fixant ses propres mains comme si elle ne les avait jamais vues
auparavant. « Ce quelque chose… avait besoin qu’on soit séparées. Il ne
pouvait rien faire… si nous ne l’étions pas. »
Gabrielle
laissa passer un souffle retenu. « Est-ce que c’était Hope ? »
Elle bredouilla sur le nom quand elle se rendit compte que c’était la première
fois qu’elle le prononçait à voix haute devant Xena depuis…
Celle-ci
plissa ses yeux bleus. « Je pense qu’elle était le début de quelque
chose. »
Elles
se regardèrent. « Xena... ce n’est pas fini, n’est-ce pas ? »
« Je
ne le pense pas, non », répondit la guerrière honnêtement.
Gabrielle
hocha un peu la tête puis prit une profonde inspiration et lui fit face.
« Il faut que tu saches quelque chose. » elle s’interrompit.
« Ce tour ne va pas fonctionner une seconde fois. » Une autre pause.
« Tu sais ce que j’ai réalisé ce soir ? Après tout ce qui s’est passé
et tout ce qu’ils m’ont fait… tous les mensonges et toute la haine, et… »
Elle leva les yeux vers le regard rempli de douleur de Xena. « Ils n’ont
pas réussi à tuer cette part de toi en moi. » Elle prit une inspiration
tremblante. « A travers tout ça… et même si c’était enfoui profondément,
ça a toujours fait partie de moi. Et ça le fera toujours, je ne vais pas les
laisser me le prendre, Xena, je veux cette part. J’en ai besoin. » Sa voix
tomba en un murmure. « J’ai besoin de toi. »
« Je
ne le mérite pas », répliqua la guerrière avec une triste honnêteté.
« Même s’il y avait autre chose dans cette grotte, Gabrielle… c’était
aussi moi. » Elle mit sa tête entre ses mains. « Je t’ai
blessée. »
Gabrielle
ferma les yeux avec force. « Je le sais. » Elle prit une inspiration.
« Tu m’as pris ma foi en toi. » Elle se pencha un peu en avant.
« Je pense que c’est ce qui me fait le plus de mal… c’était comme si une
chose magique et spéciale m’avait été enlevée. » Elle ouvrit les yeux et
lança un regard inquiet vers la silhouette immobile et silencieuse, figée près
d’elle. « Mais tu sais… j’y ai beaucoup pensé… et je pense que je me suis
rendu compte de combien c’était injuste de ma part. »
Gabrielle
s’apppuya contre sa compagne et sentit sa respiration saccadée. « Je sais
ce que tu es, Xena. Je l’ai toujours su. » Elle leva la main et caressa la
peau douce du front. « Le risque a toujours été présent… et tu le savais,
n’est-ce pas ? » Elle s’interrompit mais Xena ne répondit pas.
« Je… je suis prête à prendre ce risque à nouveau, si tu le veux
bien. »
Xena
fixa le sol à travers le film de ses larmes, laissant les vagues successives de
peine, puis de culpabilité, puis d’une incrédulité douloureuse la traverser.
Elle s’était toujours attendue au pire.
Le
pire était arrivé.
Et
Gabrielle était toujours là. Elle-même était toujours là. Elles étaient allées
au Tartare et en étaient revenues, avec un amour profond toujours présent,
malgré toutes les vicissitudes.
De
quoi fallait-il encore avoir peur ? Lentement, elle leva la tête et croisa
le regard de Gabrielle. « Tu as raison. Ce truc ne marchera pas une
deuxième fois. » Et elle se confia à nouveau, et avec une pleine
connaissance, à la lumière.
Elles
restèrent tranquillement assises à regarder le feu rôtir leur dîner, mais cette
fois le silence fut plus confortable, et Gabrielle sentit tout son corps se
détendre tandis que sa tête reposait nonchalamment sur l’épaule de Xena.
C’était comme si… les choses allaient mieux. Ça faisait toujours mal et elles
avaient toujours un long chemin à parcourir, mais… d’être assise là, elle
commençait à ressentir les premiers miroitements d’une lueur chaude et
familière qu’elle pensait avoir perdue pour toujours.
Le
poisson s’avéra… meilleur qu’elle ne l’avait pensé, étant donnée sa nature
récalcitrante et elle se rendit compte qu’elle en mangerait bien plus, mais
elle choisit plutôt de prendre une pomme dans son sac et de la mordiller tout
en regardant Xena finir lentement sa portion, avec une expression pensive sur
le visage. « Tu n’aimes pas ? » Demanda doucement le barde.
Le
regard bleu chercha le sien et se concentra. « Si, si », répondit
Xena avec une pointe de sourire. « Je suis juste fatiguée, je
pense. » Essaie épuisée, la corrigea son esprit. Mais de la bonne façon,
pour la première fois depuis très, très longtemps. Elle se leva et alla vers
leurs bagages avant de s’accroupir près d’une sacoche, de farfouiller à
l’intérieur et d’en sortir son kit de réparation pour le cuir. « Il faut
que je répare cette bretelle », dit-elle tranquillement et elle se releva
et se retourna pour se figer quand elle faillit percuter Gabrielle.
« Ouahou. »
« Tiens. »
Le barde lui passa la combinaison en cuir presque sèche. « Pourquoi tu ne
vas pas t’asseoir là-bas… tu as l’air un peu épuisée. »
Xena
hocha légèrement la tête. « Bonne idée. » Elle alla jusqu’à leur
couchage et se laissa tomber, les jambes pliées sous elle avant de s’appuyer
sur un coude tout en sortant son aiguille et en examinant la bretelle détachée.
Gabrielle
passa un moment à simplement la regarder, puis elle sourit et secoua un peu la
tête, s’agenouilla près de ses propres affaires et en retira son journal et la
petite boite dans laquelle elle gardait ses plumes et son encre. Elle saisit un
bruissement et baissa les yeux pour voir que la petite bourse en cuir dans
laquelle Xena gardait des babioles personnelles était tombée de son sac. Elle
la prit en fronçant un peu les sourcils tout en réalisant que le haut en était
parti et que des petits morceaux de parchemin étaient tombés. Elle en avait
pris et remis la plus grande partie avant que l’un d’eux ne se déroule entre
ses doigts et elle se rendit compte de ce que c’était.
Des
signes effacés, tracés d’une main familière, s’affichaient devant ses yeux et
saisirent son cœur. Ses poèmes, écrits à Xena à une époque différente, des
endroits différents, tous rangés ici et à voir les plis crevassés du parchemin,
lus bien plus d’une seule fois. Elle lut celui qu’elle tenait en main et il fit
jaillir des larmes dans es yeux, en même temps que le souvenir de ce qui
l’avait fait l’écrire. Oh Xena…
Avec
un soupir, elle remit le parchemin dans le sac qu’elle rangea dans les affaires
de Xena, prit son journal et retourna près du feu, où elle posa la marmite
d’eau et s’agenouilla pour mélanger avec soin des herbes pour faire deux tasses
de thé.
Elle
n’entendit pas Xena bouger mais sentit la présence chaleureuse et
reconnaissable dans son dos, juste avant qu’elle ne sente une main sur son
épaule et elle se retourna pour regarder la guerrière. Elle se sentit saisie…
et engloutie dans le regard inquiet de Xena. « Qu’est-ce qui ne va
pas ? » Demanda la guerrière tranquillement, en s’accroupissant pour
qu’elles soient au même niveau.
Ces
paroles firent tomber un voile sur elle mais elle savait qu’elle ne pourrait
pas éviter le sujet plus longtemps. « R… rien, je… c’est juste que… il y
avait… des poèmes… quelques-uns… ils sont tombés….je… »
La
main glissa de son épaule et vint doucement effleurer sa joue. « Ils
m’ont… permis… de continuer… à des moments vraiment très sombres », admit
calmement la guerrière. « Ils m’ont euh… rappelé que… autrefois… »
Elle s’interrompit et déglutit. « Je… j’avais quelqu’un qui… » Une
autre pause. « Croyait vraiment en moi. » Elle regarda le feu et
l’agita avec un bâton. « Ils étaient… tout ce qui me restait. »
Gabrielle
ressentit l’angoisse dans ces mots. « Xena… je pense que j’ai perdu tout
ça », dit-elle dans un murmure. « Je… je ne peux pas... c’est comme
s’ils étaient perdus et que je ne sache même plus où les chercher. » Elle
se prit la tête entre les mains. « Il y avait plein de couleurs là dedans…
et maintenant tout est… gris… plus rien… et… et… je ne sais pas quoi
faire. »
Il
y eut un nuage de poussière quand la guerrière fit tourner ses genoux dans la
terre près du feu. « Regarde-moi. » Xena attendit que le regard vert
se lève vers elle. « Tu as tort…ce don fait partie de toi. » Elle
scruta le visage accablé de douleur du barde. « Gabrielle, ils sont là.
Donne-toi juste… un peu de temps. » Elle tendit la main et écarta
doucement une mèche de cheveux blond doré et laissa ses doigts chauds reposer
sur la peau du barde. « Je peux les voir dans tes yeux. »
Le
barde cligna des yeux. « Tu peux ? »
Xena
hocha lentement la tête. « Oui… il y a cette petite… cette
expression. » Elle se mâchouilla la lèvre. « Comme si ton esprit
était tourné vers quelque chose que tu ne peux pas vraiment voir. »
« Vraiment ? »
Gabrielle accepta volontiers d’être distraite. Fais-moi croire en ça, Xena. Contre sa volonté, une petite boule
d’espoir prit naissance en elle, engendrée par l’affirmation solennelle et
assurée de la guerrière. Sans même y penser, elle se laissa tomber en avant et
entoura le cou de Xena de ses bras dans une étreinte reconnaissante.
« Merci. »
Xena
resta absolument immobile pendant un long moment, puis elle lui rendit son
étreinte, enfouissant son visage dans l’odeur de plantes des cheveux clairs du
barde. C’était si bon que ça en fit presque mal, rapportant des souvenirs
vivaces de l’époque avant que l’obscurité ne tombe sur elles deux, et elle
sentit une pointe de douleur quand elle relâcha la jeune femme et laissa ses
bras retomber avec embarras. « Tu n’as qu’à… attendre, Gabrielle. Un de
ces jours… ils vont s’écouler de toi », lui dit-elle doucement.
C’est
comme si un poids avait été enlevé de ses épaules lorsqu’elle se recula et fixa
la guerrière. « Très bien… » Elle sourit un peu. « Mais pas de
récriminations quand ça arrivera et que je serai submergée. »
« Non…
pas de récriminations », l’assura Xena avec un sourire timide.
La
guerrière se releva et retourna à leur couchage, se rassit et reprit son
ouvrage sur le cuir abîmé. Gabrielle finit de préparer le thé puis mâchouilla
un peu sa lèvre et prit une inspiration. Ok…
ça peut pas me faire de mal d’aller m’asseoir près d’elle, non ? Elle
emporta les deux tasses jusqu’au couchage et plia les genoux avec précautions
tout en tendant la sienne à Xena avant de s’installer les jambes croisées près
de la guerrière sur les fourrures douces. « Ça t’ennuie que je me joigne à
toi ? »
Xena
leva les yeux vers elle par-dessus le bord de sa tasse, la fumée légère
s’élevant et lui masquant les yeux. « Non. »
Gabrielle
sourit pour elle-même et ouvrit son journal, le posa sur ses genoux et choisit
une plume dans la boite dont elle affûta la pointe sur la petite pierre à
aiguiser que Xena avait fixée sur le couvercle à cet effet.
S’il devait y avoir deux jours complètement différents, ce
serait hier et aujourd’hui. Hier soir, je pensais que nous étions si éloignées
que que nous pourrions vraiment être des étrangères.
Aujourd’hui… et bien, aujourd’hui… c’est comme si quelque
chose s’était déclenché en elle, et, peut-être aussi en moi, parce que pour la
première fois depuis que Hope et Solan sont morts, j’ai perçu une lueur de mon
amie.
Je ne suis pas sûre de savoir si c’est bon ou pas, parce que
de voir cette lueur… me rappelle tous les moments qui ont précédé et je
m’aperçois que je veux tellement y retourner que je peux le sentir
physiquement.
Et… ça me fait mal quand je me rends compte que je pourrais
bien ne jamais pouvoir y retourner.
Ça me manque. Ça me manque de pouvoir juste la taquiner et
jouer avec elle. Elle ne peut pas l’accepter pour l’instant… dans cette grotte,
je lui ai fait avec des mots ce qu’elle m’avait fait avec ses poings… et elle a
autant peur de moi que d’elle.
Mais vous savez quoi ? Quand elle m’a dit de lâcher prise
aujourd’hui, je l’ai fait… vous savez, je n’ai jamais pensé à si elle allait me
rattraper ou pas… j’ai juste eu confiance. Je n’ai même jamais pensé à ça du
tout. Je me demande si elle s’en est rendu compte ?
Notre lien est revenu. J’étais plutôt choquée. Peut-être que
d’avoir dormi ensemble hier a en quelque sorte déclenché ça. Pas très fort,
mais… c’était formidable de le ressentir. Et bien, pas formidable, parce
qu’aucune de nous n’est vraiment heureuse, mais... c’était bloqué depuis si
longtemps, et ça me manquait quelque part.
Elle pense que mes histoires sont toujours là. Je pense que je
vais décider de croire ce qu’elle croit… elle est plutôt douée pour savoir ce
qui se passe chez les gens, surtout chez moi. En plus, je veux vraiment y
croire, alors je pense que je vais le faire. Ça a été vraiment bon de
l’entendre prononcer ces mots en tous cas.
Ça a été vraiment bon de l’entendre dire un tas de choses
aujourd’hui. Je sais que certaines des choses que j’ai dites l’ont blessée…
mais c’est important qu’il n’y ait plus que de l’honnêteté entre nous
maintenant. Plus de sentiments retenus. Plus maintenant. Plus… maintenant.
Je me sens bien. C’est si étrange d’écrire ceci. Ça fait si
longtemps.
Xena
finit son ouvrage de couture et posa la combinaison et le kit, puis passa un
moment à regarder Gabrielle écrire, souriant un peu en voyant l’expression de
concentration sur son visage, le bout de sa langue sorti et les muscles bien
dessinés de son avant-bras tendus et détendus au fur et à mesure de ses écrits.
Elle est si mignonne. La pensée la surprit.
Pas que ce ne fut pas vrai, mais… quelque chose changeait. Elle roula sur le
dos et fixa les étoiles d’un regard scrutateur. Non. Rien n’a changé.
Elle relâcha un long soupir. Je l’aime toujours. La vérité la frappa
mais amena aussi un petit sourire sur ses lèvres.
Une
voix lui parvint et elle se rendit compte que Gabrielle avait reposé son
journal. « Hé… l’offre est toujours valable ? » Le ton du barde
était pour moitié une légère taquinerie, et pour moitié une requête
mélancolique.
Xena
tourna la tête. « Bien sûr. » Elle attendit que Gabrielle vienne près
d’elle et sourit en sentant le soupir de contentement qui réchauffa brièvement
sa peau à travers le tissu. Puis elle regarda fixement les étoiles et plissa
les yeux. Aphrodite, si nous traversons tout ça, je te serai redevable.
Fixe
ton prix.
Puis
elle ferma les yeux et se prépara au sommeil.
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A
suivre – Chapitre 1- 2ème partie