Quand tombent les ténèbres, chapitre 1, deuxième partie
Quand tombent les Ténèbres
Par
Melissa Good
Chapitre 1 – 2ème partie
************************
Les
premiers chants légers d’un rossignol commençaient juste à briser le silence du
petit matin quand elle rouvrit les yeux et elle inspira l’air qui contenait encore
des effluves de leur feu de camp, et l’odeur humide de la végétation couverte
de rosée autour d’elles. Sur sa droite, la guerrière pouvait entendre le
bruissement des sabots d’Argo, puis le bruit régulier de mastication. Elle
sentit un léger sourire tirer ses lèvres en pensant aux deux poulains jumeaux
qu’Argo avait joyeusement laissés derrière elle quand elle l’avait emmenée en
passant par Amphipolis.
Les poulains étaient élevés par la jument d’attelage
flegmatique de Cyrène qui était bien mieux faite pour ce travail que le cheval
de guerre fougueux. « Typique », avait ricané Cyrène en lui jetant un
regard. « On peut vraiment dire
à qui elle appartient. » Puis elle avait doucement attrapé le bras de
Xena. « Ma chérie, qu’est-ce qui ne va pas ? »
Elle se trouvait seule à cet instant et elle avait juste…
« Maman… je pense que je l’ai perdue. » Et elle lui avait tout
raconté. Britannia, la Chine… et elle avait accepté le regard choqué de Cyrène
et avait fini la tête dans ses mains.
« Oh… Xena », avait dit l’aubergiste dans un souffle
et elle avait entouré les épaules de sa fille. « Ok… ok… ma chérie, tu vas
m’écouter, d’accord ? »
« Oui. » Xena avait laissé passer un soupir.
« Mais je pense que j’ai tout fichu en l’air cette fois, et bien au-delà
de la rédemption, maman. »
« Xena. » Cyrène lui avait fermement pris le menton
et l’avait forcée à lever les yeux. « Est-ce que tu l’aimes
encore ? »
La guerrière avait senti les larmes monter. « Oui. »
Encore ? Toujours.
« Est-ce qu’elle t’aime encore ? » La question
était posée très doucement.
Ce fut comme si une serre lui serrait le cœur. « Je… je
ne sais pas. Je… je ne pense pas. » Rien que de le dire avait ramené
l’horreur et un sentiment de perte atterrant.
Cyrène avait laissé passer un soupir circonspect. « Mais
tu n’en es pas sûre. »
Elle avait gardé le silence un long moment. « Non. »
« Alors n’abandonne pas », avait dit l’aubergiste
doucement. « Je crois en vous deux et je pense que vous avez la force pour
vous en sortir ensemble. » Elle avait repoussé les cheveux en désordre de
sa fille de ses yeux. « Promets-le moi, Xena. N’abandonne pas. »
Xena avait soupiré. « Je te le promets. »
J’ai tenu ma promesse, maman. La pensée traversa sa conscience toujours embrumée alors qu’elle regardait la
barde blottie contre elle. Ne me demande pas comment. Elle pencha la
tête pour voir le visage de la barde et sentit un petit quelque chose fondre en
elle en voyant le minuscule sourire incrédule sur les lèvres de Gabrielle.
Comme
ça, et dans la quiétude du petit matin, elle pouvait prendre quelques instants
de nostalgie et prétendre que tout allait de nouveau bien. Prétendre que
Gabrielle allait se réveiller et qu’elles allaient se blottir un peu l’une
contre l’autre, et échanger quelques plaisanteries, et qu’elle regarderait le
soleil saisir lentement les reflets dorés dans les yeux vert brume de la barde.
Et elle sourirait et rirait, même s’il était tôt dans la matinée.
Mais
ce n’était pas le cas maintenant. Xena n’avait même aucune idée de si Gabrielle
avait encore ce genre de sentiments pour elle. Que Gabrielle l’aimât… aucun
doute. Mais la barde était-elle encore amoureuse d’elle ? C’était beaucoup
espérer. Il serait déjà bien de restaurer un semblant de leur amitié... bien
que maintenant elle était de plus en plus confiante que cela soit possible.
Mais
elle pouvait toujours faire comme si. Pendant un petit moment. Gabrielle remua
dans son sommeil et se nicha un peu plus, clignant une fois ou deux en bâillant
avant de refermer les yeux et de donner une petite tape sur le ventre de la
guerrière en se détendant dans un sommeil plus profond.
Xena
déglutit et serra un peu plus fort les bras autour du corps chaud de la barde,
ferma les yeux à son tour et laissa quelques larmes vagabondes tomber en
silence sur les cheveux blonds-dorés sous son menton. Tu avais raison, maman… je ne sais pas comment notre amour a survécu à
tout ça, mais il l’a fait… merci pour le conseil… il m’a sauvée.
********************************
Le
petit déjeuner fut très calme et elles reprirent la route du village peu de
temps après, arrivant alors qu’un groupe de villageois à l’air fatigué y
revenait, en tirant un chargement d’arbres fraîchement mal taillés derrière
eux.
« Ne
te plante pas trop d’échardes », murmura Gabrielle en tapotant légèrement
la guerrière sur le côté avant de se glisser à bas d’Argo et se diriger vers le
groupe de travailleurs près de l’auberge.
Xena
sourit pour elle-même puis donna des coups de genoux à Argo pour l’amener près
d’un grand espace dégagé pour recevoir le nouvel arrivage, et elle descendit de
cheval, retirant sa hache à bois de la sacoche de la jument. Les travailleurs
levèrent les yeux à son approche et lui firent un sourire chaleureux.
« Bonjour. »
Elle leur fit un rapide hochement de tête en retour et commença à œuvrer, contente
de pouvoir se perdre, au moins pendant un moment, dans un dur labeur. Elle
continua jusqu’à ce qu’ils aient raboté et taillé toutes les bûches et les
découpa en morceaux plus petits, puis elle les aida à les transporter jusqu’à
l’endroit où deux charpentiers travaillaient rudement pour reconstruire le côté
de la hutte de stockage.
Elle
se releva, se frotta mes mains et regarda le soleil, puis elle laissa son
regard errer nonchalamment vers la cour. Elle repéra Gabrielle en un instant,
debout à l’ombre près du mur de l’auberge, en train de parler avec un grand
villageois appuyé contre le bois et qui agitait les bras pour appuyer son point
de vue.
La
voix de Gabrielle fut apportée par le vent et Xena la regarda tendre la main et
saisir le bras du jeune homme pour marquer son avis à son tour, puis ils se
mirent à rire. La guerrière sentit une lourdeur la remplir et elle s’appuya dos
contre l’arbre sous lequel elle se tenait, tentant de gérer le mélange de
regret et d’envie qu’elle ressentait. Pourquoi Gabrielle ne pourrait-elle pas
s’amuser un peu ? Le garçon était mignon et le type d’homme pour lequel Xena
avait toujours pensé que la barde avait un faible, jusqu’à ce que…
Elle
se détourna et fixa plutôt la route qui sortait du village. Elle ne t’appartient pas. Se dit-elle
tranquillement. Laisse passer. Laisse… si
elle peut trouver un peu de bonheur, tu n’as aucun droit d’interférer. Aucun. Elle prit une profonde inspiration et carra
les épaules puis elle retourna vers l’auberge et vit Gabrielle qui trottinait
vers elle.
« Salut. »
La barde la salua en arrivant à sa hauteur. « Ecoute… heu… » Elle
jeta un coup d’œil derrière elle. « Si on continue comme ça, ça sera fini
ce soir… il sera tard, mais… ils ont proposé de nous installer par ici. »
Elle se rapprocha. « Ecoute… je sais que c’est… dur. » Elle prit une
inspiration.” Ils m’ont demandé… et… peut-être que… je pense que… je… »
« Bien
sûr », dit Xena tranquillement. « On dirait bien qu’il va pleuvoir ce
soir de toutes les façons. »
Gabrielle
la regarda attentivement. « Tu es sûre d’être d’accord? »
La
guerrière hocha la tête. « Pas de problème. Pourquoi est-ce que tu ne…
pars pas devant… Il faut que je m’occupe d’Argo. » Sa vision périphérique
lui dit que le jeune villageois attendait près de la porte de l’auberge et elle
tenta d’ignorer la douleur dans sa poitrine à cette pensée. « Et euh… il
faut que je les aide à monter ce nouveau mur. »
Le
regard vert l’étudia avec soin. « Fais attention à toi. »
Un
bref sourire. « Ne t’inquiète pas… toi aussi. » Elle s’interrompit.
« Il fait… plutôt chaud par ici… assure-toi d’avoir assez d’eau,
d’accord ? »
La
barde lui sourit à son tour. « Ne t’inquiète pas. » Elle tendit la
main et massa légèrement le bras de Xena. « Merci. » Puis elle se
retourna et trottina vers son groupe, tournant légèrement la tête lorsque le
jeune villageois la rejoignit et resta tout près d’elle.
Xena
regarda encore un instant puis elle soupira et retourna à l’endroit où les
charpentiers luttaient pour aligner deux poutres et se joignit à eux. Elle prit
un coin de la lourde poutre principale et la souleva, faisant lever le tout.
« Essayez ça. »
Le
charpentier le plus âgé jeta un coup d’œil et lui fit un sourire reconnaissant.
« Ça va le faire… que les dieux soient bénis de t’avoir amenée, Xena. »
La
guerrière lui fit un sourire sans enthousiasme et pencha la tête, sentant le
soleil de l’après-midi lui chauffer les épaules, et elle laissa la brise agitée
écarter les cheveux de ses yeux.
************************
« On
a pratiquement fini. » Gabrielle soupira en s’appuyant sur l’étagère
nouvellement installée dans la hutte d’approvisionnement. « Pas
mal. » Elle lança un coup d’œil à son compagnon attentif. « On dirait
du neuf, hein Teren ? »
Le
jeune homme finit de faire rouler un tonneau et se redressa, puis s’approcha
d’elle en souriant. « Presque. » Il se passa la main dans ses cheveux
blonds raides et soupira. « Je serai prêt pour le dîner… et toi,
Gabrielle ? »
La
barde fit une grimace. « Il faut d’abord que je me trouve un seau d’eau
pour me laver. Je suis dans un sale état. » Elle regarda la poussière et
les copeaux de bois qui la couvraient.
Teren
lui sourit. « Pas du tout. » Il fit sauter un copeau ou deux de son
épaule. « Tu es parfaite. »
Gabrielle
sentit un rire monter et le retint. Il
est en train de flirter avec moi. Elle s’en rendit compte avec une surprise
amusée. A tout autre moment, elle aurait trouvé ça plutôt drôle, et modérément
amusant, mais là… là elle était trop sensible, et les choses trop tendues. Sa
vie n’avait pas besoin de complications supplémentaires.
« Mentir
ne t’apportera rien… » Informa-t-elle Teren d’un ton brusque.
« Excuse-moi. » Elle sortit de la hutte et se dirigea vers le puits,
savourant le spectacle du soleil couchant qui envoyait des lances rouge orangé
à travers le crépuscule bleu grandissant. L’une d’elles couvrait le puits et
elle y entra, sentant la chaleur recouvrir ses épaules tandis qu’elle sortait
un seau d’eau et se nettoyait.
Elle
était fatiguée, mais c’était de la bonne fatigue remplie de l’assurance qu’elle
avait fait du bon travail pour ces gens et que leurs vies en seraient
améliorées. Elle s’appuya sur la margelle et but quelques gorgées d’eau de la
cuillère, se contentant d’apprécier la lumière faiblissante et la brise riche
de l’odeur du sol et du bois.
Elle
finit par se retourner et remit le seau dans le puits, s’essuya les mains sur
sa jupe et jeta un coup d’œil vers l’écurie. Le nouveau mur avait été construit
et mis en place, bien qu’elle puisse voir qu’il fallait encore poser quelques
attaches, ainsi que du calfatage pour isoler du vent. Elle se dirigea vers le
bâtiment, sachant d’instinct que c’est là qu’elle trouverait Xena.
Et
tout aussi sûrement, elle put voir le cuir légèrement brillant d’Argo dans une
stalle de coin et une silhouette sombre et affaissée dans la paille près de la
tête de la jument. Elle s’approcha tranquillement pour ne pas réveiller la
guerrière si elle dormait, mais la faible lumière fit briller les yeux bleus
lorsque Xena la regarda venir. « Salut… » Elle contourna la croupe
d’Argo et se laissa légèrement tomber dans la paille près de la guerrière.
« Le mur est génial. »
Xena
courba les lèvres dans un bref sourire. « Pas mal, oui. » Elle
retourna son attention vers sa main puis fit un sourire penaud à la barde.
« Des échardes. »
« Tch
tch. » Gabrielle s’installa et lui prit la main. « Fais voir. »
La
guerrière ouvrit la bouche pour protester puis la referma et se contenta de
faire ce qu’on lui demandait, tressaillant un peu quand la barde toucha un
éclat particulièrement profond.
« Désolée. »
Gabrielle tapota légèrement sa main. « Donne-moi une seconde. » Elle
pencha la tête sur la paume musclée et retira le bois avec une pince puis elle
s’attaqua aux morceaux récalcitrants. « Voilà. » Elle lissa la peau
enflammée du bout du doigt et leva les yeux. « Tu es prête pour aller
dîner ? »
Xena
reprit sa main et étudia la paume rougie. « Tu… vas-y… je… n’ai pas très
envie de compagnie pour l’instant. » Elle déglutit. « En plus… si tu…
as une occasion de raconter des histoires… il vaut mieux que je ne sois pas
là. » Elle haussa légèrement les épaules. « Je vais te
distraire. »
Gabrielle
soupira et joua avec un morceau de foin. « En fait, j’espérais avoir un
peu de soutien moral. » Elle leva les yeux et croisa le regard de Xena.
« J’en aurais bien besoin. » Elle se mordit la lèvre en retenant la
crainte qui l’avait envahie à la pensée de tenter une représentation. « Je
suis… vraiment nerveuse. »
Des
mains chaudes entourèrent les siennes et les pouces de Xena massèrent doucement
ses phalanges. « Alors je viendrai », la rassura simplement la
guerrière. « Je dois juste me laver avant. » Son regard scruta le
visage de Gabrielle. « On dirait que tu as pris le soleil
aujourd’hui. »
La
barde concentra son regard sur leurs mains jointes. « Oui… ça chatouille
un peu. » Elle plissa le nez et leva les yeux. « Ça n’a pas l’air
trop méchant ? »
La
guerrière apprécia la touche de rose sur le visage de Gabrielle et lui sourit.
« Non. » Les derniers rayons de soleil s’avançaient dans l’ouverture
de la porte et éclairaient la barde d’un rouge chaleureux par derrière.
« Pas du tout. » Elle soupçonnait que l’admiration se voyait sur son
visage parce que les traits chauffés par le soleil de la barde prirent une
teinte plus sombre, alors elle soupira et relâcha les mains de Gabrielle.
« Vas-y. »
Celle-ci
se leva de la paille et remit sa jupe en place, puis sortit de la lumière du
soleil qui tomba sur le corps affaissé de Xena, faisant ressortir les lueurs
couleur rouille sur sa combinaison en cuir marron. « Merci »,
dit-elle tranquillement.
La
guerrière cligna des yeux à travers le nuage scintillant des particules de
poussière piégées par le soleil et haussa les épaules. « C’est à ça que
servent les amis, non ? » Dit-elle d’une voix calme et empreinte de
nostalgie.
Gabrielle
déglutit la boule dans sa gorge. « Seulement quand on a beaucoup de
chance. » Elle se retourna et sortit, les bras légèrement serrés autour de
son corps, essayant de calmer sa respiration alors qu’elle se passait une
petite liste d’histoires confortables, familières et courtes. Par les dieux… j’espère que je ne vais pas
me pétrifier… Elle soupira
intérieurement lorsqu’elle atteignit la porte de l’auberge et elle l’ouvrit,
pour tomber sur le visage amical de Teren. Oh
bon sang… Une autre bonne raison d’avoir Xena dans les parages.
****************************
Xena
resta là, allongée dans la paille, pendant un long moment, absorbant la lumière
du soleil finissant et laissant la douleur dans sa poitrine disparaître tandis
qu’elle se repassait les paroles de la barde. Elle finit par se relever du tas
de foin et se débarrassa des fêtus sur sa combinaison et sur sa cuirasse, avant
de passer négligemment les doigts dans ses cheveux pour les coiffer.
Pensivement,
elle dégrafa sa cuirasse et la passa par-dessus sa tête avant de la poser près
d’Argo et de faire rouler ses épaules pour en ôter la raideur, tandis qu’elle
cherchait de l’eau des yeux. « Je présume que je vais devoir aller à
l’abreuvoir dehors, Argo », marmonna-t-elle à la jument qui hennit en
retour. « A tout de suite. »
Elle
alla d’un pas tranquille vers la porte arrière de l’écurie qui avait été
bloquée à demi par des poutres tombées, et elle marcha avec prudence sur le
bois à moitié brûlé avant de pousser la porte et de sortir.
Elle
les sentit avant de les voir et son corps réagit avant même que ses yeux
n’enregistrent leur identité et qu’une vague de culpabilité ne l’écrase. Elle
figea sa réaction et laissa tomber ses bras, ferma les yeux tandis qu’un
morceau de bois dur touchait sa tête, la projetant contre le mur de l’écurie et
la faisant tomber mollement au sol.
Solari
baissa son arbalète et déglutit. « Je ne peux pas croire que ça ait été si
facile », dit-elle entre deux respirations nerveuses et saccadées.
Eponine
fixa la silhouette immobile et passa les doigts d’un air absent sur ses chobos.
« Elle m’a laissé faire. »
La
grande Amazone la fixa du regard. « Quoi ? »
Eponine
secoua la tête. « Elle me regardait droit dans les yeux, Soli. Et elle a
baissé les mains. Je l’ai vu. Elle m’a laissé faire. »
Les
deux Amazones se regardèrent. « On ferait mieux de trouver
Gabrielle », dit finalement Eponine en soupirant. « Toi, tu vas voir.
Je reste ici. »
Solari
lui lança un regard très inquiet. « Tu fais attention,
d’accord ? »
Eponine
hocha la tête et lui fit signe de partir, avant de se laisser tomber sur un
genou près de la guerrière inconsciente. « Elle est assommée…
vas-y. »
Solari
passa au-dessus des longues jambes de Xena et entra dans l’écurie, contourna le
bois brûlé et s’arrêta près de la forme familière d’Argo. « Salut,
Argo », murmura l’Amazone en passant près de la jument qui renifla de
colère. Solari jeta un coup d’œil sur l’équipement du cheval et repéra des
objets appartenant à la barde, incluant le sac que l’Amazone reconnut comme
celui dans lequel Gabrielle gardait ses parchemins. Elle toucha légèrement sa
surface et constata que c’était toujours le cas et elle sentit son front se
plisser. Tout avait l’air… normal.
Mais
elle était au village quand Xena était arrivée à cheval et elle avait vu
l’expression sur le visage de la guerrière quand elle avait tiré le corps léger
de Gabrielle sur la jument et qu’elle était partie brutalement, éparpillant une
escouade de guerrières qui tentait de les arrêter. Ephiny avait fini avec un
bras cassé et une colère bouillonnante à sa façon qui les avait lancées à leur
recherche.
Et
elles venaient de les trouver. Solari soupira et alla à l’avant de l’écurie,
chercha partout et décida que le meilleur endroit pour trouver Gabrielle se
trouvait en face d’elle. Elle prit une inspiration et se dirigea vers
l’auberge, atteignit la porte et l’ouvrit pour regarder à l’intérieur.
La
voix de Gabrielle attira son attention et elle tourna la tête pour croiser un
regard surpris puis alarmé lorsque la barde la reconnut. Elle prit le temps de
détailler la mince silhouette tandis que Gabrielle se levait et venait à sa
rencontre, soulagée de la voir indemne à première vue. Un sentiment
inconfortable commença à traverser ses tripes. Indemne, et en fait, avec l’air
d’aller bien mieux que la dernière fois que l’Amazone l’avait vue.
« Solari ? »
Gabrielle arriva à sa hauteur et tendit le bras. « Qu’est-ce que tu fais
là ? » Son regard alla vers la porte puis revint vers l’Amazone.
« Tu
vas bien ? » Demanda tranquillement Solari.
Gabrielle
fronça les sourcils. « Oui, je vais bien… Que… » Puis elle réalisa la
situation. « Oh. Oui. Je suis…. Je vais bien, Solari… Dieux… c’était
stupide de ma part. J’aurais dû… » Elle s’interrompit en voyant Solari se
mordre la lèvre. « Quoi ? »
Solari
grogna intérieurement. « Ephiny nous a envoyées… Eponine est là-dehors…
elle… Gabrielle, on pensait que tu… elle ne voulait pas… oh par les dieux, quel
bazar. »
Le
regard vert plongea dans le sien. « Qu’est-ce qui s’est
passé ? »
L’Amazone
lui prit le bras et l’emmena dehors. « On ferait mieux d’y retourner…. On
pensait que tu étais… retenue contre ta volonté, Gabrielle. On a décidé de…
Eponine pensait que si elle pouvait l’avoir du premier coup, peut-être qu’on
pourrait….ben, elle l’a fait, mais elle a dit qu’elle pensait que Xena l’avait
laissé faire… je ne… »
Elle
s’arrêta de parler alors que Gabrielle se tordait pour se libérer et fonçait
vers l’écurie à toute vitesse. « Je pense qu’on avait tort »,
dit-elle en soupirant au vent et elle fonça derrière elle.
Eponine
leva les yeux au bruit de pas approchant et inspira brusquement en voyant
l’expression sur le visage de Gabrielle. Oh
oh. Elle se leva et recula tandis que la barde se mettait à genoux près de
sa compagne inconsciente et tâtait doucement son pouls. « Hum… Gabrielle…
je… »
Gabrielle
tourna la tête et la regarda. « Pourquoi ? » Sa voix contenait
une note de colère tranquille.
Eponine
écarta les mains. « On pensait… bon sang, Gabrielle, qu’est-ce qu’on était
censées penser ? »
La
barde leva la main dans un geste de colère. « Alors, vous êtes venues ici
comme ça sur vos chevaux et vous pensiez faire… quoi, lui cogner la tête ?
Vous ne pouviez pas me demander d’abord ? Je n’ai pas le choix ou
quoi ? »
Solari
s’agenouilla loin de portée de la barde. « Ecoute… tu es une Reine
amazone, Gabrielle. Les gens ne peuvent pas traiter nos reines comme ça et s’en
sortir facilement, je me fiche de savoir si c’est Xena ou pas. »
Gabrielle
s’assit le dos contre le mur de l’écurie et prit la forme affaissée de Xena sur
ses cuisses, sa tête blessée contre sa poitrine. « Au cas où je ne me
serais pas fait parfaitement comprendre… » Dit la barde très lentement en
articulant avec soin. « Sur le fait que cette femme est la chose la plus
importante dans ma vie, plus importante encore que mon titre, et que les
Amazones, et quoi que ce soit d’autre, je le redis pour qu’il n’y ait plus de
malentendu. » Elle sentit la bosse sur la tête de la guerrière et
tressaillit. « Je suis ici parce que je le veux, bon sang. »
« Mais… »
Dit Eponine en s’avançant mais elle s’arrêta quand Gabrielle fixa son regard
sur elle.
« Recule… »
Dit doucement la barde. « Je ne veux pas que tu sois blessée si elle se
réveille et qu’elle ne sait pas ce qui se passe. »
Solari
la regarda. « Dans ce cas, tu devrais aussi reculer, Gabrielle. »
La
barde remit affectueusement en place les cheveux ébourriffés sur le front de
Xena. « Elle ne me fera pas de mal. »
Eponine
s’agenouilla et mit un bras sur son genou. « Ce n’est pas vrai et nous le
savons. »
Gabrielle
leva les yeux et croisa son regard. « Si c’est vrai. Maintenant plus que
jamais. » Elle prit une inspiration. « Est-ce qu’elle s’est défendue
contre toi, Pony ? »
Eponine
soupira et regarda le sol. « Non. » Puis elle leva les yeux.
« Elle a cassé le bras d’Ephiny, Gabrielle. »
« Et
mis son fils au monde », rétorqua la barde. « Et elle lui a sauvé la
vie. Est-ce que ça ne s’équilibre pas, ou bien est-ce que la fierté amazone est
si rigide que les mauvaises actions appellent des mauvaises actions, sans tenir
comptes des conséquences ou des circonstances ? » Elle prit une
inspiration. « Bon sang, Eponine, elle n’a pas besoin de culpabiliser
encore plus, d’accord ? Aucune de nous… nous avons assez de culpabilité
entre nous pour plusieurs vies. »
Le
regard d’Eponine s’adoucit. « Je sais… Gabrielle… je suis désolée…
crois-le bien. On pensait juste faire ce qu’il y avait de mieux pour
toi. » Son doigt dessina dans la terre. « Est-ce que… Ecoute… Eph
voulait que je te dise tout ça, d’accord ? On est aussi ta famille,
Gabrielle… Tu as une place parmi nous.Tu… as le choix, si tu veux. Ou si tu en
as besoin. »
Gabrielle
lui fit un petit sourire. « Je le sais, Pony. » Elle soupira.
« J’aurais dû vous faire passer le message… c’était assez stupide de ma
part… Je… ça a été difficile… ça va nous prendre du temps, mais… »
Eponine
regarda les mouvements doux et apaisants des mains de la barde. « Mais ça
marche ? »
Le
regard de cette dernière prit une lueur chaleureuse. « Oui. » Elle
laissa échapper un long soupir. « Ça va s’arranger pour nous. »
L’Amazone
se laissa tomber assise avec bruit. « Et bien, je vais commencer à
préparer mes excuses alors. » Elle lança un regard d’appréhension vers le
corps toujours immobile de Xena. « J’ai le sentiment que je vais manger un
de mes chobos. »
« C’est
bon. » La voix légèrement brumeuse de Xena s’éleva. « Il me fallait
une sieste. »
Gabrielle
baissa les yeux et vit les yeux bleus à demi fermés qui la regardaient.
« Je ne peux pas te laisser seule une minute, hein ? » Le
commentaire taquin sortit avant qu’elle ne puisse l’empêcher et elle se mordit
la lèvre, mais le visage de la guerrière ne se figea pas à ces mots. Elle
regarda les deux Amazones qui la fixaient avec attention. « Allez à
l’auberge. Je vous y rejoins dans un instant. »
Eponine
soupira. « Très bien. » Elle se leva et tendit la main à Solari.
« Ecoute, Xena… »
Celle-ci
tourna ses yeux bleus dans sa direction. « Tu voulais faire ça depuis le
Solstice. Félicitations. »
Ces
mots clouèrent le bec à Eponine et elle se contenta de grogner puis elle partit
en martelant des pieds vers l’auberge, Solari se hâtant pour la rejoindre.
Un
petit silence tomba. « Alors… depuis combien de temps es-tu
réveillée ? » Demanda Gabrielle calmement sans faire aucun mouvement
pour libérer sa captive.
« Assez »,
répondit Xena sans faire aucun mouvement pour se libérer non plus.
« Désolée
pour tout ça. » La barde prit une expression désabusée.
Un
haussement d’épaules. « Elles avaient de bonnes raisons pour être
inquiètes », dit Xena en soupirant. « On aurait dû faire passer le
message… c’était… plutôt… »
« Stupide »,
confirma Gabrielle. « Oui… alors… c’est quoi cette histoire de la laisser
te frapper ? » Les doigts de la barde passèrent doucement sur le côté
de la tête de sa compagne.
Xena
ne répondit pas avant un long moment. « Peut-être bien que je le
méritais », admit-elle tranquillement.
Gabrielle
regarda le ciel nouvellement parsemé d’étoiles comme pour le prendre à témoin.
« Est-ce que ça t’a fait du bien ? »
La
guerrière la regarda avec précaution. « Non. »
« Est-ce
que ça lui a fait du bien à elle ? » Demanda doucement Gabrielle.
« Je
ne le pense pas », marmonna Xena.
La
barde hocha la tête. « Alors… c’est encore une histoire d’ego de
guerrière, c’est ça ? »
Ça
lui valut un faible sourire en réponse. « Peut-être bien. »
Un
silence. « Tu as entendu tout ce que j’ai dit ? Demanda finalement
Gabrielle.
Xena
cligna des yeux et hocha la tête.
« Bien. »
Et Gabrielle pencha la tête et embrassa le front de sa compagne avant de
l’attirer contre elle. « Je pensais chaque mot », murmura-t-elle dans
l’oreille toute proche puis elle relâcha la guerrière. « Ta tête, ça
va ? »
Xena
se redressa lentement sur les coudes et tressaillit. « Plus ou moins,
oui. » Elle cligna pour éclaircir un peu sa vision. « C’était plutôt
stupide, non ? » Elle tourna sur elle-même jusqu’à s’appuyer contre
le mur de l’écurie à coté du barde et posa la tête contre le bois. « Par
les dieux… je suis… bon sang, je suis désolée pour Ephiny. »
Gabrielle
lui lança un regard en coin et entremêla leurs doigts. « Je le
sais », répondit-elle doucement. « Ecoute… ça va aller pour
elle. »
Xena
regarda au loin. « C’était une amie » dit-elle d’une petite voix en
laissant se tête rouler sur le côté et en fermant les yeux.
« Elle
l’est toujours », répondit la barde. « Elle a juste peur pour
moi. »
La
guerrière secoua la tête tristement. « Elle a envoyé deux de ses
meilleures guerrières pour me tuer, Gabrielle », lui dit Xena avec une
brusquerie maîtrisée. « Je ne l’en blâme pas. »
« Moi
si », répliqua la barde avec colère. « Et si je découvre que c’est ce
qu’elle a fait, un bras cassé sera le cadet de ses soucis. » Elle émit un
soupir grognon entre ses dents. « Ecoute… Xena… tu éprouvais une grande
douleur quand c’est arrivé… douleur que j’avais contribué à causer. » Elle
mit timidement la main sur le genou de Xena. « Je le comprends. Je
l’accepte. » La main de Xena couvrit la sienne et elle bougea pour faire
face à la guerrière. « Et… Xena… je veux que… je veux que tu saches… que je…
je serais…. » Elle s’interrompit et reprit ses esprits un instant.
« Je serais… morte moi-même… plutôt que de laisser quelque chose arriver à
Solan. » Elle finit dans un murmure en regardant le sol. « Tu le…
sais… n’est-ce pas ? »
La
guerrière prit doucement son menton entre ses doigts et lui tourna la tête pour
la forcer à la regarder. « Je le sais, Gabrielle. » Sa voix était
fatiguée. « Je suis désolée que tu aies dû faire ce que tu as fait à
Hope. »
Et
voilà… les noms venaient entre elles. « Je… je sais que ça te fait terriblement
mal… et… je sais que j’aurais dû…. Je voulais… être là pour toi mais….
je… » Ses épaules s’affaissèrent. « C’était trop pour moi… je ne
pouvais pas… » Xena soupira doucement puis se reprit. « J’en aurais
pris la responsabilité, si tu… » La guerrière laissa trainer les mots et
se tut. « Je ne voulais pas que tu aies à vivre avec ça… j’avais tant
fait… et… Je pensais que tu me haïssais de toutes les façons… quelle différence
ça aurait… » Elle s’interrompit et leva la main puis la laissa retomber.
« Non. »
La barde prit une inspiration saccadée. « Je ne pouvais pas te laisser
faire ça… Xena… je ne pouvais pas te laisser porter ce fardeau en plus du
reste… je pensais… je me détestais tellement à ce moment-là… j’ai
presque… » Elle leva les yeux vers Xena.
« Je
le sais », murmura la guerrière. « Je t’ai vue. »
Gabrielle
cessa de respirer. « Est-ce que tu m’en aurais empêchée ? »
Xena
la regarda droit dans les yeux. « Oui. » Se souvenant de ses doigts
huileux de sueur serrés autour du chakram.
La
barde ferma les yeux puis cligna. « Pourquoi ? » Sa pomme d’adam
bougea lorsqu’elle déglutit. « Xena… j’ai vu ton expression quand tu nous
as trouvées… Je pouvais voir dans tes yeux à quoi tu pensais… Pourquoi
m’aurais-tu arrêtée à ce moment-là ? »
Xena
garda le silence un instant. « Pour la même raison que je n’ai pas laissé
cette grotte m’emporter avec Callisto », dit-elle doucement. « Je
suis beaucoup de choses, Gabrielle, mais je ne suis pas une lâche. Je n’allais
pas abandonner comme ça sans au moins… » Elle s’interrompit et déglutit.
« T’affronter. » Elle scruta le visage de Gabrielle. « Mourir
aurait été une sortie facile… et je… j’ai fait un jour la promesse à quelqu’un
que… je ne choisirais plus jamais ce chemin. » Elle devint silencieuse.
« Et… même dans la haine… il y avait toujours une partie de moi… qui…
avait besoin de toi. »
La
barde hocha lentement la tête. « Tu m’as appris à prendre la
responsabilité de mes actions, Xena. » Son regard prit une teinte
brumeuse. « Quand je me suis rendue compte que… tu… avais raison au sujet
de Hope… je… il fallait que je fasse ce que j’ai fait. » Elle émit un
soupir fatigué et leva les mains pour les laisser tomber sur ses jambes avec un
léger bruit. « Je ne pouvais pas laisser ça retomber sur tes épaules, mon
amour. »
C’était
sorti si rapidement qu’elle n’eut pas le temps de réfléchir avant que les mots
ne passent ses lèvres. « Je… » Elle se frotta le visage d’une main.
« C’était mon cœur qui parlait, je pense », marmonna-t-elle en jetant
un coup d’œil de regret vers la guerrière.
« Viens
par ici. » Xena tendit les bras et la barde s’y glissa, s’enfouissant dans
la chaleur confortable sans restriction. « Parfois… nos cœurs parlent
mieux que nous-mêmes, ma barde », murmura-t-elle et elle sentit Gabrielle
sursauter en se mettant à sangloter. « Tu m’as tellement manqué. »
Gabrielle
serra sa combinaison en cuir, humant son odeur comme une chose vitale et
nécessaire, comme l’air qui lui était nécessaire. Peut-être que c’était le cas,
conclut son esprit exacerbé. Elle sentit les mains de Xena bouger dans un
dessin familier et confortable dans son dos et ce fut comme si de minuscules
fils étaient à nouveau tissés en elle. Quelque chose avait changé… une barrière
s’était brisée et elle laissa la chaleur couler en elle, une certitude soudaine
s’installa en elle comme la légère bruine qui tombait à cet instant.
Elle
était en route vers son foyer.
De
longues minutes de silence passèrent alors que deux âmes, séparées par la
colère et un destin cruel se réhabituaient doucement l’une à l’autre. « Je
pense que nous devrions nous mettre à l’abri de la pluie », finit par
murmurer Xena, un peu timidement.
Caché
à ses yeux, un sourire éclaira le visage de Gabrielle. « Quelle
pluie ? »
Cela
lui valut un sourire de la guerrière, qui se leva, les relevant toutes deux
avant de passer le bras autour d’elle et de les emmener dans la chaleur de
l’écurie. Argo passa la tête par-dessus la cloison de la stalle et les regarda,
puis elle hennit pour les encourager.
« Xena ? »
La voix de Gabrielle monta de l’endroit où la barde était installée près de la
guerrière.
« Mm ? »
Répondit Xena, en explorant avec précautions la bosse cachée dans ses cheveux.
Elle toucha un point particulièrement sensible et tressaillit.
« Quoi ? »
« Tu
peux me promettre une chose ? »
La
guerrière s’arrêta net et lança un regard incertain à Gabrielle.
« Ok. »
Le
regard vert l’étudia avec gravité. « Ne les laisse pas te refaire
ça. »
Un
haussement de sourcil noir. « Je… »
Gabrielle
mit les mains contre son torse et se pencha. « Je sais. Mais s’il te
plait, ne le fais plus. »
Xena
raidit le dos et leva légèrement les épaules. « Très bien »,
promit-elle d’un air sobre. « Mais tu dois me promettre quelque
chose. »
La
barde cligna un peu des yeux. « Très bien. »
La
guerrière leva les mains avec hésitation et couvrit celles de la barde, toujours
sur sa poitrine. « Ne sois pas fâchée contre elles pour l’avoir
fait », répondit-elle doucement. « Elles s’inquiètent pour toi,
Gabrielle… Elles essayaient de te protéger. »
Gabrielle
émit un soupir tendu et se mâchouilla un moment la lèvre. Puis elle soupira.
« Très bien. » Elle lui lança un regard. « Mais elles feraient
mieux de ne pas réessayer. » Son visage prit une expression sérieuse.
« Tu es… ma championne. »
Xena
la regarda tranquillement. « Encore ? » Le mot sortit porté par une
voix rauque.
La
barde ravala ses larmes. « Toujours », murmura-t-elle en se laissant
tomber légèrement contre le cuir humide pour poser la tête là où elle pouvait
entendre le cœur puuissant.
La
guerrière effleura les cheveux de la barde mouillés de pluie et les caressa
doucement, fermant les yeux pour écouter le faible grondement du tonnerre. Le
son apaisa ses nerfs exacerbés et elle eut envie de rester là avec Gabrielle
pour ne pas avoir à affronter la pluie dehors, et les villageois, et ces
Amazones. Mais… c’était important pour Gabrielle et elle lui devait tout le
soutien qu’elle pouvait trouver, alors… « Je pense qu’on ferait mieux d’y
aller avant qu’on vienne nous chercher », finit-elle par dire dans un soupir
contrarié. « Tu as promis une histoire à ces gens. »
La
barde ouvrit les yeux et cligna d’un air ensommeillé. « Heu… » Elle
plissa le front. « Est-ce que je viens de m’endormir debout ? »
Xena
rit doucement et lui ébouriffa les cheveux. « Ça doit être à cause de tout
ce soleil. »
Gabrielle
bâilla et s’appuya contre la stalle d’Argo. La jument lécha ses cheveux et
renifla doucement sur sa nuque. « Beuh… Argo… arrête ça. » Le cheval
mit obligeamment le museau dans le seau et aspira une grande gorgée d’eau.
« Merci. » La barde se retourna et croisa les bras. « Je
pensais… faire quelque chose que je connais bien… peut-être que je… je pensais
à la guerre de Troie… aaahhh ! ! ! » La barde produisit un
cri sauvage, se surprenant elle-même, ainsi que Xena, et elle se propulsa
par-dessus la paille tout droit dans les bras de la guerrière.
« Gabrielle ! ! »
laissa échapper Xena, en attrapant la barde tout en perdant l’équilibre, et en
jurant un peu lorsqu’elles basculèrent toutes les deux dans la paille derrière
elle. « Qu’est-ce… »
« Beuh… »
Gabrielle tendit la main derrière elle et s’essuya la nuque. « Très drôle,
Argo. » Elle secoua rapidement la tête et fit tomber une poignée de
gouttelettes froides sur elle et Xena. « Elle m’a soufflé de l’eau dans le
dos. »
Xena
se mordit la lèvre et tendit la main pour enlever quelques gouttes qui
trainaient sur les cheveux de la barde. « Désolée. » Elle lança un
regard vers la jument. « Méchante. » Elle s’interrompit et resta
immobile tandis que la barde prenait une inspiration, et elle la fixa droit
dans les yeux. « Ça t’a bien réveillée, hein ? »
Gabrielle
se concentra pour garder une respiration régulière et tenta d’ignorer la
chaleur qui montait en elle du corps piégé sous le sien. « Oui. »
Elle entendit la note rauque dans sa voix et sentit la rougeur colorer ses
joues. Elle ferma les yeux et prit une inspiration profonde, puis roula pour
s’écarter de la guerrière allongée et se mit debout. « Désolée. »
Xena
se leva en même temps qu’elle et captura son regard.
« Vraiment ? » Un regret triste et tranquille colorait sa voix.
Prise
dans ce regard, Gabrielle prit plusieurs inspirations saccadées et fixa le foin
éparpillé avec confusion. Elle entendit Xena lâcher un léger soupir et passer
près d’elle, poser légèrement la main sur son épaule et la presser. Elle
regarda la guerrière s’agenouiller près de ses affaires et en sortir deux
tuniques, gardant son équilibre d’une main contre la cloison qui séparait les
stalles. Mais elle avait les épaules affaissées et Gabrielle pouvait voir sa poitrine
se soulever tandis qu’elle prenait une inspiration profonde et régulière.
« J’ai… j’ai peur », dit-elle finalement d’une petite voix.
Xena
se releva et se retourna, son expression contrôlée, et elle alla vers elle pour
lui tendre une tunique avec un petit hochement de tête. « C’est bon,
Gabrielle. Je m’attendais un peu à ça. » Ce genre de magie… on n’a pas deux fois la même chance, Xena. Tu l’as
gâchée. Tu… tu sais que… je serai toujours là pour toi, pas
vrai ? » Elle réussit à faire un sourire hésitant. « Ça ne
changera jamais. » Elle baissa les yeux. « Viens… ils
t’attendent. »
Gabrielle
attrapa le vêtement maladroitement, regardant le dos raidi qui lui faisait face
tandis que Xena enlevait sa combinaison en cuir mouillée pour passer une
tunique en coton bleu foncé, essayant de ne pas ressentir la douleur qu’elle
devinait monter dans la grande femme. Xena…
je suis désolée… pensa-t-elle silencieusement. Comment pourrait-elle
expliquer une peur qu’elle comprenait à peine elle-même ? Elle soupira et
suivit la guerrière très silencieuse dans la cour, avec une boule dans la gorge
lorsque Xena la prit avec précaution sous le bord de son manteau à cause de la
pluie et qu’elle put sentir le bouleversement qui irradiait de la guerrière.
Au
moment où elles atteignaient la porte, elle fit s’arrêter Xena et l’étreignit
de toute la force de ses bras. La tête brune se pencha tout près de la sienne.
« Tu vas être parfaite », la rassura la guerrière. « Ne
t’inquiète pas. »
« Merci. »
La barde prit une inspiration très profonde et carra les épaules en atteignant
la porte qu’elle ouvrit. Derrière elle, elle entendit Xena prendre également
une inspiration pour s’assurer et tandis qu’elles passaient le seuil, Gabrielle
fut consciente des regards qui se tournaient vers elles avec curiosité.
Elle
y était habituée. Surtout en voyageant avec Xena, dont le mètre quatre-vingts
et plus de présence intimidante associé à sa belle allure attiraient
l’attention comme un champ de trèfle attirait les abeilles. Ce soir, elle était
contente que la plupart des regards s’attardent sur la guerrière, qui lui
gratta amicalement le dos avant d’aller vers une table du fond, retournant les
regards des curieux. Les travailleurs lui firent signe, cependant, et la
saluèrent, ce qui installa un bourdonnement dans la pièce et laissa le reste
des invités se concentrer sur la barde.
Gabrielle
attendit que Xena s’installe à la même table qu’Eponine et Solari, notant les
regards inconfortables que les deux Amazones lui lançaient, et se faisant une
note mentale de penser à avoir une petite discussion avec elles. Xena, bien
entendu, les ignora, s’appuya contre la cloison et mit sa botte contre le pied
de la table en croisant les bras pour écouter.
Elle
était en plein mode seigneur de guerre ce soir, se dit la barde, cachant tout
sous ce masque stoïque, ne lâchant rien, ne révélant rien.
Sauf
pour elle, qui pouvait voir l’âpreté de son regard et l’angoisse tendue dans
les lignes de son corps. C’était presque une distraction bienvenue, tandis que
son esprit était si occupée avec son âme-sœur, elle en oublia d’être nerveuse
et elle raconta ses deux histoires sans trop de problème. Elle vit l’étincelle
tranquille dans les yeux de Xena quand elle finit et la lui rendit avec un
sourire. Plus tard, plus tard, Xena… si tu
me donnes une chance, j’essaierai de t’expliquer. Peut-être que tu as la
réponse.
« Merci. »
Gabrielle sourit en touchant les bras tendus de la foule reconnaissante.
« Je vous en raconterai encore plus tard… j’ai besoin d’une pause. »
Elle accepta les compliments en se dirigeant vers la table où ses amies étaient
assises. C’était… vraiment bon. Presque comme de regagner un peu de la vie
qu’elle avait à nouveau perdue. Elle tira une chaise de dessous la table et
s’assit. « Salut. »
« Joli
travail », dit Xena d’une voix trainante en jetant un coup d’œil
par-dessus la chope qu’elle tenait. Devant elle sur la table, se trouvait une
grande assiette de nourriture, à peine touchée. Gabrielle en prit immédiatement
possession, pas sans lancer un coup d’œil d’avertissement à sa compagne.
« Il y a un problème avec ce truc ? »
Xena
haussa une épaule. « Je n’avais pas très faim. »
« Oui
oui », répondit la barde en capturant un morceau de légume avant de le
mâcher. Elle regarda de l’autre côté, où Eponine jouait avec sa nourriture et
Solari fixait la table. « J’ai l’impression que je vais devoir assurer la
conversation. » Elle soupira. « Alors… comment vont les
choses ? »
Solari
leva les yeux du petit bout de bois qu’elle était en train de gratter de la
table. « Pas… mal, vraiment. Ephiny… vient de rentrer d’une visite chez
Granella. »
Gabrielle
lança un regard à la guerrière qui lâcha un long soupir. « Je vais envoyer
des nouvelles à la maison », commenta tranquillement Xena tout en se
levant pour aller à la recherche de l’aubergiste.
La
barde retourna à sa nourriture. « Comment va Granella ? »
Eponine
la fixa. « Comment tu vas toi ? »
Gabrielle
lui lança un regard direct. « Pendant un moment, je me suis sentie
vraiment minable. » La barde secoua un peu la tête. « Ça a été
vraiment dur… pour nous deux. Je ne mentirai pas là-dessus. »
L’Amazone
plus âgée se pencha attentivement en avant. « Gabrielle, c’est… écoute, je
sais que tu es très attachée à Xena, pas vrai ? Mais… elle n’est pas très
stable actuellement… tu es vraiment en danger, tu le sais, pas
vrai ? »
Gabrielle
la regarda. « J’en sais plus sur le genre de danger dans lequel je me
trouve que tu ne le sauras jamais, Pony. Je vais bien… je n’ai pas de
problème. »
« Est-ce
qu’elle t’a… » Persista Eponine. « Fait du mal ?
Encore ? »
La
barde posa sa fourchette et s’interrompit pour laisser la colère se calmer.
« Eponine… »
« Je
sais… je sais… » L’Amazone leva la main. « Ce ne sont pas mes
affaires, pas vrai ? Bon sang, Gabrielle, on s’inquiète toutes pour toi…
on ne veut pas te voir encore blessée. »
Gabrielle
leva les yeux. « Est-ce que je suis la seule qui s’inquiète pour
Xena ? » La douleur dans sa voix les figea. « Qui m’a sauvé la
vie tellement de fichues fois que j’ai arrêté de compter ? Qui a sauvé la
vie d’Ephiny ? Qui a défendu les Amazones contre leurs ennemis, et contre
elles-mêmes ? »
« Gabrielle… »
Intervint Solari.
« Qui
est si pleine de haine envers elle-même pour ce qu’elle m’a fait que j’ai dû,
il y a deux jours, l’empêcher de trembler comme une feuille quand elle me
touche ? » Continua la barde doucement. « Qui est l’autre moitié
de mon âme… et que vous traitez comme un animal sans esprit ? » Elle
soupira. « Suis-je la seule ? C’est vraiment un endroit
solitaire. »
Eponine
eut l’air bouleversé. « Ecoute, Gabrielle… je ne voulais pas… »
« Non »,
répliqua la barde d’un air las. « Elle ne m’a pas fait de mal. » Elle
posa la tête sur sa main et planta méchamment sa fourchette dans un morceau de
viande. « Tu veux savoir autre chose ? » Et elle s’interrompit,
prit une inspiration et joua avec sa fourchette. « Je suis désolée.
J’avais promis à Xena de ne pas faire ça. »
Solari
et Eponine échangèrent un regard. « Faire quoi ? » Demanda
Solari avec précautions.
Gabrielle
les fixa. « Me mettre en colère contre vous pour vous être inquiétées à
mon sujet. »
« Elle
te l’a fait promettre ? » Demanda Eponine doucement. « Elle sait
pourquoi… »
Le
regard vert la transperça. « Oui. Elle le sait… et elle dit qu’elle ne
vous en blâme pas. » Les narines de la barde s’écartèrent. « Moi,
d’un autre côté, j’ai un gros problème avec ça. » Elle regarda leur
expression surprise. « Vous savez, cette routine de la grande guerrière
bornée, c’est juste une attitude. Elle est vraiment intelligente. »
Eponine
se remit sur sa chaise et prit une expression désabusée. « Gabrielle, je
m’excuse. On aurait d’abord dû venir te voir et parler. »
« Mff. »
La barde avala. « C’est un bon début. » Elle leva les yeux en sentant
la présence de Xena qui s’approchait et elle échangea un petit sourire avec
elle. « Tout est arrangé ? »
La
guerrière tira sa chaise et se laissa tomber dessus. « Le message est
parti. » Elle mit les coudes sur la table et prit sa chope avant de la
fixer tranquillement.
Gabrielle
finit son assiette puis prit une gorgée du cidre froid de Xena.
« Xena ? » Dit-elle doucement en captant le regard de la
guerrière. « Je heu… je pense que le soleil m’a fatiguée aujourd’hui… on a
un lit ici… tu veux… »
Elle
reçut un demi-sourire. « Bien sûr », répondit la guerrière. « La
journée a été longue. » Elle se leva et hocha tranquillement la tête en
direction des deux Amazones puis fit signe à Gabrielle de passer devant elle.
« On vous voit demain ? »
Eponine
hocha la tête. « Oui… heu… hé, Xena ? » Le regard bleu la
transperça. « Je suis désolée. »
Xena
haussa légèrement les épaules et râcla la table de ses phalanges. « C’est
bon. Je survivrai. » Elle passa le regard sur elles deux puis suivit
Gabrielle hors de la pièce principale vers un petit couloir où se trouvaient
les petites chambres de l’auberge.
*******************************
Solari
s’enfonça dans son fauteuil et les regarda partir en prenant une gorgée de sa
bière tout en soupirant. « Qu’est-ce que tu en penses ? »
Eponine
planta sa fourchette dans la table et secoua la tête. « Je ne sais pas quoi
penser, bon sang. » Elle émit un léger grognement. « Je ne peux pas…
est-ce qu’on a le choix de ne pas croire ce que dit Gabrielle ? Elle a
visiblement l’air d’avoir tous ses esprits… Elle a l’air d’aller bien, si on
considère tout ce qui s’est passé… Mentalement elle a l’air plutôt vive. »
Solari
hocha la tête. « Ouais… je n’ai pas le sentiment qu’elle est nerveuse, ou
effrayée… Il y a assurément une tension entre elles, mais… t’sais… fichue Xena,
elle a ce masque sévère… sauf à deux reprises où je l’ai surprise à lancer ce
regard de chiot à Gabrielle… tu vois à quoi je pense. »
L’Amazone
plus âgée tordit la bouche. « Ouais, je vois quoi », admit-elle.
« Et tu l’as vue bondir pour prendre la défense de Xena ? Laisse-moi
te dire… je ne suis moitié pas autant inquiète de ce que le vieux cheval de
guerre pourrait me faire que de ce que Gabrielle va me faire si on retente
quelque chose comme tout à l’heure. » Elle soupira. « Je pense
qu’elles vont bien. » Elle fronça les sourcils. « Mais je suis quand
même furieuse pour le bras d’Ephiny. »
Solari
prit sa chope de bière à deux mains. « Bon sang… je pense à un tas de gens
à qui j’aurais préféré que ça arrive. » Elle soupira. « Pony… je… je
suis contente que ça aille entre elles… en quelque sorte. »
« Ah
oui ? » demanda calmement Eponine.
« Oui »,
répondit Solari. « Je n’ai jamais pensé… je veux dire, c’est Xena,
non ? Une battante, aucun côté tendre, coriace, féroce… Et puis je pense à
cette nuit après qu’elle soit revenue d’entre les morts… je l’ai vue assise là,
tenant cette gamine et la laissant dormir paisiblement pour la première fois
depuis que nous l’avions rencontrée. » Elle secoua lentement la tête.
« Je ne pouvais pas le croire, Pony… c’était une personne complètement
différente. »
Un
haussement de sourcil argent et sable. « Ben… d’être morte ça peut vous
changer, en tous cas je l’ai entendu dire. »
Solari
leva les yeux au ciel. « Ce n’était pas ça. » Elle frappa le bois de
sa dague. « Ma mère était oracle. Elle me montrait… elle disait, cette
personne, et celle-là… ce sont deux moitié d’une noix. »
Eponine
cligna des yeux. « Et tu dis ça pourquoi ? ? ? »
La
jeune Amazone fixa pensivement la table. « Ces deux-là… pour le meilleur
et pour le pire, elles font partie l’une de l’autre, Pony. C’est comme elle disait…
je suis contente que nous n’ayons pas dû les… séparer. Je… je ne pense pas que
ça aurait été bon pour… Gabrielle. »
Eponine
ricana. « Tu deviens bizarre, Solari. Arrête ça. »
Solari
frappa la table. « J’ai bu trop de bière, je pense. »
« Allez…
on va dormir un peu… il faut qu’on reparte chez nous demain. » Eponine
soupira et s’étira, tressaillant en entendant les craquements dans ses
articulations. « Au moins on a des bonnes nouvelles à rapporter. »
************************
« C’est
confortable. » Gabrielle jeta un coup d’œil à la guerrière qui hocha
légèrement la tête. Elle réfréna un sourire et traversa la pièce, puis ouvrit
en grand la fenêtre sans qu’on lui demande. La brise fraîche du soir entra,
portant un soupçon de jasmin et de roses qui fit venir un sourire tranquille
sur le visage fatigué de la barde. « Sympa. »
Xena
renifla et hocha la tête. « Des roses blanches. »
La
barde se retourna et mit les mains sur ses hanches. « Xena, tu ne vas pas
me dire que tu peux faire la différence entre des roses rouges et des blanches
rien qu’à l’odeur. »
Un
très léger haussement d’épaules. « Ok. »
Gabrielle
fronça le front. « Tu peux ? »
Xena
s’arrêta près de la table basse près du lit et prit quelque chose qui y était
posé. « Ben… en fait oui », admit-elle. « Les rouges ont une
odeur plus épicée. » Elle se retourna et tendit quelque chose. « Mais
heu… ce n’est pas comme ça que je l’ai su. »
La
barde prit la rose et l’amena à son nez, humant légèrement. Puis elle l’étudia,
admirant les pétales de couleur crème claire, teintés sur le bord d’un soupçon
de rose. « C’est beau », murmura-t-elle, les yeux levés vers les yeux
bleu clair éclairés par la lumière de la chandelle en face d’elle.
La
guerrière sourit et s’assit dans le fauteuil près de la fenêtre, posa les
coudes sur ses genoux et serra les mains. « Oui… c’est vrai. »
Gabrielle
s’approcha et caressa doucement les cheveux noirs de Xena. « Tu sais… ton
secret est à l’abri avec moi. »
Xena
ferma les yeux et posa la tête sur la hanche de Gabrielle. « Un
secret ? »
« Mm »,
acquiesça la barde doucement, en continuant à la caresser affectueusement,
savourant la sensation des mèches soyeuses qui glissaient entre ses doigts.
« Je ne parlerai à personne de ton côté romantique. »
Xena
ouvrit brusquement ses yeux bleus et redressa le dos en lui lançant un regard.
« Parce que je n’en ai pas, Gabrielle. »
Gabrielle
fit tourner la rose devant ses lèvres et prit une profonde inspiration de sa
senteur délicate. « Ah non, hein ? »
Xena
posa le menton sur ses poings et fixa le parquet. « Non. »
La
barde alla à la fenêtre et regarda dehors. « Xena ? » Un petit
mouvement et une présence chaleureuse dans son dos. « Regarde. »
La
cour à l’arrière de l’auberge, à laquelle leur fenêtre faisait face, était
pleine de lucioles, des nuages entiers comme des groupes d’étoiles descendues
du ciel nocturne. « J’ai toujours eu un faible pour elles. » Elle se
percha sur le rebord de la fenêtre et huma sa rose, fixant les lumières
dansantes à travers l’obscurité bruineuse.
Une
longue pause derrière elle puis Xena bougea un peu. « Tu veux que j’aille
t’en attraper une ? »
Gabrielle
sourit et elle sut que si elle fermait les yeux, elle pourrait presque sentir
le souvenir des petites pattes de la luciole chatouiller ses doigts. Cela lui
parut être il y a bien longtemps et elle leva les yeux et se rappela à nouveau
ce que c’était que de gambader étourdiment dans un amour si profond et si
envahissant qu’il semblait impossible de jamais en sortir.
Où
est-ce que tout ça était passé ? Comment avaient-elles pu connaître ça et
le laisser partir si loin ? La senteur de la rose monta vers elle et elle
la regarda, puis elle leva les yeux vers la guerrière silencieuse qui fixait
l’obscurité, perdue dans ses propres souvenirs. Elle laissa son regard s’abîmer
dans le profil et repoussa sa peur, en écoutant très attentivement son cœur.
Et
un léger sourire toucha ses lèvres tandis qu’elle sentait à nouveau le contact
de la luciole sur sa peau dans son esprit, alors que ses doigts s’entremêlaient
avec ceux de Xena, et l’insecte passait de sa main à celle de la guerrière,
portant son âme avec elle.
Elle
ne lui était jamais revenue.
Peut-être
que de savoir ça lui rendrait ce que Dahok lui avait pris. Ce qu’il avait rendu
affreux. Elle leva les yeux à nouveau. « Xena ? »
Il
fallut un moment à la guerrière pour secouer les pensées qui l’habitaient et se
tourner. « Mmm ? »
La
barde leva un peu la rose. « Merci pour la rose. » Elle prit une
profonde inspiration. « Ça m’a vraiment fait du bien. »
Cela
lui valut un minuscule sourire surpris de la part de la guerrière. « Je…
je pensais que… tu aimerais. »
Gabrielle
fit tourner la fleur et concentra son regard sur elle. « Ça… je ne me…
suis pas sentie vraiment bien depuis… Britannia. » Et voilà, commencer
était le plus difficile, et ceci… ce qui lui était arrivé était si affreux,
elle préférait ne pas y penser. Mais elle le devait… maintenant.
Xena
lui toucha doucement le menton et leva son visage. « Tu ne me dois aucune
explication, Gabrielle. »
« Je
sais. » La barde prit une inspiration pour se calmer. « Mais
peut-être que si j’en parle… tu peux m’en donner une. »
La
guerrière s’assit sur le rebord près d’elle et attendit en silence.
« Ils…
ça… m’a enlevé quelque chose là-dedans, Xena. » Gabrielle se tordit les
mains et déglutit. « Ça… ça m’a rendu une chose qui avait toujours été
belle à mes yeux, très affreuse… et… chaque fois que j’y pense, je me souviens
de lui. Ça. » Elle finit par lever les yeux avec une expression fatiguée
malheureuse. « J’ai atrocement peur, Xena… j’ai peur que ce soit toujours
comme ça… et que… je ne sois pas capable de… je ne veux pas ressentir
ça. »
« Oh…
Gabrielle », dit la guerrière dans un souffle, un murmure angoissé.
« Je n’ai jamais… je ne me rendais pas compte. »
La
barde posa la fleur et se mit volontiers dans les bras ouverts qui lui
faisaient face, et elle se blottit dans l’étreinte de Xena avec un petit cri.
« Je déteste ressentir ça. »
« Chhh…
je te tiens. » La guerrière la berça doucement. « C’est bon… ça va
aller, Gabrielle. » Elle se leva lentement et emmena la barde jusqu’au
lit, s’assit et s’appuya contre le mur. « C’est bon. » Pas étonnant… bon sang… comment ai-je pu être aussi stupide. Elle a
été violée et tu n’as même pas eu l’idée de… dieux… quelle idiote je suis.
« Je suis désolée. »
« Tellement…
de choses sont arrivées, Xena… » La barde sanglotait doucement.
« C’était si affreux. »
« Je…
je sais », murmura la guerrière. « Je sais… Gabrielle, je suis
tellement désolée… j’aurais dû me rendre compte… j’aurais dû… »
« Je…
je me suis sentie si horrible pendant si longtemps. » Gabrielle soupira et
baissa la tête. « Je ne pensais pas… surtout après… c’était juste si… ça
faisait si mal. » Elle tira nonchalamment sur les liens de la chemise de
Xena. « Je voulais… t’en parler, mais les choses ont… »
«
Oui », répondit Xena. Pas étonnant
qu’elle n’est pas… elle ne ressent plus la même chose pour moi. La
guerrière lui serra les mains doucement. « Gabrielle… c’est bon… c’est…
écoute, le fait que tu sois en vie, et en sécurité, et… que nous sommes ici, et
amies… c’est… c’est plus que que ce que je pouvais espérer avoir. » Elle
déglutit. « Le reste… et bien… » Un autre demi-sourire. « Je
comprends. »
La
barde la regarda avec une compréhension tranquille. « Non… tu ne comprends
pas. » Elle sentit le cœur de Xena s’arrêter sous son oreille et elle
soupira.
« Je…
non ? » Bredouilla la guerrière en perdant son sang-froid. « Je
pensais… »
« Oh
non… Princess Guerrière… » Dit Gabrielle en soupirant doucement. « Tu
ne te débarrasseras pas de moi si facilement. Je suis toujours très amoureuse
de toi. » Elle regarda le sol et bougea nonchalamment sa botte.
« Mais… ce que nous avions… était très spécial. » Elle leva les yeux,
vers un regard bleu qui clignait de surprise. « Je suis… je ne sais pas si
ce sera toujours là… et… j’ai peur d’apprendre. » Elle ferma les yeux.
« Parce que… si… ça ne l’est pas… et… que tout ce que je peux ressentir
c’est la laideur… Xena… je ne peux pas vivre avec ça. »
« Oh »,
dit Xena très faiblement. Elle garda le
silence et réfléchit un moment, une main caressant nonchalamment le dos de la
barde. Elle finit par hocher légèrement la tête pour elle-même et prit une
inspiration. « Gabrielle ? »
La
barde sommeillait à demi, flottant dans un calme crépuscule fait à la fois
d’épuisement physique et mental.
« Tu
me fais confiance ? »
La
barde sentit un frisson la traverser et réfléchit avec soin à la question avant
de répondre. « Oui. » C’était vrai, elle s’en rendit compte.
« Regarde-moi »,
répondit Xena calmement.
Ce
qu’elle fit, son regard alla vers le visage de la guerrière éclairé par la
lumière de la chandelle, puis vers les yeux bleus obscurcis qui la fixaient. Il
n’y avait aucune barrière face à elle, juste un regard ouvert et honnête qui
contenait autant de regret que d’amour. « Gabrielle… ce qui t’est arrivé
était horrible… je le sais. » La guerrière parlait doucement. « Mais
tu le surmonteras, parce que la beauté et la douceur que je vois en toi ne
laisseront la place à rien d’autre. »
Gabrielle
lui sourit. « Merci… j’avais besoin d’entendre ça. »
Xena
leva la main et repoussa une mèche de ses cheveux derrière son oreille, puis
elle laissa ses doigts tracer la joue de la barde. « Et… quand je te
regarde… tout ce que je vois, c’est du courage, de l’honneur et la plus belle
personne que je connaisse… la peronne que j’aime de tout mon cœur. »
Ces
paroles la bouleversèrent. Elle enfouit son visage dans la poitrine de Xena et
pleura doucement, de soulagement.
« Alors…
prends le temps qu’il te faudra, Gabrielle… pour aussi longtemps que tu le voudras.
Je t’attendrai », finit Xena doucement en l’étreignant. « Tu feras
toujours partie de moi. Rien ne changera ça. »
La
barde pleura longtemps et finit par s’enfoncer dans un sommeil agité,
étreignant la cage thoracique de Xena. La guerrière tira avec soin les
couvertures soyeuses sur elles deux et s’installa pour réfléchir sérieusement.
******************************
Gabrielle
était hautement consciente de sa raideur et cela la sortit à demi de son
sommeil profond, dans la grisaille de l’avant aube qui éclairait à demi la
chambre à travers la fenêtre toujours ouverte. Elle cligna un peu des yeux et
relâcha sa prise sur Xena en tressaillant. La guerrière était à demi allongée
dans ce qui semblait être une position très inconfortable, mais comme d’habitude,
elle avait réussi à s’endormir quand même contre la tête de lit et les bras
entourant la barde de manière protective.
C’était
très agréable, admit la barde pour elle-même. Et c’était encore mieux
maintenant qu’elle s’était sorti une partie de tout ça du cœur… Elle ne s’était
pas rendu compte de combien elle avait besoin du réconfort de Xena jusqu’à ce
qu’elle l’ait obtenu, et il avait installé quelque chose en elle qui l’aidait à
apaiser la douleur des souvenirs.
Mais
son corps ne partageait pas les doutes de son esprit. Il s’installa contre la
chaleur de son âme-sœur avec une familiarité confortable et elle dut
consciemment ordonner à ses mains de ne pas errer par longue habitude. Elle
n’avait pas eu à s’inquiéter de ça avant que… leur distance émotionnelle
n’égalise leur éloignement physique, mais là…
Elle
soupira doucement et remit la tête contre la poitrine de Xena, savourant le
bruit réconfortant des battements puissants du cœur qui… elle sourit
légèrement… qui battait en rythme avec le sien. Deux cœurs. Son regard divagua
un moment tandis qu’un éclair murmurait dans son esprit. Chatouillant, la
mettant au supplice… hors de portée… une image, non. Un long moment de profond
silence puis elle prit une profonde inspiration et laissa le rire qui montait
en elle sortir doucement. « Ouiiii…. »
Le
corps sous le sien remua et Xena ouvrit des yeux endormis et alarmés.
« Hé ? » Elle cligna des yeux. « Qu’est-ce qui ne va
pas ? » Le regard bleu balaya la chambre avec confusion.
« Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? »
La
barde prit une inspiration et récita.
Deux cœurs.
Deux vies différentes.
Bien que séparées par la
nature,
Liées par le destin
En une seule destinée.
Xena
pencha la tête pensivement. « Et bien… c’est approprié… d’où sors-tu
ça ? »
Gabrielle
regarda au loin vers les premiers rayons de l’aube et sourit. « Je ne sors
ça de nulle part. Je viens de le créer. » Son visage s’éclaira d’une joie
tranquille. « Je l’ai fait… c’était là en moi… » Elle tourna des yeux
brillants vers Xena. « Tu avais raison. » Elle serra fort la
guerrière et rebondit un peu sur elle. « Merci. »
Xena
sourit pour la première fois depuis ce qui semblait une éternité, un vrai
sourire, sincère qui étira des muscles de son visage qui n’avaient pas servi
depuis un bon moment. « Jolie façon de se réveiller. » Elle rit
tandis que la barde rebondissait à nouveau. « Oooufff…
Gabrielle ! »
La
barde se calma et lui donna une petite tape. « Désolée. » Elle
regarda par la fenêtre. « Est-ce que notre… » Son regard fit le tour
de la pièce. « Oh… oui… je le vois. » Elle se tortilla pour descendre
du lit et trottina vers leurs sacoches, farfouilla dans l’une d’elles et en
sortit deux pommes légèrement poussiéreuses. Elle en jeta une à Xena, qui
l’attrapa d’un geste paresseux de la main. « Petit déjeuner. » Elle
mordit dans le fruit et mâcha tout en se rasseyant sur le lit, s’installant
jambes croisées près de Xena pour regarder la guerrière mordre sa pomme.
« Tu as bien dormi ? »
Xena
fit un effort pour avoir l’air bien réveillée, si l’on considérait qu’elle s’était
légèrement assoupie peu de temps avant que la barde ne remue.
« Ouaip. »
Elle avait passé ces heures obscures à réfléchir à beaucoup de
choses. A Britannia, à la Chine
Et elle s’était rendu compte de ce que ça avait dû être pour
Gabrielle, qui avait chéri Hope dans son cœur de la même manière, d’affronter
la pensée que sa compagne voulait tuer son enfant. Son enfant à elle qui,
malgré ses origines, malgré ce que Xena en pensait, n’en était pas moins une
partie de Gabrielle. Et elle n’avait jamais essayé de sympathiser, n’avait
jamais essayé d’expliquer à Gabrielle ce qu’elle savait… comment elle le savait…
elle l’avait juste… forcée à faire un choix.
Et ça avait le seul choix que Gabrielle pouvait faire compte
tenu des circonstances. Elle l’avait forcée à faire ça. Tout avait été de sa
faute. Entièrement tout.
Alors pardonner Gabrielle n’avait jamais été le problème. Mais
se pardonner à elle-même, oui, et il y avait des parties de ce qui s’était
passé dont elle savait, avec une connaissance lugubre, qu’elle ne se
pardonnerait jamais. Jamais.
« C’est
drôle… pourquoi est-ce que je pense que ce n’est pas complètement
vrai ? » Dit la barde tranquillement.
« Hein ? »
Xena sursauta lorsqu’elle sentit des doigts effleurer son genou.
« Désolée… je heu… »
« Le
terme exact c’est sommeiller, Xena. » Elle prit la pomme à demi mangée de
la main de la guerrière et la posa sur la table, puis elle mit la couverture
autour d’elle.
« Non…
c’est… je vais bien, Gabrielle », protesta Xena.
« Oui
oui. » La barde posa son petit déjeuner et se glissa sur le côté pour
faire face à la guerrière récalcitrante. « Voyons voir si ça marche
toujours. »Avant que Xena puisse dire quoi que ce soit, elle glissa la
main sous la couverture et sous la chemise de la grande femme, traçant
lentement un dessin sur la peau nue de son estomac. « Tu te souviens de
ça ? » Dit-elle doucement. « J’ai découvert ça la première nuit
où nous avons été ensemble. »
Le
regard de Xena s’embruma et elle cligna des yeux. « Je me souviens »,
répondit-elle d’une petite voix en sentant son corps réagir au signal familier
et qu’une lente vague de léthargie la traversait. « Je… j’ai beaucoup
réfléchi la nuit dernière. »
Gabrielle
la dévisagea avec attention. « Tu t’es culpabilisée, hein ? »
Xena
baissa le regard. « Oui... quelque chose comme ça », admit-elle.
Gabrielle
se rapprocha d’elle, en continuant toujours doucement à tracer son dessin.
« Xena ? Je pense qu’il faut qu’on arrête ça, d’accord ? La vie
nous culpabilise assez pour qu’on ne le fasse pas nous-mêmes. »
Si
seulement c’était aussi facile, songea Xena en se laissant aller dans le regard
doux de la barde et le rythme hypnotique de son toucher. Elle s’empêchait de
respirer de peur que la barde n’arrête, ou se recule… Elle avait l’impression
que ça faisait une éternité qu’elle n’avait pas senti ce contact amical et vu
cette expression légèrement indulgente sur le visage de la barde. Elle ne
s’était pas rendu compte de combien elle en était venue à dépendre du plus
simple des échanges entre elles, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus là.
Cette
froideur qui l’avait à moitié tuée, ce qui était ironique étant donné le temps
qu’il lui avait fallu pour accepter la tendance de la barde de la toucher. Et
maintenant, c’était devenu un besoin intense, et elle était heureuse de
simplement être allongée là à s’imprégner de la chaleur qui émanait de
Gabrielle, l’absorbant comme une éponge le ferait avec de l’eau. Si elle
prenait une inspiration, elle savait qu’elle sentirait l’odeur douce de la
barde, elle était si proche. Elle prit une inspiration et cela amena un sourire
tranquille sur son visage.
« Hé…
ça marche toujours, hein ? » La voix de Gabrielle s’éleva tout près,
apportant un effluve d’odeur de pomme. La barde se blottit au creux de son bras
et s’installa. « Ça m’a vraiment manqué. » Elle hésita. « Ça m’a
manqué… juste d’être avec toi… tout près. »
« A
moi aussi », admit Xena. « Ça faisait mal. »
« Oui. »
La voix douce de Gabrielle réchauffa la peau de son épaule.
« Xena ? »
« Mm ? »
« Je
suis fatiguée d’avoir mal. » La remarque était extrêmement calme.
« Je veux rentrer à la maison. »
Xena
ouvrit les yeux et scruta la tête blonde posée contre son épaule et elle ramena
son bras, attirant la barde plus près. « Je sais… » Elle embrassa
doucement Gabrielle sur la tête. « Nous allons trouver notre chemin pour
rentrer. » Elle se laissa aller dans l’écoute des bruits très matinaux des
gardiens de troupeaux qui préparaient leurs animaux pour aller à la pâture et
elle savoura l’odeur montante du pain nouvellement cuit.
********************************
A
suivre – Chapitre 1, 3ème partie