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5 avril 2010

Réparation, chapitre 2

Réparation

CHAPITRE 2

Ecrit par Susanne M. Beck (Sword'n'Quill)

*******

Le matin du quatrième jour, nous nous dirigions sur une nationale quasiment déserte tandis que le panorama du désert du Nouveau Mexique se déroulait devant nous, comme un tapis attendant la venue d’un roi.

N’étant jamais allée dans ce coin du pays, mon interprétation du mot ‘désert’ était plutôt proche de celui de Laurence d’Arabie, vaste, vide, sans vie, avec un ciel sans nuages et des dunes de sable déferlant. Une plage à la recherche d’un océan, en d’autres termes.

Mais ce qui me faisait face à travers les vitres légèrement teintées de la voiture, était très différent et aussi étranger à mes yeux que l’aurait été un paysage martien. Là où je m’étais attendue à une étendue inculte, le désert – terme définitivement inapproprié à mon avis – était en fait littéralement grouillant de vie. Des plantes étranges et rabougries tachetaient le paysage aussi loin que l’œil pouvait voir. Des cactus se dressaient comme des sentinelles silencieuses gardant tout ce qui vivait dans leur domaine. Des faucons et autres oiseaux de proie faisaient des cercles sans fin dans la vaste étendue de ciel bleu profond tandis qu’en-dessous, toutes sortes d’animaux se déplaçaient avec une rapide assurance – chasseur et proie remplissant chacun son rôle prédestiné.

La beauté sauvage, indomptée, intouchée et intouchable, faisait profondément vibrer une corde en moi. C’était une terre qui promettait, par sa nature profonde, de n’avouer ses secrets qu’à contrecœur, si elle le faisait jamais. Le danger rôdait partout, sans être le moins du monde camouflé par la beauté réelle et indéniable de la terre.

Fier et lointain, il semblait lancer un défi que j’avais peine à ignorer.

Entre ici. Si tu l’oses.

Tandis que je continuais à fixer le soleil levant qui révélait encore plus des trésors du désert, un sourire vint creuser les traits de mon visage. Un curieux sens de retour au foyer emplit mon âme, allégeant considérablement le lourd fardeau qu’elle portait.

« Quoi ? » Demanda Corinne en me regardant les sourcils dressés.

« Ice », répondis-je simplement.

Le regard marron se plissa tandis que Corinne regardait par ma vitre. Après un long moment, elle me regarda de la façon dont on regarde une amie qui montre les premiers signes de la démence totale. « Je ne pense pas que ce soit le genre de désert qui contient les mirages, Angel. »

Je lui lançai un regard noir puis retournai mon attention vers la vitre. « Ce n’est pas ce dont je parle et tu le sais très bien. »

Après un long moment, la voix de Corinne parvint doucement à mon oreille. « Je crois que je peux comprendre le lien. Indéniablement beau, mystérieusement éloigné et tangiblement dangereux. Une combinaison enivrante. »

Je pouvais voir mon large sourire se refléter sur la vitre. Bien que ce ne fût pas vraiment nécessaire, c’était bon de savoir qu’elle comprenait.

Un éclair de lumière passa dans la périphérie de ma vision et lorsque je me tournai pour regarder par le pare-brise, je vis le soleil se réfléchir sur le métal luisant d’un camion citerne encore à une certaine distance et qui le poursuivait dans son ascension à l’est.

Comme je le faisais souvent lors de tels voyages, je me demandai d’où venait le conducteur, et où il allait. Est-ce qu’il rentrait chez lui, ou bien est-ce qu’il en partait ? Où se trouverait-il au soleil couchant ? A la maison avec sa famille ? Seul dans une chambre d’hôtel avec une télé pour seule compagnie ? Dans un bar sans nom à la recherche d’une relation facile pour le prix d’une bière ?

A côté de moi, Corinne se raidit, une action qui me sortit rapidement de mes pensées absurdes. Le camion s’était pas mal rapproché et fonçait sur une jeep rouge qui roulait lourdement sur la voie unique menant vers l’est. « Seigneur », dis-je dans un souffle. « Il est soul ou quoi ? »

« Je ne pense pas que ce soit notre souci principal pour l’instant, Angel », répondit Corinne, sa voix plus que tendue.

Je me tournai légèrement pour la regarder, puis je suivis son regard figé vers la vue qui se présentait à nous à travers le pare-brise quelque peu poussiéreux, juste au moment où le camion bolide tentait de dépasser la jeep qui se trainait, en fonçant sur le trafic qui arrivait et qui, à ce moment-là, consistait en une seule chose.

Notre voiture.

« Rio ! ! ! » Je hurlai comme si elle ne pouvait pas voir les trois tonnes de mort luisante qui tonitruaient vers nous comme un grand requin blanc dans une course d’interception avec un morceau de plancton.

Au tout dernier moment, elle tourna brusquement le volant vers la droite, sortit de la route pour aller sur le bas-côté solide du désert. La berline fit un brutal tête-à-queue, les pneus fumant et tournant dans une tentative inutile de retrouver le contrôle sur les graviers sablonneux du sol désertique.

Pendant une demi-seconde, je pensai que nous allions nous retourner quand l’appel d’air du camion, qui nous manqua de peu, nous percuta avec la force d’une tornade. Ce fut probablement la seule fois de ma vie où je remerciai Dieu pour la vieille propension de Détroit à fabriquer des voitures de la taille de petites résidences.

Dieu sait comment, Rio réussit à maintenir un équilibre, même peu contrôlé. Tandis qu’elle luttait avec le volant serré entre ses phalanges blanchies, j’entendis un énorme bruit qui annonça la mort explosive de l’un de nos pneus juste au moment où Rio réussit à nous sortir du désert pour nous remettre sur la route.

A nouveau déséquilibrée, la voiture fit un looping lent et glissant vers la voie opposée avant de s’arrêter, avec une embardée brutale qui resserra brusquement la ceinture sur mes hanches, contre un rocher partiellement exposé de l’autre côté de la chaussée.

« Seigneur », murmurai-je à nouveau lorsque l’air pénétra dans mes poumons, avec le cliquetis tranquille du moteur pour seul son audible.

Je regardai sur ma gauche et vis Corinne assise raide et figée comme une statue de marbre, le visage vidé de toute couleur, les yeux écarquillés et fixes derrière des lunettes de travers sur son nez, la mâchoire affaissée.

Pour faire simple, on aurait dit un cadavre.

« Corinne ? Tu vas bien ? »

Après un instant, le cadavre revint à la vie et tourna lentement la tête vers moi. « C’est stupéfiant de voir comme une vie est vraiment courte quand elle passe comme un éclair devant vos yeux. »

J’aboyai un rire de soulagement et l’attirai contre moi aussi près que nos ceintures le permirent, l’étreignant contre ma poitrine, plus que joyeuse qu’elle soit toujours parmi les vivants.

Un gémissement en provenance du siège avant coupa court à nos brèves retrouvailles et lorsque je regardai, je vis que le pare-brise était parsemé de gouttes de sang, comme si une pluie macabre était tombée du ciel sans nuages.

Je plongeai la main dans une des poches de Corinne et en sortis un des mouchoirs toujours présents avant d’escalader le siège avant comme je le faisais quand j’étais enfant. Bien entendu, vu que j’étais largement devenue adulte, ‘l’escalade’ ne se passa pas autant en douceur ni aisément que je l’avais prévu.

Je me laissai tomber sans grâce sur le siège avant et remis mes membres à leur place avant de lancer un long regard pour évaluer Rio. Son visage était littéralement peint de sang par les forces combinées d’une entaille au-dessus de son sourcil gauche et d’un nez visiblement cassé.

« Il me faut un autre mouchoir, Corinne », dis-je en pressant celui que j’avais déjà en main sur le front de Rio dans une tentative d’étancher le sang abondant.

Tandis qu’un autre morceau de tissu m’était tendu, je posai la tête de Rio contre l’appui-tête et levai une de ses mains. « Tiens ça », ordonnai-je, en plaquant le second mouchoir contre son nez tout en déplaçant sa main dessus.

Quelques mots qui sonnèrent étrangement comme ‘Va te faire foutre’ émergèrent de dessous le tissu.

« Pas par toi en tous cas, ma chérie », répliquai-je, en souriant férocement face à son regard fou de rage et rempli de douleur brillante. « Tu te contentes de tenir ce mouchoir et tu restes tranquille. J’ai d’autres affaires qui m’attendent. »

Je saisis les clés sur le contact et déverrouillai la portière du passager, puis je sortis sur la route et fis le tour de la voiture vers l’arrière. Le pneu arrière côté conducteur était dans un état de déchirure au-delà du moindre espoir de rédemption.

Je soupirai et allai vers le coffre que j’ouvris avant d’en sortir tous les bagages qui s’y trouvaient. Le soleil brillant, chaud et implacable me fournit amplement de la lumière tandis que je fourrageais dans le compartiment à la recherche du cric et de la roue de secours.

J’entendis une des portières s’ouvrir et se refermer tandis que je m’apprêtais à sortir du coffre les choses dont j’avais besoin et à les poser sur le sable compact sur le côté de la route. Je regardai Corinne faire un lent tour sur elle-même tout en absorbant la vue de ses yeux légèrement écarquillés, ses lunettes demi-lunes de nouveau à leur place habituelle sur le dessus de son nez. « Je suppose que Triple-A ne vient pas aussi loin au milieu de nulle part. (NdlT : Triple-A=AAA=American Automobile Association, l’automobile-club américain) »

Tout en riant, je soulevai le pneu et le cric, les transportant à la force de mes bras du bon côté de la voiture. « Je m’occupe de tout. »

Elle me lança un regard chargé de pure spéculation. « Oui, je te crois. » Elle continua à m’observer tandis que je dévissais légèrement les vis à oreilles qui retenaient la roue avant de préparer le cric. « Une autre des leçons d’Ice ? »

« Exactement. Mon père pensait que j’avais un mari pour faire ce genre de choses à ma place, alors il ne s’est jamais inquiété de me les apprendre. Quand Ice s’en est rendue compte… ben, disons juste qu’elle s’est assurée que je ne soies jamais à la merci d’un quelconque routier amical avec un démonte-pneu et des pensées plutôt peu charitables.

« C’est une maligne, cette Ice. »

« Tu le sais bien. »

Tandis que je m’accroupissais pour installer le cric sous la voiture, j’entendis la portière s’ouvrir et levai les yeux pour voir Rio émerger de la berline, les bandages de fortune toujours pressés contre ses blessures. Ses yeux lancèrent autre chose que de la simple douleur et elle se dirigea vers moi avec ce qui semblait être une allure menaçante, soit pour me flanquer une raclée monumentale en paiement de ce que j’avais eu l’audace de lui dire, soit pour prendre ma place pour remplacer le pneu.

Le peu de bonne humeur qui me restait disparut d’un coup et je me relevai lentement, la clé à vis dans la main. « Si j’ai besoin de ton aide, Rio, je te la demanderai. Alors… va saigner ailleurs, tu veux bien ? Tu me caches la lumière. »

A ma grande surprise, l’attaque fut terminée presque avant d’avoir commencé. Rio baissa les yeux un quart de seconde et elle recula de plusieurs pas avant de se retrouver à hauteur du capot. Lorsqu’elle releva la tête, je vis quelque chose – peut-être une minuscule lueur de respect – luire dans ces yeux-là. Bien que ça ne fasse pas soudainement de nous les meilleures copines du monde, j’eus le sentiment certain que le terrain avait été mis à niveau, même si ce n’était qu’un tout petit peu.

Le regard de fierté amusé que me lança Corinne fit monter le rouge à mon visage et je m’accroupis à nouveau pour le cacher, jouant avec le cric et la clé à vis toujours dans ma main, tout en jurant entre mes dents.

Quelques instants plus tard, c’était terminé. Après avoir rangé les outils et les débris du pneu déchiré dans le coffre, et avoir remis nos bagages, je revins tranquillement à l’avant de la voiture, jetai un coup d’œil au pare-choc bien collé contre le rocher qui nous avait arrêtées.

A part une toute petite éraflure sur le chrome poussiéreux, le pare-choc n’était pas en mauvais état. Mais on ne pouvait pas en dire autant du rocher qui affichait une grande fissure au point d’impact.

« On n’en fait plus des comme ça, sûr », dis-je en secouant la tête d’étonnement.

« C’est certain », acquiesça Corinne à côté de moi.

Après un instant, je me retournai pour voir Rio qui nous regardait silencieusement. Je saisis ma chance et m’avançai vers elle, m’arrêtant à la limite de sa zone de confort. « Je… euh… est-ce que ça t’ennuierait si je prenais mon tour au volant pour un moment ? Ça donnerait à tes coupures un peu de temps pour arrêter de saigner ? »

Elle plissa les yeux, puis, aussi vite, elle se détendit et hocha la tête, un peu à contrecœur, pensai-je. Et pourtant, un hochement de tête était un hochement de tête et je sautai pratiquement sur ma chance, ouvris rapidement la portière du conducteur et me glissai sur le siège. Parce que Rio faisait deux fois ma taille, mes pieds n’atteignirent pas les pédales. Je tendis la main et tirai sur un levier caché pour rapprocher la banquette avant pesante et l’ajuster à ma petite taille.

Les mains sur le volant et les pieds atteignant facilement les pédales d’accélération et de frein, je souris de plaisir, ne me sentant plus comme une petite gamine derrière le volant de la berline de Papa. « Tout le monde à bord ! Prochain arrêt… heu… il est notre prochain arrêt, en fait ? »

« Tucson », répondit Corinne, se glissant sur le siège arrière en grognant de soulagement. « Angel, mes jambes variqueuses te remercient pour la place en plus. Mes oignons chantent aussi tes louanges. »

« Tant qu’ils ne me demandent pas de les embrasser. »

« Tu en aurais de la chance. »

La portière de passager avant s’ouvrit et Rio sembla vouloir s’asseoir près de moi. A mi-chemin, cependant, elle se retrouva bien coincée, ne s’attendant visiblement pas à ce que j’ai avancé la banquette aussi loin en un si court moment.

Alors que ses fesses se trouvaient bien à plus de quinze centimètres au-dessus du siège, incapable de monter ou descendre, je sentis le goût du sang lorsque je mordis littéralement ma lèvre pour en pas laisser sortir mon rire hystérique. Regarder Corinne dans le rétroviseur fut probablement la pire chose que je pus faire à cet instant. L’expression spéculative et totalement diabolique sur son visage, faillit me faire convulser.

Lorsque ses doigts bougèrent dans un mouvement intentionnel et exagéré de pincement, je perdis tout contrôle, pliée sur le volant et m’étouffant de rire si fort que je pensai que mes poumons allaient me sortir de la poitrine et atterrir sur le tableau de bord comme deux ballons luisants et trop gonflés.

Avec un grognement titanesque et une poussée puissante, Rio se libéra de la voiture puis tourna sur elle-même rapidement pour nous lancer un regard furieux, son visage couvert de sang, ses yeux assombris et son nez massivement gonflé rendant son expression encore plus menaçante.

« C’est l’asthme ! » Dis-je avec une respiration sifflante, éventant mon visage échauffé et couvert de larmes tandis que je tentais désespérément de retrouver un peu de contrôle sur mon hystérie.

« Un cas terrible », dit Corinne pince-sans-rire depuis son siège derrière moi. « Nous espérons que l’air du désert fera du bien à la pauvre chérie. »

Je pongeai dans le rôle que je m’étais attribué et fis pour Rio ma meilleure interprétation de la femme qui essaie désespérément de respirer.

Et ce fut une sacrée bonne interprétation si je peux dire. Surtout étant donné le fait qu’à ce moment précis, j’étais une femme essayant désespérément de respirer.

« Peut-être que ce serait mieux, Rio, si tu consentais à partager le siège arrière avec moi. Laissons la toute petite ratatinée là devant pendant que toi et moi nous profitons du luxe ici. »

Si j’en avais eu le souffle, j’aurais lancé un regard à Corinne assez brûlant pour lui friser les cheveux. Mais comme respirer était une priorité, je décidai de m’offrir plutôt le fantasme mental de l’attacher et de la rosser jusqu’à l’évanouissement avec sa propre théière.

Toute petite, ben voyons.

Je ne pris même pas la peine de tourner la tête quand un doigt impérieux me tapota l’épaule.

« Démarrez, mon brave. Tucson nous attend. »

J’ajoutai un tisonnier à mon petit fantasme et souris en démarrant la voiture avant de repartir sur la chaussée.

*******

« Arrête-toi ici. » L’ordre s’éleva depuis le siège arrière tandis que j’essayais de négocier l’enchevêtrement des croisements d’autoroutes qui marquait l’entrée de Tucson.

« Où ça ici ?  Tu as une sortie particulière en tête, Corinne, ou bien est-ce que l’autopont t’ira ? Je suis sûre que les camions qui nous suivent seront plus qu’heureux de transformer cette voiture en accordéon, si c’est la forme que tu recherches. » J’admets volontiers que j’étais un peu cinglante mais je crois que vous l’auriez été aussi, si vous aviez passé les cinq dernières heures dans un enfer automobile, à écouter deux gamines grandies trop vite s’envoyer des vannes derrière vous. Je passai un bref instant à me demander si c’était une sorte de remboursement cosmique pour ma propre enfance passée à faire la même chose pendant les longs voyages avec mes parents.

« Continue à rouler. » Le contre-ordre inattendu émanait de Rio, dont la voix semblait venir du fond d’un puits très, très profond et très plein.

« Sors à la prochaine, Angel. Je refuse que cette espèce d’adulte entêtée mal poussée, continue à me pisser le sang dessus. »

« Continue à rouler, je vais bien. »

Je serrai les dents devant le désir submergeant de simplement me garer et les jeter toutes les deux au milieu de l’autoroute encombrée, et je choisis plutôt de diriger la voiture vers la sortie la plus proche, suivant la longue rampe courbée jusqu’à ce qu’elle me mène sur une rue large et quasiment déserte. Je me garai sur le côté de la rue, coupai le moteur, laissai les clés sur le contact, ouvris la porte et sortis sur la chaussée, avec l’intention de mettre le plus de distance entre moi et les ‘Sœurs Pétards’ si possible avant que ma tête n’explose.

Il m’importait peu que j’ai l’air de marcher dans une version moderne d’une ville fantôme de l’Ouest, où les barreaux et les chaines décoraient les fenêtres et les portes vides et poussiéreuses. Il m’importait peu que la plupart des pancartes soient en espagnol et par là-même incompréhensibles pour moi. Il m’importait autant que je puisse littéralement sentir les regards invisibles qui m’évaluaient et resserraient ma chair sur mes os.

Tout ce qui m’importait, c’était le silence bienheureux qui m’entourait, encore plus cher à mes yeux parce qu’il apportait avec lui le soleil chaud et l’air frais. Je fermai les yeux et penchai la tête vers le soleil, je laissai ses rayons chauds baigner la tension de mon corps.

« Angel ? » J’entendis une voix derrière moi. « Qu’est-ce que tu fais là-dehors ? »

Comme je ne répondais pas, la portière s’ouvrit et j’entendis le bruit de chaussures confortables qui frappaient la chaussée. Un instant plus tard, Corinne était près de moi. « Angel ? Tu vas bien ? »

« Dès que ce mal de crâne sera parti, je serai dans une forme géniale. »

« Comment… ? Oh, à cause de la discussion ? »

Je me tournai pour la regarder. « Ce n’était pas une discussion, Corinne. Je connais les discussions. J’ai eu des discussions. Ça n’en était pas. C’était une guerre. Entre deux adultes. Dans une voiture. Pendant cinq heures. »

« J’ai saisi l’idée. »

« Bien. Parce que je ne pense pas pouvoir retrouver assez d’énergie pour l’expliquer une nouvelle fois. » Je me massai les tempes, essayant de repousser le mal de crâne.

Ça ne marcha pas.

« Elle saigne plutôt fort, Angel. »

« Oui, Corinne, j’en ai conscience. J’en ai très conscience. Mais le problème, c’est que toutes les deux, vous semblez plus intéressées par le fait d’en débattre que par celui d’y faire quelque chose. Alors, retourne dans la voiture et battez-vous stupidement là-dessus. Je reviendrai plus tard pour ramasser celle qu’il restera à emmener à l’hôpital, d’accord ? »

« Angel… »

« Non, Corinne. » Je soupirai, me forçant à calmer ma colère. « Écoute. Je sais que Rio saigne très fort, et j’aimerais beaucoup pouvoir faire quelque chose pour ça. J’aimerais vraiment. Mais, comme tu peux le voir, je suis dans une ville dans laquelle je ne suis jamais venue et dont je ne peux même pas lire les pancartes. Alors j’espère que tu m’excuseras si je ne suis pas au top sur cette situation. »

« Tu as raison. Et je m’excuse pour ce qui me concerne, si ça peut aider. Rio est franchement bornée mais elle a de bonnes raisons pour détester les hôpitaux. Sa mère a été tuée dans l’un d’eux. »

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » Demandai-je les yeux écarquillés.

« Sa mère était infirmière aux urgences à l’époque. Un homme est arrivé en demandant des médicaments et il lui a tiré dessus pour avoir la clé des narcotiques. Rio ne s’est plus approchée d’un hôpital depuis. »

« Seigneur… c’est horrible. »

« En effet. »

Je tournai la tête un moment et je vis un immeuble bas et trapu sans vitres qui avait plus l’air d’un abri anti-bombes que de bureaux. Il y avait un panneau publicitaire énorme sur le toit, marqué de trou de balles et usé presque jusqu’à n’être fait que d’échardes, grâce au soleil tapant en permanence. On y lisait tout simplement : La Clinica.

« Est-ce que ça pourra aller ? C’est un compromis, je veux dire ? »

Alors que Corinne suivait des yeux mon doigt qui pointait l’immeuble, un sourire éclaira son visage. « Ça sera parfait, je pense. Et si ça ne l’est pas, je crois que j’ai un tisonnier quelque part dans le coffre. »

« Il faudra que tu fasses la queue derrière moi », dis-je en souriant. « Je pense qu’il y a aussi un démonte-pneu avec son nom dessus. »

Elle me tapa doucement sur l’épaule en riant puis alla vers la voiture. Je restai sur place, savourant les derniers instants de calme et de soleil aussi longtemps que possible.

Cette résolution fut déçue, à ma grande surprise.

Après une brève conversation quasi silencieuse, Rio sortit de la voiture et passa près de moi pour se diriger vers la clinique, en tenant toujours un mouchoir rouge de sang contre son nez. Après un coup bref et brusque, la porte de la clinique s’ouvrit et le bâtiment sembla l’engloutir, comme si elle n’avait jamais existé, et qu’elle n’existerait plus jamais.

Son sourire suffisant vraiment insupportable, Corinne remua les doigts vers moi en passant, me laissant jouer la voiture-balai dans le petit train à problèmes dans lequel je me trouvai. Je secouai la tête et réfrénai un sourire, pour qu’il ne soit pas interprété comme une marque d’admiration (ce que c’était en fait, mais elle n’avait pas besoin de le savoir) avant de la suivre dans la clinique.

Bien qu’austère au possible vue de l’extérieur, à l’intérieur la clinique était une merveille de design moderne. Brillante et d’une propreté totale, elle était remplie jusqu’au plafond d’assez d’équipement médical pour assurer un traitement rapide et approprié pour quiconque passait ses portes à la recherche d’une aide.

J’entrai juste à temps pour voir la large silhouette de Rio entrainée à travers une série de portes intérieures par deux infirmières en uniforme bleu. La réceptionniste me sourit lorsque j’entrai, me faisant un geste de la main vers la rangée de chaises immaculées, bien que peu confortables, alignées le long de deux murs. Corinne était déjà assise et feuilletait nonchalamment l’un des nombreux magazines posés sur plusieurs tables près du centre de la pièce.

« Est-ce qu’on doit remplir quelque chose ? » Demandai-je en m’asseyant près d’elle. A part nous, la salle d’attente était vide de toute présence humaine.

« Je suis sûre qu’on le saura bien assez tôt », répondit Corinne, en tournant une autre page de son doigt mouillé, examinant avec attention la publicité qui s’y trouvait. « La publicité devient vraiment une entreprise à créer de la fiction ces derniers temps. A regarder cette pub, de simplement boire cette boisson semble promettre que non seulement on va être rafraîchi, mais qu’une transformation de son look, la disparition de son petit ventre et l’amélioration de ses seins sont offerts gracieusement avec le paquet. Ça me donne presque envie de goûter. Mon corps aurait bien besoin d’une remise en formes. »

Je ris doucement, appréciant sa tentative de me sortir la tête de mon environnement actuel. Je détestais les hôpitaux, les cliniques, les cabinets médicaux de toutes sortes. Avoir une compagne malheureusement prédisposée aux blessures par balles spontanées, rendait cette détestation plutôt justifiée, je crois.

« Tiens », dis Corinne brusquement, en me glissant un magazine légèrement abîmé entre les mains. « Lis ça et arrête de remuer. Tu me donnes le mal de mer. »

« Tu sais bien que je ne lis pas l’espagnol, Corinne », répliquai-je, en feuilletant le magazine.

« Alors apprends. Je suis sûre que les soins de Rio vont prendre du temps et il n’y a vraiment rien d’autre à faire. »

« Oui, maman », dis-je en soupirant, me laissant retomber dans ma chaise tout en tournant les pages luisantes du magazine, essayant de donner une signification à ce que je voyais sans y réussir du tout.

Au moins mon mal de crâne avait disparu.

*******

Plusieurs heures, et un présentoir de magazines complet plus tard, une Rio lourdement chargée de médicaments fut amenée en chaise roulante dans la salle d’attente, comme la dernière survivante d’un Mardi Gras particulièrement intense. Son visage montrait une explosion de couleurs disséminées qui mettait en relief l’attelle métallique qui recouvrait son nez fraîchement remis en place.

Un jeune homme bien soigné portant une longue blouse blanche sur son uniforme médical, son nom brodé en fils rouges sur la poitrine, nous fit un sourire plaisant tout en s’arrêtant et en verrouillant la chaise roulante à quelques centimètres de nous. « Vous êtes là pour Rio ? »

« Oui », répondis-je. « Est-ce que ça va aller ? »

« Et bien, elle aura un mal de crâne plutôt tenace après que les médicaments auront fini leur effet, mais oui, elle devrait aller mieux dans une semaine ou deux. En parlant de ça… » Son sourire s’élargit encore plus lorsqu’il glissa une ordonnance dans ma main. « Quelques pilules du bonheur en plus. Elle peut en avoir une toutes les quatre heures environ, mais elles vont l’endormir pas mal, alors assurez-vous qu’elle ne conduise pas ou fasse quoi que ce soit qui demande de la concentration. »

Corinne prit la feuille de papier de ma main et la glissa dans son sac à main tandis que je regardais le docteur et Rio à tour de rôle. « Est-ce qu’il y a quelque chose de particulier qu’on puisse faire pour elle ? »

« Et bien, son nez a une attelle et il est bien serré, alors assurez-vous qu’elle n’a pas de problèmes pour respirer, surtout quand elle dort. Elle a probablement aussi avalé pas mal de sang, alors essayez de lui garder la tête penchée sur le côté au cas où il déciderait de sortir par le mauvais chemin. »

Je hochai la tête pour dire que j’avais compris ses instructions. « Autre chose ? »

« Autre que de garder un œil sur elle, pas vraiment. Comme je l’ai dit, il ne se passera pas longtemps avant qu’elle ne soit redevenue elle-même. » Saisissant ma grimace, il sourit. « Vous aviez peur que je dise ça, hein ? »

« Ben… »

Il rit et me tapota rapidement l’épaule, puis recula. « Bonne chance. »

« On va en avoir besoin. » Je serrai sa main tendue avec gratitude. « Merci. »

« De nada. Carlos va emmener Rio à votre voiture. »

« C’est la berline beige garée de l’autre côté de la rue », dit Corinne en tendant les clés à l’infirmier costaud.

Il les prit, sourit et hocha la tête, puis emmena Rio hors de la clinique.

Tandis que le docteur s’éloignait et passait les portes de la salle de soins, j’accompagnai Corinne jusqu’au bureau d’accueil. « On vous doit combien ? » Demanda-t-elle en sortant son portefeuille.

« Rien, señora. C’est une clinique gratuite créée pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer les soins médicaux. »

« On a les moyens », répliqua Corinne sans se démonter. « Un chiffre bien rond, s’il vous plait. »

« Mais… »

Ignorant la femme, elle sortit dix billets de cent dollars tous neufs, les posa un par un sur le comptoir encombré et sourit en voyant les yeux couleur noisette sombre de la réceptionniste s’écarquiller. « C’est assez rond ? »

« Mais… »

« Assez rond », répondit Corinne pour elle, visiblement peu encline à accepter un refus. « Merci pour votre gracieuse hospitalité. » Et sur ces mots, elle ferma son sac, tourna les talons et quitta la clinique sans même un regard derrière elle, me laissant hausser vainement les épaules devant la réceptionniste au yeux agrandis, qui fixait avec incrédulité la petite montagne de billets posée devant elle.

Après un long moment, elle leva les yeux vers moi. Je souris. « C’est sa façon de faire. »

« Dios mio. »

Je gloussai. « On est tenté de le dire, oui. » Une pensée me traversa l’esprit. « Je peux vous demander un service ? »

« N’importe quoi, señora ! N’importe quoi ! »

« Je... j’ai simplement besoin d’aide pour me rendre à destination. Vous voyez, Rio est notre guide. Je ne suis jamais allée aussi loin au sud auparavant. Est-ce qu’il y a un endroit où on pourrait passer la nuit ? C’est probablement mieux qu’on continue notre route quand elle sera réveillée et qu’elle pourra m’aider. »

« Oh, si. Si. Je connais un petit endroit sympathique pas trop loin d’ici, señora. Juste à l’extérieur de la ville et facile à trouver. Je vais vous écrire l’itinéraire pour y aller. »

Peu de temps plus tard, armée d’instructions merveilleusement explicites, je me frayais un chemin dans le trafic grouillant de sortie du travail vers l’endroit où nous allions passer la nuit.

*******

« Sympa », fis-je remarquer tandis que Corinne et moi dirigions une Rio très assommée de médicaments et à demi endormie dans la grande chambre et sur l’un des lits King-size.

Aussitôt qu’elle toucha le matelas, Rio se mit sur le côté et commença à ronfler, longuement et bruyamment, à travers sa bouche grande ouverte.

« Je continue à penser que nous aurions dû prendre deux chambres », fit remarquer Corinne, en faisant mine de se couvrir les oreilles. « Les bibliothécaires âgées avec peu de patience sont connues pour ne pas être au mieux de leur forme si elles n’ont pas leurs huit heures de sommeil par nuit. »

« Les anges ne le sont pas non plus », répliquai-je, en tressaillant lorsqu’un ronflement particulièrement sonore faillit casser une vitre.

« On peut toujours l’étouffer avec un oreiller », dit Corinne.

« Je ne pensais pas que la suffocation était ton genre. »

« Pour ça, je suis prête à changer de mode opératoire. »

« Peut-être. Mais où est-ce qu’on cacherait le corps ? »

Elle rit. « Tu marques un point. Je dirais qu’on pourrait juste la laisser dehors, mais quelqu’un nous la rebalancerait sûrement. »

Je gloussai et traversai la grande suite avant de tirer les lourds rideaux qui protégeaient la pièce du rude soleil du désert. Un soleil qui commençait à se coucher derrière la mesa basse à l’ouest de l’hôtel. Un besoin me saisit et je me tournai vers mon amie. « Tu peux la surveiller quelques minutes ? »

« Bien sûr. Tu te sauves déjà de moi, hein ? »

« Non. Je veux juste… » Je pus sentir que je rougissais. « J’aimerais voir le soleil se coucher. »

Son regard ne contenait qu’un amour sincère et de la profonde compassion. « Je comprends, Angel. Prends ton temps. Mais rends-toi juste compte qu’en retour, je m’attends à ce que tu nettoies le bazar qu’elle pourrait faire pendant la nuit. »

Je souris. « Marché conclu. »

« Alors file avant que je décide de te faire partager son lit en plus. »

Et c’est ce que je fis.

*******

Bien que la mesa ne fût pas très haute, la piste était assez raide et mes jambes brûlaient de manière plaisante tandis que je grimpais au sommet. Je tournais le dos à la ville et la vue du désert depuis le sommet était saisissante ; des terres planes à perte de vue, libres de toute forme de présence humaine.

La vue du ciel tandis que le soleil se couchait était encore plus spectaculaire. Des tourbillons rouge sang profond mêlé à du pourpre royal formaient une vue dont je ne pouvais détacher mon regard. C’était bien plus beau que tous les couchers de soleil que j’avais jamais vus.

Après m’être assurée que le rocher à mes pieds n’abritait pas un serpent ou une autre créature venimeuse, je m’assis lentement dessus, regardant le soleil entamer sa marche triomphale derrière les montagnes encore plus loin vers l’ouest.

« Comme tu aimerais cet endroit, Ice », murmurai-je à ma compagne absente. « Si sauvage et si libre. Pas de murs. Pas de barreaux. Rien que… la paix. Et la beauté. » Un frisson de froid me parcourut soudain, bizarrement déplacé dans la douce chaleur de la soirée, et je serrai mes bras autour de moi. « Tu me manques, tu sais. Tellement. Je persiste à me dire que c’est pour la bonne cause, et qu’on se reverra bientôt. Mon cerveau m’écoute, mais mon cœur… et bien, il a son propre esprit, tu sais ? »

Je sentis l’écoulement chaud des larmes sur mes joues tandis que le ciel devenait, pour moi seule, un magnifique prisme devant mes yeux larmoyants. « Je pense que je pourrais tout donner simplement pour sentir tes bras autour de moi. » Je ris doucement. « Je sais que ça ne peut pas arriver à cet instant, mais tu ne peux pas me blâmer de rêver, hein ? »

Je frottai mes yeux et me levai tandis que le soleil entamait sa descente finale derrière la montagne. « Je serai patiente, mon amour. Mais… n’attends pas trop longtemps, d’accord ? »

Et tandis que le soleil se couchait enfin, couvrant le monde d’en bas d’une ombre, une chaude brise de désert m’enveloppa comme une étreinte de mon amour absent, chassant le froid et me laissant avec un sentiment profond de calme et de paix.

Je pus sentir le sourire qui se formait alors que les larmes séchaient sur mes joues.

« Je t’aime, Ice. Dépêche-toi de rentrer à la maison. »

*******

Le matin suivant, Rio était redevenue elle-même. Elle se réveilla en grognant, refusant tous les médicaments contre la douleur que nous avions récupérés dans une pharmacie en chemin vers l’hôtel, retira le plâtre et l’attelle de son nez et nous aboya des ordres, telle une véritable instructrice de l’armée avec une escouade de nouvelles recrues totalement ineptes.

Alors que son humeur revêche aurait dû me déranger, ce ne fut pas le cas. Ce cadeau de paix que j’avais reçu la veille au soir se prouvait tenace et je le serrai contre moi comme une couverture par une nuit froide d’hiver, refusant de laisser sa mauvaise humeur et ses mauvaises manières me l’arracher.

En plus, dans cinq heures – et peut-être même moins – notre voyage allait prendre fin et, par la volonté de Dieu, je n’aurais plus jamais à m’inquiéter d’elle dans des quartiers aussi serrés et sans échappatoire.

Corinne n’était pas aussi bien disposée, mais un regard de ma part lui fit tenir sa langue.

Nous fûmes rapidement sur la route, avec Rio à nouveau dans son espace habituel derrière le volant. Les kilomètres passèrent facilement tandis qu’en moi, un sentiment d’anticipation enthousiaste passait d’une petite graine à une vie pleine et florissante.

Nous nous dirigeâmes vers le sud, et encore plus au sud, prenant des routes de plus en plus petites, passant uniquement près de végétation désertique et d’une rare voiture en direction du nord. Juste au moment où j’étais sûre que la frontière mexicaine allait être notre destination, nous prîmes un virage vers l’ouest sur une route très étroite que le désert faisait de son mieux pour reprendre, la couvrant de sable qui en montrait le peu d’usage. Nous roulâmes vers l’ouest pendant quelques kilomètres, traçant notre route à travers les avancées de plusieurs petites mesas qui se tenaient comme des pièces d’échecs taillées à la scie sur le plus grand plateau du monde.

Un autre virage lent et en méandres nous amena à nouveau sur une plaine ouverte et je vis quelque chose que je ne m’attendais pas à voir dans un désert.

Des arbres.

Des rangées d’arbres parfaitement entretenus. Des arbres dont le vert abondant s’élevait en contraste flagrant avec le brun baigné de soleil du désert environnant. Des arbres dont la senteur douce me parvint à travers les vitres ouvertes de la voiture en même temps que les images de…

« Des oranges ? Est-ce que ce sont des orangers ? »

« Et rien d’autre », répliqua Corinne en prenant également une bonne bouffée d’air en souriant.

« Je ne savais pas qu’on pouvait faire pousser des oranges en Arizona ! »

« Ahh, Angel. Si j’osais, je dirais que tu n’as pas vraiment vécu tant que tu n’as pas goûté aux oranges d’Arizona. Sucrées. Succulentes. Explosant littéralement de jus. Un peu comme… »

« Ne le dis pas, Corinne. Ne le dis… pas. S’il te plait. »

« Rabat-joie. »

Choisissant d’ignorer sa taquinerie, je pris plutôt une autre inspiration profonde, notant que l’odeur des fleurs d’oranger était de plus en plus forte – enivrante presque – au fur et à mesure que nous nous approchions de l’orangeraie. Cela me rappela la réalité de cette maxime : ‘Trop d’une bonne chose peut nuire’ et je mis la main sur mon nez pour stopper un éternuement qui menaçait.

Un chemin large traversait l’orangeraie à angle droit et lorsque nous sortîmes de l’autre côté, le désert reprit ses droits. Sur ma droite, je vis la barrière de barbelés basse d’un corral, et au-delà, la poussière s’éleva tandis qu’une harde de chevaux venait à notre rencontre, emmenée par un bel étalon – où ce que je pris pour un étalon, ma connaissance des chevaux étant très minimaliste – avec une robe de la couleur du sang fraîchement versé et une crinière et une queue noirs comme de l’encre.

Il se cabra, dévoilant des sabots puissants et vifs, des muscles luisants et couverts de sueur, et je tombai amoureuse de lui au premier regard. Toute la harde courut près de nous vers le bord d’une petite colline, puis s’arrêta au bout de l’enclos. Nous, bien sûr, nous continuâmes vers le fond d’une vallée qui marquait la fin de notre voyage.

Une énorme maison émergeait du désert comme si elle était née du même sable sur lequel elle reposait. Elle était faite d’adobe couleur ivoire avec un toit en tuiles espagnoles rouges et des fenêtres hexagonales très teintées. Elle n’avait qu’un seul étage mais était très longue et comportait trois portes principales, chacune d’elles encadrée d’une arche longue et fluide.

D’autres maisons plus petites formaient un semblant de carré derrière le bâtiment principal, avec les écuries sur la droite et au-delà, ce qui ressemblait à une rangée de serres qui appelaient un peu d’exploration dans le futur proche.

Tandis que nous nous garions le long de la longue allée circulaire, je commençai à remarquer des groupes de personnes qui marchaient tranquillement, ou avec détermination, sur les terres autour. Bien que de toutes formes, tailles et origines ethniques, ces gens avaient visiblement une chose très évidente en commun.

« Où sont les hommes ? »

Un éclat de rire perçant émana du ‘poulailler’, qui se trouvait actuellement situé dans le siège du conducteur. (NdlT : l’auteure a utilisé l’expression ‘peanut gallery’ qui est l’endroit où les places sont les moins chères dans un théâtre, tout en haut, c-à-d le poulailler en français, aussi appelé le paradis, mais ça aurait été moins ironique à l’égard de Rio J)

« C’est un ranch pour femmes, Angel », expliqua Corinne, en lançant un regard noir vers la nuque de Rio. « Les hommes ne sont pas les bienvenus. »

Au lieu de dire quoi que ce soit tout haut et de donner à Rio des munitions en plus à utiliser contre moi dans cette guerre qu’elle avait initiée, je choisis de simplement hocher la tête, en observant les femmes qui vaquaient à leurs occupations.

« Tiens, tiens, tiens », dit Corinne à ma gauche d’une voix douce et impressionnée. « Et moi qui n’ai pas ma caméra. »

Curieuse, je regardai par sa vitre. Et quelle vue en effet.

Une grande piscine creusée faisait des reflets bleu azur sous le soleil brillant. Dans et autour de la piscine étaient allongées près d’une douzaine d’âmes courageuses (il faisait chaud dehors mais pas aussi chaud), qui portaient toutes le même vêtement.

Celui de leur naissance.

Si mes yeux n’avaient pas été aussi bien attachés à l’arrière de mon crâne, ils seraient sûrement sortis de ma tête à cette vue.

« Rappelle-moi de faire un gros et beau bisou à M. Cavallo quand Ice le trainera enfin par ici, Angel. Je pense que j’ai peut-être trouvé le paradis. »

Je dois admettre que ce fut tout aussi paradisiaque pour moi, au début. Tandis que je regardais ces femmes, je m’imaginai le long corps nu d’Ice traçant l’eau étincelante avec la facilité d’une athlète née.

Je l’imaginai montant à l’échelle avec une grâce agile, l’eau roulant d’elle en cascades brillantes.

J’imaginai le sourire qui passerait sur son visage lorsqu’elle me verrait au bord de la piscine, en train de l’attendre.

J’imaginai trois douzaines d’autres femmes nues agglutinées autour de la déesse aux membres bronzés qu’était ma compagne, me bloquant sa vue et la touchant à tous les endroits qui m’étaient actuellellement refusés.

Je clignai des yeux.

Puis je toussai.

C’est stupéfiant de voir comment le paradis d’une femme peut aussi facilement devenir un enfer personnel.

Tandis que la voiture finissait son entrée dans le ranch, la vue de la piscine fut heureusement coupée de mon champ de vision et je laissai passer un soupir de soulagement face à cette perte. Après avoir arrêté complètement la voiture, Rio coupa le moteur et sortit si vite que je me demandai brièvement si elle était assise sur un nid de guêpes, ou quelque chose d’aussi déplaisant.

C’est probablement juste la compagnie qu’elle a été forcée d’accepter, me dis-je en haussant les épaules mentalement. Je pouvais difficilement lui en vouloir, après tout, parce que je ressentais la même chose.

Je sortis de la voiture pour la voir engloutie par un groupe de femmes roucoulantes. Je vis son dos se redresser et ses épaules s’élargir sous l’attention compatissante qu’elle recevait, et moi – peu charitablement – je me demandais quel genre d’histoire elle racontait sur ses blessures pour gagner autant d’adulation.

Ça suffit, Angel. L’amertume n’est pas le plus charmants de tes atouts, alors remets-la dans le puits de venin d’où elle est venue et laisse-là dedans, d’accord ?

La mâchoire serrée sur cette nouvelle résolution, je tendis la main devant le siège avant et ouvris le coffre, puis j’allai à l’arrière pour prendre mes bagages et posai chacun d’eux avec soin sur la chaussée immaculée, puis je fis la même chose avec les sacs de Corinne.

Ayant perdu ce qui nous servait d’hôtesse, je l’étais moi-même pour la suite.

« Tu penses que ça serait impoli de simplement entrer là-dedans et nous annoncer nous-mêmes ? » Demandai-je à Corinne tout en continuant à fixer Rio et ses admiratrices.

« Je ne pense pas que cela sera nécessaire, Angel. »

Je levai les yeux pour voir une femme sortir de la maison. Elle portait un jean délavé, une chemise blanche et une veste en cuir. Son visage était obscurci par l’ombre du grand bord d’un Stetson blanc posé confortablement sur ses longs cheveux noirs.

Je plissai les yeux que je protégeais de ma main face au soleil brillant, essayant de la voir plus clairement et de remettre en place le sentiment familier qui me submergea lorsqu’elle s’avança vers nous.

« Bienvenue à Akalan, Angel. »

Ce fut la voix qui donna le signal. Plus encore que le geste respectueux sur le bord du chapeau, ou bien le sourire qui rendit les traits de la femme soudain reconnaissables.

« Montana ? » Demandai-je, plus que stupéfaite de ne pas pouvoir le deviner même depuis l’endroit où je me trouvais. « C’est vraiment toi ? »

« En chair et en os », dit-elle en souriant. « C’est bon de te revoir. Tu n’as pas changé depuis la dernière fois où je t’ai vue. » (NdlT : Montana apparaît dans la première partie de Rédemption, c’est elle qui dirige les Amazones en l’absence d’Ice)

Les larmes aux yeux, je tendis les bras et l’étreignis fort, contente de ne pas la sentir se raidir ou s’éloigner. Dans ma joie, j’avais oublié sa réserve naturelle, tellement semblable à celle de ma compagne que cela faisait mal de l’embrasser.

« Seigneur, que c’est bon de te voir », dis-je en m’écartant finalement et en m’essuyant les yeux de la main. « Qu’est-ce que tu fais ici ? »

En entendant son rire, je rougis, me rendant compte un peu tard de ce que ma question pouvait avoir d’incongru.

« Je veux dire… je pensais que tu étais dans le Montana ? »

« Je l’étais, jusqu’à il y a trois semaines », répondit-elle, en étreignant chaleureusement Corinne.

« Qu’est-ce qui s’est passé il y a trois semaines ? »

« J’ai reçu un appel d’une avocate qui m’a exposé les joie de passer l’hiver au chaud et au soleil de l’Arizona. »

« Donita ? »

« En personne. Et, puisque l’alternative c’était un autre hiver passé dans la neige jusqu’au cou, je me suis autorisée à aller vérifier la sagesse de ses paroles, et me voici. »

« Tu es venue pour moi, n’est-ce pas », dis-je, tandis qu’une autre pièce du puzzle se mettait en place.

« Je ne nierai pas que ce fut un facteur pour prendre ma décision. »

« Mais ta maison… »

Elle sourit et leva la main. « Akalan est autant ma maison que le ranch dans le Montana, Angel. Ou même celui des collines de l’ouest de la Pennsylvanie. L’endroit où je me trouve à un moment donné n’a pas beaucoup d’importance. Mais ce que je peux faire et qui je peux aider, ça, ça en a. »

« Mais… »

Son sourire s’élargit. « Regarde autour de toi, Angel. Qu’est-ce que tu vois ? »

Je suivis sa requête et regardai alentours, puis revint vers elle, les sourcils dressés, peu sûre de savoir exactement ce qu’elle voulait dire.

« Pas de réponse ? Je vais te dire ce que je vois alors. » Je la regardai, fascinée, tandis que son regard noir détaillait les lieux, ne ratant rien. « Là où certains pourraient ne voir que le désert vide et aride et… oui, de belles femmes…. »

« De belles femmes nues », la corrigea Corinne près de moi.

« Accepté », répondit Montana, avec un petit sourire narquois. « Je vois de l’espoir, Angel. Aussi simplement que ça. »

« De l’espoir pour quoi ? » Demandai-je, sincèrement curieuse. Bien que j’aimais et respectais énormément Montana, je la connaissais bien moins que les autres Amazones avec lesquelles j’avais lié amitié. En partie, bien entendu, parce qu’elle avait été relâchée si vite pendant ma propre peine. Et le reste, comme je crois l’avoir déjà mentionné, était lié à sa propre nature réservée et tranquille.

« De l’espoir pour le futur. De l’espoir pour la communauté. De l’espoir pour la protection, la sécurité, l’amitié. » Elle haussa ses larges épaules. « De l’espoir en tant qu’individu, comme la femme qui exerce ce droit. » Lorsque son regard se tourna vers moi, il était adouci par la compassion et la générosité, bien que brillant de la passion de ses convictions. « Par-dessus tout, Angel, ce ranch est un endroit où l’espoir est né et a été nourri. Les femmes viennent ici de tous les chemins de la vie. Beaucoup sont bleuies des coups reçus, soit émotionnellement, soit physiquement. Parfois les deux. Elles courent moins à notre rencontre qu’elles ne fuient la vie qu’elles avaient avant de venir. Des communautés comme celles-ci offrent un sentiment de sécurité, de protection, et d’appartenance qui peut aider à commencer à guérir des femmes qui n’ont nulle part d’autre où aller. »

« Ça semble merveilleux », dis-je, complètement absorbée dans sa vision.

« Ça peut l’être. Ça peut aussi être rude, sale et sans merci. Mais c’est un boulot que je n’échangerais pour rien au monde. »

« Avec ces avantages, je ne vois pas pourquoi tu le ferais », fit remarquer Corinne, reluquant franchement deux femmes très peu vêtues qui flânaient près de nous, bras dessus bras dessous. Elles lui sourirent en retour et remuèrent les doigts en invitation. « Oh oui, je vais aimer cet endroit. ».

Montana se mit à rire, quelque chose que je ne lui avais jamais vu faire auparavant, et je me sentis charmée par la douceur musicale de son rire. « C’est bon de te revoir, Corinne. Tu vas assurément égayer cet endroit. » Elle posa la main sur nos épaules et nous guida vers la maison, nos sacs dans la main. « Allons vous installer et nous pourrons parler plus longuement ensuite, d’accord ? »

« Tu peux parler toi », dit Corinne. « Je ressens soudain un besoin irrépressible d’un bon bain frais. »

« Ou d’une douche froide », dis-je en blaguant.

« Attends, toi, espèce de soi-disant ange. Un jour, plus tôt que tu ne l’espères aujourd’hui, tu auras mon âge. Et crois-moi, j’ai bien l’intention d’être là assez longtemps pour voir ce qui va se passer à ce moment-là. »

Je me mis à rire la tête en arrière, me sentant mieux que depuis des mois. Est-ce que c’est ce que tu avais en tête en préparant tout ça, Ice ?

Je me mis alors à rire encore plus fort, mais cette fois de moi-même.

Bien sûr que c’était ça. Ice ne faisait jamais rien sans raison.

Alors que j’aurais pu être en sécurité dans plein d’endroits, c’était ici que je pouvais ressentir vraiment à nouveau la beauté de l’espoir.

Merci, mon amour.

*******

Dans un contraste direct et probablement volontaire avec la chaleur ensoleillée du monde extérieur, l’intérieur de la maison était frais, calme et tamisé, grâce aux lourds stores qui pendaient devant les vitres teintées et semblaient posséder l’avantage de bloquer autant le son que la lumière.

La salle de séjour était énorme et encaissée, avec des parquets nus bien cirés et plusieurs grands canapés à l’air confortable placés autour d’un écran de télévision qui aurait eu sa place dans une salle de cinéma.

Derrière la salle de séjour, séparée par un comptoir ouvert, se trouvait la cuisine. Ses équipements en chrome luisaient dans la lumière douce et tamisée, des équipements assez grands pour contenir la nourriture et cuisiner pour les estomacs affamés d’une armée entière voire plus.

La salle à manger était sur la gauche de la cuisine, dominée par une table vraiment gigantesque avec plus d’une douzaine de chaises posées autour, légèrement appuyées contre le bois sombre et brillant.

Des couloirs longs et sombres partaient vers la gauche et vers la droite de la salle de séjour, et c’est vers la droite que nous emmena Montana, que nous suivîmes dans la pénombre fraîche en passant près d’un certain nombre de portes fermées. Ma chambre était la dernière sur la gauche, celle de Corinne juste en face sur la droite. La salle de bains finissait le couloir et contenait plusieurs stalles et je pouvais voir au moins deux grandes douches, plutôt qu’une seule baignoire comme on l’imaginerait dans un dortoir.

Pendant que Corinne filait vers ladite salle de bains, j’entrai dans la chambre qui allait être la mienne pour toute la durée de cette nouvelle aventure. J’appréciai d’un œil satisfait l’ameublement simple et soigné et les tons plaisants et chauds. « C’est merveilleux, Montana. Merci. »

« A ton service, Angel. Je suis contente que tu aimes. » Elle me regarda tranquillement placer mes bagages au pied du double lit bien fait. « Je peux te laisser déballer et t’installer, ou bien on peut retourner dans le séjour et parler un peu plus. A toi de choisir. »

« Le déballage peut attendre », annonçai-je en souriant. « Mon million de questions et plus ne peut pas. »

Elle me retourna mon sourire. « Alors on va parler. Viens. Je suis sûre que Corinne va nous retrouver quand elle sera prête. »

« Si elle ne met pas en œuvre pour de bon sa menace d’aller démarrer une orgie à la piscine », répliquai-je, en blaguant à demi. L’expression sur le visage de Corinne quand elle avait apprécié la vue me rappelait celle d’une jeune enfant le visage collé contre une vitrine de bonbons.

« Corinne est indubitablement un trésor. Elle va avoir plus d’admiratrices que même elle peut gérer avant la fin de la journée. »

« Ce serait une première. »

Elle se mit à rire et passa nonchalamment le bras autour du mien avant de me guider de nouveau dans le long couloir frais jusqu’à ce qu’il s’élargisse dans la partie principale de la maison. « Mets-toi à l’aise sur un de ces canapés. Je vais nous chercher quelque chose à boire. »

Je me glissai dans le confort frais de l’un des longs canapés et m’appuyai le dos contre le tissu soyeux en fermant les yeux, savourant un bref moment de répit dans une journée autrement frénétique. Lorsque je les rouvris, Montana se tenait devant moi, deux grands verres remplis de liquide, de citrons et de beaucoup de glace dans les mains.

Elle me tendit l’une des boissons puis vint me rejoindre sur le canapé, tout en prenant une gorgée de son breuvage et en me regardant d’un air interrogateur. « C’est de l’eau citronnée », expliqua-t-elle. « C’est la boisson de prédilection par ici. Et plutôt rafraîchissante en plus. »

Tandis que je prenais une gorgée d’essai, je sentis mes yeux s’agrandir de surprise. Montana ne blaguait pas. « C’est délicieux ! »

« Ouaip. »

« Juste des citrons dans de l’eau, hein ? Qu’est-ce qu’on va imaginer après ça ? »

« Et bien, on a déjà pensé à de la limonade. »

« C’est vrai. »

Après un bref instant de silence, je la regardai. « Alors, ce ranch est une sorte de refuge pour les femmes battues ? »

« Il sert à ça à l’occasion, oui. Mais il a aussi d’autres usages. »

« Comme quoi ? » J’espérais ne pas avoir l’air trop inquisiteur avec mes questions. Ma curiosité avait la manie de se présenter de la façon la plus bizarre parfois.

Mais elle ne parut pas offensée. « Certaines femmes utilisent ce ranch comme une retraite, un refuge temporaire si tu veux, face au stress de leur vie de tous les jours. Pour d’autres, c’est un foyer permanent, une communauté séparatiste où elles peuvent vivre leur vie. »

Elle sourit. « Nous sommes plutôt auto-suffisantes ici, comme tu l’as peut-être déjà deviné. La maison se trouve sur une réserve indienne, qui nous est cédée par les Yaquis. Nous faisons pousser nos propres produits et vendons le surplus soit à la réserve, soit aux villes environnantes, qui en retour, nous donnent assez d’argent pour payer nos factures d’entretien, de nourriture, et autres. Chaque femme qui vient ici, peu importe la raison, est censée apporter une aide à la communauté comme elle le peut. En retour, elle reçoit l’hébergement et la nourriture gratuitement et, si elle en a besoin, une aide pour les autres dépenses quand elles arrivent.

« Est-ce que vous autorisez les enfants ? »

« Non. Si nous entendons parler d’une femme dans le besoin qui a des enfants, nous l’aidons à trouver une assistance ailleurs. Tous les ranches ne sont que pour les femmes adultes. »

Je hochai la tête, sirotai mon eau et écoutai le bourdonnement tranquille de la climatisation qui tournait. « Est-ce qu’il y a d’autres Amazones ici ? » Demandai-je doucement, un peu gênée de déranger la tranquillité de la maison silencieuse.

« A part nous, tu veux dire ? » Demanda-t-elle en souriant.

Je baissai les yeux et rougis un peu. Pour tout dire, j’avais oublié que j’étais une Amazone en fait. Ce n’était pas une chose qui venait dans la conversation de tous les jours hors de la prison, et comme cette partie de ma vie tendait à glisser dans le passé, une partie de mes souvenirs l’accompagnait. « Oui, à part nous. »

« Et bien… Il ya Rio, que tu as déjà rencontrée… »

Je me tournai vers elle, les yeux écarquillés. « Rio ? Rio est une Amazone ? »

« Tu dis ça comme si c’était une mauvaise chose… ? »

« Oh ! Non ! Non, pas du tout. Vraiment. J’étais juste… surprise. »

Son expression devint sérieuse. « Est-ce qu’il y a un problème, Angel ? »

« Pas de problème non. Vraiment. » Je tentai un large sourire puis tressaillis en sentant combien il était médiocre.

Montana plissa les yeux. « Angel… »

« Vraiment. C’est juste une divergence d’opinion, c’est tout. Rien qui doive t’inquiéter. »

« Une divergence d’opinion sur quoi. » Ce n’était pas une question et je le savais.

Je soupirai et m’affaissai dans le siège. « Si seulement je savais. »

« Est-ce quelle a dit quelque chose ? Fait quelque chose ? »

« Honnêtement, Montana, il n’y a rien de quoi s’inquiéter. Je suis désolée d’avoir dit ce que j’ai dit. Je suis sûre que Rio est une excellente Amazone. Nous… nous ne nous sommes simplement pas bien entendues, je suppose. Mais c’est bon. On n’est pas obligé d’aimer tout le monde. Ça me va. Honnêtement. » Je levai ma main libre pour montrer ma sincérité.

« Je vais avoir une petite discussion avec elle. »

« Non ! S’il te plait ! S’il te plait, ne fais pas ça. Elle n’a rien fait de mal et je suis sûre que tout va s’arranger tout seul, à la fin. »

« Tu en es sûre ? »

« Affirmatif. »

Après un long moment à m’évaluer, elle finit par hocher la tête, bien qu’à contrecœur, pensai-je. « Très bien. Mais si je vois quelque chose qui ne va pas, je vais lui parler. »

« D’accord. Merci. »

Tandis que nous retombions dans le silence, je scrutai l’intérieur de la maison, admirant le décor coloré dans le style du sud-ouest et les tentures qui ajoutaient de la couleur aux murs ivoire. « Il faut vendre pas mal d’oranges pour payer le crédit sur un tel endroit », dis-je dans une tentative d’emmener la conversation dans des eaux plus tranquilles.

Son rire doux me fit comprendre que j’y avais réussi. « Je ne pense pas que l’état tout entier d’Arizona pourrait produire autant d’agrumes, Angel. Non, cette maison m’a été léguée par la mère d’une jeune femme que j’ai aidée quand j’étais au Bog. »

« Vraiment ? »

« Mm hm. La jeune fille était douce et gentille. Et très belle également. » Un sourire mélancolique se posa sur les traits de Montana. « Elle était si innocente à son arrivée, comme beaucoup d’autres. »

« Comme moi. »

« Oui. Tu me la rappelles un peu. Elle a été arrêtée pour vol. Une sentence courte mais comme tu le sais, dans le Bog, même un mois peut sembler une éternité, surtout si on le passe avec les faveurs nauséeuses de certaines des femmes de là-bas. »

Je hochai la tête mais ne pus réussir à réfréner le frisson qui me parcourut à l’évocation de mes propres premières semaines en prison.

« Quand on a enfin réussi à y aller pour récupérer les morceaux, je n’étais pas très sûre de ce qu’il restait. Mais elle m’a surprise. » Son sourire était fier à présent. « Elle nous a toutes surprises. L’adversité l’avait rendue plus forte, et lorsqu’elle nous a quittées, c’est comme si une nouvelle femme était sortie de la coquille de l’ancienne. »

« Où est-elle maintenant ? » demandai-je, sentant que la fin serait triste, mais avec le besoin de savoir.

« Morte. Elle est revenue ici pour vivre avec sa mère et elles ont été tuées toutes les deux dans un accident de voiture il y a quelques années. »

« Oh je suis désolée », dis-je, en posant ma main sur la sienne.

« Moi aussi je l’étais. » Le sourire triste revint.

« Tu l’aimais. »

Après un long moment, elle hocha la tête. « Oui, c’est vrai. Beaucoup. »

« Je suis désolée », dis-je à nouveau, à court de mots. Je voulais la prendre dans mes bras mais je n’étais pas sûre qu’elle accepte un tel geste de ma part. Et lieu de ça, je choisis de serrer sa main plus fort, heureuse qu’elle me regarde, un remerciement dans les yeux.

« Je suis désolée pour ta perte aussi, Angel », dit-elle enfin. « J’étais plutôt contente d’apprendre que toi et Ice vous aviez pu aller au Canada. J’avais espéré que vous ayez enfin trouvé vos rêves. »

Ce fut mon tour de sourire tristement. « Nous l’avons fait. Pendant un moment. Avant que Cavallo ne débarque et commence à faire tomber cette avalanche. » Je soupirai tandis que la douleur, une compagne constante, s’installait de nouveau sur mes épaules, encore plus lourde après ce répit temporaire. « Je sais que ça fait trois mois mais ça semble toujours tellement irréel, tu sais ? Presque comme un rêve. Ou un cauchemar. » Je secouai la tête. « Presque tous les matins, je me réveille en m’attendant à me trouver dans le chalet, Ice endormie près de moi. Et c’est comme si je la perdais encore et encore à chaque fois que je me réveille vraiment. Ça ne me donne pas envie de m’endormir. »

« Je peux le comprendre. »

« Oui. Je pense que tu peux. » J’essuyai d’un air absent la larme qui roulait sur ma joue.

« Qu’est-ce qui est arrivée à la femme qui l’a dénoncée ? »

« Ruby ? » Je ris sans joie. « Seigneur, quel bazar. J’aimerais pourvoir la détester. Mais je ne peux pas. Peu importe combien j’essaie, je ne peux simplement pas. Elle a agi par amour pour moi. » Je sentis mon poing se serrer et frapper le coussin indulgent. « Si seulement je lui avais raconté la vérité dès le début, rien de tout ça ne serait arrivé. »

« Tu ne le sais pas, Angel. Pour autant que tu saches, dire la vérité aurait juste signifié une fin plus rapide. Parfois les gens voient avec leur yeux et pas avec leur cœur. Ton amie a peut-être pensé faire bien, mais elle n’a pas pris le temps de regarder au-delà de la surface qu’elle voyait. Tu ne peux pas prendre tout le blâme sur tes épaules. Ça n’est pas bon. »

« Peut-être pas », répondis-je en baissant les yeux.

« Alors qu’est-ce qui lui est arrivé ? »

« Je ne suis pas sûre. Je crois qu’elle est toujours au Canada. Je doute qu’il y ait une raison pour qu’elle le quitte. Surtout maintenant. » Je fermai à nouveau les yeux face au souvenir de cette horrible nuit, mais il vint quand même à la dérobée en se moquant de moi.

Corinne était arrivée près de moi juste au moment où la dernière des voitures de police s’éloignait dans la nuit. Je me souvenais avoir hurlé à pleins poumons tandis qu’elle me serrait à m’écraser dans ses bras, si fort que je me sentis suffoquer contre elle, incapable de respirer.

Je me souvenais avoir désespérément tenté de me libérer, mais elle me retenait avec une force que je ne luis connaissais pas, refusant de me laisser partir. Sachant, je pense, ce que je ferais si j’y arrivais.

Après un certain temps – un instant, un jour, un siècle – elle avait relâché son étreinte et je m’étais écartée, comme brûlée par sa présence. Je m’étais retournée et elle était là.

Celle qui m’avait trahie.

Celle qui avait arraché mon cœur et le tenait, ensanglanté, dans ses mains.

Celle qui avait foré une cavité béante jusqu’au fond de mon âme.

Et alors je… m’étais évanouie, c’est la seule façon dont je peux expliquer ça.

Je n’étais pas revenue à moi avant pas mal de temps.

Corinne me tenait encore. De Ruby, il n’y avait aucun signe.

Ma main droite me faisait mal. Lorsque je la regardai, elle était écorchée, rougie, ensanglantée et gonflée.

Je savais que je l’avais frappée. Et une partie de moi se réjouissait à l’idée.

Lisant dans mon esprit comme elle l’avait toujours fait, Corinne secoua doucement la tête, puis elle me tourna pour faire face au mur près des vitres de devant. Un mur qui affichait à présent un trou de la taille d’un poing dans le plâtre. Un trou à la hauteur de la tête d’une personne comme Ruby. » Tu ne l’as pas frappée, Angel. Tu le voulais, je le sais. Mais tu ne l’as pas fait. »

Et ce fut tout ce qui fut jamais dit sur ce sujet.

Et bien que je ne revis jamais Ruby, à ce jour, ma main me fait toujours mal quand il pleut, un rappel éternel de la nuit où j’ai perdu mon âme et la femme qui la prit avec elle involontairement.

*******

Je ne suis pas sûre de savoir comment j’atterris dans les bras puissants de Montana, pleurant comme si ma vie en dépendait, mais après une brève seconde de questionnement, je me rendis simplement à son caractère inévitable et laissai les larmes couler où elles pouvaient.

Ce qui, à ce moment précis, était partout sur la chemise bien repassé de Montana.

Mais elle ne semblait pas s’en inquiéter.

Je n’avais pas parlé des événements de cette nuit-là depuis cette nuit-là. Entre Corinne et moi, c’était comme dans un ballet, cette façon que nous avions de manœuvrer adroitement pour éviter le sujet. Et qui d’autre, vraiment, y avait-il pour en parler ? Donita connaissait probablement toute l’histoire – bien que ce fut sûrement une version courte, si on considère qu’Ice était sa source. La seule autre personne avec laquelle j’avais récemment passé du temps, c’était Rio, et très franchement, j’aurais préféré mordre un câble à haute tension que d’aller pleurer sur cette épaule-là.

Mais Montana était quelqu’un de sûr. Du moins, je le présumais, puisque mon corps me disait quelque chose que mon esprit ne savait pas encore.

Elle réagit tout à fait comme il fallait, en me serrant tout simplement contre elle et en me caressant les cheveux jusqu’à ce que mon relâchement cathartique joue son rôle et me laisse vidée, mais d’une bonne façon. Une façon, je suppose, dont j’avais inconsciemment cruellement besoin ces trois derniers mois.

Quelques instants passèrent avant que je ne m’écarte enfin et que je lui fasse un sourire humide et un peu embarrassé tout en essuyant les larmes restant dans mes yeux brûlants. « Je suis désolée d’avoir mouillé ta chemise. »

Elle eut un gentil sourire. « Ne le sois pas. Tu avais besoin que ça sorte depuis longtemps, n’est-ce pas ? »

« Oui. Je suppose que oui. » Je pris une profonde inspiration tremblante puis la relâchai, étonnée de la légèreté que je ressentais tout au fond de moi, comme si une blessure ulcéreuse avait enfin été percée, le poison s’écoulant avec mes larmes. « Merci. »

Elle haussa les épaules. « C’est à ça que servent les amis, non ? »

Je hochai la tête. « Merci. Amie. »

« A ton service. Amie. » Elle rit doucement et s’étira. « Ça va mieux ? »

« Tu ne peux pas savoir à quel point. »

« Bien. Et si je te laissais explorer les environs ? Fureter un peu, te faire une idée de l’endroit. Après tout, ça va être chez toi pendant un moment. »

Je hochai à nouveau la tête, mais en souriant cette fois. « Ça me plairait bien. »

« Très bien alors. Le dîner est dans environ quatre heures. Tu entendras la cloche le moment venu. » Elle se leva du canapé et m’escorta vers une des portes principales avant de me pousser dehors. « Amuse-toi bien. »

« Merci. J’en ai bien l’intention. »

******

A suivre – Chapitre 3

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Commentaires
T
J'étais déçu que ça ne soit pas Montana qui vienne chercher Corinne et Angel, mais heureusement ma déception fut de courte durée... J'adore le retour de la grande et ténébreuse Amazone, merci.<br /> <br /> Le ranch promet d'être un décor enchanteur, malgré les difficultés émotionnelles de toute l'affaire Ice.
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K
Mais quel sale caractère, cette Rio !<br /> C'est une ancienne amoureuse d'Ice ou quoi ? Ou est-ce qu'elle est désagréable avec tout le monde ? Lol<br /> <br /> Cependant c'est un personnage qui ne manque pas d'allure et j'espère qu'on en saura plus prochainement.
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