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  • Vous trouverez ici des Fans Fictions francophones et des traductions tournant autour de la série Xena la Guerrière. Consultez la rubrique "Marche à suivre" sur la gauche pour mieux utiliser le site :O) Bonne lecture !!
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25 avril 2010

Infernal, ff francophone de Gaxé

 

 

 

 

 INFERNAL

 

 

De Gaxé

 

 

Peut-être une ou deux scènes un peu difficiles, mais c’est l’enfer après tout !

 

 

 

Première partie :

 

 

 

 

-« Gabrielle : Adultère, orgueilleuse, menteuse, égoïste, envieuse, avare, coupable de détournement de fonds, d’escroqueries, et j’en passe. »

Il lève les yeux de sa feuille de papier et les pose sur moi un instant. J’essaie de prendre une expression ingénue et innocente, mais manifestement ça ne marche pas. Il se renfrogne et se tourne vers les deux créatures qui attendent derrière moi, haussant les épaules d’un air fataliste.

-« Vous pouvez l’emmener. »

Les deux personnages se précipitent, m’attrapant chacun par un bras, pour m’entraîner sans ménagement à leur suite. J’essaie de résister, je plante mes talons dans le sol en protestant avec énergie.

-« Non ! Laissez-moi une chance, je peux m’améliorer ! »

Mais l’homme avec la barbe blanche est déjà parti. Les deux créatures me tirent plus fort, ils sont bien plus grands et musclés que moi, alors je cesse de me débattre. Je frissonne d’angoisse pendant que nous empruntons de gigantesques escaliers, larges et lumineux et qui semblent interminables.

Nous marchons en silence, et pour tromper mon inquiétude, j’observe mes deux gardiens avec plus d’attention. Ils ont presque une allure humaine, à quelques détails près. Leur peau, par exemple, de couleur verdâtre, et surtout les deux cornes qu’ils arborent tous les deux, une de chaque côté du front. Alors que, pour l’instant, je porte les vêtements que l’on m’a enfilés lorsque j’ai été mise en terre, ils sont vêtus tous deux d’un pantalon brun qui s’arrête à mi-mollets. Ils sont torse nu, une chaîne à très gros maillons pends à leur cou et leurs pieds sont chaussés de lourdes bottes recouvertes de clous.

Je ne sais pas depuis combien de temps nous descendons ces escaliers, mais j’ai l’impression que ça n’en finira jamais. Peut-être que c’est à ça que j’ai été condamnée finalement, descendre éternellement des marches en compagnie de deux créatures patibulaires, à la peau colorée et qui ne prononcent pas une parole. Je me sens de plus en plus inquiète au fur et à mesure de notre avancée, les escaliers qui étaient larges et lumineux lorsque nous avons entamé notre descente deviennent petit à petit sombres et étroits. Dans le même temps, la température monte graduellement et je sens la sueur couler sur mon front alors que mes gardiens accélèrent l’allure.

 

Je suis à bout de souffle quand nous arrivons enfin en bas de cet escalier que je croyais sans fin. L’une des créatures me pousse sans douceur en direction d’une porte de métal noir comme je n’en ai jamais vue. Elle est si haute que je n’en vois pas le sommet lorsque je lève les yeux, des motifs bizarres ornent les battants, peints de la même couleur verdâtre que celle de la peau des personnages qui m’ont accompagnée jusqu’ici. Je jette un œil derrière moi, ils sont toujours là et me désignent la porte, paraissant m’encourager à la pousser. Mais je n’ai pas l’intention de faire ça, j’ai une assez bonne idée de ce qui m’attend de l’autre côté, alors je préfère rester où je suis.

Apparemment, les créatures ne l’entendent pas de cette oreille, et, après avoir échangé un regard et soupiré avec un bel ensemble, ils me reprennent chacun par un bras pendant que celui qui est à ma gauche ouvre la lourde porte et me poussent derrière si violemment que je trébuche et m’écroule sur le sol.

Je ne peux retenir un cri d’effroi lorsque je relève la tête. Bien sûr, je m’y attends plus ou moins depuis que le vieillard a donné l’ordre de m’emmener, mais ce qui se présente à ma vue est tout de même terrifiant.

La première chose que je remarque, outre la chaleur, ce sont les feux, innombrables. Des feux immenses aux flammes aussi hautes que la porte que l’on vient de me faire franchir. Je me trouve dans une espèce de pièce au sol pavé, si immense que je n’en distingue pas les limites, qui semble ne rien contenir d’autre que des feux. Puis, je vois un nombre incalculable de silhouettes qui se déplacent, semblant marcher au travers de chaque foyer. Je n’ai pas le temps d’en voir plus que déjà, deux autres créatures se précipitent vers moi. D’aspect semblable à ceux qui m’ont accompagnée jusqu’ici, ces personnages m’arrachent mes vêtements sans se préoccuper de mes protestations. Je tente de me défendre, mais ils sont si vigoureux que je leur complique à peine la tâche. Une fois que je me trouve en sous-vêtements, ils me tendent une espèce de pantalon qui ressemble étrangement à ceux qu’ils portent eux-mêmes, ainsi qu’un bustier d’une taille ridicule. Encore une fois, je proteste avec énergie mais personne n’y prête attention. Les deux créatures me regardent un instant, et constatant que je ne fais aucun effort pour me couvrir avec ce qu’on vient de me donner, m’empoignent et m’habillent de force.

Je n’essaie même plus de me débattre, tout ce que j’y ai gagné jusqu’à présent, ce sont des bleus et des griffures, sans compter mon poignet gauche que l’un d’eux a tordu avec un enthousiasme sadique. Une fois qu’ils ont fini, les deux personnages me poussent en avant et je pénètre en enfer.

 

Je reste sur place un instant, regardant autour de moi avec une espèce de curiosité malsaine, un peu comme quand on regarde un accident sur l’autoroute. Bizarrement, je n’entends aucune plainte, aucun cri. Pourtant, les visages de tous ceux que je vois passer devant moi expriment clairement la douleur et la souffrance, et malgré la chaleur étouffante, je ne peux réprimer un frisson de frayeur. J’entoure mon corps de mes bras dans un geste un peu machinal lorsque je sens une main se poser sans douceur sur mon épaule et me tirer en arrière, si brusquement que je ne suis pas loin de perdre l’équilibre. Je tourne vivement sur moi-même, prête à dire le fond de ma pensée à la brute qui m’a malmenée ainsi, mais les mots restent coincés dans ma gorge alors que je pose les yeux sur elle.

Son sourire est particulièrement déplaisant alors qu’elle me détaille de haut en bas, croisant les bras sur sa poitrine dans une attitude un peu dédaigneuse. Je prends quelques secondes pour me ressaisir puis la dévisage à mon tour. Elle est grande, bien plus que moi. Sa haute taille lui donne une allure imposante, d’autant que son regard bleu est glacé, et les deux cornes qui ornent son front sous la frange de cheveux noirs accentuent encore cette impression. L’un de ses sourcils arbore un petit percing et une fine cicatrice court de son oreille droite jusqu’à la commissure de ses lèvres. Sa peau est de la même couleur verdâtre que celles des personnages qui m’ont accompagnée jusqu’ici, et elle porte les mêmes vêtements que ceux qu’on vient de m’enfiler de force, par contre, elle n’a pas de chaîne autour du cou. Nous restons longtemps à nous regarder sans rien dire, et c’est moi qui détourne le regard la première. Elle baisse alors les yeux vers le parchemin qu’elle tient dans la main gauche, et c’est à ce moment là que je remarque le fouet accroché à sa ceinture. Ca me fait frémir, mais elle ne le remarque pas, elle lit le petit texte inscrit sur le parchemin et ricane méchamment.

-« Tu es tout à fait à ta place, ici. »

Elle pose de nouveau sa main sur mon épaule et me pousse en avant.

« Je t’emmène à la forge, ensuite tu pourras aller avec les autres. »

J’ai du mal à avancer, mes chaussures m’ont été retirées en même temps que mes vêtements, mais on ne m’a rien donné à la place. Le sol pavé est brûlant, et je grimace à chaque pas. Il ne faut que peu de temps pour que je cesse de marcher et que je me tourne vers elle en protestant.

-« Je ne peux pas marcher ! Il faut me donner des chaussures, sinon je vais me brûler ! »

Le sourcil qui porte le percing monte haut sur son front et son expression devient ironique.

-« Il ne t’est pas venu à l’idée que c’était fait exprès ? »

Elle me pousse de nouveau en avant, si fort que je chancelle, avant d’ajouter.

-« Ceci n’est qu’un inconvénient mineur, bientôt, la chaleur du sol sera le moindre de tes soucis. »

Je recommence à avancer en passant une main sur mon front en sueur et en jetant de petits coups d’œil furtifs autour de moi, à la recherche du moindre détail qui pourrait me sembler rassurant. Mais tout, absolument tout est terrifiant, et je finis par baisser la tête, accélérant le pas en espérant contre toute raison que je me sentirai mieux une fois arrivée à la forge.

 

Les feux sont encore plus hauts et le sol de plus en plus brûlant. Je sautille d’un pied sur l’autre alors que « mon accompagnatrice » fouille dans un amas de chaînes accrochées le long d’un mur. Trois créatures travaillent là et me dévisagent d’un œil morne sans interrompre leur tâche. Je me sens particulièrement mal à l’aise, non seulement à cause de la température ambiante, mais surtout parce que je suis rongée par l’angoisse.

La femme revient au bout d’un temps qui me paraît très long, semblant particulièrement satisfaite du choix qu’elle a fait. Elle agite la chaîne qu’elle tient à la main devant moi en souriant cruellement, puis me pousse contre le mur derrière moi.

La paroi est si chaude contre mon dos à moitié dénudé que j’ouvre la bouche pour pousser un cri de douleur, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Elle sourit de ma surprise et m’explique d’un ton narquois que ni les cris ni les larmes ne sont possibles ici. J’essaie de me redresser, de me décoller du mur, mais elle m’y renvoie d’un geste brusque avant de se baisser devant moi et de fixer la chaîne à mes chevilles, puis de se redresser avec un sourire satisfait

-« Voilà ! C’est un peu serré, juste ce qu’il faut pour que ce soit douloureux. »

Elle me fixe un instant en silence avant de m’interroger avec le plus grand sérieux.

-« As-tu des regrets concernant tes actes pendant ta vie passée ? »

La question est inattendue et, pendant une seconde, je sens une vague d’espérance me traverser. Peut-être que je peux sortir d’ici, peut-être que tout cela était seulement destiné à me faire peur, peut-être que je ne suis pas définitivement condamnée… Je ferme les yeux un instant, passe ma langue sur mes lèvres et prends une grande respiration avant d’adopter la mine la plus contrite possible.

-« Bien sûr que je regrette la manière dont je me suis comportée pendant ma vie. Je me rends parfaitement compte que j’aurais dû me conduire différemment… »

Je baisse la tête, regardant mes pieds avec l’attitude d’un enfant qui se ferait réprimander.

-« J’ai été égoïste, menteuse et vénale. Je ne me souciais pas des autres, excepté quand j’attendais quelque chose d’eux. Je ne m’intéressais qu’à l’argent, je voulais une vie facile, je n’ai jamais fait le moindre geste désintéressé, je ne pensais qu’à moi … »

Je relève la tête et regarde droit dans les yeux bleus en face de moi, espérant la convaincre de ma sincérité.

-« J’ai énormément de remords. »

Elle ne répond pas tout de suite, se contentant de me fixer avec intérêt. Son silence conforte mon espoir et si mon cœur battait encore, je suis sûre qu’il ferait des bonds dans ma poitrine.

Et puis elle a un sourire mauvais et lâche :

-« Toujours aussi menteuse, hein ? »

Je n’ai même pas le temps d’être déçue que déjà, elle m’attrape par le bras et me pousse en direction de la longue colonne des damnés, ne me lâchant que lorsque je les ai rejoints.

 

 

 Deuxième partie

 

 

Je n’ai aucun mal à m’insérer dans le rang et je me mets aussitôt à marcher avec les autres pendant ce qui me paraît être des heures. Bizarrement, je n’ai ni faim, ni soif malgré la chaleur, et je n’éprouve pas de fatigue physique. Je suppose que c’est lié au fait que je suis morte, mais ce sont bien les seuls avantages, parce que la douleur, elle, est bien présente.

Mon corps entier est couvert de brûlures, si profondes que ma peau tombe en lambeaux et se détache de mon corps, laissant ma chair à vif. Mes cheveux se sont enflammés dès le début, et mon crâne nu subit lui aussi les assauts des flammes. La douleur est atroce, insoutenable, et surtout constante, personne n’a le moindre moment de répit.

Notre allure est lente, les chaînes qui nous entravent gênant considérablement notre marche. Nous ne faisons rien d’autre qu’avancer les uns derrière les autres, sans autre but que de passer au travers de foyers immenses.

Je ne me débats plus contre la souffrance. Je marche la tête basse, les épaules voûtées, le regard tourné vers le sol. Je voudrais crier, ou pleurer, pouvoir me soulager en hurlant ou en versant quelques larmes, mais ces maigres consolations me sont impossibles. Alors, brusquement, je cesse de marcher, décidant que je peux tout aussi bien attendre sans bouger jusqu’à ce que mon corps ne soit plus qu’un petit tas de cendres. Je me laisse tomber au sol, je me roule en boule, me recroquevillant en position fœtale en espérant que mon corps va se consumer entièrement pour en finir définitivement, mais cela aussi m’est refusé.

Deux mains m’agrippent fermement aux épaules et me remettent debout sans aucune douceur. Je tourne la tête et reconnaît la femme aux yeux bleus qui me bouscule pour m’inciter à reprendre la marche sans paraître gênée par les gestes brusques que je fais pour tenter de me dégager.

Je recommence donc à avancer, jetant quelques regards par en dessous à celle qui semble chargée de me surveiller. Elle n’a pas l’air en meilleur état que moi. Son crâne est entièrement nu, et recouvert de cloques suintantes, la chair de son visage est à vif et même ses cils et ses sourcils sont entièrement brûlés. La pensée que je ne dois pas avoir meilleure allure qu’elle me ferait frémir si je n’avais pas l’esprit entièrement occupé par ma souffrance. Pourtant, même si chacun de mes pas me demande un effort, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur sa présence juste derrière moi. Au bout d’un moment, je me rends compte que ma curiosité est un excellent dérivatif à ma douleur, qu’en me concentrant suffisamment sur autre chose que mon supplice, ça le rend un peu moins insupportable. Je serre les poings en essayant d’ignorer le fait que mes ongles sont en train de fondre, prends une grande inspiration d’air chaud, et me tourne vers la femme.

-« Pourquoi es-tu là ? »

Je ne sais pas ce qui la surprend le plus, ma question ou le fait que je l’interroge. Son sourcil droit, s’il était encore là, serait haut sur son front, et pendant une seconde, son expression étonnée est presque sympathique. Et puis elle retrouve immédiatement son attitude dédaigneuse, froide et malveillante.

-« Que crois-tu que je fasse en enfer ? Je suis une damnée, comme nous tous ici. »

Elle emploie un ton définitif qui montre à quel point elle pense que ma question est stupide, mais je persiste néanmoins à essayer d’engager la conversation.

-« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je croyais que tu étais une sorte de surveillante, ou de matonne, et que tu n’avais pas à subir les mêmes tourments que les autres. »

Elle n’a pas un regard dans ma direction, mais répond tout de même.

-« Je suis une gardienne, mais ça ne me dispense pas de ma pénitence. »

Elle n’a pas l’air d’apprécier ma curiosité et esquisse une moue méprisante qu’elle retient en s’apercevant que sa lèvre inférieure n’existe plus. Je baisse la tête, marchant un instant en silence, puis décide de revenir à la charge.

-« Pourquoi être gardienne si tu n’y as aucun avantage ? »

Cette fois, elle se tourne légèrement vers moi, tout en chassant une flammèche sur son épaule d’un revers de la main.

-« Il y a des avantages. Je n’ai pas de chaînes, je porte des bottes, et je peux sortir des flammes à chaque fois que je m’occupe des nouveaux arrivants. »

Je voudrais parler encore, entamer une véritable discussion, mais je ne le peux pas. Non pas à cause du manque d’enthousiasme de la femme près de moi, mais tout simplement parce que je souffre tant que j’ai l’impression de ne plus avoir la moindre pensée cohérente. Il me semble que même mes os sont en feu, que mon sang est en train de bouillir et que ma cervelle est en train de fondre. De plus, les chaînes pénètrent profondément dans mes chevilles et je chancelle maintenant à chaque pas, et c’est au moment où je suis prête à m’effondrer, certainement sans pouvoir me relever ensuite, que tous les feux s’éteignent.

 

Je suis stupéfaite. Je regarde la gardienne à côté de moi, elle se laisse simplement tomber sur le sol et s’allonge, les mains croisées derrière la nuque en ayant l’air de trouver tout cela parfaitement normal. Je regarde autour de moi. Aussi loin que je peux le voir, les damnés font tous sensiblement la même chose, s’installant sur le sol comme pour prendre un repos bien mérité. J’hésite un instant avant de m’asseoir près de la femme aux yeux bleus, si abasourdie que je l’interroge sans réfléchir.

-« Que se passe-t-il ? »

Elle ne tourne même pas la tête vers moi.

-« Les feux sont éteints. »

Elle dit ça d’un ton qui indique clairement ce qu’elle pense de mes facultés intellectuelles. Ca m’agace, mais je décide de faire comme si je n’avais rien remarqué, je n’ai pas besoin de me disputer avec elle. Au lieu de ça, je préfère la questionner de nouveau pour comprendre.

-« Et pourquoi sont-ils éteints ? Ca arrive souvent ? C’est une sorte de panne ? »

Elle pousse un profond soupir, sans doute pour que je sache bien à quel point mes questions sont stupides, puis se redresse sur un coude et me jette un coup d’œil exaspéré.

-« As-tu vu dans quel état nous sommes ? Si nous avions continué à marcher, nos corps n’auraient pas tardé à tomber en cendres. Les feux s’éteignent pour que nous nous régénérions. »

Ca me paraît logique au fond. Par contre, il y a autre chose qui me semble très bizarre.

-« Nos corps sont brûlés, entièrement. Pourtant, nos vêtements sont intacts. »

Son agacement est de plus en plus évident.

-« Pour éviter les sévices sexuels entre damnés. Il ne serait certainement pas gênant que certains souffrent de cela, mais cela amènerait leurs agresseurs à y prendre un certain plaisir. Et ce ne serait tout simplement pas tolérable ici.

Je remue un peu.

-« Sommes-nous obligées de rester ici pour l’instant ? Il n’y a pas d’endroit où se reposer ? »

Elle ricane en me jetant un coup d’œil ironique.

-« Bien sûr, des suites 5 étoiles sont à notre disposition ! »

Le sarcasme est aussi évident dans sa voix que dans son regard. Elle se rallonge complètement et ferme les yeux, n’ayant manifestement pas l’intention d’en dire davantage. Je n’insiste pas et me couche moi aussi sur le sol, regardant vers le haut. Je ne vois pas de ciel, ni de plafond, je ne vois rien que du vide. A croire que cet endroit s’élève indéfiniment. Je lève mes mains devant mes yeux, et je constate que mes ongles sont en train de se reformer et que ma peau réapparaît par endroits. Un bref regard en direction de la gardienne me permet de remarquer que c’est la même chose pour elle. Je souffre toujours, mais la douleur semble s’atténuer petit à petit. Décidant de profiter de ce moment de répit, je ferme moi aussi les yeux.

Je ne m’endors pas, apparemment le sommeil non plus n’existe pas ici, mais je somnole, laissant dériver mes pensées. Je revois tous les évènements qui se sont succédé depuis mon arrivée, et je me demande combien de temps s’est écoulé, quelques heures, ou quelques jours peut-être, je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est que je n’ai absolument pas envie de passer une éternité dans ce lieu, même si, malheureusement, je ne crois pas qu’il y ait un moyen d’en sortir. Je sens le découragement m’envahir et je passe une main lasse sur ma nuque, caressant distraitement les cheveux qui commencent à repousser.

 

 Les feux se rallument brusquement, immédiatement aussi hauts que s’ils n’avaient jamais été éteints. Je me relève d’un bond, ma rêverie mélancolique envolée, emportée par les flammes qui me lèchent les mollets. Je ne veux pas que ça recommence, je ne veux pas y retourner. Près de moi, la gardienne soupire, mais n’hésite pas à me pousser en avant pour me forcer à reprendre la marche. Ca me met en colère et je me tourne vivement vers elle, un index tendu en direction de sa poitrine, prête à la couvrir d’injures, mais les mots restent coincés dans ma gorge alors que je sens mes cheveux s’enflammer. J’ouvre la bouche en une vaine tentative pour pousser un cri de douleur et oublie les invectives que je voulais adresser à la gardienne, luttant quelques instants pour rester debout alors que je trébuche, gênée pas mes chaînes.

C’est encore pire maintenant. Après le bref répit dont nous venons de bénéficier, et sachant qu’il reviendra certainement régulièrement, la douleur me semble encore plus insupportable, même si ce n’est sans doute qu’une impression. Je regarde la femme près de moi, elle marche lentement, le regard fixe, sans paraître se préoccuper des flammes qui nous entourent. Autour de nous, les damnés avancent sur le même rythme, et dans le plus grand silence. Je réalise que, depuis mon arrivée, la seule voix que j’ai entendue est celle de la gardienne. Mon front se plisse, mes sourcils se réuniraient certainement si j’en avais encore, et de nouveau, j’interroge la femme aux yeux bleus qui marche à mes côtés.

-« Pourquoi est-ce que personne ne parle ? Est-ce que c’est interdit ? Pourquoi nous a-t-on laissé nos voix, alors ? »

Elle hausse les épaules et grimace à la douleur que cela provoque certainement en elle.

-« Ce n’est pas interdit, mais personne n’a envie de discuter. Chacun est suffisamment préoccupé par sa souffrance. Nos voix ne sont là que pour nous permettre de nous disputer, de préférence en échangeant des insultes. »

Je lutte pour me concentrer sur ses paroles et essayer de ne pas penser à ma peau qui se détache de mon corps, tentant de poursuivre la conversation comme si je n’étais pas en train de souffrir le martyre.

-« Des insultes ? »

Bizarrement, mon interlocutrice paraît mieux disposée à mon égard et répond sans montrer ni agacement ni impatience. Peut-être que le dialogue lui évite, à elle aussi, de penser à ce que subit son corps.

-« Nous sommes en enfer, les damnés ne sont en général ni courtois ni gentils. Et les altercations ajoutent un peu de sel à notre vie si monotone. »

Sa tentative d’humour me surprend, et je suis encore plus surprise en constatant que je suis en train de sourire. Ca ne dure malheureusement pas longtemps, et mon sourire se transforme très vite en grimace lorsque les chaînes pénètrent entièrement la chair de mes chevilles. Je prends un moment pour me ressaisir et repousser l’idée même de la douleur loin de moi. Bien sûr, je n’y arrive pas vraiment, mais je parviens néanmoins à concentrer suffisamment mes pensées, et une foule d’autres questions me viennent à l’esprit. Au moment où je me tourne vers la femme aux yeux bleus pour formuler la première d’entre elles, je la vois incliner la tête sur le côté, paraissant écouter quelque chose. Je tends l’oreille moi aussi, mais je n’entends rien d’autre que le cliquetis de mes chaînes et de celles des autres damnés autour de nous. La gardienne me regarde d’un air un peu absent, tend un index enflammé vers moi et marmonne d’un ton autoritaire :

-« Tu ne sors pas du rang, tu n’arrêtes pas de marcher, c’est bien clair ? »

Je n’ai pas le temps de répliquer qu’elle s’éloigne déjà, marchant à grands pas pressés.

 

 

Troisième partie :

 

Peut-être qu’elle ne reviendra pas, que je ne la verrai plus jamais. Je n’ai aucune idée du temps qui s’est écoulé depuis son départ, je sais seulement que trois régénérations ont eu lieu. Et à chaque fois, j’ai bien cru que je ne me remettrai pas en marche, que je resterai là à attendre d’être entièrement consumée. Pourtant, ce n’est pas ce que j’ai fait, j’ai repris ma place dans le rang, avec une espèce de résignation que je n’avais jamais éprouvée de mon vivant. Devant et derrière moi, d’autres damnés avancent, mais nous n’échangeons ni regard, ni parole et je me surprends à regretter la compagnie de celle qui a choisi pour moi des chaînes si serrées qu’elles me font mal même pendant les moments de répit.

Elle revient alors que je suis dans un tel état que je sais que la prochaine pause n’est pas loin. En l’observant, même brièvement, je remarque qu’elle n’a pas particulièrement souffert récemment. Sa peau n’est pas encore noircie, et si ses cheveux ne sont déjà plus là, ses ongles sont intacts et son visage n’a pas été attaqué par les flammes. Elle me jette un regard en coin et se place à côté de moi sans rien dire, mais j’ai le temps d’apercevoir un demi-sourire se dessiner sur ses lèvres juste avant que les feux ne s’éteignent.

Je n’en peux plus. Je me laisse tomber sur le sol sans aucune grâce, non pas parce que je suis fatiguée, mais à cause de la douleur que je ressens dans tout le corps. Je souffre tant qu’il me faut un long moment avant de pouvoir simplement tourner la tête en direction de la gardienne.

Elle est assise en tailleur, le dos bien droit, le regard fixe et les mains posées sur ses cuisses. Je prends le temps d’admirer son profil que les flammes n’ont pas abîmé, appréciant le contraste entre le noir de sa chevelure qui repousse et le bleu intense de ses yeux, puis je lui demande doucement :

-« Comment t’appelles-tu ? »

Elle sursaute légèrement, comme si elle sortait d’un rêve et incline la tête en fronçant les sourcils, donnant l’impression de réfléchir à quelque chose. J’attends si longtemps sa réponse que je me rallonge, résignée à ne pas en avoir, lorsque je l’entends murmurer :

-« Je ne m’en souviens pas. »

J’ai un petit hoquet de surprise qu’elle doit parfaitement distinguer, même si elle ne me fait pas face, parce qu’elle fait un geste de la main en ajoutant d’un ton las.

-« Ca fait si longtemps que je suis ici que je l’ai oublié. »

Je reste muette devant cette révélation inattendue. Comment peut-on oublier son propre nom ?

Je secoue la tête et me redresse rapidement, venant m’asseoir devant elle. Elle a l’air décontenancé, et je ressens un petit pincement au cœur à la vue de cette expression perturbée sur son visage, un sentiment que je n’ai pourtant pratiquement jamais éprouvé de mon vivant. Je tends une main hésitante pour effleurer légèrement son bras avant de lui proposer tout bas :

-« Si tu veux, je peux choisir un prénom pour toi. »

Ses yeux se mettent à briller, apparemment, ma suggestion lui plaît. Elle ne dit rien, cependant. Elle reste juste à me regarder, avec un petit sourire, en se frottant doucement le menton. Et puis, elle paraît se décider, prend une inspiration… Et les feux se rallument.

 

Les flammes juste en dessous de moi me font lever précipitamment, alors que la gardienne, elle, déplie lentement son grand corps pour venir se placer à mes côtés, comme si elle voulait me soutenir, moralement du moins, au moment le plus difficile, celui où après avoir ressenti un mieux, il faut replonger dans les flammes. Comme à chaque fois, je pense à ne pas le faire. Mais elle saisit mon avant-bras et me fait avancer en chuchotant :

-« N’y pense même pas. Les punitions sont terribles dans ces cas là. »

Je ne réponds pas tout de suite, les premières brûlures sont les plus épouvantables, ce sont celles qui vous donnent l’impression que vous n’êtes plus un corps mais une partie du feu que vous êtes en train de traverser. Ensuite, si on ne s’habitue pas à la douleur, on parvient tout de même à faire avec, à la contrôler un peu, à la repousser au fin fond de son esprit.

Ce n’est que lorsque je parviens enfin à composer avec ma souffrance que je reprends la conversation exactement là où nous l’avons laissée.

-« Des punitions ? Qu’est-ce qui peut être plus terrible que de se transformer régulièrement en torche vivante ? »

Elle porte les mains à sa poche et en sort des clous, de longs clous de charpentier.

-« On les plante dans les yeux de ceux qui refusent d’avancer, dans leurs oreilles aussi. Et on les laisse là, pendant plusieurs cycles. C’est extrêmement douloureux, tu peux me croire, d’autant qu’avec les brûlures, personne ne cicatrise jamais, en tous cas tant que les clous sont là. Sans compter la privation de tes deux sens, la vue et l’ouïe. »

J’arrive très bien à imaginer les souffrances que ce genre de traitement peut occasionner, et j’en frémirais si mon corps le pouvait.

-« Tu m’aurais fait ça si je n’avais pas avancé ? »

Elle ne me jette pas un regard, mais semble plus embarrassée que dédaigneuse.

-« Je n’aurais pas eu le choix. Les gardiens qui ne font pas leur devoir sont sanctionnés de la même manière que ceux qu’ils veulent épargner. Et tu aurais été punie quand même. »

C’est horriblement difficile et tenir une conversation au milieu des flammes, mais ma curiosité est la plus forte.

-« Qui sanctionne les gardiens ? Est-ce que le... Maître des lieux surveille tout le monde ? »

Cette fois elle se tourne brièvement vers moi, avant de secouer négativement la tête.

-« Non. Pour autant que je le sache, le Maître s’occupe principalement des vivants, de semer la discorde entre eux, les tenter… Ici, ce sont les supras qui surveillent les gardiens. »

Elle passe une main sur ses yeux, essayant de les protéger des flammes alors que ses paupières viennent juste de disparaître, puis me donne d’autres précisions.

-« L’enfer est un endroit extrêmement hiérarchisé. Il y a les damnés, qui subissent leur châtiment, puis les gardiens qui punissent tous les écarts de conduite, si minimes soient-ils, puis les supras qui, eux, contrôlent les gardiens. Ensuite, viennent les démons, mais il est extrêmement rare qu’ils viennent jusqu’ici. »

Je reste silencieuse, luttant pour continuer à marcher d’un foyer à l’autre sans m’écrouler de douleur et en évitant de regarder mon auriculaire se détacher lentement de ma main gauche. Près de moi, la gardienne se tait elle aussi, et nous n’échangeons plus une parole jusqu’à ce que les feux s’éteignent enfin.

 

Il faut de longues minutes avant que je sois en mesure de me redresser un peu, en appui sur mes coudes et de regarder ma compagne d’infortune. Comme à chaque fois, son stoïcisme me stupéfie. Allongée sur le sol, les mains nouées derrière sa nuque, elle semble profiter du moment comme si elle ne savait pas que bientôt, il faudra se relever et retourner dans les flammes. Je secoue la tête pour chasser cette idée, décidant de ne pas y penser pour l’instant, et réfléchis une seconde avant de prononcer :

-« Saphir. »

Elle se tourne vers moi et me jette un coup d’œil intrigué, alors que son sourcil droit, qui est en train de repousser, monte haut sur son front. Je souris, constatant avec un peu de surprise que je commence à beaucoup aimer cette expression sur son visage. Je hausse les épaules et ajoute en me recouchant sur le sol.

-« C’est presque la couleur de tes yeux. Et c’est un très joli prénom »

Je ne la quitte pas des yeux, j’ai trop envie de voir sa réaction. Elle incline d’abord la tête, paraissant considérer la proposition avec beaucoup de sérieux, puis un sourire se forme sur son visage alors qu’elle s’approche et se penche vers moi. Elle ne dit rien pendant un petit moment, se contentant de me regarder en souriant et je remarque une petite étincelle dans ses yeux. Enfin, elle hoche la tête.

-« Ca me plaît. »

Elle recule, se rallonge et ne dit rien de plus, mais je sais qu’elle est contente. Je roule sur le côté et appuie ma joue sur la paume de ma main

-« Où es-tu allée tout à l’heure ? »

Elle roule elle aussi, de manière à être face à moi tout en faisant un petit geste de la main.

-« J’accueillais un nouvel arrivant. »

Je m’en doutais, mais je voulais une confirmation. Comme si j’avais craint, pendant un instant, qu’elle soit juste allée marcher ailleurs qu’en ma compagnie. Et puis une pensée me traverse l’esprit, mais avant que j’aie le temps de l’interroger à ce sujet, c’est elle qui reprend la parole.

-« Et toi, quel est ton prénom ? »

Je la regarde avec un peu d’étonnement.

-« Ce n’était pas inscrit sur le parchemin que tu lisais à mon arrivée ? »

Elle secoue négativement la tête.

-« Non. Il y avait seulement la liste de tes mauvaises actions. »

Je baisse les yeux, bizarrement gênée, alors que je n’ai jamais éprouvé aucune honte lorsque j’étais en vie. Ma réaction doit l’amuser, parce qu’elle a un petit rire. J’ai à peine le temps de songer à quel point ce genre de son est incongru dans un endroit comme celui-ci que les flammes surgissent.

Elle pose une main sur mon épaule alors que, comme à chaque fois, j’ai un mouvement de recul au moment de traverser le premier foyer. Et c’est peut-être pour me distraire de ma souffrance qu’elle la laisse en place au moment quand nous commençons à avancer.

Comme toujours, les premières minutes sont insoutenables et je dois attendre un peu avant de pouvoir recommencer à parler.

-« C’est Gabrielle. »

Je finis par lâcher.

Elle ne me regarde pas mais a un mouvement du menton et réussit même à esquisser un sourire malgré les flammes. Je lui rends son sourire, puis lui pose la question à laquelle je pense depuis tout à l’heure.

-« Comment devient-on gardienne ? »

Ses yeux contiennent une lueur d’amusement, et sa voix est un peu ironique, tout comme sa physionomie, alors qu’elle se tourne vers moi.

-« Pourquoi cette question ? Tu es jalouse ? Tu sais pourtant que l’envie est un des péchés qui t’ont envoyée ici. »

Je baisse la tête, me demandant vaguement si elle se moque vraiment de moi ou si elle me taquine. Elle doit le sentir, parce qu’elle pose de nouveau sa main sur mon épaule, avant de reprendre la parole.

-« Je suis devenue gardienne en étant plus méchante que les autres, tout simplement. »

Cette phrase me fait réagir.

-«  J’imaginais que nous étions ici justement pour nous repentir et regretter nos mauvaises actions, pas pour que nos mauvais penchants soient encouragés. »

Elle pince les lèvres, du moins ce qu’il en reste.

-« Nous sommes en enfer, la méchanceté est très appréciée, ici. »

Je hoche la tête. Manifestement, j’ai encore beaucoup à apprendre sur le mode de fonctionnement de cet endroit. Elle hausse les épaules puis tend ce qui reste de son index pour désigner un vieillard qui marche à quelques mètres devant nous.

-« Par exemple, il est très facile de faire tomber un vieil homme comme celui-là. Une fois qu’il est au sol, ses yeux brûlent, tu peux marcher sur son dos, le frapper… »

Je ne réponds rien, je regarde droit devant moi. Elle se rapproche de moi et murmure.

-« Je ne voulais pas te faire peur. Je ne pourrais pas faire une telle chose à celle qui m’a donné un prénom. »

Elle se tait un instant avant de reprendre.

-« De toutes façons, les places vacantes sont extrêmement rares. Après tout, il n’y a ni départ à la retraite, ni décès. J’ai eu de la chance d’en obtenir une. »

Je pousse un soupir, j’aurais aimé avoir quelques occasions pour éviter les flammes à d’autres moments que les temps de régénération. Mais je ne peux même pas prétendre être déçue. Je baisse la tête et avance en silence jusqu’à ce que les feux s’éteignent.

 

Quatrième partie :

 

Nous nous laissons tomber sur le sol. Je passe une main carbonisée sur mon visage, puis remue les chevilles en grimaçant sous la douleur provoquée par les chaînes. Couchée sur le côté, ses beaux yeux bleus posés sur moi, ma compagne d’infortune a un petit geste en direction des fers qui m’entravent.

-« Quand je parlais de méchanceté… » Elle secoue la tête et reprend

-« Aucun règlement ne m’oblige à imposer des chaînes trop serrées. »

Elle s’assied, ramenant ses genoux sur sa poitrine avant de les entourer de ses bras, et murmure d’une voix presque inaudible.

-« Je suis désolée. »

Entendre des excuses ici, de la part de quelqu’un qui porte des cornes et qui vit en enfer depuis si longtemps qu’elle en a oublié jusqu’à son nom, a quelque chose de surréaliste, pourtant, je sais qu’elle est sincère et je ne peux m’empêcher d’être touchée par ses regrets.

J’effleure son avant-bras du bout des doigts, profitant du fait que mes ongles se sont reformés, et chuchote à mon tour.

-« Saphir ! »

Elle ne retient pas son sourire de plaisir en entendant le prénom que je lui ai choisi et que j’emploie pour la première fois. J’appuie un peu plus fermement sur son bras et poursuis d’un ton que j’essaie de rendre le plus désinvolte possible.

-« Je suppose que ça fait partie du boulot. »

Elle renifle un peu dédaigneusement.

-« Comme je te l’ai dit, ça n’a rien d’obligatoire. Je fais ça parce que je suis mauvaise. Après tout, je porte des cornes, non ? »

Maintenant, mes doigts entament un petit va et vient, de son poignet jusqu’à son coude et je vois sa peau se hérisser en chair de poule.

-« Je ne te trouve pas si mauvaise. »

Elle tourne de nouveau son regard vers moi, le sourcil qui porte le percing, haut sur son front. Son regard se fait insistant et je finis par marmonner.

-« Bon, un peu au début. Mais plus maintenant. Au contraire, je suis contente que ce soit toi qui t’es occupée de moi. »

Elle a un petit sourire désabusé et détourne les yeux, fixant un point à l’horizon. J’observe son profil, son visage est presque entièrement régénéré et je ne peux qu’admirer la pureté de ses traits. Je cesse la caresse sur son avant-bras et frôle la cicatrice qui court de son oreille à ses lèvres.

-« Est-ce que cette cicatrice est récente ? »

Elle secoue négativement la tête.

-« Non. Rien ne laisse de marque définitive ici. Cette marque est très ancienne. »

Après une pause, elle ajoute :

-« C’est une blessure qui a été faite de mon vivant. Je ne me rappelle pas en quelles circonstances. »

C’est au moment où je lui demande ce qu’elle faisait à l’époque, que les feux se rallument.

 

Elle sait à quel point je redoute les premières flammes, les premières brûlures. Alors elle prend doucement mon bras et me tient, ou me soutient, pendant les premières minutes. Pourtant, ça ne doit pas être plus facile pour elle que pour moi, mais de la savoir là, de sentir sa main sur mon coude, me fait un bien fou et m’aide énormément à affronter le feu. Comme à chaque fois, nous ne reprenons la parole qu’après quelques minutes, et je m’efforce de reprendre la conversation là où je l’avais laissée, l’interrogeant de nouveau sur ce qu’était sa vie. Elle se redresse un peu et sa voix comme son regard, se remplissent de fierté.

-« J’étais une guerrière, une combattante. »

Son attitude me ferait sourire si je n’étais pas en train de grimacer sous les assauts des flammes. Mais j’ai envie d’en savoir plus, alors j’insiste en prenant un ton incrédule.

-« Une guerrière, vraiment ? Tu veux dire que tu étais soldat ?  »

Elle hoche négativement la tête.

-«Non. Je vivais à une époque où les femmes n’avaient aucun contrôle sur leur vie, où il y avait toujours quelqu’un pour prendre les décisions à leur place, que ce soit les parents voire les frères, ou le mari. Je ne voulais pas de ça. Alors, très jeune, je suis partie de chez mes parents. Je me suis forgée un physique, j’ai appris à manier une épée, et je me suis fait une place dans le monde. »

Je la regarde, au travers des flammes qui nous environnent. Je ne le lui dis pas, mais je suis un peu impressionnée par ce qu’elle raconte et je lui demande encore quelques précisions qu’elle me donne volontiers.

-« Au début, je vivais seule. Je me débrouillais pour marauder dans les champs et voler dans les fermes, afin de me nourrir. Je cherchais la moindre occasion de me battre, pour m’aguerrir. Bien sûr, j’ai pris quelques raclées, mais c’est ainsi que j’ai appris.  Et puis, quand j’ai estimé que j’avais atteint un niveau suffisant, que ce soit à l’épée ou dans le combat à mains nues, j’ai commencé à recruter et j’ai fondé ma propre armée. »

Je hoche la tête pensant que le sujet est clos, mais elle poursuit.

-« C’était une époque rude, mais je crois que j’y étais parfaitement adaptée. Je n’étais pas intéressée par la conquête en elle-même, mais j’aimais combattre, j’aimais tuer et soumettre. J’ai conquis de nombreuses contrées, avant d’être finalement empoisonnée, sans doute par un de mes proches. »

Elle hausse les épaules avec fatalisme et termine d’un ton las.

-« Et je suis arrivée ici. »

Je tends ce qui reste de mon index pour effleurer l’endroit où se trouve sa cicatrice que je ne discerne pas pour l’instant tellement sa peau est noircie.

« Tu as certainement été blessée au combat. » Après un instant, je ne peux m’empêcher d’ajouter.

-« Ca te va bien. »

Sans répondre, elle se tourne vers moi avec un petit sourire qui reste très longtemps sur son visage, même lorsqu’elle n’a presque plus de lèvres. Je lui rends son sourire mais ne reste pas silencieuse bien longtemps, à croire que j’ai une réserve inépuisable de questions pour elle. Mais, outre le fait que la conversation me permet de penser à autre chose que la souffrance, je me rends compte que j’aime particulièrement le son de sa voix, plutôt grave, tout autant que j’aime sa compagnie.

-« Nous gardons tous l’apparence que nous avions au moment de notre mort, c’est bien ça ? »

Elle acquiesce d’un mouvement du menton. Je frôle de nouveau son visage.

-« Tu es morte très jeune. »

Et cette fois, ce n’est pas une question. Il suffit de la voir, lorsqu’elle est régénérée, elle ne paraît pas plus de 25 ans. Elle hoche de nouveau la tête et hausse une épaule enflammée.

-« Ca n’a rien d’étonnant avec la vie que je menais. »

Elle passe une main devant ses yeux pour les protéger de quelques flammes dangereusement proches et c’est son tour de m’interroger.

-«  Et toi, tu n’étais pas beaucoup plus vieille. »

Je baisse la tête, regardant mes pieds, ou plutôt ce qu’il en reste.

-« J’avais quarante ans. Je suis morte bêtement, dans un accident de la circulation. »

Elle reste songeuse un instant, me fixant avec intensité malgré les flammes qui nous entourent et nous dévorent en même temps. Et puis, alors qu’elle paraît vouloir dire quelque chose, elle se redresse brusquement et fait un geste dans ma direction.

-« Je dois y aller. Surtout, continue de marcher ! »

Je la regarde s’éloigner à grands pas, puis m’effondre sur le sol lorsque les feux s’éteignent enfin.

 

Ca fait quatre cycles, et elle n’est toujours pas revenue. Je n’en peux plus. Je ne me rendais pas compte que sa présence m’aidait à ce point. Avec elle, c’est terriblement difficile de marcher dans les flammes. Avec elle, la douleur est atroce. Avec elle, j’ai besoin de toute ma volonté pour ne pas me coucher sur le sol et attendre d’être entièrement brûlée.

Mais en son absence, la souffrance semble être multipliée par mille, les feux paraissent encore plus brûlants, les temps de régénération infiniment plus courts. En son absence, j’ai l’impression de ne même pas être capable d’avancer et s’il était possible de hurler, je n’aurais pas cessé depuis son départ. J’essaie de me concentrer, de me souvenir de chacune des paroles que nous avons échangées, de tous les regards qu’elle a posés sur moi, du moindre des sourires qu’elle m’a adressés, mais tout cela me paraît de plus en plus lointain.

Je tente de me distraire de ma douleur en observant les alentours, profitant du fait que, malgré les innombrables foyers, aucune fumée ne flotte dans l’air.

 Les damnés avancent les uns derrière les autres, d’un pas lent et lourd. Aucune conversation ne parvient à mes oreilles, le seul bruit audible est le cliquetis des chaînes, et aussi loin que je peux regarder, toutes les silhouettes que je distingue sont solitaires. Je secoue la tête en me demandant comment ils font pour tenir le coup. Pour ma part, si je ne me suis pas encore écroulée, c’est bien grâce à la présence de Saphir. Je m’en rends d’autant plus compte maintenant qu’elle n’est plus là.

Les avertissements de la gardienne dont la présence m’a tant aidée me reviennent en mémoire « Ne t’arrête surtout pas ! », son expression quand elle me montrait les clous et me décrivait la douleur qu’ils provoquent me fait grimacer, mais tout ça semble flou et s’éloigne de plus en plus dans ma mémoire.

Je reste debout lorsque les feux s’éteignent, jetant des regards inquiets tout autour de moi dans l’espoir d’apercevoir ma compagne d’infortune. Mais partout où mes yeux se posent, ils ne trouvent que des damnés, tous assis ou allongés sur le sol. Je soupire mais je ne cesse pas de scruter la foule des pénitents avec espoir, jusqu’à ce que les flammes réapparaissent et que je sois obligée de me remettre en marche.

Je me laisse aller au découragement après un nouveau cycle, alors que je suis toujours seule. Je ne peux plus supporter ni la souffrance, ni la solitude.

 J’essaie de combattre le silence en parlant toute seule, en m’inventant un destin différent de celui qui a été le mien, une existence où j’aurais été suffisamment vertueuse pour ne pas échouer ici après ma mort. L’imagination ne m’a jamais fait défaut, et pendant un moment, cet artifice compense un peu, un peu seulement, l’absence de Saphir. Mais cela ne dure qu’un temps, et après une nouvelle régénération, alors que je dois me contraindre à avancer dans les flammes, je renonce à lutter.

Les avertissements de ma compagne d’infortune résonnent de nouveau à mes oreilles, mais je refuse de les entendre. Je ne peux pas imaginer passer une éternité dans ces conditions, à supporter les constantes brûlures des flammes, à devoir régulièrement renoncer au soulagement de la régénération, et surtout à rester seule. Je n‘en peux plus, je ne veux plus.

Une dernière fois, j’observe tout autour de moi, cherchant la haute silhouette de la gardienne. Je n’ai aucune idée du temps que nous avons passé ensemble, des jours, des semaines ou des années peut-être… Quoiqu’il en soit, je me suis attachée à elle, bien plus que j’aurais pu m’y attendre. Et maintenant, elle me manque. Non seulement parce que sa compagnie m’aide à résister aux conditions effroyables que nous affrontons, mais aussi tout simplement parce que j’aime la couleur de ses yeux, son sourire et même la teinte bizarre de sa peau. Je ne la vois pas revenir et je ne peux pas imaginer une seconde continuer à endurer ce calvaire sans sa présence à mes côtés.

Nous sommes en fin de cycle, mon état ne me laisse aucun doute là-dessus. Je jette un dernier regard autour de moi, et ne repérant aucun gardien dans les environs, me couche directement au centre du foyer le plus proche en espérant que ce sera rapide.

 

Cinquième partie :

 

Je ne savais pas qu’on pouvait souffrir autant. Pourtant, depuis mon arrivée, la douleur est atroce. Mais maintenant que je suis roulée en boule sur les flammes, l’impression que mes os fondent à l’intérieur de mon corps est un supplice bien supérieur encore. J’ouvre la bouche pour pousser un grand cri silencieux, mais le feu pénètre à l’intérieur de moi et l’émail de mes dents ne résiste pas longtemps. J’essaie néanmoins de rester immobile, sachant que si je tiens suffisamment longtemps, tout cela sera bientôt définitivement terminé.

 

Deux mains rudes et brutales me remettent sur pied sans douceur, et les fers à mes chevilles pénètrent encore plus profondément dans ma chair. Je sursaute et lève rapidement les yeux, l’espoir de voir Saphir devant moi rapidement déçu. C’est un homme qui m’a remise debout, un homme très grand, bien plus que ne l’est la gardienne qui me manque tant. Il porte lui aussi des cornes, mais sa peau n’est pas verdâtre, plutôt rouge brique. Et ses yeux me transpercent avec tant de malveillance que mes genoux en tremblent.

Il ne prononce pas une parole, souriant cruellement alors que ses doigts plongent dans sa poche et en ressortent avec un long clou de charpentier. J’ai à peine le temps de sentir la terreur s’insinuer en moi que déjà, il pousse un clou dans mon oreille gauche.

Sentir ce morceau de métal chauffé à blanc pénétrer à l’intérieur de mon crâne est horrible, comme si tout ce que j’avais souffert jusqu’à présent n’était qu’un aperçu avant de connaître la véritable souffrance, celle qui donne l’impression de n’être plus rien que la douleur elle-même. Et cela ne cesse pas. Après l’oreille gauche, c’est au tour de la droite, puis celui des yeux. La dernière chose que je vois est la jubilation dans son regard alors qu’il enfonce le dernier clou.

 

Je ne peux que m’effondrer, mais ses mains me remettent immédiatement sur mes pieds et me poussent en avant. Je n’ai pas d’autre choix que de marcher, je chancelle parfois, mais, systématiquement, une main rude et brutale vient m’aider à garder l’équilibre, et je sais qu’il est là, à me surveiller pour s’assurer que je ne tente plus d’en finir. Plongée dans l’obscurité, sourde, je marche les bras tendus devant moi, ne ressentant plus rien qu’une souffrance si absolue que je me demande comment je ne suis pas encore devenue folle. Je sens l’intérieur de mon crâne se consumer lentement sous la brûlure des morceaux de métal qui le transpercent, et je me demande si ma tête ne va pas tout simplement exploser.

Malheureusement, je sais qu’il n’y a aucun risque, que je vais seulement continuer à avancer et rôtir éternellement sans aucun espoir de soulagement durable.

Les fers frottent sur les os de mes chevilles quand vient enfin le court moment de répit qui permettra à mon corps de se régénérer suffisamment pour me permettre de retourner au supplice.

Je m’effondre et reste immobile un instant, attendant que la douleur s’atténue, mais si c’est le cas pour les brûlures sur toute la surface de mon corps, il n’en est pas de même pour mes yeux et mes oreilles. Non seulement je reste aveugle et sourde, mais l’impression de chaleur intense dégagée par les clous ne s’estompe pas, bien au contraire. Je porte une main tremblante à hauteur de mon œil gauche, effleure doucement la petite surface de métal qui dépasse, puis l’attrape doucement et tente de la retirer. Mais j’ai à peine le temps d’esquisser mon geste que je reçois un énorme coup dans le ventre. Le souffle coupé, je halète cherchant désespérément de quoi remplir mes poumons, me demandant fugitivement pourquoi j’ai besoin de respirer puisque je suis morte, avant de sentir un deuxième coup, puis un troisième. Je cesse de compter après le dixième et me recroqueville en position fœtale en attendant la fin de l’orage

 

Si seulement Saphir était là, je suis persuadée que j’aurais moins de mal à endurer ce calvaire. Je ne sais pas pourquoi elle n’est pas revenue, je souffre tant que je ne cherche même plus à comprendre. Dans mon infinie souffrance, du fond de l’abîme de douleur et de dépression où je me trouve, il me reste un espoir, celui de sentir de nouveau sa main sur mon épaule, même si je ne vois plus jamais ses beaux yeux bleus, même si je ne peux plus entendre sa voix. Je sais, au plus profond de moi, que ce simple contact est la seule chose qui me permettrait de me sentir mieux.

L’homme est toujours là, je le sais même si je ne peux ni le voir ni l’entendre. De temps à autre, il me donne une bourrade pour me faire avancer plus vite, à moins que ce ne soit juste pour s’amuser. Il ne me laisse aucun repos, particulièrement pendant les moments de régénération où je suis constamment rouée de coups.

Je n’ai aucune idée du temps qui s’est écoulé depuis le départ de Saphir, je ne compte même plus les cycles. Plus rien ne vient me distraire de mon calvaire. Les clous me donnent l’impression que mon cerveau est en ébullition constante, comme si des flammes particulièrement voraces léchaient consciencieusement chaque recoin à l’intérieur de mon crâne.

Et puis, au moment où les feux s’éteignent et où je m’affale encore une fois sur le sol, alors que tout mon corps se contracte en prévision des coups qui vont pleuvoir, une main caresse doucement ma joue et des doigts effleurent délicatement ma peau carbonisée. Je roule sur moi-même en murmurant le nom de Saphir, oubliant que je ne peux pas entendre la réponse s’il y en a une. Mais je suis sûre que c’est elle. Personne ne pourrait avoir une telle douceur ici, ni le garde chiourme qui m’a martyrisée pendant des cycles et des cycles, ni évidemment, aucun des damnés autour de moi, tous bien trop préoccupés avec leur propre douleur pour se soucier de celle des autres.

Les caresses ne cessent pas, parcourant mon visage et mes épaules, me réconfortant bien plus que n’importe quoi d’autre pourrait le faire. Je reste immobile, savourant les doux mouvements sur ma peau qui se reconstitue peu à peu, jusqu’à ce que j’essaie encore une fois de retirer l’un des clous. La main, dont je suppose qu’elle appartient à ma compagne d’infortune, se pose sur mon poignet et retient mon geste. Je pousse un gémissement de frustration et tente de me dégager, mais les doigts resserrent leur prise sur mon avant bras, empêchant tout mouvement. Je n’ai pas envie de lutter, je sais que je n’aurai pas le dessus, je renonce rapidement.

Et puis, je sens quelqu’un s’allonger près de moi et deux bras m’entourer et m’attirer contre un corps robuste, mais dont le contact est plein de douceur. Un souffle léger passe sur ma joue et la main recommence à caresser mon front. Après tout ce que je viens de supporter, une telle délicatesse est si inattendue, si bienvenue et si apaisante que je fondrais en larmes si je le pouvais.

Les flammes nous obligent à nous relever bien trop vite à mon goût, mais la main ne me lâche pas, passant sur mon épaule pour me guider et me soutenir alors que nous avançons lentement. La souffrance ne s’est pas atténuée, mais ne plus me sentir seule, savoir que quelqu’un se soucie de moi, me donne l’impression que l’épreuve est un petit peu moins pénible, bien que mes chevilles soient toujours aussi meurtries par les fers et que mon corps flambe tout autant que d’habitude. Je ne suis pas fatiguée physiquement, mais si épuisée moralement que je m’appuie largement contre celle qui me soutient et dont l’identité ne fait aucun doute pour moi. Je murmure son prénom tout bas, plusieurs fois, et après quelques secondes, elle me répond en resserrant son étreinte.

Même le temps paraît s’écouler de manière différente, et je suis presque surprise lorsque les feux s’éteignent et que nous pouvons enfin récupérer. Elle m’aide à m’asseoir sur le sol, passant encore une fois ses bras autour de moi, puis s’installe juste derrière moi et appuie mon dos contre sa poitrine. Je pousse un profond soupir en essayant de me détendre dans la mesure du possible, et pose ma tête sur son épaule. Si la régénération fait rapidement diminuer la douleur sur toute la surface de mon corps, il n’est est pas de même pour mon crâne dans lequel les clous exercent une pression constante, et si j’arrive à me relaxer, même partiellement, ce n’est que grâce à la présence de Saphir.

C’est au moment où je parviens enfin à me relâcher un peu que je me sens violemment empoignée et remise sur mes pieds.

Les mains qui m’agrippent sont celles de l’homme qui a planté les clous, je pourrais le jurer, et cette certitude me terrifie. Je sens le mouvement de ma compagne qui se lève et passe devant moi, sans doute à côté de celui qui me tient si fermement. Un instant se passe sans que je sache ce qu’ils font l’un et l’autre, puis, lentement, le premier clou est retiré de mon oreille, suivi des trois autres, exactement dans le même ordre que celui où ils ont été mis. Les feux se rallument juste quand la dernière pièce de métal est retirée.

Je n’ai retrouvé ni la vue ni l’ouïe et je marche accrochée au bras de Saphir, titubant à cause des chaînes qui entravent mes chevilles, un peu paniquée à l’idée de ne pas retrouver les deux sens qui me manquent. J’essaie de me rassurer en me disant que ça viendra probablement à la prochaine régénération, mais ma tension et mon inquiétude doivent être visible car, malgré les flammes qui nous entourent, ma compagne me caresse doucement le bras, dans un mouvement régulier qui cherche certainement à m’apaiser.

J’ai l’impression que le temps ne passe pas, que nous allons brûler et marcher jusqu’à la fin des temps sans plus jamais connaître le moindre moment de répit, que je resterai éternellement aveugle et sourde. Les larmes qu’il m’est impossible de verser m’étouffent et je ne parviens pas à retenir quelques sanglots secs qui m’irritent la gorge. A mes côtés, Saphir resserre sa prise sur mon bras et se penche sur moi. Peut-être me chuchote-t-elle quelques mots à l’oreille, parce que je sens son souffle sur mon cou, et malgré les épouvantables conditions dans lesquelles nous nous trouvons, je ressens un petit sentiment de plaisir et de satisfaction à la savoir si attentive.

Les feux s’éteignent au bout de ce qui me paraît une éternité. Je me laisse tomber à terre, mais les bras solides de ma compagne me retiennent et me supportent, me permettant de toucher le sol en douceur, puis elle vient s’asseoir en face de moi en tenant mes mains dans les siennes. Au bout d’un certain temps, alors que mes cheveux ont commencé à repousser et que ma peau reprend son aspect normal par endroits, je réussis à distinguer les contours de son visage, même si ses traits sont encore flous. Elle doit s’en rendre compte, parce qu’elle tend sa main droite pour l’agiter devant mes yeux. Je hoche la tête en lui souriant doucement avant de me pencher vers elle jusqu’à ce qu’elle me prenne dans ses bras.

Nous nous relevons, contraintes par les feux qui jaillissent de nouveau autour de nous. Saphir règle son pas sur le mien, moins rapide que le sien en raison des fers qui gênent mes mouvements, et nous avançons bras dessus-bras dessous au travers des flammes.

Une fois que les premières minutes, qui sont les plus difficiles, se sont écoulées, ma compagne se tourne vers moi pour m’interroger.

-« Pour quelle raison le supra t’a-t-il punie ? »

Je détourne le regard pour marmonner.

-« Je me suis arrêtée pour m’allonger dans les flammes. »

Elle ne répond pas, mais la désapprobation est si visible sur son visage que je me sens obligée de me justifier.

-« Tu étais partie depuis si longtemps ! Je croyais que tu ne reviendrais jamais, et je ne voulais pas rester seule, pas ici. »

Elle passe son bras sur mon épaule pour me serrer contre elle. Les flammes parviennent à se glisser entre nous deux, mais j’apprécie tout de même le contact.

-« Je reviendrai toujours Gabrielle, peu importe combien de temps je suis absente. »

Elle prend mon menton entre son pouce et son index pour tourner mon visage vers elle et appuyer sa déclaration d’un long regard. Ce n’est qu’après que j’ai acquiescé qu’elle me lâche et reprend.

-« Il arrive parfois que les nouveaux arrivants soient très nombreux. »

Je lui jette un coup d’œil intrigué et un peu incrédule.

-« Nombreux ? »

Elle hausse négligemment les épaules.

-«  Aujourd’hui, je crois que ce sont les victimes d’un tremblement de terre que nous avons accueillies. »

Pendant un moment, j’imagine une cohorte de damnés passant en jugement devant l’homme à la barbe blanche, puis descendant les escaliers, escortés par les mêmes gardiens que ceux qui m’ont accompagnée, avant de faire la queue aux portes de l’enfer.

Je secoue la tête pour chasser cette image de mon esprit et décide de me concentrer plutôt sur le profil de ma compagne auquel, malgré les cornes, l’absence de peau et les marques profondes laissées par les brûlures, je trouve quelque chose de majestueux. Je ne la lâche pas du regard jusqu’à ce que les feux s’éteignent et que nous puissions nous asseoir sur le sol.

 

Sixième partie :

 

Après quelques minutes pendant lesquelles nous ne faisons rien d’autre que récupérer, elle tend ses bras vers moi et je m’empresse de venir m’y blottir. Nous ne disons rien, mais, en levant la tête, je remarque qu’elle me regarde avec une expression un peu songeuse, comme si elle cherchait à comprendre quelque chose à mon sujet. Lentement, elle passe son index sur ma joue droite, frôlant ma pommette avant de descendre sur mon menton, puis de venir effleurer mes lèvres en fronçant légèrement les sourcils. Cette attitude m’étonne et je lève un sourcil d’un air interrogateur. Ca la fait sourire, mais après une seconde d’hésitation, elle resserre son étreinte de son bras droit et frotte machinalement sa tempe avec deux doigts.

-«  Il y a quelque chose en toi que je ne comprends pas. Quelque chose qui me donne envie d’être gentille et douce avec toi. »

Elle détourne le regard pour ajouter.

-« Je n’avais jamais rien ressenti de tel jusqu’à maintenant. »

Je me redresse et pose ma main sur son menton pour l’obliger à me regarder en face. J’essaie de parler avec le plus de douceur possible, un ton de voix que j’ai très rarement employé de mon vivant, sauf quand j’y avais un intérêt.

-« Tu n’as aucune idée de ce que tu ressens ? »

Elle secoue négativement la tête avec un petit sourire, ses yeux toujours dans les miens, indiquant clairement qu’elle attend que je poursuive. Je prends une petite inspiration et fais passer mes doigts de son menton à sa joue sur laquelle je pose doucement ma main.

-« Peut-être que tu éprouves la même chose que moi. »

Cette fois, c’est à moi d’hésiter. Je n’ai jamais eu l’habitude d’étaler mes sentiments. Durant toute mon existence, mes actes ont toujours été dictés par mes intérêts. Et aujourd’hui, alors que je n’ai aucun avantage à en tirer, je me sens singulièrement attirée par ma compagne gardienne. Elle commence à s’agiter et je sens que je ne peux plus tergiverser, elle a besoin de comprendre ce qui m’arrive et ce qui lui arrive sans doute à elle aussi. Je pousse un petit soupir et me réinstalle confortablement entre ses bras avant de commencer.

-«  Ce que je sais, c’est que je t’aime beaucoup. Alors, peut-être que toi aussi, tu m’aimes bien. »

Son front se plisse sous la réflexion et elle passe nerveusement une main dans ses cheveux tout en me répondant.

-« J’ai toujours pensé qu’aimer était une perte de temps et d’énergie, et je me suis toujours gardée de ce genre de sentiment. »

Elle regarde ailleurs pour terminer.

-« Toi, tu es différente. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’arrive pas à être indifférente à ton sujet. »

Ca a l’air de la contrarier et de la perturber en même temps. Mais elle ne me lâche pas pour autant, et je profite de son étreinte pendant que je le peux.

Ca ne dure pas, les flammes nous obligent à nous relever quelques instants seulement après cette conversation. Encore une fois, je constate que le fait de recommencer à brûler après avoir profité d’un moment de répit est le pire, le plus terrible. Mais je me force à avancer, je n’ai pas le choix. Saphir m’a prévenue qu’à ma prochaine tentative pour en finir, la punition sera définitive, et je n’ai aucune envie d’être éternellement sourde et aveugle, ni de supporter de nouveau la torture des clous.

Bien que plongée dans ses pensées, affichant toujours une expression un peu rêveuse, ma compagne d’infortune tient fermement mon bras et ne semble pas décidée à me lâcher. Je voudrais bavarder, me distraire de la souffrance, mais je sens que je ferai sans doute mieux de me taire. L’air un peu lointain, Saphir n’a pas du tout l’air de vouloir entamer une conversation, ni de répondre à la moindre question. Elle est si concentrée qu’elle donne même l’impression de ne pas sentir la morsure des flammes, et bien que je sache qu’elle souffre autant que moi, je ne peux m’empêcher d’admirer son impassibilité. Je serre les dents et tente de faire la même chose, m’accrochant à son bras pour y puiser du courage. Ce cycle me paraît incroyablement long.

Elle semble un peu plus détendue lorsque les flammes s’éteignent et que nous pouvons enfin décompresser et nous installer sur le sol. Comme les fois précédentes, elle tend les bras afin que je puisse venir m’y nicher, mais maintenant, son sourire est plus franc, moins crispé. Elle me berce contre elle le temps que nos peaux respectives commencent à se reconstituer et que la douleur s’atténue un peu, puis approche sa bouche de mon oreille pour chuchoter :

-« Je crois que tu as raison. »

Je lui lance un petit regard interrogateur, elle sourit encore et se penche de nouveau vers moi.

-«  Je t’aime bien. »

Et puis, comme ses paupières ont repoussé, elle me fait un clin d’œil. Je me sens particulièrement bien, je n’arrête pas de sourire et je ne me souviens pas d’avoir été plus heureuse que maintenant, et ici, au cœur de l’enfer. L’ironie de la situation ne m’échappe pas et un petit rire s’échappe de ma gorge, que j’essaie d’étouffer en enfouissant mon visage contre l’épaule de Saphir, ce qui ne l’empêche pas de le remarquer. Elle baisse les yeux vers moi et m’interroge sur cette gaieté un peu surprenante. Mon explication fait monter son sourcil haut sur son front, mais je vois une lueur d’amusement dans son regard. Et puis, elle passe son index sur ma joue et chuchote.

-« Moi aussi, je me sens bien avec toi. »

Elle resserre ses bras autour de moi, et je me laisse aller contre elle en soupirant, savourant son étreinte. Nous restons silencieuses, appréciant simplement ce petit instant de tendresse, jusqu’à ce que les feux se rallument.

Nous pénétrons dans les flammes enlacées, son bras sur mes épaules et le mien autour de sa taille. Cela ne nous empêche pas de souffrir le martyre, mais c’est un tel réconfort que je ne me sens pas aussi mal que d’habitude.

Habituellement, je ne prête pas grande attention à ceux qui marchent avec nous. La plupart d’entre eux avance machinalement, sans regarder ni à droite ni à gauche. Mais l’homme qui se trouve actuellement devant nous attire mon attention. D’abord parce qu’il maugrée constamment, alors que jusqu’ici, je n’ai pas entendu grand monde hormis Saphir, même le supra qui m’a punie n’a pas prononcé une seule parole. Ensuite, parce qu’il paraît au bord de la crise nerveuse, faisant de grands gestes en jetant des regards inquiets tout autour de lui. Je tends un bras pour le désigner à ma compagne qui incline la tête pour l’observer attentivement, avant de hausser les épaules d’un geste fataliste.

L’homme s’agite de plus en plus et commence à parler plus fort, de sorte que ses paroles nous deviennent audibles. Ce ne sont que des jurons, des imprécations à l’encontre de tous ceux qui peuplent ce lieu, mais ce sont surtout et principalement des insultes dirigées contre la hiérarchie qui règne ici. Nous ne sommes pas les seules à l’avoir remarqué, et je me penche vers Saphir lui demandant si de tels troubles sont fréquents ici. Elle hoche la tête et il me semble apercevoir brièvement une petite lueur de compassion dans ses beaux yeux bleus. Nous reprenons notre observation, contente d’avoir quelque chose pour nous distraire de notre souffrance.

Il ne faut guère de temps pour que deux supras, semblant ne venir de nulle part se matérialisent brusquement devant l’homme. Pendant un court moment, ils se contentent de rester immobiles, le fixant de leurs yeux cruels. Cela ne déconcerte pas l’homme qui continue de vociférer le plus fort qu’il peut en gesticulant de plus belle, mais cela ne dure pas. Je sens le bras de Saphir me serrer un peu plus contre elle juste quand ils passent à l’action.

Je n’avais jamais assisté à un tel déchaînement de violence. Nous sommes en enfer, et je ne peux pas prétendre être étonnée par la brutalité des supras, mais c’est un spectacle si terrifiant et épouvantable que je suis persuadée que je ne pourrai jamais l’oublier.

Les supras, armés de masses de forgeron si énormes qu’elles doivent bien peser une cinquantaine de kilos chacune, approchent doucement de l’homme avant de le frapper brusquement, de toutes leurs forces. Chaque coup est si violent qu’il ne faut que quelques instants pour que le damné ne soit plus qu’une forme sanguinolente sur le sol. Lorsque leur victime ne bouge plus, les deux créatures infernales l’attrapent chacun par un bras et le remettent debout de force, le secouant jusqu’à ce qu’il reprenne un peu conscience, pour l’obliger à marcher ensuite.

Souffrant certainement de nombreuses fractures et traumatismes divers, l’homme ne peut marcher que soutenu par ses deux tortionnaires, mais les deux créatures ne lui laissent aucun répit et le traînent au milieu de chaque foyer, prenant un malin plaisir à faire brûler les parties les moins atteintes habituellement, ou celles que les damnés protègent systématiquement, comme les yeux par exemple.

Lorsque le cycle se termine, ils lâchent leur victime sur le sol et reprennent leurs masses pour le frapper encore et encore, ne lui laissant aucun moment de répit pendant toute la régénération.

Je continue à observer les deux supras et leur victime avec une fascination un peu morbide, jusqu’à ce que ma compagne m’entraîne avec elle, m’éloignant rapidement de cette scène ignoble.

Nous nous asseyons sur le sol et je retrouve immédiatement ma place au creux des bras de Saphir qui s’étonne de me voir aussi peu loquace, moi qui lui ai donné l’habitude de bavarder régulièrement. Je dois reconnaître que bien que la fatigue physique soit totalement absente, je me sens particulièrement éprouvée, non seulement par la scène à laquelle nous venons d’assister, mais aussi par tout ce que j’ai vécu depuis mon arrivée ici. Je pousse un profond soupir, me blottit un peu plus confortablement dans les bras de ma compagne, et ferme les yeux. Elle me berce tout doucement contre elle et je sens ses lèvres effleurer ma tempe.

Les cycles suivants sont plus calmes, la punition de l’homme a été suffisamment dissuasive pour que tous ceux qui marchent près de nous restent parfaitement tranquilles. Nous avançons très lentement, nous laissant volontairement distancer par les supras qui continuent de battre le damné avec la même violence implacable.

Nous parlons beaucoup. Je raconte ma vie passée avec un sentiment de distance, comme si je relatais l’existence de quelqu’un d’autre et que j’avais du mal à croire que j’ai été ce personnage égoïste, avide et superficiel que je décris. Saphir m’écoute attentivement, posant parfois quelques questions lorsqu’elle a besoin d’une précision, mais s’abstient de tout commentaire ou jugement.

Lorsque vient le tour de ma compagne, son récit est extrêmement succinct. Elle me raconte brièvement l’attaque de son village, et son départ loin de sa famille à quinze ans seulement, puis me décrit rapidement la première armée qu’elle a formée, les attaques qu’ils perpétraient contre tous les bourgs qu’ils rencontraient, la trahison d’un homme qu’elle croyait aimer, ses voyages lointains à une époque où les déplacements n’étaient pas aussi rapides ni aussi faciles que de nos jours, et enfin son décès, qu’elle n’attendait pas de cette manière là. Cela semble d’ailleurs être son plus grand regret. Elle pousse un grand soupir et conclut son récit sur un ton désabusé.

-« J’avais toujours pensé que je mourrai en guerrière, les armes à la main. Pas dans un lit, terrassée par un poison dont je ne sais même pas par qui il m’a été administré. »

Je n’ai rien à répondre à cela, alors je me contente de resserrer ma prise sur sa taille et de m’appuyer un peu plus contre elle, ce qui paraît suffire pour lui rendre son expression impassible.

Le cycle se termine peu de temps après et c’est avec soulagement que je m’effondre sur le sol, aussitôt entourée par les bras de Saphir. Comme souvent, c’est moi qui romps le silence la première, après avoir laissé passer quelques minutes. Je me tourne pour faire complètement face à ma compagne et sourit doucement en passant ma main sur sa joue.

-« Si nous étions en vie, c’est le moment où je t’inviterais à prendre un café. »

Elle me rend mon sourire puis se penche vers moi.

-« Peut-être qu’on peut passer tout de suite à l’étape suivante, alors. »

Elle s’incline un peu plus, je me redresse légèrement et nos lèvres se touchent délicatement. Nous reculons toutes les deux pour échanger un regard, puis nous embrassons de nouveau, cette fois avec bien plus d’assurance et de fermeté.

 

C’est absolument divin. J’ai embrassé de nombreuses personnes dans ma vie, du simple flirt de mon adolescence à ceux dont j’avais besoin pour faire mon chemin et assouvir mes ambitions, mais je n’ai jamais ressenti ce que j’éprouve à présent. C’est un baiser doux et ferme à la fois, un baiser qui me transporte ailleurs, dans un endroit où il n’y a ni flamme, ni douleur. Je glisse mes mains de ses joues à sa tête sur laquelle les cheveux commencent à repousser et je l’entends gémir dans ma bouche.

C’est au moment où je pense que je voudrais que ce baiser ne finisse jamais que nous sommes baignées dans la lumière.

 

Septième partie :

 

Nous nous relâchons immédiatement, reculant de manière à ce que nos corps ne soient plus en contact. Saphir a l’air tout aussi surpris que moi et nous nous regardons l’une l’autre avec stupeur avant de jeter des coups d’œil prudents autour de nous.

Apparemment, la lumière nous a transportées dans un autre lieu. Nous nous trouvons dans une pièce qui ressemble étrangement à celle dans laquelle j’ai été jugée et condamnée, excepté sa taille, beaucoup plus réduite. Debout, les bras croisés sur la poitrine, nous observant en silence, se tiennent un homme à longue barbe blanche et un supra. Je frémis de terreur en voyant l’homme cornu, mais Saphir me rassure immédiatement en passant un bras sur mes épaules et en me chuchotant à l’oreille.

-« Je ne crois pas qu’il nous fasse du mal, en tous cas pas tant que le vieillard est là. »

Elle a sans doute raison, mais je me sens terriblement mal à l’aise sous leurs regards inquisiteurs, et ma compagne, même si elle ne le montre pas, semble perturbée par cette situation inattendue. Nous restons donc silencieuses, un long moment, attendant de savoir pourquoi nous avons été transportées ici.

C’est finalement le vieillard à barbe blanche qui rompt le silence, nous dévisageant alternativement l’une et l’autre.

-« Toi, Gabrielle, et toi…. »

Il hésite un instant, semblant réfléchir.

-« Mon nom est Saphir ! »

La voix et l’attitude fière de ma compagne montrent une assurance qu’elle ne possède sans doute pas, mais l’homme n’y prête aucune attention, se contentant de hocher la tête en signe d’assentiment avant de reprendre.

-« Vous vous embrassiez. »

Son ton n’est pas franchement accusateur, mais mon amie gardienne est immédiatement sur la défensive.

-« Ce n’est pas interdit par le règlement. Seules les relations sexuelles le sont ! »

Le vieillard acquiesce du menton.

-« Votre baiser exprimait un amour sincère. »

Je me sens bêtement rougir alors que Saphir baisse les yeux vers le sol, apparemment aussi embarrassée que moi. L’homme sourit avec une espèce de bienveillance que je n’attendais pas et fait un geste de la main dans notre direction.

Les fers à mes chevilles tombent en émettant un cliquetis métallique qui paraît assourdissant dans la pièce silencieuse. Je ne peux retenir un profond soupir de soulagement qui se termine par un petit hoquet de surprise lorsque je pose les yeux sur ma compagne.

Sa peau a repris une couleur normale et ses cornes ont disparu. Je tends la main vers son front, caressant sa peau du bout des doigts, comme si je cherchais une marque quelconque, mais il n’y a rien, comme si les cornes n’avaient jamais existé. Nous serions restées très longtemps comme ça, les yeux dans les yeux, mais le vieillard nous interrompt encore une fois.

-« L’amour est rédempteur. »

Il parle d’une voix égale, énonçant apparemment juste une constatation, mais cette simple phrase nous fait sursauter toutes les deux. C’est Saphir qui reprend ses esprits la première et qui interroge le vieil homme.

-« Quelles sont les conséquences de cette rédemption ? »

Il caresse sa barbe d’un mouvement lent et machinal avant de répondre.

-« Vous allez avoir une deuxième chance, toutes les deux. »

Ma première réaction est la joie, une joie si intense que je dois me retenir pour ne pas danser sur place et pousser des hurlements enthousiastes, mais après quelques secondes, une pensée me traverse l’esprit et me consterne. Toute mon allégresse s’envole en un instant, mais Saphir me devance avant que je ne puisse dire quoi que ce soit.

-« Que va-t-il nous arriver, maintenant ? »

L’homme Désigne le sol de son index.

-« Vous allez retourner sur Terre, pour y vivre une autre vie. »

Cette fois, malgré l’angoisse évidente dans ma voix, je me dépêche de demander.

-« Est-ce que nous allons être séparées ? »

L’homme hoche la tête et ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps.

-« Je ne veux pas ! »

Je prends ma compagne par la main, avant de tourner mon regard vers le vieillard.

-« Je préfère rester en enfer avec elle que d’avoir une autre vie sans elle. »

Le supra, qui n’a rien dit jusque là, ricane.

-« Péché d’égoïsme ! Tu as raison, ta place est parmi nous. »

Ses paroles me pétrifient une seconde, alors que je réalise qu’il a raison. Mais je n’ai pas le temps d’avoir des remords que, déjà, Saphir intervient et prononce avec fermeté.

-« Je suis du même avis. »

Sa main serre la mienne et je me sens tout de suite mieux. Ensemble, nous faisons face au vieil homme.

-« Nous ne voulons pas de deuxième chance. »

C’est ma compagne qui le dit, mais je hoche la tête pour montrer mon assentiment. Le vieil homme a un sourire très doux pour nous répondre.

-« Vous n’avez pas le choix, la décision a déjà été prise. »

Il lève une main, paume tournée vers nous pour nous empêcher de répliquer et poursuit.

-« Vous vous rencontrerez, c’est la seule chose que je peux vous promettre. Le reste dépendra de vous. »

Je sens un sourire énorme apparaître sur mon visage, et quand je regarde ma compagne, je vois qu’elle a du mal à retenir le sien. Elle tend les bras et je viens m’y blottir, oubliant complètement que nous ne sommes pas seules.
Le vieillard nous interrompt d’un raclement de gorge alors que nos fronts sont appuyés l’un contre l’autre et que nos lèvres se rapprochent lentement. Nous revenons brusquement à la réalité et je suis obligée de faire un réel effort pour prêter un peu d’attention à ses propos.

-« Vous devez partir maintenant. Vous allez toutes deux naître de nouveau, vivre une autre enfance, une autre vie. »

Son ton se fait plus sévère et il tend un index menaçant vers nous.

-« Quoi qu’il arrive, ce sera votre dernière chance, alors ne la laissez pas passer ! »

Nous échangeons un regard et je ne peux retenir la question qui me brûle les lèvres.

-« Quand nous retrouverons-nous ? »

Il a un sourire énigmatique.

-« Je ne peux vous le dire. Je peux juste vous promettre que vous vous rencontrerez. »

Je passe une main nerveuse sur ma nuque, les interrogations se bousculent maintenant et je me précipite, effrayée qu’il mette fin à l’entretien avant que je n’aie obtenu quelques réponses.

-« Est-ce que nous nous souviendrons de tout ça ? Nous reconnaîtrons-nous ? »

Le vieillard pousse un petit sourire mais me répond avec patience.

-« Non, vous ne vous souviendrez ni de votre vie précédente, ni du temps passé en enfer. Et vous ne vous reconnaîtrez pas. »

Devant mon air désolé, il s’empresse d’ajouter.

-« Si vous êtes vraiment faites l’une pour l’autre, si vous êtes réellement des âmes sœurs, vous n’aurez pas besoin de ça. »

Il a un geste impérieux pour m’empêcher de poser une autre question et termine :

-« Vous avez une minute pour vous dire au revoir, ensuite vous partirez. »

Et il s’éloigne, retournant près du supra qui n’a pas bougé depuis le début de l’entretien. Je me tourne vers Saphir, elle m’enlace et chuchote au creux de mon oreille.

-« Je te promets que nous nous retrouverons. »

Je souris, je la crois. Nous échangeons un baiser très tendre, et puis c’est le trou noir.

 

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-« C’est une petite fille ! »

J’essaie de me concentrer, je sais que je dois me souvenir de quelque chose, même si je ne sais pas de quoi. Je vois passer l’image de deux yeux très bleus derrière mes paupières.

 Et puis une main frappe violemment mes fesses, je crie, on me dépose sur une poitrine chaude et deux mains me caressent doucement. Je cesse de pleurer et me blottis contre ma maman.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
I
J'ai vivement apprécié l'histoire Gaxé et merci d'avoir bien voulu produire une suite très attendue par tes fans:-)<br /> <br /> Merci Gaxé.<br /> <br /> Isis.
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G
Merci à toutes deux. <br /> Oui, Fryda,c'est un petit clin d'oeil à la série.<br /> <br /> En principe, quand une histoire est terminée, j'ai du mal à revenir dessus. Mais là, on m'a effectivement demandé une suite et, pour une fois, j'ai réussi à la faire. Donc, suite il y aura.
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T
Histoire vraiment agréable à lire. Mais une suite est-elle prévue ? (ce serait sympa de voir comment nos héroïne vont vivre leur nouvelle chance)<br /> Encore bravo
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F
Encore une histoire originale et fort bien écrite, ma Foi :-)<br /> Un clin d'oeil à la fin de la série ?<br /> En tous cas j'ai lu avec plaisir, bravo Gaxé
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