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24 mai 2010

Réparation, chapitre 3

Réparation

CHAPITRE 3

Par Susanne M. Beck (SwordnQuill)

*******

L’après-midi se transforma en soirée plutôt rapidement tandis que j’explorais les lieux, fourrant mon nez partout et embêtant tout le monde.

Comme je le savais depuis le début, mes pérégrinations finirent par m’amener aux écuries et au corral au-delà. Je passai un bon moment à observer un groupe de femmes qui nettoyaient assidûment les stalles, changeaient l’eau et la nourriture, et faisaient tout ce qui était nécessaire pour que les écuries soient prêtes au retour des chevaux.

Puis j’allai vers le corral, grimpai sur la barrière de séparation pour m’asseoir sur un des poteaux et regarder plusieurs femmes faire passer quelques chevaux à la montre. L’une d’elles m’intéressait particulièrement, c’était une femme jeune, blonde et agile qui faisait courir sa belle jument noisette autour de trois tonneaux posés dans l’anneau central du corral. Le cheval et sa cavalière bougeaient en parfaite symétrie, flottant comme de l’eau autour de chaque tonneau tandis que les femmes sur le côté l’encourageaient et poussaient des cris de joie. Une autre femme, large et trapue, lança le poing d’un air triomphant en l’air, un chronomètre bien serré entre sa paume et ses doigts.

Des chapeaux s’envolèrent tandis que la jeune femme se glissait à bas de son cheval, ses bottes faisant voler des nuages de poussière lorsqu’elles touchèrent le sol du désert. Elle fut immédiatement submergée par une foule de spectatrices joyeuses tandis que son cheval était doucement emmené par une des palefrenières.

Quelques instants plus tard, la foule s’écarta et la jeune femme sortit de la masse, en se brossant les vêtements et en remettant son chapeau sur sa tête, lissant le bord d’un geste nonchalant. Elle marcha dans ma direction et s’arrêta à quelques centimètres de la barrière, penchant la tête pour me regarder en souriant. « Salut », dit-elle d’une voix musicale qui me sembla vaguement familière, mais que je n’arrivais pas à replacer.

« Bonjour. Tu es drôlement douée. »

Son visage se colora un peu et elle haussa les épaules tout en mettant les mains dans les poches de son jean. « Ça n’était pas si mal, je pense. Mais il faudra que je fasse bien mieux si je veux avoir une chance au Rodéo de Buckeye. »

« Et bien, tu me sembles fichtrement bonne. Je ne suis probablement pas la meilleure autorité en la matière, cependant. »

Elle rougit à nouveau puis se mit à rire. « Peut-être pas sur la course de tonneaux, mais tu es plutôt bonne pour d’autres choses. »

Je sentis mon regard se plisser. « Pardon ? »

« Tu ne te souviens pas de moi, n’est-ce pas ? »

Je tressaillis. « Non, je ne pense pas. Je suis désolée. »

« Ne sois pas désolée. S’il te plait. Je ne m’attendais pas à ce que tu te souviennes de moi. J’ai beaucoup changé depuis que tu m’as vue la dernière fois, même si ce n’était pas il y a si longtemps. »

Je la regardai mieux. « Très bien. Tu m’as ferrée, là. Tu veux juste que je nage un peu avant que je me laisser attirer ou bien est-ce que tu préfères que je m’accroche pour que tu puisses me remonter ? »

« Désolée. » Son sourire revint, lumineux et blanc. « Je m’appelle Ericka et tu m’as sauvé la vie autrefois. »

« Au Bog ? »

« Ouaip. Mouse et ses copines avaient prévu de m’avoir comme dessert, mais tu t’es assurée qu’elles repartent les mains vides. » Elle secoua la tête, ses longs cheveux blonds bougeant en vagues ambrée derrière elle. « Tu étais stupéfiante. Je n’avais jamais vu une femme se battre comme ça auparavant. C’était… incroyable. »

Ce fut mon tour de rougir et de regarder mes mains tandis que l’admiration dans sa voix me traversait et apportait avec elle, je dois le confesser, une fierté de bonne taille. Je me souvins vaguement de l’incident, comme je me souvenais de ces bagarres il y a longtemps dans le Bog. Il y en avait eu tellement, au bout d’un moment elles avaient tendance à se mélanger en un conflit quasiment sans fin.

Ma fierté ne se trouvait pas tant dans ma capacité à me battre, pour ce qu’elle est, et elle est plutôt bonne, mais plutôt dans le simple fait que j’avais eu l’occasion d’aider tout d’abord. C’était bon de savoir que j’étais une personne que les autres recherchaient pour son aide, tout comme c’était bon de se rappeler ce fait. Surtout maintenant, quand il semblait que tout ce que je pouvais faire, c’était aller chercher l’aide des autres.

« Je ne voulais pas t’embarrasser », dit-elle doucement, en posant la main sur ma cuisse dans un geste doux.

« Tu ne l’as pas fait. C’est juste que… » Je soupirai. « Ce n’est pas important pour l’instant. Je suis contente d’avoir pu t’aider. »

« Je suis contente aussi que tu l’aies fait. Je crois que je n’ai jamais été aussi près de la mort. Aussi rapidement, je veux dire. Je suis morte lentement pendant des années. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Elle haussa à nouveau les épaules. « J’ai été accro à la drogue pendant longtemps. De la cocaïne surtout. Mon arrestation aurait dû me faire réfléchir mais elle ne l’a pas fait. Les drogues étaient plus faciles à obtenir au Bog que dans les rues. » Son rire était sans joie. « Bien sûr, le prix était plus élevé. Et quand j’ai finalement décidé d’arrêter de le payer, et bien… tu as vu le résultat. C’est là que j’ai décidé d’arrêter. D’un seul coup. Ça a été vraiment dur, surtout au début. Mais chaque fois que j’étais tentée de reprendre un peu de coke, je me souvenais de l’expression sur ton visage quand tu es entrée dans cette pièce et que tu as fichu la raclée à ces tarées. Et je me disais que si quelqu’un comme toi s’occupait de quelqu’un comme moi, alors il était peut-être temps que je commence à m’occuper de moi aussi. »

« C’est une histoire merveilleuse. »

« Dont chaque mot est vrai. Tu m’as sauvé la vie de plus d’une façon ce jour-là, Angel. Et je me suis dit que si j’avais l’occasion de te remercier, je le ferais. » Elle me regarda droit dans les yeux, le feu de la sincérité brûlant dans ses yeux noisettes lumineux. « Merci. Je le pense vraiment, du fond du cœur. »

Je sautai du poteau et la pris dans mes bras, et je sentis sa réponse forte et vigoureuse. Je me reculai et lui souris. « A ton service, Ericka. »

Elle rougit à nouveau. « Et bien, en fait, on ne m’appelle plus comme ça. »

« Non ? »

« Nan. Tu vois, quand j’ai entendu dire que tu étais une Amazone, j’ai décidé d’en devenir une moi aussi. Une sorte de béguin de collégienne, je sais, mais c’était comme ça à l’époque. Alors j’ai commencé à m’entrainer pour retrouver la forme, et à trainer avec les autres Amazones. Et ensuite, juste après qu’on t’a relâchée, elles m’ont faite Amazone. » Elle sourit en se montrant. « Je parie que tu peux deviner le nom qu’elles m’ont donné. »

Je reculai d’un pas et la scrutai de la tête aux pieds avec emphase. « Cowgirl, c’est ça ? »

« Du premier coup. »

« Tu parles. Les Amazones », dis-je en ricanant, « il n’y en pas une d’originale dans le lot. »

Son rire et la cloche du dîner résonnèrent en même temps, me faisant un peu sursauter. Elle me toucha l’épaule avec sympathie. « Ça m’a fait ça au début aussi. » Puis elle se jaugea, en secouant la tête. « Bon, je ferais mieux d’aller me nettoyer avant que Montana ne me lance une cinquantaine de jurons bien sentis pour avoir semé de la crasse dans toute la maison à nouveau. On se voit au dîner ? »

« Avec grand plaisir ! » (NdlT : je n’ai trouvé aucune trace d’une Ericka ou Erica dans Rédemption, pas étonnant qu’Angel ne se souvienne pas d’elle, mais vous pouvez vous lancer à sa recherche vous aussi J)

*******

Cette nuit-là, le sommeil m’emporta plus aisément que depuis bien longtemps. La soirée avait passé rapidement et, pour la plus grande partie, de manière plaisante tandis que je passais le temps à échanger des badinages animés avec Cowgirl, Montana et Corinne en ignorant le reste de la table, où Rio tenait sa cour, ses adoratrices scotchées à chacune de ses paroles ou actions.

Que je sois bien fatiguée au moment où il fut temps de partir était une bénédiction en elle-même, et une fois que les lumières furent éteintes et que j’eus envoyé un bonsoir tranquille à ma compagne absente, je me tournai sur le côté, fermai les yeux et ne me souvins plus de rien jusqu’à ce que je me réveille.

Ce qui, malheureusement, sembla être plutôt au milieu de la nuit, à en juger par le manque absolu de lumière en provenance de la fenêtre.

Mon cœur battait à tout rompre, mais pas de peur. Du moins, je ne le pensais pas. Un sentiment plus proche de l’anticipation me traversait le corps, faisant dresser les poils sur mes bras et sur ma nuque. J’avais le sentiment d’être observée, bien que je sache, au-delà de tout doute possible, que j’étais absolument seule.

Etait-ce un rêve ? Quelque cauchemar qui était reparti dans la brume obscure à la seconde où j’avais ouvert les yeux ?

Non. Les cauchemars et moi, nous étions de vieux amis, surtout ces derniers temps. Et ceci ne ressemblait pas au contrecoup de l’une de leurs visites régulières.

Alors quoi ?

Avec précautions, aussi silencieusement que possible, je me mis sur le dos… et je faillis sortir de ma propre peau quand ma joue effleura quelque chose de doux, froid et souple.

Je me tortillai pour m’éloigner et faillis tomber du lit, mon bras tendu quelque part derrière moi pour allumer la lumière. Ma main libre se serra en un poing tandis que je clignais des yeux face à la lumière crue, respirant en saccades rapides par le nez en attendant que mes yeux s’adaptent au changement.

« Par tous les… ? »

Posée sur l’oreiller, totalement dénuée d’épines, était posée une rose rouge sang parfaite.

Je la fixai d’un air idiot pendant un long moment, mon esprit ne saisissant pas ce que mes yeux voyaient.

Comme encore endormie et dans un rêve, je regardai ma main s’avancer lentement, les doigts tendus au possible effleurèrent doucement la tige avant de se rétracter légèrement, comme effrayés d’être mordus. Je les regardai approcher à nouveau de la rose, la prenant cette fois à pleine main et l’attirant jusqu’à ce que la fleur soit directement sous mon nez.

J’inspirai profondément et ne pus empêcher le sourire qui s’étira sur mes lèvres.

« Ice », dis-je dans un soupir tout en prenant une autre inspiration profonde, puis j’effleurai ma joue avec les pétales incroyablement soyeux.

Et je m’arrêtai, brusquement, en réalisant où je me trouvais et ce que je faisais.

Mon cœur se remit à battre à tout rompre.

« Ice ? »

Les yeux grands ouverts, je tendis le cou jusqu’à ce que les vertèbres craquent, scrutant chaque centimètre carré de la chambre à la recherche de la sombre présence de ma compagne.

Mon premier sentiment à l’éveil fut cependant confirmé.

J’étais complètement seule.

L’adrénaline me fit sortir du lit comme une fusée et ma main tournait la poignée de la porte avant que mes pieds ne réalisent qu’ils avaient touché le sol. J’ouvris brusquement la porte en grand et entrai dans le couloir faiblement éclairé, et je faillis percuter Corinne qui remplissait une partie dudit couloir, la tête penchée à un angle bizarre, comme si elle écoutait quelque chose que je ne pouvais entendre.

La quasi-collision ramena l’attention de Corinne sur moi et elle lança un long regard à la rose qui se trouvait toujours dans ma main, avant de porter son regard vers le mien. « Une admiratrice secrète ? » Demanda-t-elle avec un sourire narquois.

« Où est-elle ? »

« Ton admiratrice ? Je suis peut-être douée, Angel, mais pas aussi douée. Pour déterminer où elle se trouve, il faudrait d’abord savoir qui elle est, non ? »

Un murmure rude et à peine retenu depuis la salle de séjour, coupa court à ma réplique et je repoussai Corinne de façon peu amène hors de mon chemin, pour partir à grandes enjambées le long du couloir, me préparant à la vision tant attendue de ma compagne.

Mais ce que je reçus à la place, fut la vision de Montana et Rio face à face ; la première, calme, une feuille de papier blanc dans la main ; la seconde remuant violemment, le visage rouge de rage à peine contrôlée.

« Fais-le, Rio. Tout de suite. Je ne te le demanderai pas deux fois », dit Montana, la voix calme et neutre.

« J’t’emmerde, Montana. Tout allait bien avant que cette pétasse blonde ne vienne ici. »

« Qu’est-ce qui se passe, Montana ? « Dis-je en devinant qu’il s’agissait de moi.

Rio tourna sur elle au son de ma voix, ses yeux noirs brûlant de colère.

Montana tendit la main et fit facilement tourner la femme plus grande qu’elle pour lui faire face. « Tout de suite, Rio. »

Après un long moment, les larges épaules de Rio s’affaissèrent de défaite. « Bien », dit-elle en se libérant de la poigne de Montana. Elle tournoya à nouveau et partit à grands pas vers moi, ses poings serrés sur ses côtés.

Je me préparai pour ce qui allait suivre, incapable, et ne souhaitant pas, reculer face à sa menace dangereuse.

A la dernière seconde, elle partit sur la gauche, me cognant l’épaule du côté de son corps. La rose tomba de ma main à cause de l’impact et, me retournant, je l’observai avec impuissance l’envoyer contre la porte d’un coup de pied, éparpillant les beaux pétales sur le sol avant de l’écraser sous sa botte tandis qu’elle quittait la maison, en claquant la porte derrière elle.

Je me retournai lentement. « Montana ? »

« Je suis désolée, Angel », murmura-t-elle.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Elle s’approcha de moi et me tendit la feuille de papier qu’elle tenait.

C’était un message. Je pus le dire d’un rapide coup d’œil. Non signée, mais ça n’avait pas d’importance, parce que je connaissais l’écriture nerveuse autant que je connaissais le battement de mon cœur.

Si j’étais Cavallo, vous seriez toutes mortes.

Faites-moi encore une fois défaut et vous le souhaiterez.

« C’est Ice qui l’a écrite », dis-je, en énonçant ce qui était évident.

« Oui. Je l’ai trouvée enfoncée dans ma tête de lit avec ceci. » Elle tendit l’autre main et montra un couteau à l’air menaçant, sa lame tranchante luisant méchamment dans la faible lumière.

« Où est-elle ? »

« Partie. » Elle soupira. « Depuis longtemps. »

« Et tu as envoyé Rio la chercher ? »

« Non. Rio est l’une des meilleures, mais même elle ne pourrait pas trouver Ice si elle ne veut pas qu’on la trouve. Rio est en charge de la sécurité ici. Je l’ai envoyée chercher des renforts. »

« Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’elle ne veut pas qu’on la trouve ? Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas restée ? Je ne comprends pas. » Je sentais que ces maudites larmes voulaient à nouveau couler, mais à ce stade, je pense que j’étais trop en colère pour leur donner la satisfaction de me mouiller les joues.

Montana soupira. « Je ne comprends pas non plus, Angel. La seule chose que je comprends vraiment, c’est qu’elle nous teste ; elle teste nos défenses. Et nous avons échoué. Lamentablement. »

« Tu ne peux pas te blâmer pour ça, Montana. C’est d’Ice dont nous parlons, après tout. Je veux dire, elle est… était… est… bon sang, je ne sais plus… un assassin. Ce genre de choses fait partie de ce pour quoi elle était payée, tu te souviens ? »

« Oui, Angel. Je m’en souviens. Mais comment être sûre qu’elle a tort ? Comment être sûre que si nous ne l’avons pas arrêtée, nous pourrions arrêter Cavallo ? Ou, pour autant, n’importe quel abruti ou petit ami jaloux qui viendrait ici pour tout détruire ? » Elle regarda le couteau dans sa main et le fit tourner entre ses doigts plusieurs fois. « Je pensais que nous étions à l’abri de toute menace. Maintenant, je me rends compte de combien cette pensée était idiote. »

« Montana, tu ne peux pas… »

« Si, je peux, Angel. Je peux et je le ferai. La vie de chaque femme ici, y compris toi, est sous ma responsabilité. » Elle me regarda à nouveau, la mâchoire serrée. « J’ai raté ce premier test. Heureusement, nous y avons survécu. Je serais maudite si j’échouais à nouveau. Si tu veux bien m’excuser, j’ai des choses à faire. »

Elle hocha la tête dans notre direction et se tourna brusquement pour disparaître dans le couloir opposé à celui dont je supposais qu’il menait à sa chambre, me laissant avec Corinne fixer sa trace dans un silence choqué.

*******

Je passai la plus grande partie de la journée entre la colère et la douleur, l’espoir et le désespoir. Une partie de moi était si fâchée contre Ice que je voulais l’étrangler, si la possibilité m’en était jamais offerte. Bien que je comprenais du mieux que je pouvais son besoin profond de voir si j’étais en sécurité, je ne pouvais comprendre pourquoi ce besoin venait aux dépens de mon propre besoin de la voir en sécurité, sauve et plus important encore, libre.

Pour autant que j’avais honte d’admettre une telle chose, une partie de moi était heureuse que Rio ait fait tomber la rose de ma main et l’ait écrasée sous le talon de sa botte. Le reste, cependant, passa de longs moments douloureux sur les genoux, à ramasser chaque pétale que je pouvais trouver comme une sorte de lien tangible avec la femme qui tenait mon cœur entre ses mains.

Et comme je savais que le sommeil ne se laisserait pas saisir aussi facilement une seconde fois, j’abandonnai même l’idée d’essayer et prit plutôt une douche avant de me changer, puis d’aller tranquillement à la cuisine, où la préparation des repas avait commencé, pour cette nouvelle journée dont l’aube n’était même pas arrivée.

Y participer fit passer le temps plus vite et avant que je ne le réalise, je me retrouvai jusqu’aux coudes dans la mousse de savon, à nettoyer les fruits de mes travaux matinaux.

Le personnel de la cuisine, du moins pour le petit déjeuner, se composait d’un groupe de femmes plus âgées et plus calmes, qui semblaient bien plus intéressées par le fait de préparer le repas et nettoyer les plats que d’user de l’énergie à cancaner sur qui avait fait quoi à qui, quand, où et combien de fois.

Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de bavardages, non ; mais pas tant que ça.

Après que le dernier plat fut lavé, séché et rangé, je m’échappai des confins soudain devenus trop petits de la maison et entrai dans la journée chaude et éclairée du désert avec un sentiment distinct de soulagement. Je pris une inspiration profonde et vivifiante, et je laissai mes pas m’emporter où ils voulaient, peu surprise de me retrouver à nouveau perchée sur un poteau de la barrière du corral tandis que les chevaux étaient relâchés de leur abri de la nuit.

L’étalon bai, bien sûr, menait la course, et je sentis un petit sourire narquois se former, touchant mon chapeau virtuel pour le saluer d’avoir le rôle en or du seul mâle à des kilomètres. Il hennit et remua la tête vers moi, comme s’il acquiesçait, avant de bondir et de s’éloigner, la plus grande partie du troupeau sur ses pas.

Je le regardai avec plaisir tandis qu’il s’amusait, appréciant la manière dont le soleil tachetait son pelage et faisait ressortir pleinement les muscles épais et noueux de son corps massif. Il me rappelait, plutôt pas mal d’ailleurs, le cheval qu’Ice avait sculpté pour moi à Noël dernier, il y a de cela près d’un an maintenant.

Seigneur, est-ce que ça fait vraiment un an ? Comment est-ce que le temps a pu m’échapper aussi vite ? Comment…

Toute autre pensée dans cette direction larmoyante fut stoppée net lorsque je sentis une légère poussée sur mon genou. Surprise, je faillis perdre l’équilibre mais je le maintins en me rattrapant à la cause de la poussée, ce qui dans le cas précis, se trouva être le museau d’un beau poney gris pommelé, qui sortait en reniflant d’un air indigné mes doigts de ses narines.

Je ne pus m’empêcher de rire (bien que je faillis incidemment perdre à nouveau l’équilibre de ce fait) tandis qu’elle m’évaluait de l’un de ses yeux énorme et sombre avant de baisser la tête pour me pousser à nouveau la jambe, cette fois plus haut sur la cuisse, ses narines fouillant à la recherche d’une friandise.

« Je suis désolée, ma fille », dis-je avec un regret sincère. « Je n’ai rien pour toi. »

Un rire musical résonna près de moi et je levai les yeux pour voir Cowgirl sur un cheval massif, le bord de son Stetson blanc abaissé pour abriter son visage du soleil incessant. « Ne t’inquiète pas pour Cléo, Angel. Elle pense être un chiot. Allons, Cléo, laisse la dame un peu tranquille. Elle n’est pas ton sac de nourriture personnel. »

« C’est bon », répondis-je en grattant le poney entre les yeux. « Ça ne me dérange pas. Elle est plutôt mignonne. »

« Oh ça, pour être mignonne, elle l’est. Continue à t’intéresser à elle comme ça et tu vas te retrouver avec une ombre de

2,50 m

pour le reste de ta vie. »

« Ne t’occupe pas de la dame, Cléo », murmurai-je d’un ton théâtral, en continuant à gratter ma nouvelle amie. « Elle est juste jalouse parce tu n’as d’yeux que pour moi. »

Cowgirl ricana en faisant tourner son cheval en cercles étroits. « Pendant que je travaille pour dépasser mes problèmes de jalousie, est-ce que tu aimerais faire une balade à cheval avec moi ? Il faut que je répare une barrière au fond du corral et j’apprécierais d’avoir de la compagnie. »

Je tressaillis. « Ben, pour autant que j’aime les chevaux, j’ai bien peur de n’être plus montée dessus depuis que j’étais gamine. »

« Pas de problème. Tu n’auras qu’à chevaucher ta nouvelle amie. Elle est plutôt indulgente. »

Je regardai Cléo qui redressa la tête puis me poussa à nouveau.

« Voyez-vous ça ? On dirait bien que je n’ai pas mon mot à dire en tous cas. »

*******

Le soleil était sur le point de se coucher quand je ramenai mon corps fatigué, en sueur et endolori par la selle vers la maison. J’étais épuisée au-delà de tout soupçon, mais aussi plaisamment. La gentille compagnie de Cowgirl avait réussi à tenir mon esprit éloigné de choses plus tristes et sa voix douce qui chantait chanson country après chanson country me faisait rire et fredonner avec elle, bien que, tout comme mon père aimait à le dire, j’étais aussi douée pour le chant qu’une mule de foire.

Je contournai la voiture de Rio, à nouveau garée devant la maison, et je fis un signe rapide de la main à Corinne, allongée au bord de la piscine avec une bande de beautés nues qui répondaient à tous ses caprices. Je souris et secouai la tête à sa chance et ouvris la porte pour entrer dans la maison, pour voir presque exactement la même scène que le matin se répéter, cette fois dans la salle de séjour.

Elles se tournèrent toutes deux à mon entrée mais toute pensée de faire demi-tour et de passer la nuit aux écuries fut effacée lorsque Montana me fit signe d’avancer avec un sourire.

« Je… euh… ne voulais pas vous interrompre. Je vais juste… dans ma chambre pour me laver. »

« Non, c’est bon, Angel. Je suis contente que tu soies rentrée en fait. J’ai des amies… »

Toute parole fut bloquée net lorsque je sentis une main étrangère et un peu brusque serrer fortement mon épaule. Déjà fatiguée et inquiète du regard plein de ressentiment que me lançait Rio, mon corps réagit sans même y penser, faisant ce qu’il avait appris à faire quand il percevait une menace.

Je tendis la main et attrapai celle sur mon épaule, tordis le poignet tout en poussant ma hanche vers la gauche. Avec un mouvement souple et contrôlé, comme on me l’avait si bien appris, je passai le corps derrière le mien par-dessus ma hanche, puis l’enfourchai, tout en regardant férocement l’idiote qui avait osé m’attraper par-derrière comme ça.

Un regard féroce qui se changea rapidement en un regard d’incrédulité choquée lorsque je reconnus la femme que je venais de terrasser.

« Pony ? C’est toi ? »

« Surprise ? » Siffla-t-elle à travers le large et fier sourire qui menaçait de couper son visage en deux.

« Pony ! ! » Criai-je en lui attrapant la main avant de la remettre debout avec une force mue par l’adrénaline. « Comment est-ce que.. ? Où est-ce que tu… ? » Le reste de mes questions balbutiantes fut perdu lorsque je l’attirai dans une étreinte serrée.

Elle émit un profond rire de gorge et me rendit mon étreinte avant de me soulever du sol et de me faire tournoyer, puis de me reposer par terre. « Bon sang, que c’est bon de te revoir, Angel ! ! » Après m’avoir bruyamment embrassée sur les deux joues, elle se recula à courte distance et me jaugea sans pudeur de la tête aux pieds, ses yeux s’appesantissant plus longtemps sur certaines parties. « T’as l’air en forme », dit-elle, en me reluquant.

« Tu n’as pas l’air d’aller si mal non plus, Pony », répondis-je en riant à travers mes larmes.

« Je parie que tu dis ça à toutes tes prétendantes, Angel », entendis-je derrière moi, d’une voix très familière, très aimée et qui m’avait beaucoup manqué.

Abasourdie, je tournai sur moi-même, sentant ma mâchoire qui se décrochait dans le mouvement. « Critter ? »

« Salut, l’Etrangère. » Son sourire était aussi brillant que le soleil d’Arizona et elle ouvrit les bras dans lesquels je me ruai volontiers, sentant son étreinte m’engouffrer tout entière comme la plus chaude des couvertures.

« Je n’y crois pas », dis-je en pleurant comme une gamine. « Je ne peux pas croire que vous soyez là. Comment… ?

« Grâce à Donita et une commission de conditionnelle très choquée », dit-elle, ses yeux à elle également étrangement brillants. « Ils nous ont relâchées ensemble, Pony et moi. Je pense qu’ils sont toujours en train de se demander pourquoi ils ont fait ça. »

« Et Sonny ? »

Son sourire diminua juste un peu. « On espère avoir plus de chance la prochaine fois. On lui manque, mais elle va bien. » Elle eut un sourire narquois. « Elle a trouvé un nouvel amuuuuur . »

Je ris et pris le bras de Pony pour les embrasser toutes les deux dans une nouvelle étreinte, heureuse bien au-delà du possible que ces deux vieilles amies, aimées et chéries, soient à nouveau avec moi, surtout à un moment où j’avais si désespérément besoin d’elles.

Après m’être reculée, je leur lançai un long regard évaluateur à chacune. « Aucune de vous n’a changé d’un poil. Pas un poil ! »

« Ben toi si, bon sang ! » Répliqua Pony, en me poussant le ventre tout en fronçant les sourcils. « Pas que t’étais pas fantastique avant, Angel, mais tu es positivement costaud maintenant ! C’est quoi le truc, femme ? Ice te fait prendre des stéroïdes ou un truc comme ça ? »

Je ris. « Non. Rien de tout ça. J’ai obtenu ces muscles tout à fait honnêtement. »

« Honnêtement ? Qu’est-ce que t’as fait ? On t’a fait soulever des rochers dans ce trou perdu ? »

« Pony ! » Cria Critter en frappant Pony sur le bras.

« Hé ! » Glapit celle-ci en se massant le bras et en fronçant les sourcils vers Critter. « C’est une question sincère ! Quand je lui ai sauvé les fesses la première fois, c’était que la peau sur les os et de la graisse de bébé. Et maintenant elle a plus de muscles que moi ! »

Critter se mit à rire. « Seigneur, Pony. T’es vraiment macho. »

« Tu as un problème avec ça ? » Elle se tourna à nouveau vers moi. « Crache le morceau, Angel. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour avoir le même corps ? »

« Et bien, pour commencer », répondis-je à travers le sourire narquois qui se formait, « tu pourrais construire toi-même ta maison. »

« Mais… » Elle écarquilla les yeux. « Tu as construit ta propre foutue maison ? »

« Et bien, je ne l’ai pas construite moi-même, non. Mais j’ai aidé. Beaucoup. » Je tressaillis au souvenir des muscles étirés, des échardes et des ampoules, et de tout ce qui avait accompagné la construction de notre chalet. Mais ce tressaillement se changea rapidement en sourire quand je me souvins du tendre soin qu’Ice avait pris avec mes blessures et toutes les soirées passées sur le ventre, nue et bienheureuse, tandis que les mains chaudes de ma compagne retiraient habilement chaque point de douleur avec langueur, ou passion, selon ce qu’elle considérait le plus adapté.

Je levai les yeux pour saisir le sourire connaisseur de Critter, sentis la rougeur chauffer mon visage et baissai rapidement le regard pour tenter de retrouver mon sang-froid.

Totalement inconsciente de la situation, Pony me relança. « Je ne peux pas croire que tu as construit toi-même ta maison. »

« Et bien, si. J’ai aussi coupé la quantité nécessaire de bois de forêt, marché partout où je devais aller et nagé deux kilomètres dans le lac, chaque matin et chaque soir de l’été. »

Un silence absolu s’installa tandis que Pony me fixait avec des yeux de la taille de dollars en argent. Après un long moment, elle se couvrit le visage et secoua la tête. « Laisse tomber », marmonna-t-elle à travers ses doigts. « Oublie la question, je vais garder le corps que j’ai. »

Je souris avec une satisfaction absolue et me tournai pour voir Montana qui nous regardait avec une expression indéchiffrable sur le visage. Il n’y avait aucune trace de Rio du tout. « Où est Rio ?»

« Elle est partie. »

« Partie ? » Demanda Pony. « Et elle est allée où, bon sang ? On était supposées passer en revue les mesures de sécurité, merde ! »

« Quelque chose l’a taraudée toute la journée », dit Critter. « Elle n’est pas elle-même en ce moment. Il y a un problème ? »

« Ça fait plus d’une journée », répondit Montana en me lançant un regard significatif.

Et ça, Pony ne le rata pas. Elle tournoya pour me faire face, ses yeux noirs et pénétrants. « Qu’est-ce qui se passe, Angel ? »

« Rien, Pony. On a juste… on s’est pas bien entendues, c’est tout. »

« C’est des conneries. Tu t’entendrais avec le diable lui-même, Angel. Qu’est-ce qui se passe vraiment ? »

Je haussai les épaules. « Je ne sais pas. Il y a visiblement quelque chose à mon sujet qui la hérisse. Je ne sais pas ce que c’est, mais je suis sûre que je peux arranger ça. » Je souris. « Tout le monde ne doit pas m’apprécier, tu sais. »

« Quand je suis dans le coin, si », dit Pony en grondant, les poings serrés.

« Pony, calme-toi », dit Montana. « C’est plus ça maintenant. Tu sais combien elle est fière. Quand je lui ai dit de vous amener ici, Critter et toi, elle s’est fâchée. Elle pense que je mets ses capacités en question. »

« Et elle blâme Angel pour ça ? C’est des conneries totales ! Si elle avait fait son boulot au départ, elle n’aurait pas à s’inquiéter de ça ! »

« Pony… » Ce fut le tour de Critter d’essayer cette fois.

« Oublie, Critter. Je ne sais pas quelle mouche lui a piqué les fesses, mais je vais la lui enlever. Par la gorge. »

« Pony, il y a pas mal de choses… »

« Bien. Elle pourra prendre longuement le temps d’y réfléchir confortablement installée au fond de son lit, quand j’aurais trainé son cul jusque là. »

Alors qu’elle se retournait pour partir en martelant des pieds, je lui attrapai le bras, surprise de la facilité avec laquelle je la fis se tourner vers moi. « J’apprécie beaucoup, Pony, mais s’il te plait, laisse-moi m’en occuper moi-même, d’accord ? Quand tout ça sera calmé, j’irai essayer de lui parler. Tu pourras même venir avec moi et te cacher dans l’ombre si tu veux. Mais s’il te plait… c’est entre Rio et moi. Laisse les choses en l’état pour l’instant, d’accord ? »

Elle fronça les sourcils, visiblement peu prête à abandonner sa colère, mais elle finit par hocher la tête et retira doucement son bras de mon emprise. « Bien. Mais si tu penses que je ne vais pas l’asticoter un max sur la sécurité, il va y avoir un autre problème. Ce n’est pas juste de Cavallo qu’il faut s’inquiéter, tu sais. Il y a une planète pleine de tarés qui adoreraient bombarder cet endroit pour l’effacer de la carte. Si elle ne fait pas bien son boulot, alors elle aura des comptes à me rendre. »

Je lui rendis son signe de tête. « C’est bon. Je présume que c’est pour ça que tu es là, c’est ton travail. »

« Bon sang oui que ça l’est. »

Critter se mit à rire en poussant Pony vers la porte. « Va foutre la trouille à un serpent qu’il en perde son venin, Cujo, tu veux bien ? »

« Bien », dit-elle en ronchonnant, puis elle se retourna et quitta la maison sans un seul mot de plus.

Incapable de m’en empêcher, je mis la tête en arrière et me mis à rire, les bras croisés sur mon estomac. « Seigneur, que vous m’avez manqué, les filles ! »

« Et toi aussi, Angel », répondit Critter, en passant le bras autour de mon épaule tout en m’ébouriffant les cheveux. « Tu nous as manqué aussi. »

*******

« … et le temps de dire ouf, là voilà, cul par-dessus tête, directement dans la fosse septique. L’odeur n’est pas partie pendant des mois ! Elle l’a suivie comme un nuage. »

Je m’affaissai sur les oreillers, terrassée par les rires, sans même m’embêter à essuyer les larmes de gaieté qui coulaient sur mes joues.

« Ouaip », continua Critter, le visage reflétant l’essence même du mot ’narquois’. « La vieille Mousie n’a plus jamais été la même après ça. Je lui ai dit qu’elle finirait par sentir comme de la merde un de ces jours. J’avais raison là aussi. Littéralement. »

Je roulai sur l’estomac et tentai désespérément d’étirer les crampes qui tiraillaient mes muscles abdominaux, déjà endoloris par une journée à cheval et le dur travail physique. « Arrête », dis-je en haletant. « S’il te plait. Tu es en train de me tuer là. »

« Désolée. » Elle ne semblait pas en penser un mot.

Mais elle s’arrêta, ce qui fut un soulagement bienvenu. Lorsque mon hystérie finit par revenir sous contrôle, je me remis sur le dos et sur les coudes, la fixant d’un regard acéré. « Tu es vilaine. »

« Bien sûr que je suis vilaine. »

« Et bien », dis-je en me calmant un peu, « pour autant que vous m’ayez manqué, les filles, ça ne me manque pas de me réveiller le matin en me demandant si quelqu’un comme Mouse ou Derby est en train de m’attendre pour m’arranger le portrait parce que je les ai regardées de travers. » Je secouai la tête et soupirai. « J’aimerais juste ne pas avoir cette impression quand Rio est dans le coin. »

« Ça ne me plait pas non plus, Angel. Je ne suis pas sûre de savoir ce qui se passe chez elle. Rio fait partie de ces gens balaises qui vous fichent une frousse bleue quand vous les regardez, mais elle est vraiment gentille sous tout ça. Du moins, elle l’était. Dieu seul sait ce qui ne va pas avec elle en ce moment. »

« Alors, vous la connaissiez avant ? »

« Oui. Au Bog. Elle est arrivée une année après moi. Elle était déjà énorme, mais ces muscles n’étaient là que pour épater la galerie. Elle n’était pas foutue de se battre pour un sou. »

« Vraiment ? » Demandai-je, trouvant ça difficile à croire.

« Oui. Vraiment. Elle était peut-être forte, mais elle était lente, et foutument maladroite. Les tyrans sont restés à distance au début, à cause de sa taille, mais une fois qu’elles ont découvert qu’elle ne savait pas se battre, elles lui sont tombées dessus comme la misère sur le bon peuple. Ça aurait été plutôt drôle si ça n’était pas aussi triste à voir. »

« Qu’est-ce qui est arrivé ? »

« Ice est arrivée. Elles étaient en train de faire les pires misères à Rio dans la zone de musculation un jour. Quelques-unes la tenaient au sol avec l’haltère qu’elle soulevait contre sa poitrine. Le reste frappait et donnait des coups de pieds, une vraie raclée. Nous, on restait un peu à l’écart parce qu’il nous semblait qu’elle était assez grande pour s’occuper d’elle toute seule, mais à l’évidence, Ice a pensé autrement, parce qu’elle est sortie de la prison et avant qu’aucune de nous ne puisse même penser à bouger, tout était fini. » Son expression d’émerveillement était évidente tandis qu’elle repensait à cet incident. « Deux d’entre elles ont fini à l’hôpital. Le reste… et bien… disons qu’elles n’étaient plus assez en forme pour tyranniser un têtard avant de longs mois. »

Je ricanai doucement. « Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas ? »

Critter sourit. « Je serai surprise du contraire. » Elle changea de position, pour se mettre sur le dos près de moi, nos têtes partageant le même oreiller. « En tous cas, Ice a en quelque sorte pris Rio sous son aile et lui a appris à se battre. Elle s’y est mise comme un canard va à l’eau et avant qu’on ne s’en rende compte, elle utilisait ses muscles pour bien plus qu’impressionner les dames. »

« Est-ce qu’elle a jamais tyrannisé quelqu’un une fois qu’elle a su se battre ? »

« Rio ? Non. Pas du tout. Comme je l’ai dit, elle est aussi douce qu’on peut l’être ; Seigneur ? Tu aurais dû voir cette expression sur son visage quand Ice l’a nommée Amazone. Je pensais qu’elle allait se mettre à pleurer à chaudes larmes devant tout le monde. »

Je ne pus m’empêcher de secouer la tête d’étonnement et d’incrédulité. L’image de Rio que Critter décrivait, était aussi différente de la mienne que mon idée du jour l’est de la nuit. Soudain, une pensée me traversa l’esprit. « Critter, est-ce que Rio et Ice étaient… »

Elle me regarda un long moment. « Tu me demandes si elle étaient amantes ? »

J’acquiesçai de la tête.

Elle plissa le front, mais après un moment, son expression changea quand la compréhension se fit jour. « Tu as peur qu’elle soit jalouse, c’est ça ? »

« Ça expliquerait les choses, oui. Une ex-amante qui doit jouer au taxi pour l’amante actuelle, la trimballant jusqu’en enfer et retour, puis s’entendant dire que ses talents ne sont pas suffisants pour la protéger. » Je haussai les épaules. « Je serais sûrement en colère aussi. »

« Et bien, ça se tiendrait, si c’était le cas. Mais, pour autant que je sache, ça ne l’est pas. Rio idolâtrait le sol sur lequel Ice marchait – bon sang, on le faisait toutes – mais elles n’étaient pas ensemble. Amies, oui. Ensemble, non. »

« Bon, je présume que ça nous ramène à la case départ, alors », dis-je en tapant doucement le matelas.

Critter me prit la main et emmêla nos doigts. « Peut-être qu’elle a juste des problèmes personnels en ce moment, Angel. Peut-être que tout ça arrive juste à un mauvais moment pour elle. Peut-être qu’après que Pony aura arrangé les choses ici, cette discussion dont tu parlais ne sera pas une mauvaise idée. »

« Tu as raison. J’espère juste pouvoir attendre aussi longtemps. »

Elle rit. « Tu es avec Ice depuis combien de temps… sept ans maintenant ? S’il y a une chose que tu as en abondance, Angel, c’est de la patience. »

« Une vertu qui a été méchamment testée ces temps-ci, je te l’assure », dis-je en fronçant les sourcils.

Elle rit à nouveau et roula vers moi pour m’embrasser positivement sur les lèvres, puis elle sauta du lit. « Je vais voir si Pony a besoin de moi, ensuite je pense qu’il sera temps de se coucher. La journée a été longue. Bonne nuit, Angel. »

« Bonne nuit, Critter. »

Elle se dirigea vers la porte avec un geste désinvolte de la main.

« Critter ? »

« Oui ? »

« Merci. »

Elle me fit un sourire un peu impertinent en même temps qu’une demi-courbette. « A ton service, Angel. A ton service. »

*******

Les quelques jours suivants passèrent rapidement et sans incident, tandis que je m’accoutumais à mon nouveau, bien que temporaire, foyer. Je passais la plupart des matinées à la cuisine avec Corinne, apportant mon aide à la préparation du petit déjeuner pour les trente et plus femmes qui résidaient au ranch. C’était le seul vrai moment que nous passions ensemble, alors j’appréciais chaque matin qui me donnait l’occasion d’être avec elle, peu importe le peu de temps passé.

Critter et Pony étaient occupées elles aussi, à renforcer la sécurité du ranch avec Rio. A son crédit, il faut dire que Rio était extrêmement dévouée à son travail, s’y lançant à corps perdu, s’assurant que des erreurs comme celle de la semaine précédente, ne se répèteraient pas pendant son tour de garde.

Je n’avais pas le cœur de lui dire que, vu qu’il s’agissait d’Ice, ces erreurs seraient toujours répétées. Pas que ça avait de l’importance, vraiment. Elle m’aurait sûrement fichu une raclée si je le lui avais dit.

Mais elle semblait plus calme avec Pony autour d’elle, alors j’avais bon espoir pour une réconciliation finale entre nous, si l’occasion en était donnée.

Je passais une bonne partie de la journée au corral, à observer les chevaux, à nourrir et soigner ceux qui en avaient besoin, et je m’occupais en règle générale ainsi que mon esprit face à l’absence de ma compagne, du mieux que je pouvais.

Mon mieux n’étant fréquemment pas suffisant et la douleur dans ma poitrine ne faisait qu’augmenter avec le temps passé sans la voir. Je me retrouvais souvent à lui parler, comme quelqu’un qui aurait perdu un être cher, partageant des bouts de ma journée avec elle, et lui racontant combien elle me manquait.

J’avais aussi développé un rituel du soir. Je sellais ma nouvelle amie équine et me dirigeait vers la partie la plus à l’ouest du corral pour regarder le soleil se coucher par-dessus les montagnes distantes. La vue ne manquait jamais de me couper le souffle et c’était un moment unique de la journée où je me sentais proche d’Ice.

Je versai plus d’une larme pendant ces randonnées solitaires, mais je rentrais toujours à la maison dans une meilleure humeur que j’en étais partie.

Un soir, longtemps après que le soleil fut couché, je m’échappai des confins surchauffés et bruyants de la maison principale, appréciant le calme frais du désert, sentant mon corps se calmer instantanément tandis que la paix de la nuit m’attirait et m’accueillait dans son obscurité.

Je me dirigeais vers les écuries, plusieurs carottes à la main, sachant que la compagnie placide et silencieuse de Cléo était pile dans l’ordonnance du docteur.

Alors que j’entrais dans le confort frais des écuries, humant l’odeur du foin et des chevaux avec un plaisir presque absent, j’entendis un bruit sourd bizarre et rythmé, qui me fit comprendre que je n’étais pas le seul animal à deux pattes dans cet endroit.

Et pourtant, le bâtiment était relativement bien éclairé et les chevaux peu concernés, alors je ne payai pas d’attention particulière aux bruits et avançai plutôt pour répondre à l’accueil anxieux de Cléo, qui pouvait sentir les carottes, d’après ce qu’on disait, depuis un continent de distance. Avec un rhume de cerveau. Dans un ouragan.

Tandis qu’elle se tordait le cou quasiment à se le briser pour pouvoir attraper rapidement les friandises avec ses lèvres, je ne pus m’empêcher de rire à ses pitreries et je la grattai affectueusement et joyeusement entre les yeux.

Lorsqu’elle eut englouti ce que j’avais dans la main, elle poussa ma poitrine et hennit pour en avoir plus. Je ris à nouveau, ravie, et tandis que je repoussais son museau insistant, j’entendis les bruits en provenance de l’arrière de l’écurie s’arrêter.

Un instant plus tard, une ombre longue et large me recouvrit.

Je levai les yeux pour voir Rio qui se tenait près des portes ouvertes, ses yeux noirs luisant de colère, un grand couteau dans la main.

Tandis que je me retournai pour lui faire face, un sourire narquois releva un coin de sa lèvre supérieure. « Bonsoir, blondinette. » Elle lança un regard outré autour d’elle. « Où sont tes petites protectrices ? Vous n’êtes pas toutes reliées par la hanche ? »

Je m’écartai de Cléo et carrai les épaules pour lui faire face. « Qu’est-ce que tu veux, Rio ? » Je pouvais sentir mon corps se raidir mais je le combattis, essayant de rester aussi calme que possible.

Le couteau fit des éclairs tandis qu’elle le maniait. « Ta tête sur un plateau, ça le ferait, pour commencer. »

Bien que je gardai le regard cloué sur elle, dans mon champ de vision, je pouvais voir plusieurs outils qui pourraient servir d’armes si je devais m’en contenter. Cette pensée me calma et détendit mes muscles noués. « Et bien, tu as visiblement apporté le bon outil pour ça. »

Elle regarda le couteau comme si elle venait juste de se rendre compte qu’il était dans sa main. Après un instant, elle le laissa tomber sur le sol. « Je ne pense pas en avoir besoin sur des gens comme toi. »

Je sentis que je haussais les épaules. C’était stupéfiant de voir comme je me sentais calme et concentrée. Bien sûr, entendre la voix basse de ma compagne dans mes pensées, m’aidait aussi incommensurablement. « A toi de décider, je présume. » Alors qu’elle commençait à s’avancer, les poings serrés, je levai la main.

Surprise, elle se figea et me fixa.

« Avant que tu ne commences à me refaire le portrait, j’ai une question. »

Elle plissa les yeux. « T’est dingue ? »

« Peut-être. Mais j’ai quand même une question. »

Elle fonça les sourcils. « Quoi ? »

« Pourquoi ? »

« Pourquoi quoi ? »

« Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu me détestes autant ? J’ai visiblement fait quelque chose pour t’offenser. Je me dis que si tu dois me tailler en pièces, tu pourrais au moins avoir la gentillesse de répondre à ça. »

Elle secoua la tête, sans même réfléchir à la question. « Tu ne comprendrais pas. »

Et elle fonça sur moi, les bras grands ouverts dans une charge à mains nues classique. C’était un mouvement que j’avais vu des centaines de fois déjà. Je dois admettre que j’étais un peu déçue par son manque d’originalité.

Mais je n’avais aucune illusion. Si elle arrivait assez près de moi pour m’enserrer, j’étais partante pour un monde de douleur. Quelqu’un d’aussi grand et en colère que Rio pouvait aisément me tuer, même sans le vouloir. Et même si elle ne le voulait pas, j’étais sûre qu’elle n’aurait aucun scrupule à me rosser tellement que j’en sortirais en souhaitant être morte.

J’attendis qu’elle soit presque sur moi et je me contentai de passer sous un des ses bras étendus, filai à l’écart et me retournai juste à temps pour la voir à peine rater le mur de l’écurie.

« Essaye quand même, Rio », dis-je tandis qu’elle se retournait, le visage tordu dans une grimace de rage. « Je pourrais mieux comprendre que tu ne le penses. »

« Oublie ça, blondinette. » Elle fonça à nouveau sur moi dans une manœuvre plus contrôlée, puis elle balança un de ses longs bras dans un mouvement croisé qui m’aurait sûrement fracassé le crâne si je ne m’étais pas écartée du chemin juste à temps.

Un autre coup de poing, puis un autre, mais je réussis, va savoir comment, à les éviter tous.

Elle était forte et visiblement experte, mais pas du niveau de la femme avec laquelle j’avais pris l’habitude de me mesurer quotidiennement. Ses swings semblaient lents et presque maladroits en comparaison de l’agilité fluide d’Ice.

Et pourtant, je gardai les yeux ouverts et les mains prêtes, pour tenter de mon mieux de parer ce que je ne serais pas assez rapide à éviter.

Puis un énorme pied, suivi d’une jambe de la taille d’un tronc d’arbre, balaya pour frapper pile le centre nerveux de ma cuisse droite. Ma jambe lâcha et je tombai, roulant rapidement sur le sol couvert de paille pour échapper à une volée d’autres coups de pied à venir.

Au moment où j’allais me piéger toute seule dans un coin, son pied glissa et elle faillit tomber, ses bras tournoyant sauvagement pour trouver l’équilibre. Je saisis l’occasion qui se présentait, arrêtai de rouler et me remis rapidement debout, mes doigts raides œuvrant désespérément pour relâcher la crampe qu’elle m’avait causée.

Le couteau brilla à travers la paille sur le sol, mais après une seconde de réflexion, je détournai le regard de cette tentation particulière. Je ne reprendrais plus jamais ce chemin.

Elle vit mon hésitation et bondit, s’avança et me flanqua un coup de pied dans le ventre qui, bien que partiellement bloqué, m’envoya trébucher en arrière sur plus d’un mètre, hoquetant pour retrouver mon souffle. Je touchai le mur, puis rebondis, réussissant à éviter son poing gauche violent vers ma tête ce faisant.

Lorsque le droit suivit, et je savais qu’il le ferait, je levai brusquement les deux mains, l’attrapant au coude tout en utilisant un petit mouvement qu’Ice m’avait appris pour la faire tournoyer loin de moi et dans le mur dont je venais juste de m’éloigner.

Elle le frappa avec une force qui fit trembler les poutres, puis elle se retourna, légèrement étourdie et méchamment hors de souffle.

« Parle-moi, Rio », dis-je en m’éloignant d’elle dans un cercle, avant de reculer vers la partie plus sombre des écuries où il y avait plus d’espace. « Dis-moi pourquoi tu fais ça. »

Elle serra les dents et se repoussa du mur, puis elle donna un coup de pied dans le couteau par terre avant de l’attraper. « Ferme-la et bats-toi, pétasse », gronda-t-elle en s’avançant tout en donnant des coups vers moi avec le couteau.

Je m’éloignai en sautillant. « Je me bats, Rio. Je me bats pour comprendre pourquoi tu fais ça. » J’évitai un autre coup de couteau puis contournai le coin, utilisant la manœuvre pour lui lancer un coup de pied lorsqu’elle vint à ma rencontre.

Bien que je ratai mon objectif premier, le couteau dans sa main, je réussis à lui mettre un bon coup dans les tripes, ce qui me donna quelques précieuses secondes pour me regrouper.

« Ice t’a appris à être une Amazone. Est-ce qu’elle t’a aussi appris à attaquer une femme désarmée sans aucune raison ? »

« Tu ne sais rien de ce qu’elle m’a appris ! »

« Oh, je pense que si », contrai-je, en me déplaçant en cercle. « Parce qu’elle m’a appris les mêmes choses qu’à toi. »

« Tu n’es pas une Amazone ! Tu ne seras jamais une Amazone ! »

« Comment peux-tu dire ça ? Tu ne me connais même pas, Rio. »

Nous continuâmes à tourner l’une autour de l’autre à l’intérieur et hors de la pénombre, le couteau toujours entre nous, et mon regard cloué sur lui.

« Oh, je sais tout sur toi, pétasse. Je sais que tu n’es pas une Amazone. Une Amazone ne suce pas la vie des gens. Une Amazone ne rend pas les gens faibles et mous. »

« Et à qui j’ai fait ça, Rio ? »

« A Ice, merde ! » Hurla-t-elle, le visage rouge de rage. « Tu n’es quand même pas si stupide ! »

« Peut-être que si, parce que je ne comprends toujours pas. »

« Tout est de ta faute, garce. C’est de ta faute si Cavallo est toujours vivant. C’est de ta faute si elle a été arrêtée. Tu l’as rendue faible. Tu l’as rendue molle. » Chaque courte phrase était ponctuée d’un coup de son couteau. « L’Ice que je connais ne jouerait pas à la poupée avec une chatte blonde en laissant les flics lui tomber dessus. L’Ice que je connais n’aurait jamais laissé Cavallo filer après lui avoir posé une arme sur la tête. L’Ice que je connais... »

Le cliquetis résonna bruyamment dans les confins de la grande écurie qui renvoya l’écho. Je me figeai sur place lorsque je vis l’argenté luisant d’un pistolet se matérialiser hors de la pénombre et venir se poser sur la tempe droite de Rio. « Continue, finis ce que tu disais, Rio. » Le ronronnement sombre et velouté de la voix de ma compagne flotta hors de la pénombre, faisant se dresser tous les poils de mon corps presque douloureusement, tandis que mes muscles se contractaient en spasmes par pure réaction animale à sa présence soudaine. « L’Ice que tu connais… quoi ? »

Rio était plus raide que quiconque j’avais jamais vu jusque là. Ses yeux étaient écarquillés et roulaient, et la faible lumière des écuries se reflétait sur les gouttes huileuses de sueur qui se formaient sur son front et sur sa lèvre supérieure. Sa bouche s’ouvrait et se refermait mais seul un souffle sifflant réussit à en sortir. Je pouvais littéralement sentir sa terreur servile, même par-dessus l’odeur forte du foin et des chevaux.

« Continue, Rio. Termine. »

Un autre souffle sifflant lui répondit.

Un rire doux et moqueur s’éleva. « Qu’est-ce qui se passe, Rio ? Le chat t’a mangé la langue ? Tu avais l’air bien il y a une minute. »

« Je… »

« Ice », dis-je doucement, en m’avançant d’un pas. Bien que ça puisse paraître dingue, je me sentais soudain une sorte de sympathie étrange pour la femme qui avait tenté de me tuer quelques instants auparavant. « S’il te plait… »

« Bon, puisque tu n’as pas l’air de vouloir me parler, Rio, peut-être que je vais te parler moi, hm ? » Le pistolet disparut dans l’ombre où se tenait ma compagne, et une main gantée de noir agrippa la chemise de Rio et fit tourner la femme terrifiée pour qu’elle soit face à Ice. « Apparemment tu as oublié quelques petites choses que je t’ai apprises, mon amie. »

« Ice… » Tentai-je à nouveau.

« Règle numéro un. Ne jamais prendre un couteau si on n’a pas l’intention de l’utiliser sur quelqu’un. » Un pied botté jaillit du noir et le couteau vola de la main de Rio, tournoya au-dessus de ma tête et atterrit sur une balle de foin à plusieurs mètres derrière moi.

« Règle numéro deux. Ne jamais menacer une femme innocente. »

Le souffle de Rio sortit de ses poumons dans une explosion de croassement angoissé quand elle se plia en deux au coup de poing d’Ice dans son ventre.

Mais elle fut rapidement redressée.

« Règle numéro trois. » Le rire doux et sombre résonna à nouveau. « Ah oui. Je ne t’ai jamais parlé de la règle numéro trois avant, non ? Peu importe. C’est aussi bien de l’apprendre aujourd’hui, pas vrai ? »

Je pouvais voir son corps immense spasmer tandis qu’elle était rudement secouée.

« Règle numéro trois. C’est la plus simple de toutes, vraiment. Tu touches Angel. Tu meurs. Compris ? »

Rio, silencieuse, fut à nouveau secouée.

« Je t’ai posé une question, Rio. Réponds-moi. »

« Oui », murmura-t-elle. « Je… comprends. »

« Bien. » Il y avait un sourire dans la voix d’Ice mais je savais que c’était un sourire que je ne souhaitais jamais voir. « Bon, on a un petit problème là, non ? Tu as brisé la Règle Numéro Trois et c’est la plus importante de toutes. »

« S’il te plait… » Rio et moi parlâmes en même temps mais Ice continua à nous ignorer.

« Il me semble qu’au lieu de menacer Angel, tu devrais la remercier à genoux, Rio. Parce que si elle ne m’avait pas ‘amollie’, ta cervelle serait étalée partout dans cette écurie. Et je pense que nous le savons toutes les deux, pas vrai ? »

Un autre silence. Une autre secousse brutale.

« Pas vrai ? »

« Ou… oui. »

« Bien. Alors je vais être gentille, mais juste pour cette fois et te laisser utiliser ta carte gratuite ‘sortie de l’Enfer’. Mais assure-toi de ne jamais, jamais même penser à recommencer. Parce que je te le promets, Rio. Tu vas mourir. »

Comme lancée de la gueule d’un gros canon, Rio vola littéralement sur la longueur de l’écurie, atterrissant contre le mur du fond avant de s’effondrer sans connaissance sur le sol.

L’écurie redevint silencieuse et, pendant un très long moment, je craignis qu’Ice ne se soit à nouveau esquivée. Mais pourtant, je pouvais toujours sentir sa présence. Cette sensation étrange, que j’avais toujours quand elle était tout près, persistait, me donnant l’espoir et la force dont j’avais besoin pour faire ces quelques pas et entrer dans la pénombre.

Mais avant que je puisse le faire, elle sortit dans la lumière, enfantée par l’obscurité comme par le démon. Ses yeux clairs brillaient froidement et un nuage d’énergie, aussi sombre que les ombres desquelles elle s’était matérialisée, s’enroula autour d’elle comme un linceul.

Elle était complètement vêtue de noir, ses cheveux tirés en arrière dans une tresse serrée qui faisait ressortir les beaux traits ciselés de son visage.

« Ice ? »

Presque comme tiré des profondeurs d’un cauchemar, son regard s’aiguisa et se concentra sur moi pour la première fois. Et ensuite, devant mes yeux, il sembla s’adoucir tandis qu’elle réalisait que j’étais là. L’énergie crispée et nerveuse qui l’entourait, sembla quelque peu diminuer et un sourire des plus ténus se posa sur ses lèvres. « Salut », dit-elle, la voix à peine plus haute qu’un murmure.

Satan lui-même n’aurait pas pu m’empêcher de courir dans ses bras tendus.

Je m’y engouffrai et m’enroulai autour d’elle comme une étrange pieuvre à quatre membres, respirant son odeur et écoutant le lent battement de son cœur puissant sous mon oreille. « Ne pars pas », murmurai-je, sachant que je la suppliais, mais sans y prêter garde. « S’il te plait, reste. »

Ses longs bras m’enserrèrent, renforçant notre étreinte, et je pus sentir ses lèvres effleurer doucement mes cheveux. Ses côtes s’écartèrent lorsqu’elle prit une profonde inspiration, puis la relâcha et qu’un léger soupir m’ébouriffa les cheveux, réchauffant mon crâne.

Un instant plus tard, je sentis ses muscles se relâcher tandis qu’elle séparait doucement et totalement nos corps. Elle baissa légèrement le menton en me regardant. « S’il te plait », murmurai-je à nouveau, ma main posée sur celle qui couvrait ma joue, « reste. Au moins ce soir. »

L’intensité de son regard dénuda mon âme, me laissant telle une suppliante tremblante face à sa sombre majesté.

Lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur mes lèvres, je sentis un éclair enflammé d’excitation me traverser avec une intensité presque douloureuse, appelant des profondeurs des visions de choses dangereuses et sauvages qui montèrent violemment de leurs antres sombres pour se nourrir du sang des innocents.

Une main gantée se posa sur mon menton et soudain, cette énergie noire et tendue me fut transférée par le contact fulgurant de lèvres chaudes, humides et affamées bougeant contre les miennes, me consumant là où j’étais, me laissant en cendres.

« Reste là. » Sa voix était rauque, éraillée, pleine de désir, lorsqu’elle s’écarta de moi, de nous.

Je n’aurais pas pu bouger même si je l’avais voulu. Mes pieds avaient pris racine et me clouaient au sol poussiéreux. Je la regardai, impuissante, mes doigts effleurant des lèvres qui ne ressentaient rien d’autre que le pouvoir du baiser d’Ice, tandis qu’elle passait de la lumière à l’obscurité et de nouveau à la lumière, marchant d’un pas volontaire vers l’arrière des écuries.

Elle se pencha et releva facilement Rio par l’avant de sa chemise, puis elle se pencha pour murmurer quelque chose dans l’oreille de mon ex-bourreau. Bien que je ne puisse entendre ce qu’elle disait, l’expression de gratitude niaise et pathétique dans les yeux de Rio tandis qu’elle faisait presque la courbette jusqu’au sol en la présence de ma compagne, me donna toute l’information dont j’avais besoin pour cette conversation particulière.

Elle fut renvoyée, trébuchante, des écuries, un bras serré tout contre son ventre. Ice se retourna, ses yeux scrutant rapidement l’intérieur du bâtiment. Un bref sourire passa sur ses lèvres et, avant que je puisse penser bouger, une couverture roulée sortit de l’obscurité, ne manquant ma tête de peu que parce que mes mains étaient dans le trajet.

Je la regardai d’un air idiot pendant un moment et lorsque je levai à nouveau les yeux, Ice avait disparu.

La crainte qu’elle ne soit partie mit fin à la paralysie de ma jambe, mais avant que je puisse faire quelques pas hésitants, elle revint, sur l’étalon bai que j’avais passé tant d’heures à admirer.

Elle le chevauchait à cru, ses jambes puissantes posées légèrement sur chacun de ses côtés musclés, ses longs doigts mêlés à sa crinière noire crépusculaire. Il la portait avec aisance, sans même sourciller au poids sur son dos, comme s’il était né et avait été élevé pour cette raison précise.

Son cou fièrement arqué, il me regardait de haut, ses yeux noirs éclairés par une sorte de connaissance à demi-amusée. Ou peut-être de l’espièglerie. Comme je l’ai dit déjà, ma connaissance des chevaux est plutôt minimaliste.

Il s’avança avec puissance au doux commandement d’Ice, et l’instant d’après, une main gantée me tenait fermement et j’étais soulevée sur son dos avec une aisance qui ne manquait jamais, à ce jour encore, de m’émerveiller et m’exalter à la fois.

« Accroche-toi », ordonna-t-elle d’une voix basse tandis que mes mains s’enroulaient autour de sa taille élancée, le couchage coincé confortablement entre nous.

« Pour toujours », murmurai-je, la joue posée sur son dos tandis qu’elle lançait l’étalon en avant pour sortir de l’écurie.

La porte du corral était ouverte et comme je savais que ce n’était pas le cas quand j’étais entrée dans l’écurie, je soupçonnai que c’était l’une des petites tâches qu’Ice avait demandée à Rio en la poussant dehors. Avec un léger ‘Yah !’, elle nous lança en avant et ma légère étreinte devint une empoignade aux phalanges blanchies pour me maintenir en selle tandis que la terre s’envolait rapidement sous les sabots du cheval au galop.

« Ooooh, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir. Je ne veux pas mourir. Ohhh noooon, je ne veux pas mourir. »

Je pus entendre le rire gronder à travers elle tandis qu’elle serrait plus fort mes mains dans les siennes et laissait l’étalon faire à sa guise. Des mèches légères de cheveux volèrent hors de sa tresse et effleurèrent mon nez et mes joues, me rappelant des moments plus heureux et amenant le calme au plus profond de mon âme.

Je fermai les yeux et enfouis mon visage dans ses cheveux, et je laissai son odeur m’emmener vers l’inconnu.

Quelques instants plus tard – et franchement, j’étais trop terrorisée pour m’inquiéter de savoir combien – le galop frénétique de l’étalon se mua en une marche chaloupée, puis s’arrêta.

Avant que je ne le réalise, je sentis mes bras dénoués de la taille de mon ancre. Puis des mains puissantes me soulèvent et me posèrent doucement au sol à nouveau. J’ouvris difficilement les yeux en tentant de rassembler ce qui restait de mes esprits et regardai alentours, embrassant la beauté de l’endroit isolé qu’Ice avait choisi pour nous.

Et on peut vraiment dire que c’était isolé. Une vue panoramique de 360 degrés qui ne montrait aucun signe de civilisation. On aurait pu être sur la Lune pour ce que j’en voyais.

Avec de la vie quand même. De l’herbe haute et soyeuse au bout plumeux, poussait en abondance sur la large mesa plate sur laquelle je me trouvais. Au-dessus de ma tête, le ciel était une tapisserie immense ornée de pierres précieuses. Sans aucune lumière pour altérer sa splendeur, aucun bâtiment ou arbre haut pour réduire son immensité, il semblait remplir l’univers entier d’une façon que je n’avais jamais vue auparavant, me faisant paraître minuscule et très insignifiante en comparaison.

Un long corps chaud s’enroula autour de moi par-derrière, stoppant mon début de frisson spontané.

Je fus étreinte brièvement puis la couverture me fut doucement enlevée des mains. Tandis que je l’observais en silence, Ice détacha les boucles du couchage puis posa la couverture sur le sol, se mit sur un genou pour la lisser et la maintenir avec quelques cailloux judicieusement posés sur les coins.

Puis elle leva les yeux vers moi, avec un fantôme de sourire au coin de ses lèvres et elle tendit la main. Baigné par la lune, son visage était un mélange curieux de lumière douce et d’ombre ténébreuse, mais ses yeux, clairs et brillants, étaient le seul foyer dont j’avais besoin.

J’allais vers elle, me sentant étrangement innocente, une fiancée le soir de ses noces acceptant l’invitation affectueuse de sa promise.

Une grande main gantée serra fermement la mienne et je sentis un doux baiser sur mes phalanges. Son sourire s’élargit quand elle leva les yeux vers moi, ce sourire en coin qui même aujourd’hui, ne manque jamais de faire s’arrêter mon cœur de battre pour un instant infime et amène toujours un sourire immédiat en réponse sur mes propres lèvres.

« Viens ici », murmura-t-elle, sa voix à peine audible par-dessus le doux sifflement du vent sur les hautes herbes.

Je m’agenouillai, sentant le cuir soyeux de sa main remonter et réchauffer mon bras puis mon côté pour se poser fermement sur ma taille et me retenir.

Je levai les yeux vers elle, ma déesse de la nuit, tandis que la lune l’inondait de sa lumière sacrée par-derrière et créait un halo frémissant autour de son corps. L’expression d’adoration absolue dans ses yeux tandis qu’elle me regardait, me coupa le souffle et la force dans mes muscles.

Le monde cessa d’exister autour de moi. Le temps ne se mesura qu’aux battements de mon cœur. « Je t’aime », dis-je simplement, d’une voix que je savais proche du respect.

Jamais de mots plus vrais ne furent prononcés, de mots chéris ne furent pensés.

« Je sais », me répondit-elle de la même voix.

Nous devinrent un seul être alors, émergeant de l’obscurité de nos êtres séparés pour se fondre à nouveau dans un langage qu’aucune de nous n’avait besoin de parler. Un langage fait d’amour et de passion grandissante. Un langage pour donner et prendre et un langage de connaissance intime. Un langage qui apaisait les douleurs et remplissait jusqu’à en déborder les espaces vides laissés derrière nous.

Nos lèvres se rencontrèrent dans une urgence sensuelle tandis que nos mains se hâtaient sur les boutons et les boucles. Je faillis crier de soulagement quand elle ouvrit ma chemise en l’arrachant dans un déchirement des coutures, qui résonna dans la nuit silencieuse du désert, emporté par les courants du vent qui soufflait doucement.

L’air froid fut remplacé par la chaleur inhumaine des mains de mon amante qui excitaient et stimulaient, les doigts longs, forts et hautement experts passant sur mes seins, encerclant mes tétons avec un abandon impitoyable jusqu’à ce que je ne puisse que crier ma reddition.

Un rire bas emplit l’air nocturne et je me sentis allongée sur le dos tandis que ses lèvres quittaient ma bouche, semant une piste brûlante de désir le long de ma mâchoire, avant de se poser finalement sur la peau sensible de mon cou. J’empoignai la couverture grossièrement tissée sous moi tandis que des dents puissantes se faisaient sentir et qu’une langue pointue dansait sur mon pouls, provoquant des étoiles que les cieux n’avaient jamais vues, qui commencèrent à danser derrière mes paupières serrées.

« Seigneur », haletai-je et je me contorsionnai, impuissante, tandis que ses mains quittaient mes seins pour descendre et retirer mon jean qui faisait obstacle, et que ses dents et sa langue continuaient leur magie sur ma peau frissonnante.

Un instant de panique figea mes mouvements lorsque je sentis son corps quitter le mien, mais lorsque j’ouvris les yeux, une vague brutale et déchaînée d’excitation intense me traversa, plus forte que n’importe quelle marée qui avait jamais été créée des profondeurs d’une mer bouillonnante et écumante.

Une déesse argentée s’agenouilla au-dessus de moi, ses doigts gourds retirant le reste de ses vêtements pour laisser la Lune tracer son corps magnifique d’un toucher possessif d’amante.

Je ne pus empêcher le gémissement qui passa sur mes lèvres sèches tandis que je regardais ses mains passer sur ses seins et son ventre, suivant le chemin sacré de la Lune, me faisant souhaiter de tout mon être avoir le pouvoir de briller sur elle aussi intimement, même pour un instant fugace.

Avec un grognement que je ne me connaissais pas, je me redressai brusquement et entourait sa taille de mes mains, la dérobant de l’étreinte de la Lune pour prendre sa beauté sauvage et primale dans mes bras, là où était sa place.

Je l’entendis doucement gémir tandis que je pinçais et léchais la peau satinée de son ventre ; je sentis ses mains se mêler à mes cheveux tandis que ma langue trouvait sa place dans le puits de son nombril ; je souris contre sa peau quand ses hanches poussèrent doucement vers l’avant dans une réponse reconnaissable à mes attentions.

Incapable d’attendre même le temps d’un battement de mon cœur, je baissai le menton pour tracer des baisers ardents au bas de son ventre, pour trouver son odeur et son goût qui m’avaient tant manqué, dont j’avais tant besoin et que je chérissais tant que des larmes se formèrent aux coins de mes yeux par pure joie de les trouver à nouveau à ma portée.

Et puis, enfin, après avoir tant attendu et désiré, son goût fut enfin sur ma langue. Je gémis de pur bonheur, entendis le doux gémissement en réponse au-dessus de moi tandis que les doigts d’Ice serraient mes cheveux et que ses hanches commençaient un lent et doux balancement qui l’amena encore plus dans ma bouche et me remplit d’une joie indescriptible et poignante.

Mes mains partirent de sa taille pour descendre sur ses hanches et serrer les muscles contractés à l’arrière de ses cuisses. Je pouvais sentir ces muscles trembler sous mes paumes tandis qu’elle tentait de lutter contre la prise combinée de la gravité et de ma bouche.

Je souris légèrement et redoublai d’efforts, pinçant les lèvres en la prenant profondément tandis que ma langue dansait contre elle, lentement et longuement.

Le tremblement dans ses jambes se transforma rapidement en secousses violentes. Ses mains se serraient par réflexe, sa force incroyable m’entrainait tout contre elle et ma langue de plus en plus profondément encore.

Jusqu’à ce qu’elle atteigne le bord et, avec un long gémissement, elle jouit contre ma langue dans une grande vague tremblante qui amena des larmes de joie dans des yeux autrement habitués depuis longtemps à des émotions plus tristes.

Ses jambes lâchèrent et je l’aidai de mon mieux à s’abaisser jusqu’à ce qu’elle soit assise sur ses talons et me regarde avec une expression d’émerveillement à demi-embrumé, ses mains posées sans force sur ses cuisses.

Une sorte de joie étourdie monta de mon ventre et fit se courber mes lèvres dans un large sourire. « Je t’ai eue, non ? » Dis-je, en frottant mes ongles contre sa poitrine pour me moquer.

« Oh que oui », gronda-t-elle, son sourire en coin faisant grandir encore plus le mien. « Oh pour ça oui que tu m’as eue. »

Je ris, un rire joyeux. « Il faudra que je me souvienne de l’écrire, alors. Parce que ce n’est pas si souvent que je… »

Toute autre parole fut avalée tandis qu’une boule d’un mètre quatre-vingts, nue et irradiant la chaleur sexuelle, souda mes lèvres des siennes et me remit à nouveau avec force sur le dos. « Un remboursement n’est que justice, douce Angel », gronda une voix basse dans mon oreille. « Et j’ai bien l’intention de… rendre largement justice. »

Si j’avais eu de la salive, j’aurais dégluti. Mais à la place, je hoquetai, puis gémis lorsqu’une langue traça un chemin autour de mon oreille, suivie rapidement par un léger mordillement qui suçota et s’agita sur mon lobe. Sa main divagua, pour aller de nouveau exciter mes seins, trouvant chaque téton avec une précision infaillible jusqu’à ce que je ne puisse plus me souvenir que de mon nom à cause du feu qu’elle faisait monter du fond de moi. « Est-ce que tu aimes ce jugement, mon Angel ? »

« Oui, je... Seigneur !... Là !... Je…. Oh ! Je l’aime… oh oui, s’il te plait…. Beaucoup… »

Son rire roula en moi. « Bien. »

Mon cœur était le Soleil, brûlant et brillant tandis que ses mains recréaient ses pics et ses vallées, sans jamais s’arrêter, sans jamais s’attarder trop longtemps avant de bouger dans leur quête.

Son corps était la Lune, me baignant de sa radiance magnifique.

Et lorsqu’elle entra enfin en moi, poussant avec une force et une tendresse qui n’appartenaient qu’à elle, je lâchai une prière sanglotante de mercis vers les cieux qui nous avaient donné naissance et l’avaient ramenée à moi, toute entière, toute puissante et toute vivante.

Ma jouissance arriva rapidement sous les œuvres de son toucher expert et connaisseur. La seconde monta avant même que la première ne meurt.

Je voulais plus, je voulais la puissance de son amour et elle me la donna volontiers, sans jamais s’arrêter même après que le second orgasme me laissa sans souffle et tremblante.

Je sentis sa force contre moi tandis qu’elle bougeait pour chevaucher mes cuisses, son souffle chaud et humide sur mes joues mouillées de sueur. « Je t’aime, Angel », murmura-t-elle tout en commençant à se balancer doucement contre moi, créant un rythme entre nos corps. « Tellement, tellement. »

Je tournai la tête et capturai ses lèvres, plongeant mes mains dans l’épaisseur de ses cheveux tandis que notre amour et notre passion montait avec puissance à nouveau. Nos corps, trempés de sueur, glissaient l’un contre l’autre dans une friction délicieuse. Le tissu rugueux de la couverture créait à son tour une friction contre mon dos et mes hanches au rythme des poussées toujours plus puissantes d’Ice.

Une énergie rayonnante passait de l’une à l’autre, nous liant encore plus jusqu’à ce que nos bouches se séparent lorsque le besoin d’air se fit pressant. Ses yeux brillèrent lorsqu’elle se poussa contre moi, de légers grognements énonçant leur propre langage passionné pour les profondeurs de mon âme et au-delà. Ses doigts dansaient en moi tandis qu’elle bougeait, m’invitant à partager ce voyage vers les étoiles avec elle.

« Ensemble ? » Murmurai-je, haletant brusquement tandis que mes muscles se contractaient en rythme, promettant la jouissance que mon âme affamée demandait.

« Toujours », répondit-elle, en me nourrissant de son propre orgasme à travers l’indigo profond de ses yeux.

Nous restâmes figées un long moment, deux statues fusionnées par un lien incassable, jusqu’à ce que, finalement, les paupières d’’Ice battent et se ferment et qu’elle s’effondre sur moi, sa poitrine se soulevant tandis qu’elle reprenait sa respiration.

Tandis que je tentais de ramener moi aussi ma respiration sous contrôle, je tournai la tête et mis le nez dans la peau douce à la jonction de son cou et de son épaule. Je souris légèrement en sentant un frisson courir le long de son corps, puis j’embrassai l’endroit en question, provoquant une secousse plus faible mais tout autant ressentie.

Elle grogna légèrement et s’écarta avant de se tourner, usant de ses bras pour me ramener contre elle, nos poitrines et nos ventres joints. « Ça va ? » Je sentis un doux baiser posé sur mon front, comme une bénédiction.

« Je vais… merveilleusement bien. » Comme elle pouvait le deviner avec le sourire stupide et béat qui ne manquait pas de s’afficher sur mon visage.

« Oh ça oui », dit-elle en riant.

« Tu n’es pas si mal non plus, ma chérie », répliquai-je de mon ton le plus coquin, juste pour entendre à nouveau son rire chatouiller mon oreille.

Je fus récompensée lorsque son rire bas emplit la nuit fraîche, me réchauffant à l’intérieur jusqu’à mes orteils. Malheureusement, on ne pouvait pas en dire autant de l’extérieur. Tandis que le vent passait sur ma peau trempée de sueur, je frissonnai de froid.

« Froid ? » Elle me serra encore plus fort contre elle, m’enveloppant dans sa chaleur.

« Un peu. »

Un long bras se détacha de ma taille et une demi-seconde plus tard, je fus enveloppée dans une des couvertures, blottie comme un bébé dans les bras chauds de sa mère.

« C’est mieux ? »

« Mmmm. Beaucoup mieux. »

« Bien. »

Alors que j’écoutais le battement du cœur de mon amante ralentir, mes paupières s’alourdirent et je me retrouvai dans un endroit rempli de beauté merveilleuse et de paix infinie, un endroit que je ne trouvais que dans la sécurité de l’étreinte d’Ice.

Tandis que je m’enfonçais dans cet endroit, mon esprit vagabonda de pensée en pensée jusqu’à ce que l’une d’elles ne ressorte et me fasse me raidir. « Ice ? »

« Mmm ? » Entendis-je dans un murmure satisfait de la voix endormie de mon amante.

« Je ne peux pas croire que je soies en train de dire ça, mais ne penses-tu pas que nous ferions mieux de rentrer maintenant ? Avant que Montana n’appelle la Garde Nationale, je veux dire ? »

« Me suis occupée de tout. » Je la sentis s’étirer contre moi puis se replacer, nos jambes emmêlées alors qu’elle poussait un profond soupir de satisfaction.

Je mis la tête légèrement en arrière pour la regarder dans les yeux. « Rio ? »

« Rio. »

Je hochai la tête puis me nichai dans son corps chaud, souriant légèrement lorsque je la sentis se poser contre mes cheveux. « Merci, à propos. »

« Pourquoi ? »

« Pour être mon chevalier… heu… en coton noir. »

Elle ricana doucement puis secoua la tête, son menton effleurant légèrement le dessus de mon crâne.

« Tu étais là depuis combien de temps ? »

« Juste avant que tu n’arrives dans les écuries. »

Le choc me traversa et je m’écartai pour la regarder. « Alors pourquoi… ? »

Elle haussa les épaules. « Tu te débrouillais bien. »

Je sentis ma mâchoire béer, comme celle d’un poisson, tandis que je continuais à la fixer. Bien que femme de relativement peu de mots, parfois ceux qu’elle choisissait de prononcer me grandissait de plus de quinze mètres.

Elle eut un léger sourire narquois et leva la main pour me fermer la bouche. « On ne veut pas qu’un scorpion grimpe là-dedans. »

Si quelque menace au monde pouvait briser le charme sous lequel je me trouvais, c’était bien celle-là. Si Ice ne m’avait pas tenue, j’aurais bondi jusqu’à la Lune. Bien que je n’en ai jamais vu de près, ma haine des scorpions était déjà légendaire, au moins pour moi si pour personne d’autre.

Et maintenant, apparemment, pour Ice également. « Ne t’inquiète pas, il n’y en pas dans les parages. »

Je sentis mon regard se plisser. « Comment le sais-tu ? »

« Je le sais, c’est tout », obtins-je en réponse d’une voix douce.

« C’est bon alors. Mais si je me fais piquer sur les fesses, tu sais qui va devoir sucer le poison. »

« A ton service. » Le ton de sa voix me fit penser que peut-être, trouver un tel insecte était soudainement en haut de sa liste de priorités.

Je la serrai fort. « N’y pense même pas. »

Un petit sourire narquois et diabolique fut sa seule réponse.

Je volai un baiser sur ses lèvres et reposai la tête contre son épaule, savourant la douceur de sa peau contre la mienne et l’odeur de notre moment d’amour qui nous entourait. Le contact léger de ses doigts sur mes cheveux tandis qu’elle commençait à me caresser lentement et doucement, provoqua un autre sourire sur mes lèvres. Je savais, sans aucun sentiment de fausse modestie, que j’étais la personne la plus aimée et la plus chérie au monde à ce moment précis.

Un moment que j’espérais voir durer une éternité d’éternité.

Après quelques instants passés en silence, à écouter le léger sifflement du vent sur l’herbe, mon esprit retourna à d’autres choses. Moins plaisantes. Des choses dont il ne fallait surtout pas parler après ce que nous avions partagé – et continuions à partager – mais qui ne voulaient pas partir quand même.

Ice avait dû sentir le changement parce que sa main se figea et elle s’écarta juste assez pour me regarder dans les yeux. « Que se passe-t-il ? »

Je ris pour m’empêcher de pleurer et elle le sut aussi, parce qu’elle plissa le regard et pencha la tête tandis que sa main venait prendre ma joue.

« Ce que Rio a dit dans les écuries », dis-je avec un tremblement dans la voix, « c’était vrai ? Est-ce que je te rends molle ? Faible ? » Je soupirai fortement et baissai les yeux pour éviter son regard. « Tout ça est tellement de ma faute. »

La main sur ma joue s’abaissa pour attraper ma mâchoire et me forcer à lever les yeux. Bien que son toucher restât doux, ses yeux me rappelaient les nuages noirs déferlants qui précédaient une furieuse tempête du milieu de l’été. « Ne dis… plus jamais… ça. »

« Mais… »

« Jamais. Tu m’entends ? » Son corps, rassasié et doux un instant auparavant, était maintenant dur et tendu de colère.

Je la sentis se raidir encore plus, la fureur irradiant littéralement de chaque pore, et tandis que je sentais ses muscles commencer à bouger dans ce que je savais être un prélude à la fuite, je fis la seule chose que mon cœur permettrait. Je me jetai sur elle et la serrai aussi fort que possible. « Je suis désolée », dis-je en sanglotant à demi. « S’il te plait. Ne pars pas. Je suis désolée. S’il te plait. »

Après un long moment de lutte interne intense, elle se détendit un peu sous moi, bien que ses yeux lançaient toujours des éclairs de colère.

« Je suis désolée. Je n’aurais jamais dû dire une telle chose. Je ne sais pas ce qui m’a pris. S’il te plait… »

Après quelques moments de silence, je soupirai et m’écartai d’elle, me réprimandant intérieurement pour avoir choisi le mauvais moment parfait pour oublier de fermer ma grande gueule.

Comme s’il m’approuvait, le vent se mit soudain à souffler plus fort et bien qu’à demi couverte encore par la couverture, ce fut comme si j’étais nue face au monde sans la chaleur vivante de mon amante pressée tout contre moi. Je luttai contre le frisson montant mais il vint tout de même, me rendant encore plus malheureuse que je ne l’étais déjà.

Moins d’une seconde plus tard, j’étais de nouveau enveloppée dans une chaleur merveilleuse tandis qu’elle se redressait derrière moi, me serrant fort et m’attirant contre elle. « Ne doute jamais de mon amour pour toi, Angel. » Le timbre bas de sa voix chantonna en moi, me réchauffant encore plus. « Ne doute jamais de toi-même. Ne doute jamais des cadeaux que tu m’as faits. »

Ses bras se resserrèrent autour de moi. « Tu ne m’as pas rendue plus faible, Angel. Tu m’as rendue plus forte. Tu m’as appris comment avoir à nouveau des sentiments. Et comment aimer à nouveau. » Mon crâne chatouilla du baiser qu’elle y déposa. « Tu es un cadeau sans prix pour moi, Angel. Et quiconque ne le croit pas, ou ne peut l’accepter… peut aller droit en enfer. » Je sentis sa poitrine et son ventre se serrer contre mon dos tandis qu’elle prenait une profonde inspiration, puis la relâchait lentement. « Et s’il le faut, je les y emmènerai moi-même. »

Les larmes coulèrent sur mes joues. « Tu es... incroyable. »

« Tu n’es pas si mal non plus, ma chérie. »

L’imitation était si fichtrement parfaite que mon rire jaillit pleinement, apaisant les dernières douleurs sombres de mon âme.

Je me retournai avec aisance dans le nid de ses bras et pressai mes lèvres contre les siennes dans un baiser de profonde gratitude qui se transforma vite en quelque chose de plus fort et de plus passionné.

Le bruit de rires et de larmes fut lentement remplacé par les doux sons de notre acte d’amour dans la fraîcheur d’une douce nuit dans le désert.

*******

La maison était silencieuse comme une tombe lorsque j’entrai et refermai la porte doucement derrière moi. Je relevai les manches de la chemise trop grande qu’Ice m’avait donnée pour remplacer celle qu’elle avait mise en lambeaux (et je peux vous dire que le bénéfice ajouté de voir Ice chevaucher un étalon sans rien d’autre que son jean et un sourire, remplacèrent largement la destruction d’une chemise autrefois préférée), puis je sortis de mon brouillard de béatitude assez longtemps pour m’interroger sur le silence et je pris le temps de regarder alentours.

Près d’une douzaine de femmes me regardaient depuis leurs canapés et leurs fauteuils dans le séjour enfoncé dans le noir. Les expressions de respect sur certains des visages me firent me tourner brusquement pour regarder derrière moi, me demandant si peut-être Ice avait réfléchi et finalement décidé de passer la nuit ici.

Mais non, la porte restait résolument fermée et j’étais toujours seule sur quelque chose qui ressemblait rapidement à une scène.

Un sifflet perçant secoua le silence surnaturel et lorsque je me retournai à nouveau, je vis Cowgirl qui se mettait debout, un sourire connaisseur et incorrigible sur les lèvres. Elle me fit un clin d’œil et commença à applaudir.

D’autres se levèrent et se joignirent à elle, et bientôt toute la maisonnée fut remplie de sifflements admiratifs, de tonnerre d’applaudissements et de commentaires assez paillards pour m’arracher la peau du visage.

Dans un état d’embarras plus intense que jamais je n’avais vécu, je tournai à nouveau sur moi-même avec l’intention de foncer dehors pour fuir la combustion spontanée qui menaçait de me consumer sur place. Mais je trouvai le chemin obstrué par une Pony à l’expression libidineuse et une Critter souriante qui me fixaient, les bras croisés sur leur poitrine et les pieds bien écartés, me coupant toute possibilité de retraite.

« Ne m’oblige pas à te faire encore du mal, Pony », dis-je dans un demi-grondement tout en repoussant la main qui voulait me faire me retourner pour affronter mon audience, quoi qu’il en soit.

« Oooh. Encore quelques leçons de macho d’Ice, je vois. » Son regard lubrique fut encore plus prononcé lorsqu’elle tenta à nouveau. « C’était avant ou après qu’elle… »

« Pony… » L’avertit Critter en voyant la lueur dans mes yeux.

« Allez, Critter ! C’est pas tous les jours que quelqu’un survit à un combat au couteau avec Rio, part chevaucher au fond du désert pour se faire baiser par Ice, tu sais. Je suis juste en train d’exprimer mon admiration là. »

Critter aboya un rire. « Seigneur, Pony, ce que tu es foutument vulgaire. »

« J’dis les choses comme j’les vois, bébé. »

« Continue à appeler les choses comme ça et tu ne les reverras jamais », dis-je d’un ton d’avertissement les dents serrées.

« Ça suffit ! »

Je me retournai à cause du silence soudain dans la pièce et je vis Montana et Corinne qui marchaient vers moi à grands pas, une expression identique de sérieuse résolution sur le visage. « Tout le monde au lit », ordonna Montana en balayant le groupe de son regard acéré. « Tout de suite. »

Avec juste ce qu’il fallait de protestation, les membres du groupe se séparèrent et partirent dans toute la maison pour retrouver leurs chambres respectives et se coucher pour le reste de la nuit.

« Tu n’as pas des choses à faire ? » Demanda Montana en arrivant près de moi, clouant Pony, toujours à la porte qu’elle gardait, d’un regard pénétrant.

Mon amie pâlit légèrement puis rougit en baissant la tête comme une écolière prise en faute. S’il y avait eu des cailloux sur le sol, je pense qu’elle leur aurait donné un coup de pied. « Si. »

« Alors je te suggère d’y retourner. »

Marmonnant trop doucement pour être compréhensible, elle tourna les talons et prit la fuite toute trouvée que j’avais prévue de prendre un instant auparavant, en refermant rapidement la porte derrière elle.

Corinne parcourut la distance qui nous séparait, prit ma main et m’entraina gentiment dans la maison jusqu’à ma chambre, Montana silencieusement sur nos traces. Une fois que nous fûmes toutes les trois en sécurité dans ma chambre, Corinne me relâcha la main et sourit. « Tu vas bien ? »

« Je ne pensais pas qu’on pouvait mourir d’embarras », dis-je en riant légèrement. « Maintenant, je n’en suis pas trop sûre. » Je me passai la main dans mes cheveux toujours trempés. « Mais oui, je vais bien. »

Elle tendit le bras et me fit une étreinte du genre ‘tour d’épaules’, quelque chose d’inhabituel chez elle. Je levai les yeux lorsqu’elle s’écarta et son regard brillait en touchant le tissu du haut noir que je portais.

Je sentis mon regard s’écarquiller quand je réalisai soudain. Je ne pus m’empêcher de sourire. « Qui pouvait savoir qu’il y avait une telle pile de romantisme chaleureux sous cet extérieur de granite ? » Je blaguai en savourant la rougeur qui se répandit brièvement sur son visage.

J’évitai facilement sa tape moqueuse et tournai la tête pour voir que Montana m’étudiait avec attention. Je sentis ma propre rougeur monter et je remerciai Dieu que la chemise que je portais, vu son col haut, couvrit ce qui était, sans aucun doute possible, une multitude de péchés.

« Tu es sûre que tu vas bien ? » Demanda-t-elle.

« Plutôt bien, oui. Il y a une raison pour que tu demandes ça ? »

« Tu veux porter plainte ? »

Je sentis ma tête se pencher pour la regarder. « Pour s’être moqué de moi ? Je ne pense pas qu’on arrête les gens pour avoir été embarrassants. On peut ? »

« Je parlais de Rio », répondit-elle avec un air de patience agacée.

« Oh. Rio. » Je sentis le dessus de mon nez se plisser de dégoût. Et pourtant… « Hum… je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense qu’elle a plutôt bien appris sa leçon, non ? »

« Il ne s’agit pas d’apprendre des leçons, Angel. Elle t’a attaquée avec un couteau. Elle aurait pu te tuer. »

« Elle aurait pu, oui. Mais elle ne l’a pas fait. »

« Tu es encore à côté de la plaque. »

Je levai la main pour la faire taire et me laissai tomber avec lassitude sur le lit. « Non, je ne crois pas, Montana. Je comprends ton point de vue. Et ton inquiétude. Crois-moi, je comprends. C’est juste que… » Je joignis mes doigts en pointe et soupirai, puis je la regardai. « Je pense que les gens ont droit à une seconde chance. Elle a commis une erreur, et je sais que c’en était une grosse. Mais c’était une erreur, c’est tout. A la fin, elle a réalisé son erreur et personne n’a été blessé. »

Corinne ricana. « De ce que j’en ai compris, Angel, Rio n’a pas vraiment ‘réalisé’ son erreur toute seule. Elle a été rossée pour ça. »

« Elle n’a pas… » Je soupirai à nouveau. « Ice était très en colère. »

« Et elle avait tous les droits de l’être, merde », grogna Corinne.

Je levai les yeux, surprise. Jurer n’était pas dans ses habitudes. Tout comme grogner.

« Quoi ? Elle a eu de la chance que ce soit Ice qui s’interpose. Si ça avait été moi, je l’aurais tuée. Et après j’aurais posé des questions. »

Je souris légèrement et tendis la main pour prendre la sienne, en la pressant affectueusement. « Alors non, Montana. Je ne veux pas porter plainte. Je pense que quelque soit son crime, elle a plus que payé pour ça déjà. »

Après m’avoir fixée rudement pendant un long moment de silence tendu, Montana finit par hocher la tête. « Bien. Je vais lui demander de faire ses bagages et d’être partie au coucher du soleil. » Puis elle se tourna pour partir.

« Non ! Attends. Montana, ce n’est pas nécessaire, si ? »

Elle se retourna vers moi, un voile profond de regret dans ses yeux. « Rio a brisé chaque serment qu’elle a fait, Angel. Elle a tourné le nom d’Amazone en dérision. Ce n’est pas une chose que je peux laisser passer, peu importe combien je le souhaiterais. »

Corinne, près de moi, semblait pensive. « Peut-être pourrais-tu l’exclure mais tout en lui permettant de réparer pour pouvoir regagner son statut dans le groupe ? »

Montana fronça légèrement les sourcils, mais après un instant, son expression s’apaisa. « Tu m’as donné de quoi réfléchir, Corinne. Je ferai connaître ma décision demain matin à tout le monde. » Elle me regarda et sourit légèrement. « Je suis contente que tu n’aies pas été blessée, Angel. Tu es une personne très spéciale. »

« Merci », répondis-je en lui rendant son sourire. « Tu es très spéciale aussi. »

Aussitôt que la porte se ferma doucement derrière elle, je poussai un profond soupir que j’avais retenu et me laissai retomber sur le lit, mes pieds toujours fermement posés au sol, mes bras ballants. « Seigneur. Quel bazar. »

« Ça aurait pu être pire », fit observer Corinne, en venant s’asseoir près de moi tout en repoussant un de mes bras.

« C’est vrai. Je pourrais être morte, allongée dans un tas de crottin juste maintenant. »

Elle rit doucement et me prit la main pour la tapoter. De sa main libre, elle tira à nouveau sur la chemise noire à manches longues que je portais, frottant le tissu entre ses doigts. « Alors... elle était comment ? »

« Corinne ! » Mon choc, bien entendu, était feint. C’était Corinne après tout.

« Qui est-ce qui a l’esprit mal tourné maintenant, hmmm ? » Son sourire était sans merci. « Je voulais juste savoir comment elle allait, Angel. Pas ce qu’elle aime au lit. J’ai une plutôt bonne idée de ça déjà. »

Je me couvris le visage en gémissant, sentant l’embarras chauffer mes paumes. « C’est la soirée ‘Tuez la Blonde’ et quelqu’un a oublié de me prévenir ? » Pour autant que les gémissements plaintifs existent, celui-ci en était un plutôt bon, si je puis m’exprimer ainsi.

Elle rit puis m’ébouriffa les cheveux de ses doigts. « Alors ? »

« Elle va… bien. Je pense que ces mois passés en prison l’ont affectée plus qu’elle ne veut le laisser paraître – elle a perdu un peu de poids – mais autrement, elle va bien. »

« Maintenant, raconte-moi quelque chose que je ne sais pas », me taquina-t-elle.

Je retirai mes mains de devant mon visage et soupirai. C’en était terminé de l’idée de me blottir sous les couvertures et de laisser les souvenirs de la nuit merveilleuse que je venais juste de passer avec Ice me bercer jusqu’au sommeil. Je roulai sur le côté et tentai une tactique de diversion. « On n’a pas vraiment passé beaucoup de temps à parler, Corinne. »

« Bien manœuvré, Angel. Et je suis censée avaler cette pile d’engrais que tu essaies de me vendre. Si ça venait de quelqu’un d’autre… Allez, crache le morceau. »

« Ça ne peut pas attendre demain matin ? S’il te plait ? Je suis épuisée. » Peut-être que par les sentiments, ça marcherait.

« Je parie bien que tu l’es, ma chérie. » Nan. Ça n’avait pas marché.

« Bien », dis-je en roulant sur le dos. « Qu’est-ce que tu veux savoir au juste. »

« Tout ce que tu sais, bien sûr. »

Je secouai la tête en riant et la fixai. « C’est tout ? »

« Plutôt, oui. »

Alors je lui dis tout ce que je savais, ce qui, bien entendu, n’était pas grand-chose. Je lui expliquai comment, selon Ice, Cavallo était un petit rouage dans une très grande roue. Les rayons de cette roue étaient faits de corruption, de projets de dessous-de-table, de blanchissement d’argent, de corruption de jurés et autres crimes du genre tous situés dans le bras judiciaire du gouvernement. Non seulement Cavallo participait lui-même à de nombreuses, sinon à toutes les activités criminelles concernées, il était aussi, selon les dires, en possession d’une liste très importante. Une liste qui contenait les noms de nombre de ses co-conspirateurs, certains sur lesquels il pratiquait ses propres extorsions en paiement de son silence sur ces choses.

Une commission d’enquête très spéciale et très secrète, composée de membres de la bureaucratie gouvernementale, était très intéressée par ce que Cavallo savait. Très intéressée. Et ils se disaient que s’ils pouvaient juste avoir prise sur lui, ils pourraient le faire craquer.

« Ça ne me semble pas très plausible. Ils ont déjà eu leur chance. Il n’a pas craqué. »

« Oh, mais si, il a craqué, Corinne. Ice dit qu’il a chanté comme un canari. »

« Alors pourquoi… »

« Il était sous l’influence de drogues à ce moment-là. On venait de retirer huit balles de son corps, tu te souviens ? »

« Aah oui, maintenant que tu le dis. »

« Alors, ses déclarations ont été jugées inadmissibles en tant que preuves et le temps qu’ils puissent réessayer, son avocat l’avait ligoté et bâillonné et tout fut terminé. »

« Bon, s’ils le veulent autant, pourquoi ils ne lèvent pas leur cul graisseux pour aller le chercher eux-mêmes ? »

« Crois-moi, Corinne, j’ai posé cette question au moins dix fois moi aussi. »

« Et ? »

Je haussai les épaules. « Ice présume que c’est parce qu’ils ne savent plus qui sont les gentils. Ce n’est pas la raison qu’ils lui ont donnée mais c’est la seule qu’elle pense vraie. »

« Ils ne font même pas confiance à leurs pairs ? » Les yeux de Corinne étaient arrondis d’incrédulité derrière ses verres.

« Ça fait réfléchir, hein ? »

Elle secoua la tête. « Et c’est nous qu’on appelle les criminels. »

Je ris doucement, bien qu’en vérité, la situation fût aussi loin d’être drôle.

« Alors, ils ont proposé à Ice un marché qu’elle ne peut pas refuser et ils l’ont installée comme un petit agneau sacrificiel bien appétissant. »

« En gros c’est ça, oui. »

« Et si elle devait échouer… »

Une boule de plomb s’installa dans mon estomac. Echouer était inscrit en premier sur ma liste des choses qu’il ne fallait même pas envisager.

Corinne me fixa avec des yeux remplis de compassion. « Oublie ce que je viens de dire. »

Je hochai la tête et lui fis un sourire reconnaissant, repoussant la notion dans les tréfonds les plus lointains de mon esprit, où elle trainerait, j’en étais sûre, en attendant de sortir dans les cauchemars, chacun d’eux pire que le précédent jusqu’à ce qu’une sueur froide devienne ma compagne nocturne.

Corinne pressa ma main une dernière fois et se leva en me souriant. « Merci d’avoir cédé à ma curiosité rampante, Angel. Je te laisse à tes rêves. Qu’ils soient beaux. »

« Merci, Corinne. Les tiens aussi. »

Son sourire doux prit une note concupiscente. « Vivre dans une maison entourée d’une volée de belles nageuses nues, comment pourrait-il en être autrement ? »

Tandis qu’elle refermait doucement la porte sur mon rire, je me levai avec difficulté du lit et allai à la fenêtre, je tirai les rideaux lourds suffisamment pour regarder dans la nuit sombre du désert. « Merci », murmurai-je avant de retourner me glisser sous les couvertures, laissant l’odeur de mon amante toujours sur la chemise que je portais, me bercer dans l’endroit où les rêves étaient nés.

Et ils furent beaux.

*******

A suivre – Chapitre 4

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Commentaires
I
Des retrouvailles brûlantes!...Merci fryda lol<br /> <br /> Isis.
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C
Magnifique chapitre, j'ai tout dévoré et adoré. Merci :)
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G
Un excellent chapitre que j'ai beaucoup aimé. Encore une fois, merci Fryda.
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