Réparation, chapitre 3
Réparation
CHAPITRE 3
Par
Susanne M. Beck (SwordnQuill)
*******
L’après-midi
se transforma en soirée plutôt rapidement tandis que j’explorais les lieux,
fourrant mon nez partout et embêtant tout le monde.
Comme
je le savais depuis le début, mes pérégrinations finirent par m’amener aux
écuries et au corral au-delà. Je passai un bon moment à observer un groupe de
femmes qui nettoyaient assidûment les stalles, changeaient l’eau et la
nourriture, et faisaient tout ce qui était nécessaire pour que les écuries soient
prêtes au retour des chevaux.
Puis
j’allai vers le corral, grimpai sur la barrière de séparation pour m’asseoir
sur un des poteaux et regarder plusieurs femmes faire passer quelques chevaux à
la montre. L’une d’elles m’intéressait particulièrement, c’était une femme
jeune, blonde et agile qui faisait courir sa belle jument noisette autour de
trois tonneaux posés dans l’anneau central du corral. Le cheval et sa cavalière
bougeaient en parfaite symétrie, flottant comme de l’eau autour de chaque
tonneau tandis que les femmes sur le côté l’encourageaient et poussaient des
cris de joie. Une autre femme, large et trapue, lança le poing d’un air
triomphant en l’air, un chronomètre bien serré entre sa paume et ses doigts.
Des
chapeaux s’envolèrent tandis que la jeune femme se glissait à bas de son
cheval, ses bottes faisant voler des nuages de poussière lorsqu’elles
touchèrent le sol du désert. Elle fut immédiatement submergée par une foule de
spectatrices joyeuses tandis que son cheval était doucement emmené par une des
palefrenières.
Quelques
instants plus tard, la foule s’écarta et la jeune femme sortit de la masse, en
se brossant les vêtements et en remettant son chapeau sur sa tête, lissant le
bord d’un geste nonchalant. Elle marcha dans ma direction et s’arrêta à
quelques centimètres de la barrière, penchant la tête pour me regarder en
souriant. « Salut », dit-elle d’une voix musicale qui me sembla vaguement
familière, mais que je n’arrivais pas à replacer.
« Bonjour.
Tu es drôlement douée. »
Son
visage se colora un peu et elle haussa les épaules tout en mettant les mains
dans les poches de son jean. « Ça n’était pas si mal, je pense. Mais il
faudra que je fasse bien mieux si je veux avoir une chance au Rodéo de
Buckeye. »
« Et
bien, tu me sembles fichtrement bonne. Je ne suis probablement pas la meilleure
autorité en la matière, cependant. »
Elle
rougit à nouveau puis se mit à rire. « Peut-être pas sur la course de
tonneaux, mais tu es plutôt bonne pour d’autres choses. »
Je
sentis mon regard se plisser. « Pardon ? »
« Tu
ne te souviens pas de moi, n’est-ce pas ? »
Je
tressaillis. « Non, je ne pense pas. Je suis désolée. »
« Ne
sois pas désolée. S’il te plait. Je ne m’attendais pas à ce que tu te
souviennes de moi. J’ai beaucoup changé depuis que tu m’as vue la dernière
fois, même si ce n’était pas il y a si longtemps. »
Je
la regardai mieux. « Très bien. Tu m’as ferrée, là. Tu veux juste que je
nage un peu avant que je me laisser attirer ou bien est-ce que tu préfères que
je m’accroche pour que tu puisses me remonter ? »
« Désolée. »
Son sourire revint, lumineux et blanc. « Je m’appelle Ericka et tu m’as
sauvé la vie autrefois. »
« Au
Bog ? »
« Ouaip.
Mouse et ses copines avaient prévu de m’avoir comme dessert, mais tu t’es
assurée qu’elles repartent les mains vides. » Elle secoua la tête, ses
longs cheveux blonds bougeant en vagues ambrée derrière elle. « Tu étais
stupéfiante. Je n’avais jamais vu une femme se battre comme ça auparavant.
C’était… incroyable. »
Ce
fut mon tour de rougir et de regarder mes mains tandis que l’admiration dans sa
voix me traversait et apportait avec elle, je dois le confesser, une fierté de
bonne taille. Je me souvins vaguement de l’incident, comme je me souvenais de
ces bagarres il y a longtemps dans le Bog. Il y en avait eu tellement, au bout
d’un moment elles avaient tendance à se mélanger en un conflit quasiment sans
fin.
Ma
fierté ne se trouvait pas tant dans ma capacité à me battre, pour ce qu’elle
est, et elle est plutôt bonne, mais plutôt dans le simple fait que j’avais eu
l’occasion d’aider tout d’abord. C’était bon de savoir que j’étais une personne
que les autres recherchaient pour son aide, tout comme c’était bon de se
rappeler ce fait. Surtout maintenant, quand il semblait que tout ce que je
pouvais faire, c’était aller chercher l’aide des autres.
« Je
ne voulais pas t’embarrasser », dit-elle doucement, en posant la main sur
ma cuisse dans un geste doux.
« Tu
ne l’as pas fait. C’est juste que… » Je soupirai. « Ce n’est pas
important pour l’instant. Je suis contente d’avoir pu t’aider. »
« Je
suis contente aussi que tu l’aies fait. Je crois que je n’ai jamais été aussi
près de la mort. Aussi rapidement, je veux dire. Je suis morte lentement
pendant des années. »
« Qu’est-ce
que tu veux dire ? »
Elle
haussa à nouveau les épaules. « J’ai été accro à la drogue pendant
longtemps. De la cocaïne surtout. Mon arrestation aurait dû me faire réfléchir
mais elle ne l’a pas fait. Les drogues étaient plus faciles à obtenir au Bog
que dans les rues. » Son rire était sans joie. « Bien sûr, le prix
était plus élevé. Et quand j’ai finalement décidé d’arrêter de le payer, et
bien… tu as vu le résultat. C’est là que j’ai décidé d’arrêter. D’un seul coup.
Ça a été vraiment dur, surtout au début. Mais chaque fois que j’étais tentée de
reprendre un peu de coke, je me souvenais de l’expression sur ton visage quand
tu es entrée dans cette pièce et que tu as fichu la raclée à ces tarées. Et je
me disais que si quelqu’un comme toi s’occupait de quelqu’un comme moi, alors
il était peut-être temps que je commence à m’occuper de moi aussi. »
« C’est
une histoire merveilleuse. »
« Dont
chaque mot est vrai. Tu m’as sauvé la vie de plus d’une façon ce jour-là,
Angel. Et je me suis dit que si j’avais l’occasion de te remercier, je le
ferais. » Elle me regarda droit dans les yeux, le feu de la sincérité
brûlant dans ses yeux noisettes lumineux. « Merci. Je le pense vraiment,
du fond du cœur. »
Je
sautai du poteau et la pris dans mes bras, et je sentis sa réponse forte et
vigoureuse. Je me reculai et lui souris. « A ton service, Ericka. »
Elle
rougit à nouveau. « Et bien, en fait, on ne m’appelle plus comme
ça. »
« Non ? »
« Nan.
Tu vois, quand j’ai entendu dire que tu étais une Amazone, j’ai décidé d’en
devenir une moi aussi. Une sorte de béguin de collégienne, je sais, mais
c’était comme ça à l’époque. Alors j’ai commencé à m’entrainer pour retrouver
la forme, et à trainer avec les autres Amazones. Et ensuite, juste après qu’on
t’a relâchée, elles m’ont faite Amazone. » Elle sourit en se montrant.
« Je parie que tu peux deviner le nom qu’elles m’ont donné. »
Je
reculai d’un pas et la scrutai de la tête aux pieds avec emphase.
« Cowgirl, c’est ça ? »
« Du
premier coup. »
« Tu
parles. Les Amazones », dis-je en ricanant, « il n’y en pas une
d’originale dans le lot. »
Son
rire et la cloche du dîner résonnèrent en même temps, me faisant un peu
sursauter. Elle me toucha l’épaule avec sympathie. « Ça m’a fait ça au
début aussi. » Puis elle se jaugea, en secouant la tête. « Bon, je
ferais mieux d’aller me nettoyer avant que Montana ne me lance une cinquantaine
de jurons bien sentis pour avoir semé de la crasse dans toute la maison à
nouveau. On se voit au dîner ? »
« Avec
grand plaisir ! » (NdlT :
je n’ai trouvé aucune trace d’une Ericka ou Erica dans Rédemption, pas étonnant
qu’Angel ne se souvienne pas d’elle, mais vous pouvez vous lancer à sa
recherche vous aussi J)
*******
Cette
nuit-là, le sommeil m’emporta plus aisément que depuis bien longtemps. La
soirée avait passé rapidement et, pour la plus grande partie, de manière
plaisante tandis que je passais le temps à échanger des badinages animés avec
Cowgirl, Montana et Corinne en ignorant le reste de la table, où Rio tenait sa
cour, ses adoratrices scotchées à chacune de ses paroles ou actions.
Que
je sois bien fatiguée au moment où il fut temps de partir était une bénédiction
en elle-même, et une fois que les lumières furent éteintes et que j’eus envoyé
un bonsoir tranquille à ma compagne absente, je me tournai sur le côté, fermai
les yeux et ne me souvins plus de rien jusqu’à ce que je me réveille.
Ce
qui, malheureusement, sembla être plutôt au milieu de la nuit, à en juger par
le manque absolu de lumière en provenance de la fenêtre.
Mon
cœur battait à tout rompre, mais pas de peur. Du moins, je ne le pensais pas.
Un sentiment plus proche de l’anticipation me traversait le corps, faisant
dresser les poils sur mes bras et sur ma nuque. J’avais le sentiment d’être
observée, bien que je sache, au-delà de tout doute possible, que j’étais
absolument seule.
Etait-ce
un rêve ? Quelque cauchemar qui était reparti dans la brume obscure à la
seconde où j’avais ouvert les yeux ?
Non.
Les cauchemars et moi, nous étions de vieux amis, surtout ces derniers temps.
Et ceci ne ressemblait pas au contrecoup de l’une de leurs visites régulières.
Alors
quoi ?
Avec
précautions, aussi silencieusement que possible, je me mis sur le dos… et je
faillis sortir de ma propre peau quand ma joue effleura quelque chose de doux,
froid et souple.
Je
me tortillai pour m’éloigner et faillis tomber du lit, mon bras tendu quelque
part derrière moi pour allumer la lumière. Ma main libre se serra en un poing
tandis que je clignais des yeux face à la lumière crue, respirant en saccades
rapides par le nez en attendant que mes yeux s’adaptent au changement.
« Par
tous les… ? »
Posée
sur l’oreiller, totalement dénuée d’épines, était posée une rose rouge sang
parfaite.
Je
la fixai d’un air idiot pendant un long moment, mon esprit ne saisissant pas ce
que mes yeux voyaient.
Comme
encore endormie et dans un rêve, je regardai ma main s’avancer lentement, les
doigts tendus au possible effleurèrent doucement la tige avant de se rétracter
légèrement, comme effrayés d’être mordus. Je les regardai approcher à nouveau
de la rose, la prenant cette fois à pleine main et l’attirant jusqu’à ce que la
fleur soit directement sous mon nez.
J’inspirai
profondément et ne pus empêcher le sourire qui s’étira sur mes lèvres.
« Ice »,
dis-je dans un soupir tout en prenant une autre inspiration profonde, puis
j’effleurai ma joue avec les pétales incroyablement soyeux.
Et
je m’arrêtai, brusquement, en réalisant où je me trouvais et ce que je faisais.
Mon
cœur se remit à battre à tout rompre.
« Ice ? »
Les
yeux grands ouverts, je tendis le cou jusqu’à ce que les vertèbres craquent,
scrutant chaque centimètre carré de la chambre à la recherche de la sombre
présence de ma compagne.
Mon
premier sentiment à l’éveil fut cependant confirmé.
J’étais
complètement seule.
L’adrénaline
me fit sortir du lit comme une fusée et ma main tournait la poignée de la porte
avant que mes pieds ne réalisent qu’ils avaient touché le sol. J’ouvris
brusquement la porte en grand et entrai dans le couloir faiblement éclairé, et
je faillis percuter Corinne qui remplissait une partie dudit couloir, la tête
penchée à un angle bizarre, comme si elle écoutait quelque chose que je ne
pouvais entendre.
La
quasi-collision ramena l’attention de Corinne sur moi et elle lança un long
regard à la rose qui se trouvait toujours dans ma main, avant de porter son
regard vers le mien. « Une admiratrice secrète ? »
Demanda-t-elle avec un sourire narquois.
« Où
est-elle ? »
« Ton
admiratrice ? Je suis peut-être douée, Angel, mais pas aussi douée. Pour déterminer où elle se
trouve, il faudrait d’abord savoir qui
elle est, non ? »
Un
murmure rude et à peine retenu depuis la salle de séjour, coupa court à ma
réplique et je repoussai Corinne de façon peu amène hors de mon chemin, pour
partir à grandes enjambées le long du couloir, me préparant à la vision tant
attendue de ma compagne.
Mais
ce que je reçus à la place, fut la vision de Montana et Rio face à face ;
la première, calme, une feuille de papier blanc dans la main ; la seconde
remuant violemment, le visage rouge de rage à peine contrôlée.
« Fais-le,
Rio. Tout de suite. Je ne te le demanderai pas deux fois », dit Montana,
la voix calme et neutre.
« J’t’emmerde,
Montana. Tout allait bien avant que cette pétasse blonde ne vienne ici. »
« Qu’est-ce
qui se passe, Montana ? « Dis-je en devinant qu’il s’agissait de moi.
Rio
tourna sur elle au son de ma voix, ses yeux noirs brûlant de colère.
Montana
tendit la main et fit facilement tourner la femme plus grande qu’elle pour lui
faire face. « Tout de suite,
Rio. »
Après
un long moment, les larges épaules de Rio s’affaissèrent de défaite.
« Bien », dit-elle en se libérant de la poigne de Montana. Elle
tournoya à nouveau et partit à grands pas vers moi, ses poings serrés sur ses
côtés.
Je
me préparai pour ce qui allait suivre, incapable, et ne souhaitant pas, reculer
face à sa menace dangereuse.
A
la dernière seconde, elle partit sur la gauche, me cognant l’épaule du côté de
son corps. La rose tomba de ma main à cause de l’impact et, me retournant, je
l’observai avec impuissance l’envoyer contre la porte d’un coup de pied,
éparpillant les beaux pétales sur le sol avant de l’écraser sous sa botte
tandis qu’elle quittait la maison, en claquant la porte derrière elle.
Je
me retournai lentement. « Montana ? »
« Je
suis désolée, Angel », murmura-t-elle.
« Qu’est-ce
qui se passe ? »
Elle
s’approcha de moi et me tendit la feuille de papier qu’elle tenait.
C’était
un message. Je pus le dire d’un rapide coup d’œil. Non signée, mais ça n’avait
pas d’importance, parce que je connaissais l’écriture nerveuse autant que je
connaissais le battement de mon cœur.
Si j’étais Cavallo, vous seriez toutes mortes.
Faites-moi encore une fois défaut et vous le souhaiterez.
« C’est
Ice qui l’a écrite », dis-je, en énonçant ce qui était évident.
« Oui.
Je l’ai trouvée enfoncée dans ma tête de lit avec ceci. » Elle tendit
l’autre main et montra un couteau à l’air menaçant, sa lame tranchante luisant
méchamment dans la faible lumière.
« Où
est-elle ? »
« Partie. »
Elle soupira. « Depuis longtemps. »
« Et
tu as envoyé Rio la chercher ? »
« Non.
Rio est l’une des meilleures, mais même elle
ne pourrait pas trouver Ice si elle ne veut pas qu’on la trouve. Rio est en
charge de la sécurité ici. Je l’ai envoyée chercher des renforts. »
« Mais
pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’elle ne veut pas qu’on la trouve ?
Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas restée ? Je ne comprends pas. » Je
sentais que ces maudites larmes voulaient à nouveau couler, mais à ce stade, je
pense que j’étais trop en colère pour leur donner la satisfaction de me
mouiller les joues.
Montana
soupira. « Je ne comprends pas non plus, Angel. La seule chose que je
comprends vraiment, c’est qu’elle
nous teste ; elle teste nos défenses. Et nous avons échoué.
Lamentablement. »
« Tu
ne peux pas te blâmer pour ça, Montana. C’est d’Ice dont nous parlons, après
tout. Je veux dire, elle est… était… est… bon sang, je ne sais plus… un
assassin. Ce genre de choses fait partie de ce pour quoi elle était payée, tu
te souviens ? »
« Oui,
Angel. Je m’en souviens. Mais comment être sûre qu’elle a tort ? Comment
être sûre que si nous ne l’avons pas arrêtée, nous pourrions arrêter
Cavallo ? Ou, pour autant, n’importe quel abruti ou petit ami jaloux qui
viendrait ici pour tout détruire ? » Elle regarda le couteau dans sa
main et le fit tourner entre ses doigts plusieurs fois. « Je pensais que nous
étions à l’abri de toute menace. Maintenant, je me rends compte de combien
cette pensée était idiote. »
« Montana,
tu ne peux pas… »
« Si,
je peux, Angel. Je peux et je le ferai. La vie de chaque femme ici, y compris
toi, est sous ma responsabilité. » Elle me regarda à nouveau, la mâchoire
serrée. « J’ai raté ce premier test. Heureusement, nous y avons survécu.
Je serais maudite si j’échouais à nouveau. Si tu veux bien m’excuser, j’ai des
choses à faire. »
Elle
hocha la tête dans notre direction et se tourna brusquement pour disparaître
dans le couloir opposé à celui dont je supposais qu’il menait à sa chambre, me
laissant avec Corinne fixer sa trace dans un silence choqué.
*******
Je
passai la plus grande partie de la journée entre la colère et la douleur,
l’espoir et le désespoir. Une partie de moi était si fâchée contre Ice que je
voulais l’étrangler, si la possibilité m’en était jamais offerte. Bien que je
comprenais du mieux que je pouvais son besoin profond de voir si j’étais en
sécurité, je ne pouvais comprendre pourquoi ce besoin venait aux dépens de mon
propre besoin de la voir en sécurité, sauve et plus important encore, libre.
Pour
autant que j’avais honte d’admettre une telle chose, une partie de moi était
heureuse que Rio ait fait tomber la rose de ma main et l’ait écrasée sous le
talon de sa botte. Le reste, cependant, passa de longs moments douloureux sur
les genoux, à ramasser chaque pétale que je pouvais trouver comme une sorte de
lien tangible avec la femme qui tenait mon cœur entre ses mains.
Et
comme je savais que le sommeil ne se laisserait pas saisir aussi facilement une
seconde fois, j’abandonnai même l’idée d’essayer et prit plutôt une douche
avant de me changer, puis d’aller tranquillement à la cuisine, où la
préparation des repas avait commencé, pour cette nouvelle journée dont l’aube
n’était même pas arrivée.
Y
participer fit passer le temps plus vite et avant que je ne le réalise, je me
retrouvai jusqu’aux coudes dans la mousse de savon, à nettoyer les fruits de
mes travaux matinaux.
Le
personnel de la cuisine, du moins pour le petit déjeuner, se composait d’un
groupe de femmes plus âgées et plus calmes, qui semblaient bien plus
intéressées par le fait de préparer le repas et nettoyer les plats que d’user
de l’énergie à cancaner sur qui avait fait quoi à qui, quand, où et combien de
fois.
Je
ne dis pas qu’il n’y avait pas de bavardages, non ; mais pas tant que ça.
Après
que le dernier plat fut lavé, séché et rangé, je m’échappai des confins soudain
devenus trop petits de la maison et entrai dans la journée chaude et éclairée
du désert avec un sentiment distinct de soulagement. Je pris une inspiration
profonde et vivifiante, et je laissai mes pas m’emporter où ils voulaient, peu
surprise de me retrouver à nouveau perchée sur un poteau de la barrière du corral
tandis que les chevaux étaient relâchés de leur abri de la nuit.
L’étalon
bai, bien sûr, menait la course, et je sentis un petit sourire narquois se
former, touchant mon chapeau virtuel pour le saluer d’avoir le rôle en or du
seul mâle à des kilomètres. Il hennit et remua la tête vers moi, comme s’il
acquiesçait, avant de bondir et de s’éloigner, la plus grande partie du
troupeau sur ses pas.
Je
le regardai avec plaisir tandis qu’il s’amusait, appréciant la manière dont le
soleil tachetait son pelage et faisait ressortir pleinement les muscles épais
et noueux de son corps massif. Il me rappelait, plutôt pas mal d’ailleurs, le
cheval qu’Ice avait sculpté pour moi à Noël dernier, il y a de cela près d’un
an maintenant.
Seigneur, est-ce que ça fait vraiment un an ? Comment
est-ce que le temps a pu m’échapper aussi vite ? Comment…
Toute
autre pensée dans cette direction larmoyante fut stoppée net lorsque je sentis
une légère poussée sur mon genou. Surprise, je faillis perdre l’équilibre mais
je le maintins en me rattrapant à la cause de la poussée, ce qui dans le cas
précis, se trouva être le museau d’un beau poney gris pommelé, qui sortait en
reniflant d’un air indigné mes doigts de ses narines.
Je
ne pus m’empêcher de rire (bien que je faillis incidemment perdre à nouveau
l’équilibre de ce fait) tandis qu’elle m’évaluait de l’un de ses yeux énorme et
sombre avant de baisser la tête pour me pousser à nouveau la jambe, cette fois
plus haut sur la cuisse, ses narines fouillant à la recherche d’une friandise.
« Je
suis désolée, ma fille », dis-je avec un regret sincère. « Je n’ai
rien pour toi. »
Un
rire musical résonna près de moi et je levai les yeux pour voir Cowgirl sur un
cheval massif, le bord de son Stetson blanc abaissé pour abriter son visage du
soleil incessant. « Ne t’inquiète pas pour Cléo, Angel. Elle pense être un
chiot. Allons, Cléo, laisse la dame un peu tranquille. Elle n’est pas ton sac
de nourriture personnel. »
« C’est
bon », répondis-je en grattant le poney entre les yeux. « Ça ne me
dérange pas. Elle est plutôt mignonne. »
« Oh
ça, pour être mignonne, elle l’est. Continue à t’intéresser à elle comme ça et
tu vas te retrouver avec une ombre de 2,50 m
« Ne
t’occupe pas de la dame, Cléo », murmurai-je d’un ton théâtral, en
continuant à gratter ma nouvelle amie. « Elle est juste jalouse parce tu
n’as d’yeux que pour moi. »
Cowgirl
ricana en faisant tourner son cheval en cercles étroits. « Pendant que je
travaille pour dépasser mes problèmes de jalousie, est-ce que tu aimerais faire
une balade à cheval avec moi ? Il faut que je répare une barrière au fond
du corral et j’apprécierais d’avoir de la compagnie. »
Je
tressaillis. « Ben, pour autant que j’aime les chevaux, j’ai bien peur de
n’être plus montée dessus depuis que j’étais gamine. »
« Pas
de problème. Tu n’auras qu’à chevaucher ta nouvelle amie. Elle est plutôt
indulgente. »
Je
regardai Cléo qui redressa la tête puis me poussa à nouveau.
« Voyez-vous
ça ? On dirait bien que je n’ai pas mon mot à dire en tous cas. »
*******
Le
soleil était sur le point de se coucher quand je ramenai mon corps fatigué, en
sueur et endolori par la selle vers la maison. J’étais épuisée au-delà de tout
soupçon, mais aussi plaisamment. La gentille compagnie de Cowgirl avait réussi
à tenir mon esprit éloigné de choses plus tristes et sa voix douce qui chantait
chanson country après chanson country me faisait rire et fredonner avec elle,
bien que, tout comme mon père aimait à le dire, j’étais aussi douée pour le
chant qu’une mule de foire.
Je
contournai la voiture de Rio, à nouveau garée devant la maison, et je fis un
signe rapide de la main à Corinne, allongée au bord de la piscine avec une
bande de beautés nues qui répondaient à tous ses caprices. Je souris et secouai
la tête à sa chance et ouvris la porte pour entrer dans la maison, pour voir
presque exactement la même scène que le matin se répéter, cette fois dans la
salle de séjour.
Elles
se tournèrent toutes deux à mon entrée mais toute pensée de faire demi-tour et
de passer la nuit aux écuries fut effacée lorsque Montana me fit signe d’avancer avec un sourire.
« Je…
euh… ne voulais pas vous interrompre. Je vais juste… dans ma chambre pour me
laver. »
« Non,
c’est bon, Angel. Je suis contente que tu soies rentrée en fait. J’ai des
amies… »
Toute
parole fut bloquée net lorsque je sentis une main étrangère et un peu brusque
serrer fortement mon épaule. Déjà fatiguée et inquiète du regard plein de
ressentiment que me lançait Rio, mon corps réagit sans même y penser, faisant
ce qu’il avait appris à faire quand il percevait une menace.
Je
tendis la main et attrapai celle sur mon épaule, tordis le poignet tout en
poussant ma hanche vers la gauche. Avec un mouvement souple et contrôlé, comme
on me l’avait si bien appris, je passai le corps derrière le mien par-dessus ma
hanche, puis l’enfourchai, tout en regardant férocement l’idiote qui avait osé
m’attraper par-derrière comme ça.
Un
regard féroce qui se changea rapidement en un regard d’incrédulité choquée
lorsque je reconnus la femme que je venais de terrasser.
« Pony ?
C’est toi ? »
« Surprise ? »
Siffla-t-elle à travers le large et fier sourire qui menaçait de couper son
visage en deux.
« Pony ! ! » Criai-je en
lui attrapant la main avant de la remettre debout avec une force mue par
l’adrénaline. « Comment est-ce que.. ? Où est-ce que
tu… ? » Le reste de mes questions balbutiantes fut perdu lorsque je
l’attirai dans une étreinte serrée.
Elle
émit un profond rire de gorge et me rendit mon étreinte avant de me soulever du
sol et de me faire tournoyer, puis de me reposer par terre. « Bon sang, que c’est bon de te revoir,
Angel ! ! » Après m’avoir bruyamment embrassée sur les deux
joues, elle se recula à courte distance et me jaugea sans pudeur de la tête aux
pieds, ses yeux s’appesantissant plus longtemps sur certaines parties.
« T’as l’air en forme », dit-elle, en me reluquant.
« Tu
n’as pas l’air d’aller si mal non plus, Pony », répondis-je en riant à
travers mes larmes.
« Je
parie que tu dis ça à toutes tes prétendantes, Angel », entendis-je
derrière moi, d’une voix très familière, très aimée et qui m’avait beaucoup
manqué.
Abasourdie,
je tournai sur moi-même, sentant ma mâchoire qui se décrochait dans le
mouvement. « Critter ? »
« Salut,
l’Etrangère. » Son sourire était aussi brillant que le soleil d’Arizona et
elle ouvrit les bras dans lesquels je me ruai volontiers, sentant son étreinte
m’engouffrer tout entière comme la plus chaude des couvertures.
« Je
n’y crois pas », dis-je en pleurant comme une gamine. « Je ne peux
pas croire que vous soyez là. Comment… ?
« Grâce
à Donita et une commission de conditionnelle très choquée », dit-elle, ses
yeux à elle également étrangement brillants. « Ils nous ont relâchées
ensemble, Pony et moi. Je pense qu’ils sont toujours en train de se demander
pourquoi ils ont fait ça. »
« Et
Sonny ? »
Son
sourire diminua juste un peu. « On espère avoir plus de chance la prochaine
fois. On lui manque, mais elle va bien. » Elle eut un sourire narquois.
« Elle a trouvé un nouvel amuuuuur . »
Je
ris et pris le bras de Pony pour les embrasser toutes les deux dans une
nouvelle étreinte, heureuse bien au-delà du possible que ces deux vieilles
amies, aimées et chéries, soient à nouveau avec moi, surtout à un moment où
j’avais si désespérément besoin d’elles.
Après
m’être reculée, je leur lançai un long regard évaluateur à chacune.
« Aucune de vous n’a changé d’un poil. Pas un poil ! »
« Ben
toi si, bon sang ! » Répliqua Pony, en me poussant le ventre tout en
fronçant les sourcils. « Pas que t’étais pas fantastique avant, Angel,
mais tu es positivement costaud
maintenant ! C’est quoi le truc, femme ? Ice te fait prendre des
stéroïdes ou un truc comme ça ? »
Je
ris. « Non. Rien de tout ça. J’ai obtenu ces muscles tout à fait
honnêtement. »
« Honnêtement ?
Qu’est-ce que t’as fait ? On t’a fait soulever des rochers dans ce trou
perdu ? »
« Pony ! »
Cria Critter en frappant Pony sur le bras.
« Hé ! »
Glapit celle-ci en se massant le bras et en fronçant les sourcils vers Critter.
« C’est une question sincère ! Quand je lui ai sauvé les fesses la
première fois, c’était que la peau sur les os et de la graisse de bébé. Et
maintenant elle a plus de muscles que moi ! »
Critter
se mit à rire. « Seigneur, Pony. T’es vraiment macho. »
« Tu
as un problème avec ça ? » Elle se tourna à nouveau vers moi. « Crache
le morceau, Angel. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour avoir le même
corps ? »
« Et
bien, pour commencer », répondis-je à travers le sourire narquois qui se
formait, « tu pourrais construire toi-même ta maison. »
« Mais… »
Elle écarquilla les yeux. « Tu as construit ta propre foutue maison ? »
« Et
bien, je ne l’ai pas construite moi-même, non. Mais j’ai aidé. Beaucoup. »
Je tressaillis au souvenir des muscles étirés, des échardes et des ampoules, et
de tout ce qui avait accompagné la construction de notre chalet. Mais ce
tressaillement se changea rapidement en sourire quand je me souvins du tendre
soin qu’Ice avait pris avec mes blessures et toutes les soirées passées sur le
ventre, nue et bienheureuse, tandis que les mains chaudes de ma compagne retiraient
habilement chaque point de douleur avec langueur, ou passion, selon ce qu’elle
considérait le plus adapté.
Je
levai les yeux pour saisir le sourire connaisseur de Critter, sentis la rougeur
chauffer mon visage et baissai rapidement le regard pour tenter de retrouver
mon sang-froid.
Totalement
inconsciente de la situation, Pony me relança. « Je ne peux pas croire que
tu as construit toi-même ta maison. »
« Et
bien, si. J’ai aussi coupé la quantité nécessaire de bois de forêt, marché
partout où je devais aller et nagé deux kilomètres dans le lac, chaque matin et
chaque soir de l’été. »
Un
silence absolu s’installa tandis que Pony me fixait avec des yeux de la taille
de dollars en argent. Après un long moment, elle se couvrit le visage et secoua
la tête. « Laisse tomber », marmonna-t-elle à travers ses doigts.
« Oublie la question, je vais garder le corps que j’ai. »
Je
souris avec une satisfaction absolue et me tournai pour voir Montana qui nous
regardait avec une expression indéchiffrable sur le visage. Il n’y avait aucune
trace de Rio du tout. « Où est Rio ?»
« Elle
est partie. »
« Partie ? »
Demanda Pony. « Et elle est allée où, bon sang ? On était supposées
passer en revue les mesures de sécurité, merde ! »
« Quelque
chose l’a taraudée toute la journée », dit Critter. « Elle n’est pas
elle-même en ce moment. Il y a un problème ? »
«
Ça fait plus d’une journée », répondit Montana en me lançant un regard
significatif.
Et
ça, Pony ne le rata pas. Elle
tournoya pour me faire face, ses yeux noirs et pénétrants. « Qu’est-ce qui
se passe, Angel ? »
« Rien,
Pony. On a juste… on s’est pas bien entendues, c’est tout. »
« C’est
des conneries. Tu t’entendrais avec le diable lui-même, Angel. Qu’est-ce qui se
passe vraiment ? »
Je
haussai les épaules. « Je ne sais pas. Il y a visiblement quelque chose à
mon sujet qui la hérisse. Je ne sais pas ce que c’est, mais je suis sûre que je
peux arranger ça. » Je souris. « Tout le monde ne doit pas
m’apprécier, tu sais. »
« Quand
je suis dans le coin, si », dit Pony en grondant, les poings serrés.
« Pony,
calme-toi », dit Montana. « C’est plus ça maintenant. Tu sais combien
elle est fière. Quand je lui ai dit de vous amener ici, Critter et toi, elle
s’est fâchée. Elle pense que je mets ses capacités en question. »
« Et
elle blâme Angel pour ça ? C’est
des conneries totales ! Si elle avait fait son boulot au départ, elle
n’aurait pas à s’inquiéter de ça ! »
« Pony… »
Ce fut le tour de Critter d’essayer cette fois.
« Oublie,
Critter. Je ne sais pas quelle mouche lui a piqué les fesses, mais je vais la
lui enlever. Par la gorge. »
« Pony,
il y a pas mal de choses… »
« Bien.
Elle pourra prendre longuement le temps d’y réfléchir confortablement installée
au fond de son lit, quand j’aurais trainé son cul jusque là. »
Alors
qu’elle se retournait pour partir en martelant des pieds, je lui attrapai le
bras, surprise de la facilité avec laquelle je la fis se tourner vers moi.
« J’apprécie beaucoup, Pony, mais s’il te plait, laisse-moi m’en occuper
moi-même, d’accord ? Quand tout ça sera calmé, j’irai essayer de lui
parler. Tu pourras même venir avec moi et te cacher dans l’ombre si tu veux.
Mais s’il te plait… c’est entre Rio et moi. Laisse les choses en l’état pour
l’instant, d’accord ? »
Elle
fronça les sourcils, visiblement peu prête à abandonner sa colère, mais elle
finit par hocher la tête et retira doucement son bras de mon emprise.
« Bien. Mais si tu penses que je ne vais pas l’asticoter un max sur la
sécurité, il va y avoir un autre problème. Ce n’est pas juste de Cavallo qu’il
faut s’inquiéter, tu sais. Il y a une planète pleine de tarés qui adoreraient
bombarder cet endroit pour l’effacer de la carte. Si elle ne fait pas bien son
boulot, alors elle aura des comptes à me rendre. »
Je
lui rendis son signe de tête. « C’est bon. Je présume que c’est pour ça
que tu es là, c’est ton travail. »
« Bon
sang oui que ça l’est. »
Critter
se mit à rire en poussant Pony vers la porte. « Va foutre la trouille à un
serpent qu’il en perde son venin, Cujo, tu veux bien ? »
« Bien »,
dit-elle en ronchonnant, puis elle se retourna et quitta la maison sans un seul
mot de plus.
Incapable
de m’en empêcher, je mis la tête en arrière et me mis à rire, les bras croisés
sur mon estomac. « Seigneur, que vous m’avez manqué, les
filles ! »
« Et
toi aussi, Angel », répondit Critter, en passant le bras autour de mon
épaule tout en m’ébouriffant les cheveux. « Tu nous as manqué
aussi. »
*******
« …
et le temps de dire ouf, là voilà, cul par-dessus tête, directement dans la
fosse septique. L’odeur n’est pas partie pendant des mois ! Elle l’a
suivie comme un nuage. »
Je
m’affaissai sur les oreillers, terrassée par les rires, sans même m’embêter à
essuyer les larmes de gaieté qui coulaient sur mes joues.
« Ouaip »,
continua Critter, le visage reflétant l’essence même du mot ’narquois’.
« La vieille Mousie n’a plus jamais été la même après ça. Je lui ai dit
qu’elle finirait par sentir comme de la merde un de ces jours. J’avais raison
là aussi. Littéralement. »
Je
roulai sur l’estomac et tentai désespérément d’étirer les crampes qui
tiraillaient mes muscles abdominaux, déjà endoloris par une journée à cheval et
le dur travail physique. « Arrête », dis-je en haletant. « S’il
te plait. Tu es en train de me tuer là. »
« Désolée. »
Elle ne semblait pas en penser un mot.
Mais
elle s’arrêta, ce qui fut un soulagement bienvenu. Lorsque mon hystérie finit
par revenir sous contrôle, je me remis sur le dos et sur les coudes, la fixant
d’un regard acéré. « Tu es vilaine. »
« Bien
sûr que je suis vilaine. »
« Et
bien », dis-je en me calmant un peu, « pour autant que vous m’ayez
manqué, les filles, ça ne me manque pas de me réveiller le matin en me
demandant si quelqu’un comme Mouse ou Derby est en train de m’attendre pour
m’arranger le portrait parce que je les ai regardées de travers. » Je
secouai la tête et soupirai. « J’aimerais juste ne pas avoir cette
impression quand Rio est dans le coin. »
« Ça
ne me plait pas non plus, Angel. Je ne suis pas sûre de savoir ce qui se passe
chez elle. Rio fait partie de ces gens balaises qui vous fichent une frousse
bleue quand vous les regardez, mais elle est vraiment gentille sous tout ça. Du
moins, elle l’était. Dieu seul sait ce qui ne va pas avec elle en ce
moment. »
« Alors,
vous la connaissiez avant ? »
« Oui.
Au Bog. Elle est arrivée une année après moi. Elle était déjà énorme, mais ces
muscles n’étaient là que pour épater la galerie. Elle n’était pas foutue de se
battre pour un sou. »
« Vraiment ? »
Demandai-je, trouvant ça difficile à croire.
« Oui.
Vraiment. Elle était peut-être forte, mais elle était lente, et foutument
maladroite. Les tyrans sont restés à distance au début, à cause de sa taille,
mais une fois qu’elles ont découvert qu’elle ne savait pas se battre, elles lui
sont tombées dessus comme la misère sur le bon peuple. Ça aurait été plutôt
drôle si ça n’était pas aussi triste à voir. »
« Qu’est-ce
qui est arrivé ? »
« Ice
est arrivée. Elles étaient en train de faire les pires misères à Rio dans la
zone de musculation un jour. Quelques-unes la tenaient au sol avec l’haltère
qu’elle soulevait contre sa poitrine. Le reste frappait et donnait des coups de
pieds, une vraie raclée. Nous, on restait un peu à l’écart parce qu’il nous
semblait qu’elle était assez grande pour s’occuper d’elle toute seule, mais à
l’évidence, Ice a pensé autrement, parce qu’elle est sortie de la prison et
avant qu’aucune de nous ne puisse même penser à bouger, tout était fini. »
Son expression d’émerveillement était évidente tandis qu’elle repensait à cet
incident. « Deux d’entre elles ont fini à l’hôpital. Le reste… et bien…
disons qu’elles n’étaient plus assez en forme pour tyranniser un têtard avant
de longs mois. »
Je
ricanai doucement. « Pourquoi est-ce que ça ne me surprend
pas ? »
Critter
sourit. « Je serai surprise du contraire. » Elle changea de position,
pour se mettre sur le dos près de moi, nos têtes partageant le même oreiller.
« En tous cas, Ice a en quelque sorte pris Rio sous son aile et lui a
appris à se battre. Elle s’y est mise comme un canard va à l’eau et avant qu’on
ne s’en rende compte, elle utilisait ses muscles pour bien plus
qu’impressionner les dames. »
« Est-ce
qu’elle a jamais tyrannisé quelqu’un une fois qu’elle a su se
battre ? »
« Rio ?
Non. Pas du tout. Comme je l’ai dit, elle est aussi douce qu’on peut
l’être ; Seigneur ? Tu aurais dû voir cette expression sur son visage
quand Ice l’a nommée Amazone. Je pensais qu’elle allait se mettre à pleurer à
chaudes larmes devant tout le monde. »
Je
ne pus m’empêcher de secouer la tête d’étonnement et d’incrédulité. L’image de
Rio que Critter décrivait, était aussi différente de la mienne que mon idée du
jour l’est de la nuit. Soudain, une pensée me traversa l’esprit.
« Critter, est-ce que Rio et Ice étaient… »
Elle
me regarda un long moment. « Tu me demandes si elle étaient
amantes ? »
J’acquiesçai
de la tête.
Elle
plissa le front, mais après un moment, son expression changea quand la
compréhension se fit jour. « Tu as peur qu’elle soit jalouse, c’est
ça ? »
« Ça
expliquerait les choses, oui. Une ex-amante qui doit jouer au taxi pour
l’amante actuelle, la trimballant jusqu’en enfer et retour, puis s’entendant
dire que ses talents ne sont pas suffisants pour la protéger. » Je haussai
les épaules. « Je serais sûrement en colère aussi. »
« Et
bien, ça se tiendrait, si c’était le cas. Mais, pour autant que je sache, ça ne
l’est pas. Rio idolâtrait le sol sur lequel Ice marchait – bon sang, on le
faisait toutes – mais elles n’étaient pas ensemble. Amies, oui. Ensemble,
non. »
« Bon,
je présume que ça nous ramène à la case départ, alors », dis-je en tapant
doucement le matelas.
Critter
me prit la main et emmêla nos doigts. « Peut-être qu’elle a juste des
problèmes personnels en ce moment, Angel. Peut-être que tout ça arrive juste à
un mauvais moment pour elle. Peut-être qu’après que Pony aura arrangé les
choses ici, cette discussion dont tu parlais ne sera pas une mauvaise
idée. »
« Tu
as raison. J’espère juste pouvoir attendre aussi longtemps. »
Elle
rit. « Tu es avec Ice depuis combien de temps… sept ans maintenant ?
S’il y a une chose que tu as en abondance, Angel, c’est de la patience. »
« Une
vertu qui a été méchamment testée ces temps-ci, je te l’assure », dis-je
en fronçant les sourcils.
Elle
rit à nouveau et roula vers moi pour m’embrasser positivement sur les lèvres,
puis elle sauta du lit. « Je vais voir si Pony a besoin de moi, ensuite je
pense qu’il sera temps de se coucher. La journée a été longue. Bonne nuit,
Angel. »
« Bonne
nuit, Critter. »
Elle
se dirigea vers la porte avec un geste désinvolte de la main.
« Critter ? »
« Oui ? »
« Merci. »
Elle
me fit un sourire un peu impertinent en même temps qu’une demi-courbette.
« A ton service, Angel. A ton service. »
*******
Les
quelques jours suivants passèrent rapidement et sans incident, tandis que je
m’accoutumais à mon nouveau, bien que temporaire, foyer. Je passais la plupart
des matinées à la cuisine avec Corinne, apportant mon aide à la préparation du
petit déjeuner pour les trente et plus femmes qui résidaient au ranch. C’était
le seul vrai moment que nous passions ensemble, alors j’appréciais chaque matin
qui me donnait l’occasion d’être avec elle, peu importe le peu de temps passé.
Critter
et Pony étaient occupées elles aussi, à renforcer la sécurité du ranch avec
Rio. A son crédit, il faut dire que Rio était extrêmement dévouée à son travail,
s’y lançant à corps perdu, s’assurant que des erreurs comme celle de la semaine
précédente, ne se répèteraient pas pendant son tour de garde.
Je
n’avais pas le cœur de lui dire que, vu qu’il s’agissait d’Ice, ces erreurs
seraient toujours répétées. Pas que ça avait de l’importance, vraiment. Elle
m’aurait sûrement fichu une raclée si je le lui avais dit.
Mais
elle semblait plus calme avec Pony autour d’elle, alors j’avais bon espoir pour
une réconciliation finale entre nous, si l’occasion en était donnée.
Je
passais une bonne partie de la journée au corral, à observer les chevaux, à
nourrir et soigner ceux qui en avaient besoin, et je m’occupais en règle
générale ainsi que mon esprit face à l’absence de ma compagne, du mieux que je
pouvais.
Mon
mieux n’étant fréquemment pas suffisant et la douleur dans ma poitrine ne
faisait qu’augmenter avec le temps passé sans la voir. Je me retrouvais souvent
à lui parler, comme quelqu’un qui aurait perdu un être cher, partageant des
bouts de ma journée avec elle, et lui racontant combien elle me manquait.
J’avais
aussi développé un rituel du soir. Je sellais ma nouvelle amie équine et me
dirigeait vers la partie la plus à l’ouest du corral pour regarder le soleil se
coucher par-dessus les montagnes distantes. La vue ne manquait jamais de me
couper le souffle et c’était un moment unique de la journée où je me sentais
proche d’Ice.
Je
versai plus d’une larme pendant ces randonnées solitaires, mais je rentrais
toujours à la maison dans une meilleure humeur que j’en étais partie.
Un
soir, longtemps après que le soleil fut couché, je m’échappai des confins
surchauffés et bruyants de la maison principale, appréciant le calme frais du
désert, sentant mon corps se calmer instantanément tandis que la paix de la
nuit m’attirait et m’accueillait dans son obscurité.
Je
me dirigeais vers les écuries, plusieurs carottes à la main, sachant que la
compagnie placide et silencieuse de Cléo était pile dans l’ordonnance du
docteur.
Alors
que j’entrais dans le confort frais des écuries, humant l’odeur du foin et des
chevaux avec un plaisir presque absent, j’entendis un bruit sourd bizarre et
rythmé, qui me fit comprendre que je n’étais pas le seul animal à deux pattes
dans cet endroit.
Et
pourtant, le bâtiment était relativement bien éclairé et les chevaux peu
concernés, alors je ne payai pas d’attention particulière aux bruits et avançai
plutôt pour répondre à l’accueil anxieux de Cléo, qui pouvait sentir les
carottes, d’après ce qu’on disait, depuis un continent de distance. Avec un
rhume de cerveau. Dans un ouragan.
Tandis
qu’elle se tordait le cou quasiment à se le briser pour pouvoir attraper
rapidement les friandises avec ses lèvres, je ne pus m’empêcher de rire à ses
pitreries et je la grattai affectueusement et joyeusement entre les yeux.
Lorsqu’elle
eut englouti ce que j’avais dans la main, elle poussa ma poitrine et hennit
pour en avoir plus. Je ris à nouveau, ravie, et tandis que je repoussais son
museau insistant, j’entendis les bruits en provenance de l’arrière de l’écurie
s’arrêter.
Un
instant plus tard, une ombre longue et large me recouvrit.
Je
levai les yeux pour voir Rio qui se tenait près des portes ouvertes, ses yeux
noirs luisant de colère, un grand couteau dans la main.
Tandis
que je me retournai pour lui faire face, un sourire narquois releva un coin de
sa lèvre supérieure. « Bonsoir, blondinette. » Elle lança un regard
outré autour d’elle. « Où sont tes petites protectrices ? Vous n’êtes
pas toutes reliées par la hanche ? »
Je
m’écartai de Cléo et carrai les épaules pour lui faire face. « Qu’est-ce
que tu veux, Rio ? » Je pouvais sentir mon corps se raidir mais je le
combattis, essayant de rester aussi calme que possible.
Le
couteau fit des éclairs tandis qu’elle le maniait. « Ta tête sur un
plateau, ça le ferait, pour commencer. »
Bien
que je gardai le regard cloué sur elle, dans mon champ de vision, je pouvais
voir plusieurs outils qui pourraient servir d’armes si je devais m’en
contenter. Cette pensée me calma et détendit mes muscles noués. « Et bien,
tu as visiblement apporté le bon outil pour ça. »
Elle
regarda le couteau comme si elle venait juste de se rendre compte qu’il était
dans sa main. Après un instant, elle le laissa tomber sur le sol. « Je ne
pense pas en avoir besoin sur des gens comme toi. »
Je
sentis que je haussais les épaules. C’était stupéfiant de voir comme je me
sentais calme et concentrée. Bien sûr, entendre la voix basse de ma compagne
dans mes pensées, m’aidait aussi incommensurablement. « A toi de décider,
je présume. » Alors qu’elle commençait à s’avancer, les poings serrés, je
levai la main.
Surprise,
elle se figea et me fixa.
« Avant
que tu ne commences à me refaire le portrait, j’ai une question. »
Elle
plissa les yeux. « T’est dingue ? »
« Peut-être.
Mais j’ai quand même une question. »
Elle
fonça les sourcils. « Quoi ? »
« Pourquoi ? »
« Pourquoi
quoi ? »
« Pourquoi
tu fais ça ? Pourquoi tu me détestes autant ? J’ai visiblement fait
quelque chose pour t’offenser. Je me dis que si tu dois me tailler en pièces,
tu pourrais au moins avoir la gentillesse de répondre à ça. »
Elle
secoua la tête, sans même réfléchir à la question. « Tu ne comprendrais
pas. »
Et
elle fonça sur moi, les bras grands ouverts dans une charge à mains nues
classique. C’était un mouvement que j’avais vu des centaines de fois déjà. Je
dois admettre que j’étais un peu déçue par son manque d’originalité.
Mais
je n’avais aucune illusion. Si elle arrivait assez près de moi pour m’enserrer,
j’étais partante pour un monde de douleur. Quelqu’un d’aussi grand et en colère
que Rio pouvait aisément me tuer, même sans le vouloir. Et même si elle ne le
voulait pas, j’étais sûre qu’elle n’aurait aucun scrupule à me rosser tellement
que j’en sortirais en souhaitant être
morte.
J’attendis
qu’elle soit presque sur moi et je me contentai de passer sous un des ses bras
étendus, filai à l’écart et me retournai juste à temps pour la voir à peine
rater le mur de l’écurie.
« Essaye
quand même, Rio », dis-je tandis qu’elle se retournait, le visage tordu
dans une grimace de rage. « Je pourrais mieux comprendre que tu ne le
penses. »
« Oublie
ça, blondinette. » Elle fonça à nouveau sur moi dans une manœuvre plus
contrôlée, puis elle balança un de ses longs bras dans un mouvement croisé qui
m’aurait sûrement fracassé le crâne si je ne m’étais pas écartée du chemin
juste à temps.
Un
autre coup de poing, puis un autre, mais je réussis, va savoir comment, à les
éviter tous.
Elle
était forte et visiblement experte, mais pas du niveau de la femme avec
laquelle j’avais pris l’habitude de me mesurer quotidiennement. Ses swings
semblaient lents et presque maladroits en comparaison de l’agilité fluide
d’Ice.
Et
pourtant, je gardai les yeux ouverts et les mains prêtes, pour tenter de mon
mieux de parer ce que je ne serais pas assez rapide à éviter.
Puis
un énorme pied, suivi d’une jambe de la taille d’un tronc d’arbre, balaya pour
frapper pile le centre nerveux de ma cuisse droite. Ma jambe lâcha et je
tombai, roulant rapidement sur le sol couvert de paille pour échapper à une
volée d’autres coups de pied à venir.
Au
moment où j’allais me piéger toute seule dans un coin, son pied glissa et elle
faillit tomber, ses bras tournoyant sauvagement pour trouver l’équilibre. Je
saisis l’occasion qui se présentait, arrêtai de rouler et me remis rapidement
debout, mes doigts raides œuvrant désespérément pour relâcher la crampe qu’elle
m’avait causée.
Le
couteau brilla à travers la paille sur le sol, mais après une seconde de
réflexion, je détournai le regard de cette tentation particulière. Je ne
reprendrais plus jamais ce chemin.
Elle
vit mon hésitation et bondit, s’avança et me flanqua un coup de pied dans le
ventre qui, bien que partiellement bloqué, m’envoya trébucher en arrière sur
plus d’un mètre, hoquetant pour retrouver mon souffle. Je touchai le mur, puis
rebondis, réussissant à éviter son poing gauche violent vers ma tête ce
faisant.
Lorsque
le droit suivit, et je savais qu’il le ferait, je levai brusquement les deux
mains, l’attrapant au coude tout en utilisant un petit mouvement qu’Ice m’avait
appris pour la faire tournoyer loin de moi et dans le mur dont je venais juste
de m’éloigner.
Elle
le frappa avec une force qui fit trembler les poutres, puis elle se retourna,
légèrement étourdie et méchamment hors de souffle.
« Parle-moi,
Rio », dis-je en m’éloignant d’elle dans un cercle, avant de reculer vers
la partie plus sombre des écuries où il y avait plus d’espace. « Dis-moi
pourquoi tu fais ça. »
Elle
serra les dents et se repoussa du mur, puis elle donna un coup de pied dans le
couteau par terre avant de l’attraper. « Ferme-la et bats-toi,
pétasse », gronda-t-elle en s’avançant tout en donnant des coups vers moi
avec le couteau.
Je
m’éloignai en sautillant. « Je me bats,
Rio. Je me bats pour comprendre pourquoi tu fais ça. » J’évitai un autre
coup de couteau puis contournai le coin, utilisant la manœuvre pour lui lancer
un coup de pied lorsqu’elle vint à ma rencontre.
Bien
que je ratai mon objectif premier, le couteau dans sa main, je réussis à lui
mettre un bon coup dans les tripes, ce qui me donna quelques précieuses
secondes pour me regrouper.
« Ice
t’a appris à être une Amazone. Est-ce qu’elle t’a aussi appris à attaquer une
femme désarmée sans aucune raison ? »
« Tu
ne sais rien de ce qu’elle m’a
appris ! »
« Oh,
je pense que si », contrai-je, en me déplaçant en cercle. « Parce
qu’elle m’a appris les mêmes choses qu’à toi. »
« Tu
n’es pas une Amazone ! Tu ne seras jamais
une Amazone ! »
« Comment
peux-tu dire ça ? Tu ne me connais même pas, Rio. »
Nous
continuâmes à tourner l’une autour de l’autre à l’intérieur et hors de la pénombre,
le couteau toujours entre nous, et mon regard cloué sur lui.
« Oh,
je sais tout sur toi, pétasse. Je sais que tu n’es pas une Amazone. Une Amazone
ne suce pas la vie des gens. Une Amazone ne rend pas les gens faibles et
mous. »
« Et
à qui j’ai fait ça, Rio ? »
« A
Ice, merde ! » Hurla-t-elle, le visage rouge de rage. « Tu n’es
quand même pas si stupide ! »
« Peut-être
que si, parce que je ne comprends toujours pas. »
« Tout
est de ta faute, garce. C’est de ta faute si Cavallo est toujours vivant. C’est
de ta faute si elle a été arrêtée. Tu l’as rendue faible. Tu l’as rendue
molle. » Chaque courte phrase était ponctuée d’un coup de son couteau.
« L’Ice que je connais ne jouerait pas à la poupée avec une chatte blonde
en laissant les flics lui tomber dessus. L’Ice que je connais n’aurait jamais
laissé Cavallo filer après lui avoir posé une arme sur la tête. L’Ice que je
connais... »
Le
cliquetis résonna bruyamment dans les confins de la grande écurie qui renvoya
l’écho. Je me figeai sur place lorsque je vis l’argenté luisant d’un pistolet
se matérialiser hors de la pénombre et venir se poser sur la tempe droite de
Rio. « Continue, finis ce que tu disais, Rio. » Le ronronnement
sombre et velouté de la voix de ma compagne flotta hors de la pénombre, faisant
se dresser tous les poils de mon corps presque douloureusement, tandis que mes
muscles se contractaient en spasmes par pure réaction animale à sa présence
soudaine. « L’Ice que tu connais… quoi ? »
Rio
était plus raide que quiconque j’avais jamais vu jusque là. Ses yeux étaient
écarquillés et roulaient, et la faible lumière des écuries se reflétait sur les
gouttes huileuses de sueur qui se formaient sur son front et sur sa lèvre
supérieure. Sa bouche s’ouvrait et se refermait mais seul un souffle sifflant
réussit à en sortir. Je pouvais littéralement sentir sa terreur servile, même
par-dessus l’odeur forte du foin et des chevaux.
« Continue,
Rio. Termine. »
Un
autre souffle sifflant lui répondit.
Un
rire doux et moqueur s’éleva. « Qu’est-ce qui se passe, Rio ? Le chat
t’a mangé la langue ? Tu avais l’air bien il y a une minute. »
« Je… »
« Ice »,
dis-je doucement, en m’avançant d’un pas. Bien que ça puisse paraître dingue,
je me sentais soudain une sorte de sympathie étrange pour la femme qui avait
tenté de me tuer quelques instants auparavant. « S’il te plait… »
« Bon,
puisque tu n’as pas l’air de vouloir me parler, Rio, peut-être que je vais te
parler moi, hm ? » Le pistolet disparut dans l’ombre où se tenait ma
compagne, et une main gantée de noir agrippa la chemise de Rio et fit tourner
la femme terrifiée pour qu’elle soit face à Ice. « Apparemment tu as
oublié quelques petites choses que je t’ai apprises, mon amie. »
« Ice… »
Tentai-je à nouveau.
« Règle
numéro un. Ne jamais prendre un couteau si on n’a pas l’intention de l’utiliser
sur quelqu’un. » Un pied botté jaillit du noir et le couteau vola de la
main de Rio, tournoya au-dessus de ma tête et atterrit sur une balle de foin à
plusieurs mètres derrière moi.
« Règle
numéro deux. Ne jamais menacer une femme innocente. »
Le
souffle de Rio sortit de ses poumons dans une explosion de croassement angoissé
quand elle se plia en deux au coup de poing d’Ice dans son ventre.
Mais
elle fut rapidement redressée.
« Règle
numéro trois. » Le rire doux et sombre résonna à nouveau. « Ah oui.
Je ne t’ai jamais parlé de la règle numéro trois avant, non ? Peu importe.
C’est aussi bien de l’apprendre aujourd’hui, pas vrai ? »
Je
pouvais voir son corps immense spasmer tandis qu’elle était rudement secouée.
« Règle
numéro trois. C’est la plus simple de toutes, vraiment. Tu touches Angel. Tu
meurs. Compris ? »
Rio,
silencieuse, fut à nouveau secouée.
« Je
t’ai posé une question, Rio. Réponds-moi. »
« Oui »,
murmura-t-elle. « Je… comprends. »
« Bien. »
Il y avait un sourire dans la voix d’Ice mais je savais que c’était un sourire
que je ne souhaitais jamais voir. « Bon, on a un petit problème là,
non ? Tu as brisé la Règle Numéro Trois et c’est la plus importante de
toutes. »
« S’il
te plait… » Rio et moi parlâmes en même temps mais Ice continua à nous
ignorer.
« Il
me semble qu’au lieu de menacer Angel, tu devrais la remercier à genoux, Rio.
Parce que si elle ne m’avait pas ‘amollie’, ta cervelle serait étalée partout
dans cette écurie. Et je pense que nous le savons toutes les deux, pas
vrai ? »
Un
autre silence. Une autre secousse brutale.
« Pas
vrai ? »
« Ou…
oui. »
« Bien.
Alors je vais être gentille, mais juste pour cette fois et te laisser utiliser
ta carte gratuite ‘sortie de l’Enfer’. Mais assure-toi de ne jamais, jamais même penser à recommencer. Parce que je te le promets, Rio. Tu vas mourir. »
Comme
lancée de la gueule d’un gros canon, Rio vola littéralement sur la longueur de
l’écurie, atterrissant contre le mur du fond avant de s’effondrer sans
connaissance sur le sol.
L’écurie
redevint silencieuse et, pendant un très long moment, je craignis qu’Ice ne se
soit à nouveau esquivée. Mais pourtant, je pouvais toujours sentir sa présence.
Cette sensation étrange, que j’avais toujours quand elle était tout près,
persistait, me donnant l’espoir et la force dont j’avais besoin pour faire ces
quelques pas et entrer dans la pénombre.
Mais
avant que je puisse le faire, elle sortit dans la lumière, enfantée par
l’obscurité comme par le démon. Ses yeux clairs brillaient froidement et un
nuage d’énergie, aussi sombre que les ombres desquelles elle s’était
matérialisée, s’enroula autour d’elle comme un linceul.
Elle
était complètement vêtue de noir, ses cheveux tirés en arrière dans une tresse
serrée qui faisait ressortir les beaux traits ciselés de son visage.
« Ice ? »
Presque
comme tiré des profondeurs d’un cauchemar, son regard s’aiguisa et se concentra
sur moi pour la première fois. Et ensuite, devant mes yeux, il sembla s’adoucir
tandis qu’elle réalisait que j’étais là. L’énergie crispée et nerveuse qui
l’entourait, sembla quelque peu diminuer et un sourire des plus ténus se posa
sur ses lèvres. « Salut », dit-elle, la voix à peine plus haute qu’un
murmure.
Satan
lui-même n’aurait pas pu m’empêcher de courir dans ses bras tendus.
Je
m’y engouffrai et m’enroulai autour d’elle comme une étrange pieuvre à quatre
membres, respirant son odeur et écoutant le lent battement de son cœur puissant
sous mon oreille. « Ne pars pas », murmurai-je, sachant que je la
suppliais, mais sans y prêter garde. « S’il te plait, reste. »
Ses
longs bras m’enserrèrent, renforçant notre étreinte, et je pus sentir ses
lèvres effleurer doucement mes cheveux. Ses côtes s’écartèrent lorsqu’elle prit
une profonde inspiration, puis la relâcha et qu’un léger soupir m’ébouriffa les
cheveux, réchauffant mon crâne.
Un
instant plus tard, je sentis ses muscles se relâcher tandis qu’elle séparait
doucement et totalement nos corps. Elle baissa légèrement le menton en me
regardant. « S’il te plait », murmurai-je à nouveau, ma main posée
sur celle qui couvrait ma joue, « reste. Au moins ce soir. »
L’intensité
de son regard dénuda mon âme, me laissant telle une suppliante tremblante face
à sa sombre majesté.
Lorsque
ses yeux s’arrêtèrent sur mes lèvres, je sentis un éclair enflammé d’excitation
me traverser avec une intensité presque douloureuse, appelant des profondeurs
des visions de choses dangereuses et sauvages qui montèrent violemment de leurs
antres sombres pour se nourrir du sang des innocents.
Une
main gantée se posa sur mon menton et soudain, cette énergie noire et tendue me
fut transférée par le contact fulgurant de lèvres chaudes, humides et affamées
bougeant contre les miennes, me consumant là où j’étais, me laissant en
cendres.
« Reste
là. » Sa voix était rauque, éraillée, pleine de désir, lorsqu’elle
s’écarta de moi, de nous.
Je
n’aurais pas pu bouger même si je l’avais voulu. Mes pieds avaient pris racine
et me clouaient au sol poussiéreux. Je la regardai, impuissante, mes doigts
effleurant des lèvres qui ne ressentaient rien d’autre que le pouvoir du baiser
d’Ice, tandis qu’elle passait de la lumière à l’obscurité et de nouveau à la
lumière, marchant d’un pas volontaire vers l’arrière des écuries.
Elle
se pencha et releva facilement Rio par l’avant de sa chemise, puis elle se
pencha pour murmurer quelque chose dans l’oreille de mon ex-bourreau. Bien que
je ne puisse entendre ce qu’elle disait, l’expression de gratitude niaise et
pathétique dans les yeux de Rio tandis qu’elle faisait presque la courbette
jusqu’au sol en la présence de ma compagne, me donna toute l’information dont
j’avais besoin pour cette conversation particulière.
Elle
fut renvoyée, trébuchante, des écuries, un bras serré tout contre son ventre.
Ice se retourna, ses yeux scrutant rapidement l’intérieur du bâtiment. Un bref
sourire passa sur ses lèvres et, avant que je puisse penser bouger, une
couverture roulée sortit de l’obscurité, ne manquant ma tête de peu que parce
que mes mains étaient dans le trajet.
Je
la regardai d’un air idiot pendant un moment et lorsque je levai à nouveau les
yeux, Ice avait disparu.
La
crainte qu’elle ne soit partie mit fin à la paralysie de ma jambe, mais avant
que je puisse faire quelques pas hésitants, elle revint, sur l’étalon bai que
j’avais passé tant d’heures à admirer.
Elle
le chevauchait à cru, ses jambes puissantes posées légèrement sur chacun de ses
côtés musclés, ses longs doigts mêlés à sa crinière noire crépusculaire. Il la
portait avec aisance, sans même sourciller au poids sur son dos, comme s’il
était né et avait été élevé pour cette raison précise.
Son
cou fièrement arqué, il me regardait de haut, ses yeux noirs éclairés par une
sorte de connaissance à demi-amusée. Ou peut-être de l’espièglerie. Comme je
l’ai dit déjà, ma connaissance des chevaux est plutôt minimaliste.
Il
s’avança avec puissance au doux commandement d’Ice, et l’instant d’après, une
main gantée me tenait fermement et j’étais soulevée sur son dos avec une
aisance qui ne manquait jamais, à ce jour encore, de m’émerveiller et m’exalter
à la fois.
« Accroche-toi »,
ordonna-t-elle d’une voix basse tandis que mes mains s’enroulaient autour de sa
taille élancée, le couchage coincé confortablement entre nous.
« Pour
toujours », murmurai-je, la joue posée sur son dos tandis qu’elle lançait
l’étalon en avant pour sortir de l’écurie.
La
porte du corral était ouverte et comme je savais que ce n’était pas le cas
quand j’étais entrée dans l’écurie, je soupçonnai que c’était l’une des petites
tâches qu’Ice avait demandée à Rio en la poussant dehors. Avec un léger
‘Yah !’, elle nous lança en avant et ma légère étreinte devint une
empoignade aux phalanges blanchies pour me maintenir en selle tandis que la
terre s’envolait rapidement sous les sabots du cheval au galop.
« Ooooh,
je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir. Je ne veux pas mourir. Ohhh
noooon, je ne veux pas mourir. »
Je
pus entendre le rire gronder à travers elle tandis qu’elle serrait plus fort
mes mains dans les siennes et laissait l’étalon faire à sa guise. Des mèches
légères de cheveux volèrent hors de sa tresse et effleurèrent mon nez et mes
joues, me rappelant des moments plus heureux et amenant le calme au plus
profond de mon âme.
Je
fermai les yeux et enfouis mon visage dans ses cheveux, et je laissai son odeur
m’emmener vers l’inconnu.
Quelques
instants plus tard – et franchement, j’étais trop terrorisée pour m’inquiéter
de savoir combien – le galop frénétique de l’étalon se mua en une marche
chaloupée, puis s’arrêta.
Avant
que je ne le réalise, je sentis mes bras dénoués de la taille de mon ancre.
Puis des mains puissantes me soulèvent et me posèrent doucement au sol à
nouveau. J’ouvris difficilement les yeux en tentant de rassembler ce qui
restait de mes esprits et regardai alentours, embrassant la beauté de l’endroit
isolé qu’Ice avait choisi pour nous.
Et
on peut vraiment dire que c’était isolé. Une vue panoramique de 360 degrés qui
ne montrait aucun signe de civilisation. On aurait pu être sur la Lune pour ce
que j’en voyais.
Avec
de la vie quand même. De l’herbe haute et soyeuse au bout plumeux, poussait en
abondance sur la large mesa plate sur laquelle je me trouvais. Au-dessus de ma
tête, le ciel était une tapisserie immense ornée de pierres précieuses. Sans
aucune lumière pour altérer sa splendeur, aucun bâtiment ou arbre haut pour
réduire son immensité, il semblait remplir l’univers entier d’une façon que je
n’avais jamais vue auparavant, me faisant paraître minuscule et très
insignifiante en comparaison.
Un
long corps chaud s’enroula autour de moi par-derrière, stoppant mon début de
frisson spontané.
Je
fus étreinte brièvement puis la couverture me fut doucement enlevée des mains.
Tandis que je l’observais en silence, Ice détacha les boucles du couchage puis
posa la couverture sur le sol, se mit sur un genou pour la lisser et la maintenir
avec quelques cailloux judicieusement posés sur les coins.
Puis
elle leva les yeux vers moi, avec un fantôme de sourire au coin de ses lèvres
et elle tendit la main. Baigné par la lune, son visage était un mélange curieux
de lumière douce et d’ombre ténébreuse, mais ses yeux, clairs et brillants,
étaient le seul foyer dont j’avais besoin.
J’allais
vers elle, me sentant étrangement innocente, une fiancée le soir de ses noces
acceptant l’invitation affectueuse de sa promise.
Une
grande main gantée serra fermement la mienne et je sentis un doux baiser sur
mes phalanges. Son sourire s’élargit quand elle leva les yeux vers moi, ce
sourire en coin qui même aujourd’hui, ne manque jamais de faire s’arrêter mon
cœur de battre pour un instant infime et amène toujours un sourire immédiat en
réponse sur mes propres lèvres.
« Viens
ici », murmura-t-elle, sa voix à peine audible par-dessus le doux
sifflement du vent sur les hautes herbes.
Je
m’agenouillai, sentant le cuir soyeux de sa main remonter et réchauffer mon
bras puis mon côté pour se poser fermement sur ma taille et me retenir.
Je
levai les yeux vers elle, ma déesse de la nuit, tandis que la lune l’inondait
de sa lumière sacrée par-derrière et créait un halo frémissant autour de son
corps. L’expression d’adoration absolue dans ses yeux tandis qu’elle me
regardait, me coupa le souffle et la force dans mes muscles.
Le
monde cessa d’exister autour de moi. Le temps ne se mesura qu’aux battements de
mon cœur. « Je t’aime », dis-je simplement, d’une voix que je savais
proche du respect.
Jamais
de mots plus vrais ne furent prononcés, de mots chéris ne furent pensés.
« Je
sais », me répondit-elle de la même voix.
Nous
devinrent un seul être alors, émergeant de l’obscurité de nos êtres séparés
pour se fondre à nouveau dans un langage qu’aucune de nous n’avait besoin de
parler. Un langage fait d’amour et de passion grandissante. Un langage pour
donner et prendre et un langage de connaissance intime. Un langage qui apaisait
les douleurs et remplissait jusqu’à en déborder les espaces vides laissés
derrière nous.
Nos
lèvres se rencontrèrent dans une urgence sensuelle tandis que nos mains se
hâtaient sur les boutons et les boucles. Je faillis crier de soulagement quand
elle ouvrit ma chemise en l’arrachant dans un déchirement des coutures, qui
résonna dans la nuit silencieuse du désert, emporté par les courants du vent
qui soufflait doucement.
L’air
froid fut remplacé par la chaleur inhumaine des mains de mon amante qui
excitaient et stimulaient, les doigts longs, forts et hautement experts passant
sur mes seins, encerclant mes tétons avec un abandon impitoyable jusqu’à ce que
je ne puisse que crier ma reddition.
Un
rire bas emplit l’air nocturne et je me sentis allongée sur le dos tandis que
ses lèvres quittaient ma bouche, semant une piste brûlante de désir le long de
ma mâchoire, avant de se poser finalement sur la peau sensible de mon cou.
J’empoignai la couverture grossièrement tissée sous moi tandis que des dents
puissantes se faisaient sentir et qu’une langue pointue dansait sur mon pouls,
provoquant des étoiles que les cieux n’avaient jamais vues, qui commencèrent à
danser derrière mes paupières serrées.
« Seigneur »,
haletai-je et je me contorsionnai, impuissante, tandis que ses mains quittaient
mes seins pour descendre et retirer mon jean qui faisait obstacle, et que ses
dents et sa langue continuaient leur magie sur ma peau frissonnante.
Un
instant de panique figea mes mouvements lorsque je sentis son corps quitter le
mien, mais lorsque j’ouvris les yeux, une vague brutale et déchaînée
d’excitation intense me traversa, plus forte que n’importe quelle marée qui
avait jamais été créée des profondeurs d’une mer bouillonnante et écumante.
Une
déesse argentée s’agenouilla au-dessus de moi, ses doigts gourds retirant le
reste de ses vêtements pour laisser la Lune tracer son corps magnifique d’un
toucher possessif d’amante.
Je
ne pus empêcher le gémissement qui passa sur mes lèvres sèches tandis que je
regardais ses mains passer sur ses seins et son ventre, suivant le chemin sacré
de la Lune, me faisant souhaiter de tout mon être avoir le pouvoir de briller
sur elle aussi intimement, même pour un instant fugace.
Avec
un grognement que je ne me connaissais pas, je me redressai brusquement et
entourait sa taille de mes mains, la dérobant de l’étreinte de la Lune pour
prendre sa beauté sauvage et primale dans mes bras, là où était sa place.
Je
l’entendis doucement gémir tandis que je pinçais et léchais la peau satinée de
son ventre ; je sentis ses mains se mêler à mes cheveux tandis que ma
langue trouvait sa place dans le puits de son nombril ; je souris contre
sa peau quand ses hanches poussèrent doucement vers l’avant dans une réponse
reconnaissable à mes attentions.
Incapable
d’attendre même le temps d’un battement de mon cœur, je baissai le menton pour
tracer des baisers ardents au bas de son ventre, pour trouver son odeur et son
goût qui m’avaient tant manqué, dont j’avais tant besoin et que je chérissais
tant que des larmes se formèrent aux coins de mes yeux par pure joie de les
trouver à nouveau à ma portée.
Et
puis, enfin, après avoir tant attendu et désiré, son goût fut enfin sur ma
langue. Je gémis de pur bonheur, entendis le doux gémissement en réponse
au-dessus de moi tandis que les doigts d’Ice serraient mes cheveux et que ses
hanches commençaient un lent et doux balancement qui l’amena encore plus dans
ma bouche et me remplit d’une joie indescriptible et poignante.
Mes
mains partirent de sa taille pour descendre sur ses hanches et serrer les
muscles contractés à l’arrière de ses cuisses. Je pouvais sentir ces muscles
trembler sous mes paumes tandis qu’elle tentait de lutter contre la prise
combinée de la gravité et de ma bouche.
Je
souris légèrement et redoublai d’efforts, pinçant les lèvres en la prenant
profondément tandis que ma langue dansait contre elle, lentement et longuement.
Le
tremblement dans ses jambes se transforma rapidement en secousses violentes.
Ses mains se serraient par réflexe, sa force incroyable m’entrainait tout
contre elle et ma langue de plus en plus profondément encore.
Jusqu’à
ce qu’elle atteigne le bord et, avec un long gémissement, elle jouit contre ma
langue dans une grande vague tremblante qui amena des larmes de joie dans des
yeux autrement habitués depuis longtemps à des émotions plus tristes.
Ses
jambes lâchèrent et je l’aidai de mon mieux à s’abaisser jusqu’à ce qu’elle
soit assise sur ses talons et me regarde avec une expression d’émerveillement à
demi-embrumé, ses mains posées sans force sur ses cuisses.
Une
sorte de joie étourdie monta de mon ventre et fit se courber mes lèvres dans un
large sourire. « Je t’ai eue, non ? » Dis-je, en frottant mes
ongles contre sa poitrine pour me moquer.
« Oh
que oui », gronda-t-elle, son sourire en coin faisant grandir encore plus
le mien. « Oh pour ça oui que tu m’as eue. »
Je
ris, un rire joyeux. « Il faudra que je me souvienne de l’écrire, alors.
Parce que ce n’est pas si souvent que je… »
Toute
autre parole fut avalée tandis qu’une boule d’un mètre quatre-vingts, nue et
irradiant la chaleur sexuelle, souda mes lèvres des siennes et me remit à
nouveau avec force sur le dos. « Un remboursement n’est que justice, douce
Angel », gronda une voix basse dans mon oreille. « Et j’ai bien
l’intention de… rendre largement justice. »
Si
j’avais eu de la salive, j’aurais dégluti. Mais à la place, je hoquetai, puis
gémis lorsqu’une langue traça un chemin autour de mon oreille, suivie
rapidement par un léger mordillement qui suçota et s’agita sur mon lobe. Sa
main divagua, pour aller de nouveau exciter mes seins, trouvant chaque téton
avec une précision infaillible jusqu’à ce que je ne puisse plus me souvenir que
de mon nom à cause du feu qu’elle faisait monter du fond de moi. « Est-ce
que tu aimes ce jugement, mon Angel ? »
« Oui,
je... Seigneur !... Là !... Je…. Oh ! Je l’aime… oh oui, s’il te
plait…. Beaucoup… »
Son
rire roula en moi. « Bien. »
Mon
cœur était le Soleil, brûlant et brillant tandis que ses mains recréaient ses
pics et ses vallées, sans jamais s’arrêter, sans jamais s’attarder trop
longtemps avant de bouger dans leur quête.
Son
corps était la Lune, me baignant de sa radiance magnifique.
Et
lorsqu’elle entra enfin en moi, poussant avec une force et une tendresse qui
n’appartenaient qu’à elle, je lâchai une prière sanglotante de mercis vers les
cieux qui nous avaient donné naissance et l’avaient ramenée à moi, toute
entière, toute puissante et toute vivante.
Ma
jouissance arriva rapidement sous les œuvres de son toucher expert et
connaisseur. La seconde monta avant même que la première ne meurt.
Je
voulais plus, je voulais la puissance de son amour et elle me la donna
volontiers, sans jamais s’arrêter même après que le second orgasme me laissa
sans souffle et tremblante.
Je
sentis sa force contre moi tandis qu’elle bougeait pour chevaucher mes cuisses,
son souffle chaud et humide sur mes joues mouillées de sueur. « Je t’aime,
Angel », murmura-t-elle tout en commençant à se balancer doucement contre
moi, créant un rythme entre nos corps. « Tellement, tellement. »
Je
tournai la tête et capturai ses lèvres, plongeant mes mains dans l’épaisseur de
ses cheveux tandis que notre amour et notre passion montait avec puissance à
nouveau. Nos corps, trempés de sueur, glissaient l’un contre l’autre dans une
friction délicieuse. Le tissu rugueux de la couverture créait à son tour une
friction contre mon dos et mes hanches au rythme des poussées toujours plus
puissantes d’Ice.
Une
énergie rayonnante passait de l’une à l’autre, nous liant encore plus jusqu’à
ce que nos bouches se séparent lorsque le besoin d’air se fit pressant. Ses
yeux brillèrent lorsqu’elle se poussa contre moi, de légers grognements
énonçant leur propre langage passionné pour les profondeurs de mon âme et
au-delà. Ses doigts dansaient en moi tandis qu’elle bougeait, m’invitant à
partager ce voyage vers les étoiles avec elle.
« Ensemble ? »
Murmurai-je, haletant brusquement tandis que mes muscles se contractaient en
rythme, promettant la jouissance que mon âme affamée demandait.
« Toujours »,
répondit-elle, en me nourrissant de son propre orgasme à travers l’indigo
profond de ses yeux.
Nous
restâmes figées un long moment, deux statues fusionnées par un lien incassable,
jusqu’à ce que, finalement, les paupières d’’Ice battent et se ferment et
qu’elle s’effondre sur moi, sa poitrine se soulevant tandis qu’elle reprenait
sa respiration.
Tandis
que je tentais de ramener moi aussi ma respiration sous contrôle, je tournai la
tête et mis le nez dans la peau douce à la jonction de son cou et de son
épaule. Je souris légèrement en sentant un frisson courir le long de son corps,
puis j’embrassai l’endroit en question, provoquant une secousse plus faible
mais tout autant ressentie.
Elle
grogna légèrement et s’écarta avant de se tourner, usant de ses bras pour me
ramener contre elle, nos poitrines et nos ventres joints. « Ça
va ? » Je sentis un doux baiser posé sur mon front, comme une
bénédiction.
« Je
vais… merveilleusement bien. » Comme elle pouvait le deviner avec le
sourire stupide et béat qui ne manquait pas de s’afficher sur mon visage.
« Oh
ça oui », dit-elle en riant.
« Tu
n’es pas si mal non plus, ma chérie », répliquai-je de mon ton le plus
coquin, juste pour entendre à nouveau son rire chatouiller mon oreille.
Je
fus récompensée lorsque son rire bas emplit la nuit fraîche, me réchauffant à
l’intérieur jusqu’à mes orteils. Malheureusement, on ne pouvait pas en dire
autant de l’extérieur. Tandis que le vent passait sur ma peau trempée de sueur,
je frissonnai de froid.
« Froid ? »
Elle me serra encore plus fort contre elle, m’enveloppant dans sa chaleur.
« Un
peu. »
Un
long bras se détacha de ma taille et une demi-seconde plus tard, je fus
enveloppée dans une des couvertures, blottie comme un bébé dans les bras chauds
de sa mère.
« C’est
mieux ? »
« Mmmm.
Beaucoup mieux. »
« Bien. »
Alors
que j’écoutais le battement du cœur de mon amante ralentir, mes paupières
s’alourdirent et je me retrouvai dans un endroit rempli de beauté merveilleuse
et de paix infinie, un endroit que je ne trouvais que dans la sécurité de
l’étreinte d’Ice.
Tandis
que je m’enfonçais dans cet endroit, mon esprit vagabonda de pensée en pensée
jusqu’à ce que l’une d’elles ne ressorte et me fasse me raidir.
« Ice ? »
« Mmm ? »
Entendis-je dans un murmure satisfait de la voix endormie de mon amante.
« Je
ne peux pas croire que je soies en train de dire ça, mais ne penses-tu pas que
nous ferions mieux de rentrer maintenant ? Avant que Montana n’appelle la
Garde Nationale, je veux dire ? »
« Me
suis occupée de tout. » Je la sentis s’étirer contre moi puis se replacer,
nos jambes emmêlées alors qu’elle poussait un profond soupir de satisfaction.
Je
mis la tête légèrement en arrière pour la regarder dans les yeux.
« Rio ? »
« Rio. »
Je
hochai la tête puis me nichai dans son corps chaud, souriant légèrement lorsque
je la sentis se poser contre mes cheveux. « Merci, à propos. »
« Pourquoi ? »
« Pour
être mon chevalier… heu… en coton noir. »
Elle
ricana doucement puis secoua la tête, son menton effleurant légèrement le
dessus de mon crâne.
« Tu
étais là depuis combien de temps ? »
« Juste
avant que tu n’arrives dans les écuries. »
Le
choc me traversa et je m’écartai pour la regarder. « Alors
pourquoi… ? »
Elle
haussa les épaules. « Tu te débrouillais bien. »
Je
sentis ma mâchoire béer, comme celle d’un poisson, tandis que je continuais à
la fixer. Bien que femme de relativement peu de mots, parfois ceux qu’elle
choisissait de prononcer me grandissait de plus de quinze mètres.
Elle
eut un léger sourire narquois et leva la main pour me fermer la bouche.
« On ne veut pas qu’un scorpion grimpe là-dedans. »
Si
quelque menace au monde pouvait briser le charme sous lequel je me trouvais,
c’était bien celle-là. Si Ice ne m’avait pas tenue, j’aurais bondi jusqu’à la
Lune. Bien que je n’en ai jamais vu de près, ma haine des scorpions était déjà
légendaire, au moins pour moi si pour personne d’autre.
Et
maintenant, apparemment, pour Ice également. « Ne t’inquiète pas, il n’y
en pas dans les parages. »
Je
sentis mon regard se plisser. « Comment le sais-tu ? »
« Je
le sais, c’est tout », obtins-je en réponse d’une voix douce.
« C’est
bon alors. Mais si je me fais piquer sur les fesses, tu sais qui va devoir
sucer le poison. »
« A
ton service. » Le ton de sa voix me fit penser que peut-être, trouver un
tel insecte était soudainement en haut de sa liste de priorités.
Je
la serrai fort. « N’y pense même pas. »
Un
petit sourire narquois et diabolique fut sa seule réponse.
Je
volai un baiser sur ses lèvres et reposai la tête contre son épaule, savourant
la douceur de sa peau contre la mienne et l’odeur de notre moment d’amour qui
nous entourait. Le contact léger de ses doigts sur mes cheveux tandis qu’elle
commençait à me caresser lentement et doucement, provoqua un autre sourire sur
mes lèvres. Je savais, sans aucun sentiment de fausse modestie, que j’étais la
personne la plus aimée et la plus chérie au monde à ce moment précis.
Un
moment que j’espérais voir durer une éternité d’éternité.
Après
quelques instants passés en silence, à écouter le léger sifflement du vent sur
l’herbe, mon esprit retourna à d’autres choses. Moins plaisantes. Des choses
dont il ne fallait surtout pas parler après ce que nous avions partagé – et
continuions à partager – mais qui ne voulaient pas partir quand même.
Ice
avait dû sentir le changement parce que sa main se figea et elle s’écarta juste
assez pour me regarder dans les yeux. « Que se passe-t-il ? »
Je
ris pour m’empêcher de pleurer et elle le sut aussi, parce qu’elle plissa le
regard et pencha la tête tandis que sa main venait prendre ma joue.
« Ce
que Rio a dit dans les écuries », dis-je avec un tremblement dans la voix,
« c’était vrai ? Est-ce que je te rends molle ?
Faible ? » Je soupirai fortement et baissai les yeux pour éviter son
regard. « Tout ça est tellement de ma faute. »
La
main sur ma joue s’abaissa pour attraper ma mâchoire et me forcer à lever les
yeux. Bien que son toucher restât doux, ses yeux me rappelaient les nuages
noirs déferlants qui précédaient une furieuse tempête du milieu de l’été.
« Ne dis… plus jamais… ça. »
« Mais… »
« Jamais.
Tu m’entends ? » Son corps, rassasié et doux un instant
auparavant, était maintenant dur et tendu de colère.
Je
la sentis se raidir encore plus, la fureur irradiant littéralement de chaque
pore, et tandis que je sentais ses muscles commencer à bouger dans ce que je
savais être un prélude à la fuite, je fis la seule chose que mon cœur
permettrait. Je me jetai sur elle et la serrai aussi fort que possible.
« Je suis désolée », dis-je en sanglotant à demi. « S’il te
plait. Ne pars pas. Je suis désolée. S’il te plait. »
Après
un long moment de lutte interne intense, elle se détendit un peu sous moi, bien
que ses yeux lançaient toujours des éclairs de colère.
« Je
suis désolée. Je n’aurais jamais dû dire une telle chose. Je ne sais pas ce qui
m’a pris. S’il te plait… »
Après
quelques moments de silence, je soupirai et m’écartai d’elle, me réprimandant
intérieurement pour avoir choisi le mauvais moment parfait pour oublier de
fermer ma grande gueule.
Comme
s’il m’approuvait, le vent se mit soudain à souffler plus fort et bien qu’à
demi couverte encore par la couverture, ce fut comme si j’étais nue face au
monde sans la chaleur vivante de mon amante pressée tout contre moi. Je luttai
contre le frisson montant mais il vint tout de même, me rendant encore plus
malheureuse que je ne l’étais déjà.
Moins
d’une seconde plus tard, j’étais de nouveau enveloppée dans une chaleur
merveilleuse tandis qu’elle se redressait derrière moi, me serrant fort et
m’attirant contre elle. « Ne doute jamais de mon amour pour toi,
Angel. » Le timbre bas de sa voix chantonna en moi, me réchauffant encore
plus. « Ne doute jamais de toi-même. Ne doute jamais des cadeaux que tu
m’as faits. »
Ses
bras se resserrèrent autour de moi. « Tu ne m’as pas rendue plus faible,
Angel. Tu m’as rendue plus forte. Tu m’as appris comment avoir à nouveau des sentiments.
Et comment aimer à nouveau. » Mon crâne chatouilla du baiser qu’elle y
déposa. « Tu es un cadeau sans prix pour moi, Angel. Et quiconque ne le
croit pas, ou ne peut l’accepter… peut aller droit en enfer. » Je sentis
sa poitrine et son ventre se serrer contre mon dos tandis qu’elle prenait une
profonde inspiration, puis la relâchait lentement. « Et s’il le faut, je
les y emmènerai moi-même. »
Les
larmes coulèrent sur mes joues. « Tu es... incroyable. »
« Tu
n’es pas si mal non plus, ma chérie. »
L’imitation
était si fichtrement parfaite que mon rire jaillit pleinement, apaisant les
dernières douleurs sombres de mon âme.
Je
me retournai avec aisance dans le nid de ses bras et pressai mes lèvres contre
les siennes dans un baiser de profonde gratitude qui se transforma vite en
quelque chose de plus fort et de plus passionné.
Le
bruit de rires et de larmes fut lentement remplacé par les doux sons de notre
acte d’amour dans la fraîcheur d’une douce nuit dans le désert.
*******
La
maison était silencieuse comme une tombe lorsque j’entrai et refermai la porte
doucement derrière moi. Je relevai les manches de la chemise trop grande qu’Ice
m’avait donnée pour remplacer celle qu’elle avait mise en lambeaux (et je peux
vous dire que le bénéfice ajouté de voir Ice chevaucher un étalon sans rien
d’autre que son jean et un sourire, remplacèrent largement la destruction d’une
chemise autrefois préférée), puis je sortis de mon brouillard de béatitude
assez longtemps pour m’interroger sur le silence et je pris le temps de
regarder alentours.
Près
d’une douzaine de femmes me regardaient depuis leurs canapés et leurs fauteuils
dans le séjour enfoncé dans le noir. Les expressions de respect sur certains
des visages me firent me tourner brusquement pour regarder derrière moi, me
demandant si peut-être Ice avait réfléchi et finalement décidé de passer la
nuit ici.
Mais
non, la porte restait résolument fermée et j’étais toujours seule sur quelque
chose qui ressemblait rapidement à une scène.
Un
sifflet perçant secoua le silence surnaturel et lorsque je me retournai à
nouveau, je vis Cowgirl qui se mettait debout, un sourire connaisseur et
incorrigible sur les lèvres. Elle me fit un clin d’œil et commença à applaudir.
D’autres
se levèrent et se joignirent à elle, et bientôt toute la maisonnée fut remplie
de sifflements admiratifs, de tonnerre d’applaudissements et de commentaires
assez paillards pour m’arracher la peau du visage.
Dans
un état d’embarras plus intense que jamais je n’avais vécu, je tournai à
nouveau sur moi-même avec l’intention de foncer dehors pour fuir la combustion
spontanée qui menaçait de me consumer sur place. Mais je trouvai le chemin
obstrué par une Pony à l’expression libidineuse et une Critter souriante qui me
fixaient, les bras croisés sur leur poitrine et les pieds bien écartés, me
coupant toute possibilité de retraite.
« Ne
m’oblige pas à te faire encore du mal, Pony », dis-je dans un
demi-grondement tout en repoussant la main qui voulait me faire me retourner
pour affronter mon audience, quoi qu’il en soit.
« Oooh.
Encore quelques leçons de macho d’Ice, je vois. » Son regard lubrique fut
encore plus prononcé lorsqu’elle tenta à nouveau. « C’était avant ou après
qu’elle… »
« Pony… »
L’avertit Critter en voyant la lueur dans mes yeux.
« Allez,
Critter ! C’est pas tous les jours que quelqu’un survit à un combat au
couteau avec Rio, part chevaucher au fond du désert pour se faire baiser par
Ice, tu sais. Je suis juste en train d’exprimer mon admiration là. »
Critter
aboya un rire. « Seigneur, Pony, ce que tu es foutument vulgaire. »
« J’dis
les choses comme j’les vois, bébé. »
« Continue
à appeler les choses comme ça et tu ne les reverras jamais », dis-je d’un ton
d’avertissement les dents serrées.
« Ça
suffit ! »
Je
me retournai à cause du silence soudain dans la pièce et je vis Montana et
Corinne qui marchaient vers moi à grands pas, une expression identique de
sérieuse résolution sur le visage. « Tout le monde au lit », ordonna
Montana en balayant le groupe de son regard acéré. « Tout de suite. »
Avec
juste ce qu’il fallait de protestation, les membres du groupe se séparèrent et
partirent dans toute la maison pour retrouver leurs chambres respectives et se
coucher pour le reste de la nuit.
« Tu
n’as pas des choses à faire ? » Demanda Montana en arrivant près de
moi, clouant Pony, toujours à la porte qu’elle gardait, d’un regard pénétrant.
Mon
amie pâlit légèrement puis rougit en baissant la tête comme une écolière prise
en faute. S’il y avait eu des cailloux sur le sol, je pense qu’elle leur aurait
donné un coup de pied. « Si. »
« Alors
je te suggère d’y retourner. »
Marmonnant
trop doucement pour être compréhensible, elle tourna les talons et prit la
fuite toute trouvée que j’avais prévue de prendre un instant auparavant, en
refermant rapidement la porte derrière elle.
Corinne
parcourut la distance qui nous séparait, prit ma main et m’entraina gentiment
dans la maison jusqu’à ma chambre, Montana silencieusement sur nos traces. Une
fois que nous fûmes toutes les trois en sécurité dans ma chambre, Corinne me
relâcha la main et sourit. « Tu vas bien ? »
« Je
ne pensais pas qu’on pouvait mourir d’embarras », dis-je en riant
légèrement. « Maintenant, je n’en suis pas trop sûre. » Je me passai
la main dans mes cheveux toujours trempés. « Mais oui, je vais
bien. »
Elle
tendit le bras et me fit une étreinte du genre ‘tour d’épaules’, quelque chose
d’inhabituel chez elle. Je levai les yeux lorsqu’elle s’écarta et son regard
brillait en touchant le tissu du haut noir que je portais.
Je
sentis mon regard s’écarquiller quand je réalisai soudain. Je ne pus m’empêcher
de sourire. « Qui pouvait savoir qu’il y avait une telle pile de
romantisme chaleureux sous cet extérieur de granite ? » Je blaguai en
savourant la rougeur qui se répandit brièvement sur son visage.
J’évitai
facilement sa tape moqueuse et tournai la tête pour voir que Montana m’étudiait
avec attention. Je sentis ma propre rougeur monter et je remerciai Dieu que la
chemise que je portais, vu son col haut, couvrit ce qui était, sans aucun doute
possible, une multitude de péchés.
« Tu
es sûre que tu vas bien ? » Demanda-t-elle.
« Plutôt
bien, oui. Il y a une raison pour que tu demandes ça ? »
« Tu
veux porter plainte ? »
Je
sentis ma tête se pencher pour la regarder. « Pour s’être moqué de
moi ? Je ne pense pas qu’on arrête les gens pour avoir été embarrassants.
On peut ? »
« Je
parlais de Rio », répondit-elle avec un air de patience agacée.
« Oh.
Rio. » Je sentis le dessus de mon nez se plisser de dégoût. Et pourtant…
« Hum… je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense qu’elle a plutôt
bien appris sa leçon, non ? »
« Il
ne s’agit pas d’apprendre des leçons, Angel. Elle t’a attaquée avec un couteau.
Elle aurait pu te tuer. »
« Elle
aurait pu, oui. Mais elle ne l’a pas fait. »
« Tu
es encore à côté de la plaque. »
Je
levai la main pour la faire taire et me laissai tomber avec lassitude sur le
lit. « Non, je ne crois pas, Montana. Je comprends ton point de vue. Et
ton inquiétude. Crois-moi, je comprends. C’est juste que… » Je joignis mes
doigts en pointe et soupirai, puis je la regardai. « Je pense que les gens
ont droit à une seconde chance. Elle a commis une erreur, et je sais que c’en
était une grosse. Mais c’était une erreur, c’est tout. A la fin, elle a réalisé
son erreur et personne n’a été blessé. »
Corinne
ricana. « De ce que j’en ai compris, Angel, Rio n’a pas vraiment ‘réalisé’
son erreur toute seule. Elle a été rossée pour ça. »
« Elle
n’a pas… » Je soupirai à nouveau. « Ice était très en colère. »
« Et
elle avait tous les droits de l’être, merde », grogna Corinne.
Je
levai les yeux, surprise. Jurer n’était pas dans ses habitudes. Tout comme
grogner.
« Quoi ? Elle
a eu de la chance que ce soit Ice qui s’interpose. Si ça avait été moi, je
l’aurais tuée. Et après j’aurais posé
des questions. »
Je
souris légèrement et tendis la main pour prendre la sienne, en la pressant
affectueusement. « Alors non, Montana. Je ne veux pas porter plainte. Je
pense que quelque soit son crime, elle a plus que payé pour ça déjà. »
Après
m’avoir fixée rudement pendant un long moment de silence tendu, Montana finit
par hocher la tête. « Bien. Je vais lui demander de faire ses bagages et
d’être partie au coucher du soleil. » Puis elle se tourna pour partir.
« Non !
Attends. Montana, ce n’est pas nécessaire, si ? »
Elle
se retourna vers moi, un voile profond de regret dans ses yeux. « Rio a
brisé chaque serment qu’elle a fait, Angel. Elle a tourné le nom d’Amazone en
dérision. Ce n’est pas une chose que je peux laisser passer, peu importe
combien je le souhaiterais. »
Corinne,
près de moi, semblait pensive. « Peut-être pourrais-tu l’exclure mais tout
en lui permettant de réparer pour pouvoir regagner son statut dans le
groupe ? »
Montana
fronça légèrement les sourcils, mais après un instant, son expression s’apaisa.
« Tu m’as donné de quoi réfléchir, Corinne. Je ferai connaître ma décision
demain matin à tout le monde. » Elle me regarda et sourit légèrement.
« Je suis contente que tu n’aies pas été blessée, Angel. Tu es une
personne très spéciale. »
« Merci »,
répondis-je en lui rendant son sourire. « Tu es très spéciale
aussi. »
Aussitôt
que la porte se ferma doucement derrière elle, je poussai un profond soupir que
j’avais retenu et me laissai retomber sur le lit, mes pieds toujours fermement
posés au sol, mes bras ballants. « Seigneur. Quel bazar. »
« Ça
aurait pu être pire », fit observer Corinne, en venant s’asseoir près de
moi tout en repoussant un de mes bras.
« C’est
vrai. Je pourrais être morte, allongée dans un tas de crottin juste
maintenant. »
Elle
rit doucement et me prit la main pour la tapoter. De sa main libre, elle tira à
nouveau sur la chemise noire à manches longues que je portais, frottant le
tissu entre ses doigts. « Alors... elle était comment ? »
« Corinne ! »
Mon choc, bien entendu, était feint. C’était Corinne après tout.
« Qui
est-ce qui a l’esprit mal tourné maintenant, hmmm ? » Son sourire
était sans merci. « Je voulais juste savoir comment elle allait, Angel.
Pas ce qu’elle aime au lit. J’ai une plutôt bonne idée de ça déjà. »
Je
me couvris le visage en gémissant, sentant l’embarras chauffer mes paumes.
« C’est la soirée ‘Tuez la Blonde’ et quelqu’un a oublié de me
prévenir ? » Pour autant que les gémissements plaintifs existent,
celui-ci en était un plutôt bon, si je puis m’exprimer ainsi.
Elle
rit puis m’ébouriffa les cheveux de ses doigts. « Alors ? »
« Elle
va… bien. Je pense que ces mois passés en prison l’ont affectée plus qu’elle ne
veut le laisser paraître – elle a perdu un peu de poids – mais autrement, elle
va bien. »
« Maintenant,
raconte-moi quelque chose que je ne sais pas »,
me taquina-t-elle.
Je
retirai mes mains de devant mon visage et soupirai. C’en était terminé de
l’idée de me blottir sous les couvertures et de laisser les souvenirs de la
nuit merveilleuse que je venais juste de passer avec Ice me bercer jusqu’au
sommeil. Je roulai sur le côté et tentai une tactique de diversion. « On
n’a pas vraiment passé beaucoup de temps à parler, Corinne. »
« Bien
manœuvré, Angel. Et je suis censée avaler cette pile d’engrais que tu essaies
de me vendre. Si ça venait de quelqu’un d’autre… Allez, crache le
morceau. »
« Ça
ne peut pas attendre demain matin ? S’il te plait ? Je suis
épuisée. » Peut-être que par les sentiments, ça marcherait.
« Je
parie bien que tu l’es, ma chérie. » Nan. Ça n’avait pas marché.
« Bien »,
dis-je en roulant sur le dos. « Qu’est-ce que tu veux savoir au
juste. »
« Tout
ce que tu sais, bien sûr. »
Je
secouai la tête en riant et la fixai. « C’est tout ? »
« Plutôt,
oui. »
Alors
je lui dis tout ce que je savais, ce qui, bien entendu, n’était pas
grand-chose. Je lui expliquai comment, selon Ice, Cavallo était un petit rouage
dans une très grande roue. Les rayons de cette roue étaient faits de
corruption, de projets de dessous-de-table, de blanchissement d’argent, de
corruption de jurés et autres crimes du genre tous situés dans le bras
judiciaire du gouvernement. Non seulement Cavallo participait lui-même à de
nombreuses, sinon à toutes les activités criminelles concernées, il était
aussi, selon les dires, en possession d’une liste très importante. Une liste
qui contenait les noms de nombre de ses co-conspirateurs, certains sur lesquels
il pratiquait ses propres extorsions en paiement de son silence sur ces choses.
Une
commission d’enquête très spéciale et très secrète, composée de membres de la bureaucratie
gouvernementale, était très intéressée par ce que Cavallo savait. Très intéressée. Et ils se disaient que
s’ils pouvaient juste avoir prise sur lui, ils pourraient le faire craquer.
« Ça
ne me semble pas très plausible. Ils ont déjà eu leur chance. Il n’a pas
craqué. »
« Oh,
mais si, il a craqué, Corinne. Ice dit qu’il a chanté comme un canari. »
« Alors
pourquoi… »
« Il
était sous l’influence de drogues à ce moment-là. On venait de retirer huit
balles de son corps, tu te souviens ? »
« Aah
oui, maintenant que tu le dis. »
« Alors,
ses déclarations ont été jugées inadmissibles en tant que preuves et le temps
qu’ils puissent réessayer, son avocat l’avait ligoté et bâillonné et tout fut
terminé. »
« Bon,
s’ils le veulent autant, pourquoi ils ne lèvent pas leur cul graisseux pour
aller le chercher eux-mêmes ? »
« Crois-moi,
Corinne, j’ai posé cette question au moins dix fois moi aussi. »
« Et ? »
Je
haussai les épaules. « Ice présume que c’est parce qu’ils ne savent plus
qui sont les gentils. Ce n’est pas la raison qu’ils lui ont donnée mais c’est
la seule qu’elle pense vraie. »
« Ils
ne font même pas confiance à leurs pairs ? » Les yeux de Corinne
étaient arrondis d’incrédulité derrière ses verres.
« Ça
fait réfléchir, hein ? »
Elle
secoua la tête. « Et c’est nous
qu’on appelle les criminels. »
Je
ris doucement, bien qu’en vérité, la situation fût aussi loin d’être drôle.
« Alors,
ils ont proposé à Ice un marché qu’elle ne peut pas refuser et ils l’ont
installée comme un petit agneau sacrificiel bien appétissant. »
« En
gros c’est ça, oui. »
« Et
si elle devait échouer… »
Une
boule de plomb s’installa dans mon estomac. Echouer était inscrit en premier
sur ma liste des choses qu’il ne fallait même pas envisager.
Corinne
me fixa avec des yeux remplis de compassion. « Oublie ce que je viens de
dire. »
Je
hochai la tête et lui fis un sourire reconnaissant, repoussant la notion dans
les tréfonds les plus lointains de mon esprit, où elle trainerait, j’en étais
sûre, en attendant de sortir dans les cauchemars, chacun d’eux pire que le
précédent jusqu’à ce qu’une sueur froide devienne ma compagne nocturne.
Corinne
pressa ma main une dernière fois et se leva en me souriant. « Merci
d’avoir cédé à ma curiosité rampante, Angel. Je te laisse à tes rêves. Qu’ils
soient beaux. »
« Merci,
Corinne. Les tiens aussi. »
Son
sourire doux prit une note concupiscente. « Vivre dans une maison entourée
d’une volée de belles nageuses nues, comment pourrait-il en être
autrement ? »
Tandis
qu’elle refermait doucement la porte sur mon rire, je me levai avec difficulté
du lit et allai à la fenêtre, je tirai les rideaux lourds suffisamment pour
regarder dans la nuit sombre du désert. « Merci », murmurai-je avant
de retourner me glisser sous les couvertures, laissant l’odeur de mon amante
toujours sur la chemise que je portais, me bercer dans l’endroit où les rêves
étaient nés.
Et
ils furent beaux.
*******
A
suivre – Chapitre 4