Quand tombent les ténèbres, chapitre 2, partie 2
Quand tombent les Ténèbres
Par Melissa Good
Chapitre 2, 2ème partie
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Il faisait chaud à l’intérieur, se dit Gabrielle, et elle se
dépêcha d’entrer dans la cabane avec un sentiment de soulagement. Elle alla
vers le foyer et s’assit devant les jambes croisées, absorbant la chaleur avec
avidité. L’entraînement au bâton avait été vif et elle ressentait la fatigue
plaisante d’une après-midi de bon usage de son corps, mais c’était bon de se
retrouver à l’intérieur, loin du vent froid et vif qui rougissait ses joues et
lui faisait souffler des bouffées d’air.
Elle fronça les sourcils quand un courant d’air froid toucha
son dos, puis son expression fâchée fit place à un sourire lorsque la porte se
referma sur sa compagne, revenue de deux jours d’expédition de chasse.
« Wow… je ne t’attendais pas aussi vite ! » Elle tournoya sur
elle-même et absorba la vision de Xena qui rejetait son lourd manteau, laissant
apparaître la combinaison en cuir bleu nuit qui sculptait sa silhouette en
détails sensuels, et les épaisses jambières en laine enfoncées dans ses hautes
bottes. « Mais je ne me plains pas de la vue. »
Xena sourit et leva les mains. « Je suis partie, j’ai
trouvé ce que je cherchais, je suis revenue. Fin de l’histoire. » Elle accrocha
son lourd manteau et traversa la pièce presqu’en bondissant, sa bonne humeur
évidente avant même qu’elle ne s’installe près de Gabrielle et la serre contre
elle. « Qu’est-ce qu’elle a ta vue ? » Elle étudia les yeux en
question. « Ils m’ont l’air d’aller plutôt bien, ces yeux. »
« Hé ! » La barde se mit à rire, surprise de
l’exubérance de l’accueil mais sans en être aucunement gênée. « Qu’est-ce
qui t’arrive ? » Elle entremêla ses doigts dans les nœuds qui
serraient la combinaison de Xena et tira. « Viens par ici… »
Celle-ci secoua la tête et se contenta de soupirer d’un air
joyeux. « Rien », répondit-elle. « Je me sens juste super
bien. » Son sourire s’agrandit. « Contente d’être rentrée… tu m’as
manqué. » Elle se pencha en avant et captura les lèvres de la barde
pendant un long moment étourdissant. Puis elle rit doucement et elles se
séparèrent un instant.
Gabrielle lui fit un sourire éblouissant en retour. « Tu
m’as manqué aussi… » Elle l’attira à nouveau et se laissa baigner dans la
chaleur du feu, et celle de la flamme qui brûlait entre elles.
Lentement,
la chaleur du rêve céda sa place à la couverture de soleil posée sur les
épaules de la barde, dans un endroit très éloigné du songe et dans des
circonstances qu’elle se serait bien passée de se souvenir.
A
contrecœur, elle laissa le filtre de la réalité forcer l’émerveillement de son
rêve, dans les lambeaux enfouis de souvenirs qui, jour après jour, semblaient
sortir de plus en plus d’elle. Bon sang,
songea-t-elle en soupirant, parfois je
déteste me réveiller.
Mais…
pensa-t-elle… c’était mieux qu’auparavant… Se réveiller de tels rêves seule…
sur le sol froid… pour voir la forme enroulée loin d’elle, serrée dans sa
propre détresse…
Elle
lâcha un soupir pensif. Ça lui faisait toujours mal. Penser à ces mois où le
silence s’était installé entre elles et que presque toutes traces de ce qu’elle
aurait juré être une confiance inébranlable, et de l’amour…
Partis.
Au
moins maintenant… ses doigts se plièrent sur la chaleur familière sous le
tissu, et le son qui l’attirait doucement hors du sommeil était un battement de
cœur fort et plein de vie, dont elle connaissait le rythme aussi bien que le
sien. Elle sentit un mouvement de doigts sur son dos et ouvrit lentement les
yeux pour voir un profil familier.
« Bonjour… »
Elle
leva la tête et croisa le regard bleu sérieux de Xena. « Bonjour. »
Elle cligna des yeux et sentit une larme couler sur sa joue, et elle ferma les
yeux lorsque la guerrière la captura avec son pouce. « Désolée. »
« Qu’est-ce
qui ne va pas ? » Demanda Xena d’une voix triste. « Un mauvais
rêve ? »
Gabrielle
secoua légèrement la tête. « Non… un beau rêve. » Puis elle se rendit
compte de ce que ça pouvait signifier et elle leva les yeux vers Xena qui
tentait de masquer une expression blessée. « Non… non. Je veux
dire… » Elle hésita. « Ce n’est pas ce que je voulais dire. »
Un
léger haussement d’épaules. « C’est bon, Gabrielle… Je… je
comprends. »
« Ah
oui ? » Dit la barde en soupirant. Est-ce que ce qui lui avait
manqué, manquait aussi à Xena ? C’était dur de le dire parfois.
« Si
je pouvais tout donner pour changer ces derniers mois, je le ferais »,
répondit calmement la guerrière. « J’espère que tu le sais. »
« C’est
vrai que tu comprends », murmura Gabrielle. Elle garda le silence un long
moment. « Ça ne va plus jamais être pareil, pas vrai, Xena ? »
Elle put sentir le sursaut brusque de douleur en réponse à ses paroles, et la
perte la submergea soudain et fit monter des sanglots légers et affreux de sa
poitrine. Elle voulait tant que tout ça revienne… Son corps en avait tant
besoin, de la chaleur, et de l’amour…
Ce
n’était pas juste… lui murmura son esprit. Est-ce que ça n’aurait pas été mieux
de ne jamais… Son esprit revint brusquement sur les réminiscences de son rêve
et elle sentit les souvenirs la réchauffer. Non… ça aurait été… non… quoi qu’il
se soit passé, on ne peut pas me reprendre ça.
Xena
l’étreignit un peu plus et lui massa le dos pendant qu’elle pleurait, apaisant
la douleur jusqu’à ce qu’elle se calme enfin. « Merci… Je… je suis désolée
pour ça. » Elle renifla, se sentant coupable. « Ce n’est pas vraiment
la meilleure manière de souhaiter une bonne journée. »
« C’est
bon », murmura la guerrière dans son oreille. « De t’avoir ici me la
rend belle de toutes les façons. »
La
douleur s’apaisa. « Vraiment ? » Demanda doucement Gabrielle,
quémandant le réconfort d’un air embarrassé.
« Vraiment »,
répondit Xena. « Gabrielle… Je… je sais que c’est dur… c’est… c’est dur
pour moi aussi. Mais… » Elle prit
une inspiration. « Ce que nous avons signifie tant pour moi… signifie…
tout… vraiment. Et on ne me l’enlèvera plus. Non. » Le dernier mot était
presque dit sauvagement dans son intensité. « Je… n’ai jamais pensé que
je… » Xena s’interrompit puis reprit. « On va retrouver tout ça,
Gabrielle. Je te le jure. »
La
barde resta calmement allongée en la regardant. « Tu le désires
vraiment. » Il y avait une note d’émerveillement dans sa voix.
« Plus
que tout au monde », répondit la guerrière avec force. Puis elle baissa
les yeux et déglutit. « Si… je… si c’est ce que tu veux, toi aussi. »
Acceptant la possibilité que Gabrielle ne veuille pas se battre dans ce qu’elle
savait être un long et rude combat. « Je veux dire. »
La
barde sourit lentement. C’est une
question de foi, n’est-ce pas ? Est-ce que je crois en elle ? Est-ce
que je crois en nous ? En moi-même ? « C’est ce que je
veux. » Elle prit une inspiration. « Je me fiche de savoir combien de
temps il faudra. »
Les
yeux bleus brillèrent à ces paroles. Xena serra les bras un peu plus fort
autour de la barde et bougea pour trouver une position plus confortable.
« Bien. » Sa voix se brisa un peu sur le mot.
Qu’est-ce que ça lui a fait ?
Songea la barde en soupirant avec nostalgie, tout en trainant les doigts de bas
en haut sur les bras puissants qui la tenaient et fermant lentement les yeux. Ça
me fait mal à moi, mais... je pense que c’est pire pour elle… Je sais que c’est
pire pour elle… Comme j’aimerais pouvoir l’aider plus à remettre les choses en
place... mais je présume que ça va prendre du temps. « On va avoir des
remontrances », marmonna-t-elle. « Il est vraiment tard. »
« Mmm… »
Acquiesça Xena d’un air absent. « J’ai déjà renvoyé Solari deux fois. »
Elle observa les yeux verts maintenant bien ouverts et horrifiés. « Je lui
ai dit que je n’allais pas te réveiller », expliqua la guerrière d’un ton
raisonnable. « En plus… Eponine a besoin de se reposer. » Elle haussa
légèrement les épaules. « Et… c’est… c’était si paisible… Tu… souriais… Je
ne voulais pas te déranger. »
« Xena… »La
barde se mit à rire doucement. « Alors tu es restée allongée là tout
simplement à attendre que je me réveille ? » Elle se rendit compte
que ses mains avaient commencé un mouvement léger mais agité et elle hésita,
puis laissa faire.
« Oui. »
Xena avait l’air légèrement satisfaite d’elle-même. « Mais on devrait
probablement y aller… Johan vient avec nous jusqu’au territoire des Amazones,
après il rentre à la maison. »
Gabrielle
sentit le petit changement de rythme de cœur quand les Amazones furent
mentionnées, et elle se redressa légèrement pour regarder sa compagne droit
dans les yeux. « Est-ce que rentrer avec Eponine et Solari te pose un
problème ? »
Bon sang. Xena haussa les sourcils.
« Euh… un peu », admit-elle à contrecœur. « Ce n’est… rien,
vraiment, Gabrielle… Je suis juste un peu… » Elle laissa les mots traîner
et haussa les épaules. « Ça va aller. »
La
barde prit une inspiration et réfléchit avec soin à ses paroles. « Je
préfèrerais ne pas y aller si ça te pose un problème. » Elle fit une
pause. « Et… euh… je… ne veux pas y aller seule. »
Xena
leva la main et lui caressa affectueusement le visage. « Non… il faut qu'Ephiny
sache ce qui se passe… Ce ne serait pas juste pour elle, Gabrielle… Je suis…
habituée à ce qu’on ne m’aime pas. Je survivrai. » La seconde partie de la
phrase de la barde lui avait grandement remonté le moral. « Je dois des
excuses à Ephiny, de toutes les façons. Si elle les accepte. »
« Je
lui briserai l’autre bras si elle ne le fait pas », marmonna Gabrielle
pour elle-même. « Merci… » Sa main vint reposer sur le cou de la
guerrière et traça nonchalamment sa clavicule. « Je vais essayer… de faire
vite là-bas… Je… j’aimerais bien, euh… j’aimerais bien voir maman, et tout
ça. »
Elle
prit conscience du lent mouvement régulier de la main de Xena sur son dos, qui
lui envoya des chatouillis chaleureux dans tout le corps. Elle décida qu’elle
aimait bien ça et sentit ses muscles bouger sous les doigts baladeurs tandis
qu’elle clignait des yeux. « Mmm. »
« Moi
aussi… j’aimerais voir maman », murmura Xena, absorbant la douce pression
connaisseuse contre sa peau sans commentaire. « Et Arès. » Elle
sourit tranquillement à la barde. « Tu vas aimer les poulains. » Elle
sentit sa respiration s’arrêter quand les mains baladeuses de Gabrielle
glissèrent sous sa chemise. « Euh… hum… maman… hum… les a appelés Hercule
et Iolaus. »
Gabrielle
produisit un rire calme et moqueur. « On n’a pas fini d’en entendre
parler. » Elle soupira. « Je… suis heu… un peu nerveuse… Xena… ta
maman… ta famille… » Elle baissa le regard. « Je ne… »
Une
main puissante glissa le long de son côté et vint la tapoter doucement.
« Maman t’aime. Et Toris aussi. Même quand je suis rentrée à la maison
pour… aller chercher Argo, elle s’inquiétait vraiment pour toi. »
« Je
sais bien… mais… » Gabrielle passa le doigt sur une cicatrice familière
sous la clavicule de la guerrière. « Tu lui as dit ce qui se
passait ? »
Un
soupir profond. « Elle avait deviné que quelque chose n’allait pas. Je…
j’avais besoin d’en parler à quelqu’un », admit Xena doucement.
« Elle… m’a fait promettre de ne pas laisser tomber ce qu’il y a entre
nous. »
« Nous. »
Gabrielle produisit un petit soupir satisfait. « J’aime bien ce
mot. » Ses doigts continuèrent leur voyage, suivant la courbe des côtes et
traçant les creux entre elles. Elle sentit les os sous ses mains bouger quand
la guerrière prit une inspiration. « Je ne… » Elle leva les yeux et
fut saisie par le regard de Xena si près du sien. Ce bleu dans lequel elle
aimait se perdre, laissant ses problèmes s’éloigner pour le moment et se concentrant
sur la pression des mains de Xena, et sur le soupçon de sourire au coin de ses
lèvres.
Et
elle se rendit compte comme leurs corps se touchaient, emmêlés confortablement sur
toute leur longueur, tandis qu’une chaleur accueillante s’installait tranquillement,
furtivement et commençait à faire de timides incursions dans ses sens.
C’était
stupéfiant de voir comme leurs lèvres étaient proches. Elle pouvait voir la
légère courbure sur celles de Xena, si elle regardait attentivement, et
soudain, elle le voulut.
Ça
arriva si vite qu’elle eut à peine le temps d’y réfléchir alors que son corps
se laissait aller un peu vers l’avant et elles s’embrassèrent avant même
qu’elle ait une chance de se préparer, de se souvenir ou de s’inquiéter.
Et
elle s’aperçut qu’une autre chose n’avait pas changé, du tout, tandis qu’une
vague de sensualité la traversait.
Elle
s’écarta après un long moment, et elles se regardèrent, surprises. « Je… euh…
hum… » La barde bredouilla. « Je n’étais pas… je ne voulais pas…
euh… »
« Hum…
oui… moi non plus… je… » Xena s’interrompit et prit une profonde
inspiration. « Wow, c’était bon », finit-elle par dire, avec un petit
sourire penaud, en regardant la barde anxieusement.
Gabrielle
se lécha les lèvres. « Oui, c’est vrai », murmura-t-elle, en se
détendant pour produire un vrai sourire. « C’est vrai. » Pas
d’obscurité, pas de Dahok… juste elles deux. Une partie de son âme remua pour
se libérer et prit son essor.
Elles
se regardèrent, puis vers la fenêtre d’où la voix de Solari flottait sur la
brise. « Oh oh », murmura Gabrielle. « Je présume qu’on nous
attend. » Elle prit une profonde inspiration. « Et… je… je ne sais
pas si je suis prête… » Elle croisa le regard de Xena et y vit de la
compréhension.
« On
a le temps », répondit immédiatement la guerrière, en glissant les doigts
dans les cheveux clairs de la barde avant de les repousser sur sa nuque qu’elle
commença à gratter doucement.
« Beuh. »
Gabrielle ferma les yeux et pencha la tête en avant. « Continue comme ça
et on ne va jamais sortir d’ici. » Elle réfréna un juron quand elle
entendit des bruits de pas impatients qui approchaient. « Je pense qu’on
est en retard. »
« Fichues
Amazones », marmonna Xena. « On dirait des taons parfois. » Sans
même réfléchir, elle se glissa hors du lit en portant la barde, la serrant
contre elle tandis qu’elle se levait et allait vers la porte.
« Xena…
où est-ce que tu… »
La
porte s’ouvrit et Gabrielle se retrouva nez à nez avec Solari, dont
l’expression passa rapidement d’agacée à stupéfaite, puis embarrassée en un
temps record. « Bonjour », réussit à dire la barde en se mordant la
lèvre. « On… euh… on arrive. » Elle leva les yeux. « Pas
vrai ? »
« Vrai »,
répondit Xena d’un ton sérieux.
« Oui
oui. » Solari hocha la tête et se retourna, disparaissant de leur vue tandis
que Xena refermait tranquillement la porte derrière elle.
« Tu…
euh… veux bien me poser par terre ? » Demanda la barde doucement.
Elle fut posée immédiatement.
« Désolée. »
Xena recula, confuse. « Je… je n’ai pas réfléchi. »
Gabrielle
resta pensive un long moment puis la tapota doucement sur le côté. « Bien…
ne réfléchis pas trop souvent. »
Elle
laissa Xena méditer pendant qu’elle fouillait pour trouver des vêtements de
rechange et commençait à rassembler leurs affaires.
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Le
soleil de la fin d’après-midi baignait la petite place du village, faisant
monter une légère fumée de la boue remuée lors de la pluie de la veille au
soir. L’air était toujours moite et la brise humide et agitée promettait encore
plus de pluie, malgré les nuages blancs cotonneux qui tachetaient le ciel
d’été.
Le
village était affairé, certains des habitants s’arrêtaient pour dire bonjour ou
au revoir au petit groupe réuni devant l’auberge autour d’une grande jument
dorée et patiente.
« Ecoutez…
j’ai pas besoin de grimper sur ce cheval », dit Eponine les dents serrées.
« Bon sang, Xena. » L’Amazone s’était réveillée avec un mal de crâne
et une tendance gênante au vertige qui inquiétait secrètement Xena plus qu’elle
ne le montrait.
Gabrielle
s’avança et échangea un regard avec Solari. « Pony… allez… ce n’est pas si
terrible. Argo est vraiment gentille », la cajola-t-elle. « C’est
juste pour un moment… ça ne nous ennuie pas… j’aime bien marcher, tu te
souviens ? »
« Ouais… »
Dit Solari d’une voix chantante. « Allez, Eponine… plus vite tu grimpes
là-dessus, plus vite on pourra partir et se fabriquer une petite brise. »
Elle s’essuya le visage. « Bon sang qu’il fait chaud. »
Eponine
fronça les sourcils. « Je ne monte sur aucun cheval. » Elle leva un
bâton qu’elle avait trouvé. « Je peux utiliser ça… on y va. »
Xena
en avait assez. Elle laissa tomber les rênes d’Argo et passa de l’autre côté de la jument, où ils se tenaient
tous. « Eponine », dit-elle d’un ton neutre. « Tu montes sur
Argo ou je t’y mets moi-même. » Elle mit les mains sur les hanches et
attendit.
Ils
la regardèrent tous. « Bon… on dirait que la Princesse Guerrière
Xena
l’ignora et se contenta de secouer la tête, puis de prendre les rênes d’Argo et
de commencer à marcher. Gabrielle vint se mettre près d’elle en bougeant son
bâton avec une grâce acquise, et elle lançait de temps en temps un coup d’œil à
Solari et Johan, qui discutait aimablement. Johan avait laissé ses marchandises
en faisant un marché avec les deux autres marchands partis avec lui d’Amphipolis,
de lui vendre ses affaires pour une commission. Il n’avait pas emporté
grand-chose en fait, c’était plus une excuse pour voyager avec la caravane
qu’autre chose.
L’air
autour d’eux semblait pesant de chaleur et de moiteur fumante, et Xena soupira,
se rendant compte que la journée allait être étonnamment inconfortable pour
marcher, chevaucher, ou quoi que ce soit d’autre que de rester assis à l’ombre.
Une fois de plus, elle envia silencieusement son choix de vêtements à
Gabrielle… Ses rares habits en tissu avaient assurément l’air plus frais que le
cuir couvert de plumes des Amazones ou sa propre combinaison noire.
« Quelque
chose ne va pas ? » Demanda Gabrielle, le front plissé tandis qu’elle
marchait près d’elle.
Xena
se rendit compte qu’elle la fixait et se donna une légère tape mentale.
« Nan… je pensais juste que tu avais choisi la meilleure chose à porter
aujourd’hui. » Avec un soupir silencieux, elle tendit la main et fit un
nœud de ses cheveux noirs pour les écarter de ses épaules.
La
barde se regarda d’un œil critique. « Je vais sûrement être brûlée à
mort », dit-elle en levant les yeux vers le ciel, puis vers Xena.
« J’espère que tu as de l’aloes avec toi. »
Xena
prit volontiers cette excuse pour étudier la peau exposée en question.
« Ça devrait aller… tu es plutôt bronzée », dit-elle, puis elle prit
une inspiration. « Mais oui, j’en ai. »
Ce
fut le tour de Gabrielle de l’étudier. « Ce cuir, c’est vraiment
chaud » Elle se répéta les mots mentalement et sentit une légère rougeur
monter. « Euh… tu as l’air d’avoir chaud, je veux dire. » Elle
regarda autour d’elles avec un intérêt volontaire, évitant le léger amusement
dans les yeux bleus de la guerrière.
La
route s’étirait devant eux, traversant une longue plaine aplatie vers la légère
brume pourpre des montagnes au loin. Autour d’eux, elle pouvait entendre le son
strident et net des criquets dans l’herbe haute, et le bruissement agité des
petites créatures qui se sauvaient quand ils passaient. L’air faisait monter à
leurs narines la lourde senteur des choses en pleine croissance et de la terre
brûlante.
Elle
lança rapidement un coup d’œil à Xena qui scrutait les environs dans un geste
automatique et semblait perdue dans ses propres pensées. « Hé. » Elle
tendit la main et toucha le bras chaud.
Un
tout petit mouvement de la tête de la part de la guerrière.
« Hein ? » Xena la regarda. « Qu’est-ce qui se
passe ? »
Gabrielle
se rapprocha et l’étudia. « J’avais le sentiment que tu étais
ailleurs. » Elle baissa la voix. « Ça va ? »
Xena
marcha un peu en trainant les bottes et prit un air légèrement penaud.
« Bien… je vais bien….je réfléchissais. » Elle tourna la tête pour
observer Eponine à moitié effondrée, puis les nuages. « La journée va être
longue. »
Gabrielle
réfléchit. « Oui… » Elle se rapprocha encore un peu. « Ça
t’ennuie si j’utilise ton ombre ? » Xena lui sourit. « Toujours
ravie de te rendre service », dit-elle d’un ton traînant.
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Le
soleil avait largement dépassé son point le plus haut avant que Xena ne sente
l’odeur lointaine et bienvenue d’une eau courante dans le vent brûlant qui
passait sur sa peau. « Allons de ce côté. » Elle poussa Argo à
l’épaule et la jument leva la tête, écarta les naseaux et hennit légèrement.
« Oui… je le sens... on y va. » Gabrielle regarda dans cette
direction. « De l’eau ? » Elle saisit l’expression de
soulagement sur les visages de Solari et Johan. Tous les deux suaient
abondamment et avaient l’air à bout de nerfs à cause de la chaleur.
« Bonne idée. »
La
guerrière acquiesça de la tête. « Oui… c’est la première fois que j’en
remarque… désolée. » Elle lança un regard d’excuses à la cantonade.
« On va se reposer un peu là-bas. » Elle leur fit traverser un lopin
de hautes herbes trop poussées, apeurant un groupe de petits oiseaux au
passage, et écartant des nuages de moucherons qui voletaient paresseusement et
firent secouer la tête et fouetter de la queue à Argo. Mais la jument sentait
l’eau toute proche et elle accéléra le pas tandis qu’ils passaient sous une
frange d’arbres épais alignés le long d’une rivière basse, mais au courant
plutôt rapide qui sinuait entre les rochers et les bûches tombées, de quatre
longueurs de cheval de large environ.
Xena
s’agenouilla au bord de la rivière et plongea la main, la remonta et renifla,
puis elle mit la langue dans l’eau. Elle laissa retomber sa main et hocha la
tête. « Ok… c’est bon. » Elle alla sur le côté d’Argo et aida Solari
à descendre Eponine de la selle pour la mettre sur l’herbe épaisse qui poussait
le long de la rivière. La jument secoua la tête et alla au bord de l’eau avec
avidité, tendit le cou et lapa avec enthousiasme.
« Je
fais pareil », dit Gabrielle en soupirant, et elle posa son bâton et
rejoignit le cheval, plongeant la main dans l’eau avant de la porter à ses
lèvres pour boire. L’eau était froide grâce à l’ombre et la proximité de sa
source, et douce, et elle en avala des gorgées à pleines mains avec gratitude,
levant les yeux quand Xena s’agenouilla près d’elle pour remplir une outre.
« Tu m’as l’air pas mal grillée. » Elle nota la rougeur sur le visage
habituellement foncé de sa compagne, et les vagues de chaleur qui irradiaient
de son corps. « Assure-toi de boire un peu, d’accord ? »
Les
yeux bleus croisèrent les siens et une légère lueur apparut. « Oui,
maman. »
Gabrielle
baissa les yeux et rougit. « Désolée », dit-elle d’un ton d’excuse
tranquille.
« Ne
le sois pas. » La voix de Xena flotta et une main pressa les siennes
pendant un instant avant que la guerrière ne reparte. Elle leva la tête et
regarda sa compagne aller vers l’endroit où Eponine était appuyée contre un
arbre avec un froncement de sourcil profond. Elle discutait faiblement avec
Solari qui leva les yeux vers Xena dans un appel au secours frustré tandis que
la guerrière s’approchait. « Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Solari
repoussa ses cheveux sur son front moite. « Ephiny va me le payer »,
marmonna-t-elle, tout en prenant l’outre des mains de la grande femme pour l’offrir
à Eponine. « Tu bois ça ou bien. »
Eponine
lui lança un regard dégoûté. « Pour que je puisse le vomir illico ? Fiche
le camp, Solari. Je ne mets rien là-dedans dans cet état. » Elle sursauta
légèrement quand Xena se mit sur son genou couvert d’armure près d’elle et posa
ses avant-bras couverts de bracelets sur sa cuisse. « Ecoute, Xena,
je… » Elle s’interrompit lorsque son regard croisa celui de la guerrière
et qu’elle y vit l’expression calme et intense.
« Eponine,
il faut que tu essaies de boire un peu », dit Xena d’un ton patient.
« Je sais que tu te sens vraiment mal, mais tu as besoin d’eau… alors
rends-nous service à toutes les deux et essaie au moins, ok ? »
«
Ou alors ? » L’Amazone fit la moue d’un air borné.
« Ou
alors je vais devoir te l’ordonner. » La voix de Gabrielle flotta
doucement par-dessus l’épaule de la guerrière. « Ne me fais pas jouer de
mon rang, d’accord ? »
Eponine
lui lança un regard noir et mauvais. « Ephiny fait pareil avec moi. »
Elle tourna un regard grognon vers Xena et prit l’outre des mains tendues de
Solari, en hochant la tête dans la direction de Gabrielle. « Elle te fait
ça aussi ? »
Xena
pencha la tête et sourit. « Non… elle n’en a pas besoin. Je sais qu’elle
sait ce qui est bon pour moi, et je le fais tout simplement. » Elle
entendit le léger ricanement derrière elle et haussa un sourcil. « La
plupart du temps, en tous cas. » Elle sentit une main chaude se poser sur
son épaule et le frôlement du genou de Gabrielle sur son côté. « Pas
vrai ? »
La
barde retint sa respiration encore un moment, puis se mit à rire. « La
plupart du temps, oui », reconnut-elle. « Alors pourquoi tu ne boirais
pas, en parlant de ça ? » Elle poussa doucement la guerrière dans les
côtes. Cela lui valut un regard en coin mêlé de dépit et d’amusement, mais Xena
se releva sans un mot et alla à pas lents vers la rivière, se laissa tomber
tout à côté et plongea les mains dans l’eau froide.
Gabrielle
l’observa avec un sourire satisfait, puis retourna son attention vers Eponine,
se rendant soudain compte que tout le monde la regardait.
« Quoi ? »
Johan
se mit à rire et croisa les bras, son attention tournée au loin tandis que
Solari s’éclaircissait la voix et qu’Eponine se contentait de lever les yeux au
ciel.
« Quoi ? »
Répéta la barde, en mettant les mains sur ses hanches tout en les fixant.
Xena
laissa la voix de la barde flotter près d’elle alors qu’elle buvait, puis se
frottait les bras avec le contenu de la rivière. La chaleur était de plus en
plus oppressante et son sens du temps lui disait que la pression qui montait
allait tôt ou tard se transformer en tempête. Elle préférait que ce soit plus
tard… Sa mémoire lui disait qu’il n’y avait pas beaucoup d’abris dans ce coin
des montagnes et elle ne voulait vraiment pas avoir à tenter d’en construire un
temporaire par ici. Avec un soupir, elle plongea la main dans l’eau et la
remonta pour la presser sur sa nuque, tout en ignorant le mal de crâne sourd
qu’elle avait attrapé à cause de la chaleur.
« Jusqu’où
tu penses qu’on pourra aller aujourd’hui ? » Demanda Gabrielle qui
apparut près d’elle et s’accroupit, jouant avec ses doigts dans l’eau.
« Tout le monde souffre de cette chaleur. »
« Je
sais. » Xena soupira. « On va trouver du mauvais temps plus loin…
J’aimerais au moins aller un peu plus loin que ces plaines avant d’essayer de
trouver un abri… et on n’a pas beaucoup de provisions. » Elle mit un peu
plus d’eau sur sa nuque. « Bon sang qu’il fait chaud… hé ! » Elle
sentit des gouttes d’eau la frapper et elle cligna des yeux.
« Ouaip…
tu as l’air d’avoir trop chaud. » La barde la taquina très doucement en
l’arrosant à nouveau.
« Gabrielle…
hé ! » Xena ferma les yeux lorsqu’une poignée d’eau se dirigea vers
elle. « Wow… » Elle bredouilla en secouant la tête pour retirer les
gouttes de ses yeux. « Hé… je n’avais pas si chaud. »
Encore
plus d’eau. « Gabrielle ! » Grogna la guerrière.
« Qu’est-ce que tu fais ? »
« Je
joue avec toi », répondit calmement cette dernière d’un ton très
nostalgique. La barde cessa ses pitreries et soupira. « Désolée. »
Xena
cligna des yeux en voyant la posture abattue de sa compagne et prit une
inspiration puis une seconde. « Non… c’est… euh. C’est bon, Gabrielle…
c’est juste que je… »
« Oui. »
La barde se leva et s’éloigna, en se frottant le visage avec hâte. « J’ai oublié…
pendant un instant. »
« Gabrielle. »
La guerrière l’appela doucement. Les pas stoppèrent puis reprirent un long
instant plus tard jusqu’à ce qu’elle sente à nouveau la chaleur de la barde
dans son dos. Elle tapota le sol près d’elle et sentit un léger encouragement
quand Gabrielle s’installa les jambes croisées sur l’herbe. « Je… on peut
reprendre ? »
« Reprendre
quoi ? » Demanda la barde tranquillement, en jouant avec un brin
d’herbe verte.
« Ça. »
Xena lui lança un peu d’eau.
Gabrielle
sursauta de surprise, puis cligna lorsqu’une goutte lui atteignit le nez.
« Euh… » Un sourire hésitant monta sur ses lèvres. « Tu n’as pas
à faire ça. » Elle regarda derrière elle vers l’endroit où leurs trois
compagnons se détendaient dans l’ombre, les yeux fermés.
« Yaaahh ! » Elle sentit ses épaules éclaboussées et elle secoua
la tête en arrière avant de plonger vers l’eau. « Tu… tu… »
Splash !
« Xena ! » Elle balaya l’eau de son bras, provoquant une vague
vers sa compagne souriante. « Oups ! » Ce fut plus que ce à quoi
elle s’attendait et elle trempa la guerrière surprise. « Ouille !
Désolée. »
Xena
baissa les yeux sur son corps mouillé. « En fait, ça fait plutôt du
bien », marmonna-t-elle.
« Ah
oui ? » Demanda Gabrielle d’un ton innocent.
La
guerrière acquiesça de la tête. « Oui. »
« Bien. »
La barde plongea soudain vers l’avant et la poussa fortement, ce qui
déséquilibra Xena et la fit tomber dans le courant qui bouillonnait
joyeusement. « Oh… zut ! » Gabrielle aurait pu se frapper.
« Je ne peux pas croire que j’ai fait ça. »
Un
long silence, puis une éclaboussure quand Xena refit surface et secoua la tête
pour écarter les cheveux mouillés de ses yeux. Elle garda le regard cloué sur
la barde tout en ramenant ses jambes sous elle pour se relever et avancer
jusqu’à ce qu’elle soit dans l’eau à hauteur de genoux.
Gabrielle
s’appuya sur ses mains en fixant le mètre quatre-vingt de guerrière dégoulinante
d’eau et couverte de cuir. « Et bien. » Elle se mordit la langue.
« Tu as l’air d’avoir moins chaud, non ? »
Xena
mit les mains sur les hanches. « Oh oui. » Elle détailla la barde de
bas en haut. « Tu sais combien de temps il va me falloir pour sécher tout
ce truc ? »
Gabrielle
réfléchit à la question. « Tu te sentirais mieux si tu ne le portais pas,
il faut dire », proposa-t-elle en écartant les bras pour se montrer.
« Vraiment. »
La
guerrière soupira et avança péniblement pour sortir de l’eau, commençant à
retirer son armure en cuir avec un faux air de martyr. « Argo va me tuer.
Elle déteste transporter ce truc », marmonna-t-elle tandis que la barde se
levait et l’aidait pour les boucles de métal. « Oh... merci. » Elle
baissa la tête quand Gabrielle passa l’armure par-dessus sa tête, puis sourit
légèrement et entoura la petite femme pour la serrer contre elle.
« Ouille »,
grogna la barde. « Xena… tu es… »
« Mouillée,
oui. J’ai remarqué », approuva la guerrière. « Et toi aussi
maintenant. » Elle relâcha la barde et recula, observant le tissu mouillé
et les reflets luisants d’humidité sur le ventre nu de sa compagne. « Tu
as l’air d’avoir bien moins chaud maintenant. »
Elles
se regardèrent, puis attendirent, et se mirent à rire. « Ok… ok… »
Gabrielle remua la main. « Je l’ai mérité. » Elle mit l’armure sur
son épaule et alla vers les sacoches d’Argo pour en sortir un morceau de lin et
revenir. « Tu… veux une chemise ou bien… »
Xena
réfléchit. « Non… » Elle se détailla. « Il n’y a pas de clip
pour l’épée… je préfèrerais… » Elle rejoignit la barde près de la jument
et plongea la main dans une sacoche. « Ça, ça va aller. » Elle sortit
son gambison matelassé et le secoua. « C’est plus frais, en tous
cas. »
Gabrielle
hocha la tête et sortit des rations de voyage, puis elle alla vers le reste de
leur équipe qui se détendait et les rejoignit sous l’arbre.
Solari
ouvrit un œil et la regarda. « Vous avez fini toutes les
deux ? »
« Fini
quoi ? » Demanda Gabrielle innocemment. « On allait juste boire
un peu. »
L’œil
roula vers le ciel et disparut.
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A
suivre – Chapitre 2, 3ème partie