Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Guerrière et Amazone
Publicité
Guerrière et Amazone
  • Vous trouverez ici des Fans Fictions francophones et des traductions tournant autour de la série Xena la Guerrière. Consultez la rubrique "Marche à suivre" sur la gauche pour mieux utiliser le site :O) Bonne lecture !!
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Guerrière et Amazone
Derniers commentaires
20 février 2011

Paradisiaque, vraiment, de Gaxé

 

 

 PARADISIAQUE, VRAIMENT ?

 

De Gaxé

 

L’endroit m’est étrangement familier, il correspond tout à fait à l’image que je m’en faisais et qui m’a été inspirée par tout ce qu’on en racontait dans mon entourage. Le paysage est enchanteur, vallonné et très aéré, avec beaucoup d’espace, de grands champs d’herbe verte parsemés de quelques petits étangs, des arbres nombreux mais espacés les uns des autres, se resserrant en une forêt bien plus épaisse à quelques dizaines de mètres de là, le tout parsemé de quelques fleurs qui apportent des touches de couleur bienvenue. Une légère brume flotte dans l’air donnant à tous les alentours une allure un peu éthérée bien que je ne ressente aucune humidité. Le soleil brille, mais l’air est doux, exactement à la bonne température, ni trop chaud ni trop froid.

J’avance lentement le long d’un sentier recouvert de sable doux en observant mon propre corps avec curiosité. Mes vêtements ne sont plus ceux que je portais lorsque l’on m’a mise en terre. Je suis maintenant vêtue d’une tunique blanche et chaussée de sandales que je n’aurais certainement jamais portées si j’avais eu le choix. Je suis seule, mais ça ne me dérange pas, je sais, même si j’ignore d’où me vient cette connaissance, que je dois avancer et que je finirais bien par rencontrer quelqu’un.

Je n’ai pas vraiment la notion du temps, et même en essayant d’observer la course du soleil, j’ai du mal à me rendre compte du temps que je passe sur ce sentier, mais j’arrive quand même à une petite clairière. Et là, se trouve un vieil homme à barbe blanche qui avance dans ma direction avec un sourire bienveillant sur le visage, alors que je cesse de marcher et le regarde avec curiosité.

Il porte exactement le même vêtement que moi, une tunique blanche qui s’arrête au genou et qui lui donne une allure un peu ridicule étant donné son âge. Il semble presque centenaire, pourtant son regard est vif et il a tout à fait bonne mine, avec une peau certes aussi fripée qu’une vieille pomme, mais aussi burinée par le soleil et le grand air. Quant à sa démarche, elle est si alerte qu’on pourrait penser que c’est un jeune homme qui vient vers moi.

Il tend ses deux mains pour saisir les miennes, puis me lance joyeusement :

-« Bienvenue parmi nous, Gabrielle ! »

Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’il a déjà mis son bras sous le mien pour m’entraîner avec lui, reprenant le même sentier que je viens de quitter. Je le suis sans résister, mais l’interroge avec curiosité.

-«Qui es-tu ? »

Il se met à rire, de petites secousses agitant son ventre quelque peu proéminent.

-« Je suis désolé, je n’ai pas songé à me présenter. »

Il se tourne vers moi et s’incline légèrement.

-« Je m’appelle Marius, et je suis ici pour te guider. »

J’incline la tête, un peu étonnée d’apprendre que j’ai besoin d’un guide, mais je continue de le suivre sans discuter. Nous ne marchons pas très longtemps d’ailleurs, et nous arrivons bientôt dans une autre clairière, bien plus vaste que la précédente.

Les nuages blancs et à l’allure crémeuse qui se trouvaient dans le ciel tout à l’heure sont à ras de terre maintenant, et nous marchons dessus, littéralement. A chaque pas, je m’attends à m’enfoncer à l’intérieur de cette matière cotonneuse et sans consistance, mais bizarrement, la surface blanche et douce reste parfaitement stable et solide sous mes pieds. Pendu à mon bras, mon guide m’entraîne doucement mais fermement avec lui, sans rien dire, se tournant de temps en temps vers moi pour me faire un petit sourire encourageant.

Petit à petit, les nuages sont de plus en plus nombreux et bientôt, je ne parviens même plus à distinguer le sol en dessous. Nous avançons pendant quelques temps, et nous commençons à apercevoir d’autres personnes, toutes vêtues de la même tunique et chaussées des mêmes sandales que celles que nous portons Marius et moi. Régulièrement, ceux qui sont là nous font de petits signes d’amitié en souriant largement, et bien qu’encore légèrement intimidée, je me joins à mon guide pour leur répondre. Tout le monde semble être amical, et paraît n’attendre qu’une occasion de papoter un peu, mais nous ne nous arrêtons auprès de personne, continuant notre marche comme si nous avions un objectif à atteindre. Cela m’intrigue et après encore un petit moment, je me décide à interroger le vieil homme qui tient toujours mon bras.

-« Où m’emmènes-tu ? »

Il me jette un regard indulgent et secoue son index devant moi.

-« Allons, Gabrielle… Tu sais bien que la curiosité est un vilain défaut. »

Il emploie le même ton que s’il réprimandait un enfant et je ressens un peu d’agacement, mais je m’efforce de le cacher et continue à le suivre en silence.

Toujours bras dessus bras dessous, nous arrivons enfin à un amas particulièrement dense de nuages dont la couleur tire légèrement sur le rose. Marius cesse sa marche, désignant ce qui nous entoure d’un large geste du bras. Je suis son mouvement du regard mais ne remarque, à priori, pas de différences particulières avec tous les endroits que nous venons de traverser. Ici aussi, de nombreux personnages sont installés, en général assis au milieu des nuages, et semblent tout aussi désœuvrés que tous ceux que nous avons vus jusqu’à présent. Je fronce les sourcils, ne saisissant pas vraiment pourquoi il était si impératif de m’amener ici plutôt que de nous arrêter n’importe où ailleurs. Mon guide remarque mon incompréhension et sourit, l’air d’un Père Noël qui distribuerait des bonbons, avant de lâcher enfin mon bras pour croiser ses deux mains sur son ventre.

-« C’est ici que tu vas séjourner dorénavant, Gabrielle. »

Il se gratte le bout du nez en promenant un regard satisfait autour de lui, ajoutant distraitement.

-« Au moins pendant les premiers temps, jusqu’à ce que tu sois familiarisée avec ce nouvel univers. »

Je hoche la tête, attendant qu’il m’en dise davantage, ce qu’il ne tarde pas à faire. Il tend le bras, désignant de la pointe de son index, un nuage un peu plus épais que les autres.

-« En montant là-haut, tu trouveras un séraphin qui t’enseignera tout ce que tu dois savoir pour résider au paradis sans déranger la paix et l’harmonie qui doivent y régner. »

Je regarde le « là-haut », qui doit bien culminer à deux mètres cinquante d’altitude, et remercie mon guide. Il me sourit avec le même air bonhomme qu’il adopte depuis le début et qui commence à m’exaspérer, puis je tourne les talons et me dirige vers le sommet de l’épais nuage rosâtre.

Je suis environ à mi-chemin lorsque je croise un homme qui grommelle dans sa barbe, et qui semble si inattentif qu’il n’est pas loin de me bousculer. Son attitude m’intrigue et, alors qu’il relève la tête vers moi pour marmonner de vagues excuses, je l’interroge doucement.

-« Est-ce que tout va bien ? »

Il secoue la tête, comme pour s’éclaircir les idées, puis se rapproche de moi, l’air à la fois abasourdi et un peu désemparé en même temps.

-« Toute ma vie, j’ai été pompier, j’étais très fier de mon métier. Et quand j’avais du temps libre, je jouais aux boules. J’avais des amis, j’avais une femme et des enfants que j’aimais. Et puis, au moment de la retraite, j’ai fait du bénévolat, dans une association. On encadrait des mômes, on les emmenait à la piscine, on jouait au foot, au ping-pong… J’ai toujours fait du sport. Il n’y avait rien de mal à ça, vous savez. »

Je fronce les sourcils, me demandant pourquoi il éprouve le besoin de me raconter tout ça. Mais je n’ai pas le temps de lui poser la moindre question qu’il s’éloigne en passant une main dans ses cheveux et en répétant encore une fois.

-« Il n’y avait aucun mal à ça. »

Je le regarde partir, marchant à grands pas énergiques en direction des autres nuages roses. Je hausse les épaules et décide de ne plus y penser, recommençant à avancer vers le séraphin que j’aperçois maintenant et qui m’attend, apparemment patiemment, un grand sourire étirant ses lèvres charnues.

Il m’accueille de la même manière que Marius, prenant mes mains dans les siennes en me saluant chaleureusement.

-« Chère Gabrielle, comme je suis content de te rencontrer ! »

Il me lâche et tourne sur lui-même avec une grâce certaine, continuant à parler alors qu’il me fait signe de le suivre.

-« Nous sommes ici pour que tu prennes connaissance du règlement, des quelques petites choses que tu dois savoir pour t’intégrer sans problème. »

Il s’arrête de marcher et s’assied en tailleur, directement sur la matière cotonneuse qui recouvre le sol, et me fait signe de m’installer moi aussi. Il commence à parler sitôt que nous sommes tous deux face à face.

-« D’abord, permets-moi de me présenter. Je m’appelle Marc, et je suis le séraphin chargé de renseigner les nouveaux arrivants. Comme tu l’as sûrement compris, tu te trouves maintenant au Paradis, et avant toutes choses, je veux te féliciter d’avoir su mener une vie exemplaire et vertueuse, ce n’est pas le cas de beaucoup de monde sur Terre, crois-moi. »

Il me sourit de nouveau largement pendant que je le remercie poliment pour son éloge. Après cela, il se racle la gorge et commence.

-« Bien sûr, il y a quelques règles à respecter, pour que nous puissions tous rester ensemble sans dissension d’aucune sorte. La première et la plus importante, outre l’obligation d’être courtois, poli et aimable avec tout le monde, c’est l’interdiction de toutes compétitions, quelles qu’elles soient. »

Je fronce les sourcils, le regardant avec un peu d’étonnement. Ca a l’air de le surprendre et il s’empresse de préciser.

-« La compétition engendre souvent la jalousie, ou la rivalité, et est source de tensions de toutes façons. L’éviter, c’est préserver le calme et la sérénité. »

Il se gratte la tête un moment, puis reprend, le ton tout aussi enjoué que s’il préparait la fête du siècle.

-« Pour les mêmes raisons, la création artistique est interdite elle aussi. Nous ne voudrions pas que certains d’entre nous deviennent arrogants ou prétentieux, pendant que d’autres les envieront, sous prétexte que leurs œuvres sont appréciées. Ceci est valable pour toutes les formes d’art : Photo, peinture, poésie, sculpture, etc… La danse et le chant sont tolérés, sur des musiques qui existent déjà, mais jamais en groupe, et seulement pour le loisir de ceux qui les pratiquent, c’est à dire sans aucun spectateur. »

Il s’interrompt pour reprendre son souffle, et je reste sans rien dire, trop abasourdie pour trouver quelque chose à répondre, et peut-être prend-il mon silence pour un assentiment, toujours est-il que lorsqu’il reprend la parole, sa voix est encore plus enthousiaste.

-« Les conversations sont autorisées, bien sûr, mais elles sont strictement réglementées. Il n’est pas question que, sous prétexte de défendre leurs opinions, certains s’échauffent et deviennent trop véhéments. C’est pourquoi la polémique, la controverse et même la contradiction sont totalement prohibées. »

Il ponctue sa dernière phrase d’un geste énergique de la main.

-« Le consensus doit absolument être la règle. »

Toujours incapable de répondre quoi que ce soit, complètement éberluée par ce que j’entends, je hoche bêtement la tête, ce qu’il prend apparemment pour un encouragement à poursuivre sa liste d’interdictions

-« L’amour est bien évidemment toujours présent entre tous ceux qui vivent ici. Chacun est attentif, compréhensif et intéressé par les autres. Ceci dit, certaines limites ne doivent absolument pas être franchies. L’égalité de traitement et d’affection est particulièrement importante pour préserver la sérénité et la quiétude de ce lieu.»

Il cesse de parler un instant et me regarde droit dans les yeux, une expression très sérieuse sur le visage.

-« Ceci est un point très important. Pour les humains que nous étions, les passions et les attachements quels qu’ils soient, étaient une cause fréquente de désaccords, de troubles, de conflits et de querelles, de toutes sortes. Au Paradis, pas de meilleur ami, pas d’amour filial, ou fraternel, tout le monde doit être considéré et apprécié de la même manière. Quant aux relations amoureuses, non seulement elles sont proscrites, mais tout manquement à cette règle entraîne des sanctions sévères. »

Sa voix s’est élevée un peu, comme pour bien souligner l’importance que je dois accorder à ce dernier point. Il se radoucit immédiatement après, et reprend son souffle avant de recommencer à réciter sa longue litanie.

Je ne l’écoute plus vraiment, me contentant de hocher régulièrement la tête pour lui donner l’impression que je l’écoute, mais mon esprit est ailleurs. Je le vois s’agiter devant moi, levant les mains pour appuyer certains points, en énumérant d’autres en levant chacun de ses doigts, je distingue même parfois un mot ou deux, mais rien ne retient vraiment mon attention. Pendant un instant, je me demande si je ne suis pas victime d’une blague de mauvais goût, mais je rejette rapidement cette idée en regardant le séraphin assis devant moi. Son expression joyeuse et enthousiaste a cédé la place à un air sérieux, du genre de celle qu’emploierait un politicien annonçant un plan de rigueur draconien. Il parle pendant si longtemps que je suis sûre que je vais m’endormir, ou tout du moins bailler, tant son discours est monotone, mais il n’en est rien. Mes yeux restent parfaitement ouverts, et même si je n’écoute plus du tout mon interlocuteur, mon esprit est tout à fait éveillé.

Il finit par se taire et la soudaineté du silence, après avoir été bercée si longtemps par la voix du séraphin, me fait légèrement tressaillir. Une réaction que je m’efforce de cacher tant je redoute qu’il me fasse un discours sur l’attention que je devrais porter à ses paroles, mais heureusement, il ne semble pas se rendre compte de mon petit sursaut, pas plus qu’il n’a remarqué mon ennui. Il se lève et s’étire en tendant ses bras vers le ciel, le mouvement faisant remonter le bas de sa tunique le long de ses cuisses maigrelettes, puis prend mes mains dans les siennes, comme il l’a fait à mon arrivée.

-« Je suis ravi de t’avoir rencontrée, Gabrielle, et je suis sûr que tu vas beaucoup te plaire ici. »

Il a retrouvé tout son enthousiasme et semble si guilleret que je me demande un instant s’il ne va pas se mettre à sautiller sur place. Mais il se contente de me dire gentiment au revoir et de m’indiquer que je peux revenir le voir si j’ai besoin de la moindre précision. Cette dernière phrase me fait sourire, je ne pense pas que j’aurai envie de le rencontrer de nouveau avant longtemps, mais je le remercie tout de même poliment, puis le regarde partir, la démarche si allègre qu’on pourrait croire qu’il va s’envoler.

Déconcertée et perplexe, je redescends lentement du nuage rose pour me diriger lentement vers les bois et les champs, pensant que la promenade sera bien plus agréable là-bas. J’échange quelques regards et sourires avec tous ceux que je croise, mais je ne m’attarde pas, et aucun d’eux ne semble disposé à entamer une conversation, sans doute à cause de la multitude de règlements imposés pour la plus petite discussion.

Le sentier que j’ai suivi tout à l’heure est désert et je m’y engage avec plaisir, appréciant la douceur de l’air, la beauté du paysage et le chant des oiseaux. L’endroit est suffisamment calme et serein pour que je puisse réfléchir à la déception que je ressens. Je croyais, en arrivant au Paradis, découvrir un lieu de paix, mais aussi d’amour, de joie et de liberté, et le moins qu’on puisse dire, c’est que je suis particulièrement déçue. Si la paix est effectivement bien présente, les règles et les interdictions de toutes sortes sont si nombreuses que c’est bien le seul point positif que j’ai pu recenser jusqu’à présent. Seuls l’ennui et l’oisiveté semblent régner ici, et cette constatation me fait soupirer. Je passe une main dans mes cheveux dans un geste qui trahit ma lassitude, avant d’aller m’asseoir dans l’herbe, le dos contre un tronc d’arbre. Je ferme les yeux un moment, me laissant bercer par le calme de l’endroit, et je finis par m’endormir.

La première chose que je remarque, sitôt que je suis éveillée, c’est que le soleil semble toujours être au même endroit dans le ciel, et qu’au sol, les ombres n’ont pas bougé d’un iota. Ce qui m’amène à penser que, soit le temps s’écoule différemment ici, soit qu’il n’y a pas de nuit, seulement une éternelle journée ensoleillée.

Je baille, me lève lentement et m’étire, jetant un regard circulaire un peu distrait autour de moi et aperçoit l’homme que j’ai croisé en montant sur le gros nuage rose, celui dont le discours perturbé m’avait décontenancée. Il parle avec animation à une grande femme brune, en faisant de grands gestes comme pour souligner chacune de ses paroles. Intriguée par son attitude si différente de celle que préconisait Marc, le séraphin, je m’approche, ma curiosité m’incitant à tendre l’oreille pour tenter de capter quelques bribes de leur conversation. Cependant, je n’en entends pas un traître mot, puisque, dès qu’ils me voient arriver, ils cessent brusquement leur discussion, se tournant vers moi en arborant tous deux un sourire accueillant, bien que je me rende tout à fait compte que mon interruption les dérange.

L’homme me fait un petit salut en me reconnaissant, puis, après une seconde, s’avance vers moi en tendant une main.

-« Je suis Stéphane. J’espère que je ne t’ai pas effrayée tout à l’heure, il faut dire que j’étais un peu perturbé. »

Je prends sa main et lui adresse mon sourire le plus rassurant. Il baisse le regard, un peu gêné, puis relève les yeux et me désigne d’un geste la grande femme brune près de lui.

-« Voici Léna. Elle est ici depuis bien plus longtemps que moi, et sans doute que toi, et pourra peut-être nous aider à nous adapter à ce monde un peu déconcertant. »

Je grimace, m’imaginant déjà encombrée d’un nouveau guide, et elle doit deviner ma pensée parce que son sourire devient un peu moqueur alors qu’elle me précise.

-« Je ne suis pas là pour te réciter une liste interminable d’interdictions, ni pour m’assurer que tu suis le règlement à la lettre, rassure-toi. »

Je pousse un petit soupir de soulagement et la regarde un peu plus attentivement. Son sourire est chaleureux et ses yeux très bleus pétillent. Je la trouve immédiatement sympathique, même si je m’interroge encore sur ce qu’elle pouvait bien dire à Stéphane pour qu’il soit aussi agité. Et puis, je décide de la prendre au mot et de l’interroger sur son rôle.

-« Et pourquoi es-tu là, alors ? »

Elle a un mouvement de recul, très léger, mais que je perçois tout de même, puis échange un regard avec Stéphane, semblant soudain un peu hésitante. Cette réaction augmente ma curiosité, mais je fais mine de n’avoir rien remarqué et attends patiemment sa réponse. Elle prend encore un petit moment, paraissant peser le pour et le contre, puis hausse les épaules d’un geste un peu fataliste.

-« Nous allons en parler. »

Elle fait un petit geste de la main pour nous indiquer de la suivre, et commence à marcher, quittant le sentier de terre sur lequel nous nous tenons, pour se diriger vers les bois. Stéphane lui emboîte immédiatement le pas, et je ne tarde pas à suivre le mouvement.

Nous avançons silencieusement pendant ce qui me paraît durer une bonne demi-heure, nous enfonçant au cœur d’une forêt bien plus dense que ce que je ne le pensais, et je finis par interroger la grande femme brune.

-« Où allons-nous ? »

Elle me jette un coup d’œil un peu amusé et lève son index devant elle, me faisant craindre un instant qu’elle ne me fasse la même réflexion que Marius, le premier personnage que j’ai rencontré ici, mais elle se ravise et se contente de me sourire avec malice.

-« Il faut bien comprendre que, puisque nous sommes au Paradis, il n’est pas question de surveiller qui que ce soit… Du moins ouvertement. »

Elle s’interrompt une seconde, sans doute pour que je saisisse bien la portée de ce qu’elle vient de dire, puis reprend d’un ton particulièrement sérieux.

 -« Après tout, nous sommes tous sensés être respectueux des règlements quels qu’ils soient, mais il n’empêche qu’il est préférable d’avoir certaines conversations à l’abri des oreilles indiscrètes. »

Elle n’en dit pas davantage et je ne pose pas d’autre question. Près de moi, Stéphane avance sans rien dire lui non plus, jetant de fréquents coups d’œil par-dessus son épaule, comme s’il craignait d’être suivi. Cette méfiance finit par être contagieuse, et je me surprends à regarder moi aussi derrière nous, guettant le moindre mouvement suspect. Je ne constate rien d’anormal, mais je continue de surveiller nos arrières jusqu’à ce que Léna ne remarque notre manège et nous rassure d’un ton désinvolte.

-« Personne ne nous suit, inutile de vous inquiéter. »

Nous marchons encore un petit moment, et puis elle s’arrête brusquement, se tournant vers nous, juste derrière elle, et nous fixant avec une expression un peu solennelle.

-« Nous sommes presque arrivés et, avant d’aller plus loin, je dois m’assurer que vous vous rendez compte de ce à quoi vous vous engagez. »

Stéphane hoche vigoureusement la tête et s’avance immédiatement pour se placer au côté de Léna, esquissant le geste de mettre les mains dans ses poches avant de s’apercevoir que les tuniques n’en ont pas, et de croiser les bras sur sa poitrine, l’air tout à fait sûr de lui. Je suppose qu’il sait déjà de quoi il s’agit, imaginant que c’était sans doute le sujet de la conversation que j’ai interrompue, mais pour ma part, j’ai besoin d’éclaircissements. Je hausse un sourcil interrogateur, mes yeux dans ceux de la belle femme en face de moi. Elle met les mains dans son dos et commence à faire les cent pas d’un arbre à un autre.

-« Je suis ici depuis plus longtemps que je ne saurai le dire, et si j’étais ravie lorsque je suis arrivée, j’ai rapidement déchanté. »

Elle cesse de marcher et se plante devant moi, l’ai songeur.

-« Je ne m’étais jamais autant ennuyée. Le temps ne se mesure pas ici, mais j’avais quand même l’impression que chaque minute durait des siècles. Et je n’étais pas la seule dans ce cas là. Nous étions nombreux à traîner sur les nuages, ou dans les bois, ne sachant pas que faire du temps dont nous disposions. Petit à petit, nous nous sommes rapprochés les uns des autres, nous avons commencé à avoir des conversations, et au fil du temps, quelques petits groupes se sont constitués, par affinités. »

Elle s’interrompt une seconde et fait une petite grimace, avant de recommencer à faire les cent pas, ne regardant plus ni Stéphane ni moi, mais paraissant plutôt plongée dans ses souvenirs.

-« Nous n’étions pas très méfiants au début, et nous avons enfreint certaines règles sans même y faire attention, notamment en ce qui concerne les relations entre personnes. »

Elle pousse un profond soupir et secoue négativement la tête, sans jamais cesser de faire les cent pas.

-« Nous étions tous de nouveaux arrivants, et aucun d’entre nous n’a vraiment pris les menaces de sanction au sérieux. Après tout, c’était le Paradis, et nous étions tous sensés être des bienheureux. Alors, quand Marc, l’un des plus drôles et des plus bavards d’entre nous s’est fait attraper, nous sommes tous tombés de très haut. »

Je ne peux retenir un petit mouvement de surprise en entendant le nom du séraphin pompeux et particulièrement à cheval sur le règlement que j’ai rencontré sur le nuage, et j’aperçois la même stupeur s’afficher sur le visage de Stéphane. Elle le remarque et s’arrête de marcher un instant pour nous regarder avec un sourire sans joie.

-« Oui, Marc. Le séraphin le plus tatillon et ennuyeux que je connaisse… »

Elle hausse les épaules, reprenant ses allées et venues.

-« Quand je l’ai connu, c’était un jeune homme plein d’humour, de fantaisie et d’esprit. »

La question franchit mes lèvres sans que j’aie le temps d’y penser.

-« Quelle sanction a-t-il subit ? »

Elle tord les lèvres dans une moue qui indique son ignorance.

-« Je ne sais pas exactement. Il a été envoyé au-delà des nuages roses, dans un endroit qui ressemblait sans doute à un centre de redressement, ou quelque chose du même genre. Il y est resté longtemps, et quand il est revenu, le garçon drôle et intelligent que nous connaissions n’existait plus. Il était devenu le séraphin obnubilé par le règlement, à l’esprit étroit et sans aucun humour que vous avez rencontré. »

Elle hausse les épaules une nouvelle fois.

-« Quoi qu’il en soit, cette histoire nous a rendus extrêmement prudents. Pendant un temps, nous sommes rentrés dans le moule, mais ça n’a pas duré longtemps et nous avons commencé à faire de longues marches dans les bois, parce que c’était le seul moyen d’être à peu près tranquilles. Jusqu’au jour où nous avons trouvé les falaises. »

Son regard s’allume à la simple évocation de ce jour, et tout son visage s’en trouve transformé. Je ne sais pas si elle le remarque, mais ses yeux se posent sur moi un instant, et je ne peux retenir un petit frisson en admirant la beauté de ses traits illuminés par un large sourire. Elle me fait un petit clin d’œil, puis fait un geste en direction des bois, devant nous.

-« Nous n’en sommes plus très loin, maintenant. Vous allez découvrir le lieu le plus joyeux et le plus agréable du Paradis. »

Elle nous regarde attentivement l’un et l’autre.

-« Prêts à devenir des hors la loi ? »

Son ton est enjoué, mais sa physionomie est tout à fait sérieuse, ce qui ne nous empêche pas de hocher vigoureusement la tête, tous les deux. Ca a l’air de lui faire plaisir, et nous reprenons notre marche avec enthousiasme.

 

Apparemment, ce sont de très hautes falaises. J’approche du bord à petits pas prudents, jetant un coup d’œil timide vers le bas, m’attendant plus ou moins à apercevoir de l’eau, mais tout ce que je distingue, très loin en dessous, c’est une mer de nuages. De gros nuages gris et gorgés d’humidité, comme ceux qui couvrent le ciel les jours d’orages. Je recule rapidement, un peu impressionnée, et tourne mon regard vers Léna que ma réaction semble amuser. Elle a un sourire taquin et effleure mon coude pour m’indiquer de la suivre, alors qu’elle longe le précipice. Stéphane, nous emboîte le pas en silence, et nous avançons lentement jusqu’à ce que Léna s’arrête auprès d’un buisson, un buisson semblable à tous ceux qui parsèment le sous bois. Elle passe à l’arrière et avance d’un pas alors que je retiens mon souffle, un peu effrayée de la voir si proche du gouffre, et je pousse un cri au moment ou je la vois disparaître derrière le buisson, pendant que Stéphane lui, ouvre de grands yeux stupéfaits. Mais notre inquiétude ne dure pas, son visage réapparaît rapidement par-dessus les feuilles et les branches, et elle nous sourit un peu ironiquement.

-« C’est une invitation écrite que vous attendez ? »

J’avance la première, passant derrière le fourré en posant précautionneusement les pieds devant moi, avançant le cou pour mieux distinguer le tout petit sentier sinueux qui serpente sur le flanc de la falaise et qui paraît taillé dans la roche, suivie par Stéphane, toujours silencieux, mais semblant tout aussi curieux que moi. Devant, Léna avance lentement, mais d’une démarche tout à fait détendue qui dénote une grande habitude. Elle se tourne vers moi pour me désigner du bout de l’index une liane qui court le long de la paroi et qui a manifestement été posée là pour aider à la descente. Je la saisis d’une main nerveuse, progressant avec un peu de crispation, alors que je jette quelques regards impressionnés vers l’à pic en dessous de nous. Heureusement, le trajet n’est pas bien long, et il faut peu de temps pour que nous nous trouvions à l’entrée d’une petite grotte, étroite et au plafond bas dans laquelle Léna pénètre avec assurance avant de se tourner vers nous, un large sourire aux lèvres.

-« Nous y voilà ! »

Je suis déconcertée. L’endroit est sombre, humide, et n’est rien d’autre qu’une cavité taillée dans la roche, sans aucun attrait. Stéphane paraît aussi intrigué que moi et avance, les sourcils froncés, parcourant l’ensemble de la grotte du regard avant de poser les mains sur ses hanches pour jeter un coup d’œil un peu exaspéré à notre guide.

-« C’est vraiment ici que nous allons passer le meilleur de notre temps ? »

Elle se mord l’intérieur des joues, comme si elle se retenait d’éclater de rire, et je la vois qui observe ma réaction du coin de l’œil. Tout aussi étonnée que Stéphane, je m’abstiens toutefois de dire quoi que ce soit et inspecte moi aussi la grotte, mais d’une manière bien plus approfondie que notre compagnon. Je longe les parois, en partant de la gauche et dans le sens des aiguilles d’une montre, jusqu’à ce que je tombe, au plus loin de l’entrée et, évidemment à l’endroit le plus sombre, sur ce que j’avais pris pour une simple anfractuosité dans la roche, mais qui se trouve être, en fait, l’entrée d’un boyau. Je fais un petit pas à l’intérieur pour y jeter un regard un peu plus attentif et j’aperçois une lueur rougeoyante qui ondule le long d’une paroi. Pendant un moment, je pense à aller de l’avant et voir plus loin si le boyau mène quelque part, mais je retiens mon mouvement en entendant la voix de Léna, qui s’adresse manifestement à Stéphane.

-« Peut-être que notre amie a trouvé le chemin. »

Je tourne la tête pour les voir à seulement trois pas derrière moi, s’engageant à leur tour dans la galerie. Nous marchons à la queue leu leu, les épaules frottant légèrement contre les murs de pierre sur quelques mètres jusqu’à ce que, petit à petit, le boyau devienne plus large et nous permette d’avancer tous les trois côte à côte. La lueur que j’ai aperçue tout à l’heure provient de torches, fixées dans le mur à intervalles réguliers, et qui éclairent notre passage en projetant nos ombres mouvantes sur le sol.

La marche ne dure sans doute guère plus d’une minute ou deux, et nous arrivons rapidement à l’entrée d’une autre grotte, une vaste salle au sol sablonneux et aux murs bien plus hauts que ceux de la précédente. Toujours en tête de notre petit groupe, je suis si sidérée par ce que je vois, que je m’arrête brusquement, restant immobile pendant plusieurs secondes pour observer la vision qui s’offre à mes yeux.

Un tripot : C’est la première chose à laquelle je pense en voyant les tables carrées autour desquelles plusieurs personnes sont installées, jouant et parlant avec animation. Et puis, alors que Léna s’installe fièrement, debout à mes côtés et les bras croisés sur sa poitrine, je commence à remarquer les différences. En premier lieu, je ne vois aucune bouteille sur les tables, et aucune fumée nauséabonde ne monte dans l’air. Mais surtout, l’ambiance est bien différente de celle que j’imaginerai dans une salle de jeux traditionnelle. Ici, tout le monde semble véritablement s’amuser, les conversations paraissent se faire sur un ton cordial et agréable, les visages sont souriants… Je me tourne vers mes nouveaux amis. Stéphane, après un moment de surprise, avance lentement dans la salle, s’arrêtant à chaque table pour observer les joueurs. Certains lancent des dés, d’autres jouent aux osselets, aux dominos… Il ne faut que très peu de temps pour que notre compagnon s’installe lui aussi à une table.

Je reste à l’entrée, continuant à observer la scène avec intérêt, lorsque que Léna se rapproche doucement de moi.

-« Tout n’est pas là, ceci n’est que la première salle. »

Je lui lance un regard curieux, elle tend une main devant elle.

-« Il suffit de me suivre. »

Nous traversons donc la grotte, Léna s’arrêtant régulièrement pour saluer presque chaque joueur, échangeant quelques plaisanteries par ci-par là, le tout dans une ambiance tout à fait détendue. Nous arrivons ensuite au fond de la salle où une ouverture en forme d’arche s’ouvre sur une autre pièce, infiniment plus vaste. Là, plusieurs terrains de sport ont été installés, et tous sont occupés. A côté d’une dizaine de tables de ping pong, visiblement fabriquées de manière artisanale et non peintes, se trouvent plusieurs terrains de volley, de basket, trois courts de tennis… Là aussi, les raquettes, les ballons, les balles, et tout le matériel ont un aspect surprenant. Sur notre gauche, un groupe d’une demi-douzaine de personnes joue à la pétanque, utilisant des boules qui paraissent taillées dans la pierre.

Nous marchons lentement le long de la paroi, attentives à ne déranger personne, et nous dirigeons vers le fond de la salle, où s’ouvrent d’autres arches qui donnent sur des pièces plus petites à l’intérieur desquelles se trouvent des tables, comme dans la première grotte. Dans l’une, certains sont assis et écrivent, à la plume, sur ce qui ressemble davantage à du parchemin qu’à du papier, dans l’autre, se tient manifestement un débat animé, dans la suivante, une chorale répète un air que je n’ai jamais entendu…

Toutes les activités interdites sont représentées, et pratiquées dans une atmosphère apparemment très joyeuse et conviviale. Un peu abasourdie, mais épatée par ce que je découvre, je tourne un visage au sourire rayonnant vers ma nouvelle amie.

-« C’est incroyable ! »

Je baisse la tête, un peu contrite.

-« J’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Je croyais trouver quelque chose de beaucoup moins important, pas cette quantité invraisemblable d’activités. On croirait un camp de vacances ! »

L’enthousiasme de mon commentaire fait briller ses yeux de plaisir. Elle tend une main vers la droite, désignant les arches situées de l’autre côté de la salle.

-« Et tu n’as pas tout vu. Là-bas se trouvent nos ateliers, les bricoleurs s’y retrouvent pour fabriquer tout le matériel dont nous avons besoin. »

Je hausse un sourcil, un peu intriguée et lui demande des précisions qu’elle s’empresse de me donner.

-« Je suis sûre que tu as remarqué que tout ce que nous utilisons, que ce soit les raquettes, les balles, les boules de pétanques, etc.… ne ressemblent en rien à ce que tu as pu voir auparavant. »

J’acquiesce du menton. C’est effectivement un détail qui m’a frappée. Elle hausse les épaules et m’explique.

-« Nous sommes obligés de tout fabriquer nous-mêmes, et les matériaux de base sont introuvables ici, alors nous nous débrouillons. Les balles et les ballons sont faits avec du cuir provenant de sandales usagées, les filets avec de vieilles tuniques, les tables et les raquettes avec du bois provenant des arbres autour de nous. »

Le regard que je lui adresse doit clairement exprimer la curiosité que je ressens, parce qu’elle me propose immédiatement d’aller visiter les ateliers, et spontanément, prend ma main pour m’emmener jusque là. Sa peau est douce et son contact provoque en moi une espèce de frisson inattendu mais si agréable que, pas un instant, je ne songe à me dégager ni même à me formaliser.

Nous nous rendons ainsi, main dans la main, à l’autre bout de la salle, et nous pénétrons dans une nouvelle grotte, ce qui me permet de me rendre compte à quel point cet endroit est immense. Chaque pièce s’ouvre sur plusieurs autres, formant un dédale de salles plus ou moins vastes et s’étendant sur une surface plus étendue que je ne l’aurais cru possible.

Encore une fois, c’est l’atmosphère particulièrement décontractée et joyeuse que je remarque en premier. Les bricoleurs semblent aussi heureux de se trouver là que l’étaient les sportifs, les chanteurs ou les écrivains, et nous saluent toutes les deux comme si nous étions de vieilles amies, ne prêtant aucune attention à nos mains toujours enlacées.

J’observe leur travail un moment, un peu admirative devant l’adresse et l’habileté de certains, surtout quand je constate à quel point les outils qu’ils utilisent sont rudimentaires. Léna, de son côté, donne quelques conseils de ci-de là, échange quelques sourires et commentaires de droite et de gauche, mais ne me lâche pas, et aussi surprenant que ce soit si j’y réfléchis, je n’ai pas envie de me détacher.

Après quelques temps, nous revenons lentement sur nos pas, nous dirigeant sans hâte vers la plus grande salle, celle qui abrite les sportifs, et Léna se tourne vers moi, un sourire engageant sur le visage.

-« Alors, as-tu choisi l’activité que tu veux pratiquer ? »

Je secoue la tête, un peu dépassée.

-« Non, il y a tant de possibilités que je n’arrive pas à me décider. »

Je cesse de marcher, me frottant machinalement la tempe de la pointe de l’index.

-« Je suppose que je devrais commencer par ce que je pratiquais de mon vivant, mais… »

Je fronce les sourcils, cherchant au fond de ma mémoire, déconcertée de ne rien trouver. En face de moi, Léna attend patiemment, puis lâche enfin ma main pour poser la sienne sur mon épaule

-« Tu ne te souviens pas, n’est ce pas ? »

Je la regarde, un peu interloquée. Elle hausse une épaule et son expression s’adoucit.

-« Les souvenirs de la vie sur Terre disparaissent lorsqu’on arrive ici. On oublie tout de ce qu’on a fait, des gens qu’on a aimés… »

Je la regarde avec de grands yeux si surpris qu’elle me donne immédiatement quelques précisions.

-« C’est la même chose pour tout le monde. C’est une sensation bizarre au début, surtout qu’on conserve quand même le souvenir de certaines choses, comme son prénom par exemple… Mais on s’y fait rapidement, tu verras. »

Toujours un peu décontenancée, je l’interroge avec un peu plus de véhémence.

-« Pourquoi ? Qui a décidé ça ? »

Elle lève ses deux mains devant elle, paumes tournées vers moi, dans un geste apaisant.

-« Je ne sais pas qui décide de ce genre de chose. Nous ne voyons pratiquement jamais ni les anges, ni les archanges. Quant à la raison, personne n’en a jamais donné, mais mon opinion personnelle est qu’il s’agit simplement d’éviter de regretter sa vie passée, et de ne pas donner la possibilité aux affections qu’on avait sur Terre de perdurer ici. »

Je hoche la tête, perdue dans mes pensées, et recommence à marcher doucement, sans vraiment faire attention à la direction que je prends. Elle me suit, quelques pas derrière moi, comme si elle voulait me laisser un peu d’espace tout en gardant un œil sur moi.

Je n’avance pas longtemps cependant, et vais me planter devant deux pongistes qui disputent une partie acharnée, en espérant que suivre la petite balle des yeux me permettra de me concentrer sur autre chose que les interrogations qui me traversent l’esprit, et qui concernent toutes la famille que j’ai probablement laissée derrière moi. Je me concentre autant que je peux, fermant les paupières et posant même mes mains sur mes oreilles un instant dans l’espoir de m’isoler complètement de tout ce qui m’entoure, mais rien n’y fait. Il m’est absolument impossible de me remémorer le moindre prénom, le moindre visage, ni même de me souvenir du plus petit détail concernant le temps que j’ai passé sur Terre. 

Peut-être que mon désarroi dérange Léna, ou peut-être est-elle simplement compatissante, mais après quelques temps passés ainsi, à chercher désespérément des souvenirs qui ne reviennent pas, je la sens qui se rapproche tout doucement jusqu’à se placer tout près de moi. Il n’en faut pas davantage pour que je renonce, au moins temporairement, à fouiller ma mémoire et que je me détende suffisamment pour laisser libre cours à ma curiosité.

-« Tu ne m’as pas dit grand chose à ton sujet. »

Elle hausse un sourcil, une expression amusée sur le visage.

-« Je ne savais pas que ça t’intéressait. »

Elle le dit avec humour, dans l’intention évidente de me taquiner, mais, bien que je lui sourie, je m’interroge un instant sur mon envie d’en savoir davantage sur elle. Après tout, je ne l’ai rencontrée que depuis fort peu de temps, et pourtant, j’ai l’impression étrange d’être complètement en phase avec elle, en harmonie. C’est une sensation tout à fait surprenante, et même si j’ignore si j’étais une personne qui se liait facilement, je suis un peu déconcertée par l’intérêt que j’éprouve pour elle. Cette pensée me perturbe un instant, jusqu’à ce qu’il me vienne à l’esprit que c’est peut-être dû à l’ambiance particulière du Paradis, à cette disposition qui interdit les tensions entre personnes…

Je secoue la tête pour chasser toutes ces pensées lorsque je m’aperçois que Léna me dévisage, apparemment surprise de mon mutisme. Je lui adresse mon sourire le plus rassurant avant de la questionner de nouveau.

-« Alors, quelles sont tes activités préférées ? »

Elle se caresse machinalement le menton avant de me répondre.

-« Toutes. »

Je hausse un sourcil incrédule.

-« Vraiment ? »

Elle hoche énergiquement la tête.

-« Oui, vraiment. »

Elle fait un geste en direction des deux pongistes, devant nous.

-« Il m’arrive de donner un coup de main aux menuisiers, pour fabriquer des tables, par exemple, mais je joue aussi beaucoup, à pratiquement tous les sports, aux dames, aux échecs… Et je fréquente la bibliothèque régulièrement.. »

Sa dernière phrase attire mon attention et je dresse l’oreille.

-« Une bibliothèque ? »

Elle acquiesce encore une fois et reprend ma main pour m’entraîner de nouveau derrière elle, en direction des salles où se tenaient tout à l’heure les activités les plus calmes. Nous marchons lentement, toujours en rasant les murs, pendant qu’elle m’explique de quoi il s’agit.

-« Ne t’attends pas à une bibliothèque traditionnelle. Il s’agit simplement de l’endroit où nous stockons et mettons à disposition, les écrits réalisés ici. »

Elle me sourit doucement et je resserre ma prise sur ses doigts. Aucune autre parole n’est échangée, mais je sens un courant passer entre nous, au travers de nos regards notamment. Si l’intérêt que j’éprouve pour elle me surprend encore, je décide de ne plus m’interroger à ce sujet, me contentant de savourer la douceur de sa main comme celle de ses yeux sur moi. Elle paraît d’ailleurs dans le même état d’esprit, puisque, lorsque nous arrivons à destination, non seulement elle ne me lâche pas, mais elle me tire légèrement vers elle comme si elle avait peur de me voir m’éloigner. Je n’en ai aucune intention, au contraire, j’appuie mon épaule contre la sienne avant de jeter un regard circulaire autour de nous.

La pièce est plutôt grande, haute de plafond et presque vide pour l’instant. Sur notre gauche, trois ou quatre tables sont occupés par des lecteurs apparemment trop attentifs pour nous prêter la moindre attention. Ce ne sont pas des rayonnages qui sont installés contre les murs, mais des casiers, tous remplis par des rouleaux d’une matière qui, comme tout à l’heure, ressemblent à du parchemin plutôt qu’à du véritable papier.

J’avance lentement pour prendre un de ces rouleaux en main, mais refuse de lâcher Léna qui me suit volontiers alors que je lui demande tout bas quelques précision au sujet de tous ces manuscrits..

-« Est-ce que tout cela a été écrit ici, par des bienheureux ? De quel genre d’œuvres s’agit-il ?»

Ma curiosité amène une lueur dans ses yeux, clairement de l’amusement. Elle me répond toutefois, en chuchotant elle aussi, et avec un très grand sérieux.

-« Oui, tout a été écrit ici. Et il y en a pour tous les goûts. »

Elle hausse une épaule et me lâche enfin pour dérouler le rouleau que je tiens pratiquement depuis notre arrivée.

-« Ceci est à ranger dans la catégorie « romans d’aventures », mais tu trouveras aussi des histoires d’amour, de la poésie, ou des essais philosophiques. Certains auteurs sont très bons, en tous cas d’après moi, d’autres le sont moins. Mais chacun a sa place ici, tous ceux qui écrivent voient ensuite leur travail mis à la disposition des lecteurs. »

Je hoche la tête et parcours quelques lignes du manuscrit avant de le ré enrouler et de le reposer délicatement dans son casier. Ensuite, je me tourne vers ma compagne et, sans aucune timidité ni hésitation, je m’appuie de nouveau contre elle, passant familièrement un bras autour de sa taille. Ca n’a pas l’air de la déranger ou de lui déplaire et elle m’accueille volontiers, profitant de sa haute taille pour poser son menton sur le sommet de mon crâne.

Nous restons un instant sans rien dire, mais je finis par rompre le silence.

-« Je trouve tout à fait surprenant que vous parveniez à garder cet endroit secret. »

Elle baisse les yeux vers moi en haussant les épaules.

-« A vrai dire, je me suis souvent demandé si les anges n’en avaient pas entendu parler, et s’ils ne le toléraient pas uniquement pour préserver la paix et le calme. Nous en avons parlé entre nous, à plusieurs reprises, mais nous n’avons pas pu acquérir de certitude. Disons seulement que c’est probable. »

Je hoche la tête, puis fait de nouveau le tour de la salle du regard.

-« Est-ce que nous avons fait le tour ou y a t-il encore des pièces que tu dois me montrer ? »

Son sourire devient un peu mystérieux.

-« Tu as visité l’ensemble des grottes, mais… »

Elle n’en dit pas davantage, continuant de me regarder, une expression amusée s’affichant sur son visage devant ma mine curieuse. Son mutisme dure si longtemps que je fronce les sourcils, avançant ma lèvre inférieure dans une moue boudeuse. Ca la fait rire et elle me serre contre elle, bien trop brièvement à mon goût. Et puis, elle me fait un petit clin d’œil.

-« Il y a quelque chose que j’ai découvert par hasard, alors que j’explorais les galeries environnantes dans l’espoir de trouver d’autres salles. Quelque chose que je n’ai jamais montré à personne. »

Il n’y a plus aucune malice dans son regard pendant qu’elle me dit ça, au contraire, ses yeux son extrêmement sérieux, et je dois reconnaître que ça excite ma curiosité, mais une chose m’intrigue cependant.

-« Pourquoi n’as-tu jamais emmené personne là-bas ? Et pour quelle raison me proposes-tu d’y aller ?»

Pour la première fois depuis que nous sommes dans la bibliothèque, elle s’éloigne complètement de moi, pour commencer à déambuler à grands pas le long des casiers.

-« Je ne sais pas vraiment pourquoi je n’ai jamais voulu montrer ça à qui que ce soit. Je suppose que, pour moi, c’est une espèce de jardin secret. J’aime rester là, seule et dans le silence, et profiter du spectacle sans avoir à en parler à quiconque. »

Elle hausse les épaules avant de conclure.

-« C’est sans doute un peu égoïste, mais c’est quelque chose que je n’ai jamais eu envie de partager jusqu’à maintenant. »

Je me place face à elle, pour l’empêcher de faire les cent pas, en profitant pour plonger mon regard dans le sien et répéter ma question.

-« Pourquoi me proposes-tu de m’y emmener ? »

Elle soutient mon regard sans ciller et reprend ma main dans la sienne, prenant une profonde inspiration avant de me répondre.

-« Marc t’a indiqué que les affinités ou les affections de toutes sortes sont, non seulement interdites, mais surtout, très sévèrement punies. »

Elle s’interrompt et se gratte machinalement la tempe du bout de l’index. J’attends patiemment qu’elle reprenne, m’interrogeant sur cette étrange entrée en matière, jusqu’à ce qu’elle reprenne la parole.

-« Nous gardons notre capacité à éprouver des émotions. Je n’étais pas là à l’époque, mais je sais qu’il y a eu des tentatives pour nous retirer cela, de la même manière qu’on nous ôte nos souvenirs. Apparemment, ça n’a pas marché, la faculté d’aimer est restée en chacun des bienheureux qui sont ici. »

Elle se tait de nouveau, tenant toujours ma main, mais semblant hésiter une demi-seconde, avant de lâcher enfin.

-« Il semble que nous ayons des affinités, toi et moi. »

Elle détourne les yeux, observant avec intérêt le sol de terre battue sous nos pieds, et pendant un instant, je me demande si le rose sur ses joues provient vraiment de la lueur des torches. Je me rapproche d’elle pour entourer sa taille de mes bras et poser mon visage au creux de son cou, confirmant ainsi son affirmation. Elle se détend immédiatement, et m’entraîne aussitôt à sa suite. Nous repartons, traversant toutes les salles les unes après les autres et faisant un signe à Stéphane au passage. Installé avec quelques autres personnes, il discute en faisant de grands gestes en direction d’un jeu de boules et nous envoie un sourire tout à fait radieux. Nous ne nous arrêtons pas pour lui parler cependant, et continuons notre marche jusqu’à ce que nous arrivions à la petite grotte de l’entrée, donnant sur les falaises. Là, alors que je ralentis, le front plissé par l’incompréhension, elle se tourne vers moi, me souriant d’un air engageant.

-« Il faut ressortir et reprendre le petit sentier. »

Je grimace à l’idée de marcher à nouveau sur ce chemin étroit et tortueux, juste au-dessus d’un à-pic si impressionnant qu’il m’en a presque donné le vertige tout à l’heure, mais elle me fait un petit clin d’œil et m’encourage.

-« Ce ne sera pas long, je te le promets. »

Elle passe la première et je la suis avec un peu d’appréhension, d’autant plus que cette fois, il n’y a même pas de liane le long de la paroi à laquelle je pourrais m’accrocher. Heureusement, comme elle l’a dit, le trajet est court et, il faut peu de temps avant que nous nous trouvions à l’intérieur d’une nouvelle grotte.

Celle-ci est encore plus petite que la précédente, et tout aussi sombre et humide. Ici, aucune torche accrochée aux parois, la seule source de lumière provient de l’entrée. Nous avançons vers le fond de la cavité où se trouve un petit boyau, si bas et étroit que lorsque Léna s’y engage, elle est obligée de se courber en deux. J’hésite un instant à la suivre, la galerie n’a vraiment pas une allure engageante, mais il suffit qu’elle se retourne et me jette un petit regard pour que je me décide sans plus tergiverser. L’obscurité est de plus en plus épaisse, et je suis obligée de garder une main sur le dos de Léna, devant moi, pour pouvoir me diriger sans autre problème que de trébucher une ou deux fois. Le temps me paraît très long, et même si notre avancée n’a sans doute pas duré plus d’une minute ou deux, je ne peux m’empêcher de pousser un « ouf » de soulagement lorsque nous arrivons dans une salle relativement petite, et plutôt lumineuse. Je fronce les sourcils, regardant partout autour de nous, à la recherche de la source de cette clarté, et finis par la trouver en la présence d’une espèce de cheminée, tout au fond de la grotte, qui laisse passer la lumière du soleil.

La cavité est entièrement vide, et je ne vois pas d’autre galerie, ce qui m’amène à me tourner vers ma compagne avec curiosité.

-« C’est tout ce que tu voulais me montrer ? »

Elle sourit largement.

-« Au moins, nous sommes seules, toutes les deux. »

C’est un excellent argument, je dois le reconnaître, mais malgré tout, je ne pense pas que ce soit la seule raison à notre présence ici, je décide donc d’explorer la grotte, comme je l’ai fait la première fois, mais je ne trouve rien, à l’exception d’une crevasse dans le sol, au pied du mur de gauche et au fond de laquelle, en me penchant, j’aperçois des nuages semblables à ceux du précipice dehors, bien qu’ils paraissent nettement plus proches. Intriguée de ne rien découvrir, je regarde Léna, un sourcil levé en signe d’interrogation, elle hoche la tête et tend le bras vers le trou dans le sol.

-« Tu as trouvé ! »

Je ne comprends pas. Je retourne au bord de la crevasse et l’examine plus attentivement. Ce n’est rien d’autre qu’un puits, avec des rebords de pierre hauts d’environ 80 centimètres, sur lesquels je m’appuie pour observer encore une fois l’intérieur. Je m’agenouille, posant mes fesses sur mes talons, et scrute la mer de nuages, cherchant ce qui pourrait être qualifié de spectacle là-dedans, mais, je ne vois toujours rien. Je pousse un soupir et lève les yeux pour voir Léna arriver près de moi et s’installer à mes côtés, passant un bras autour de mes épaules.

-« Je vais te montrer. »

Elle se penche à son tour, et souffle doucement, poussant les nuages petit à petit. J’ai du mal à en croire mes yeux, alors que je vois progressivement apparaître une ville entière, juste sous la couche de nuages, si près que j’ai l’impression qu’en tendant la main, je pourrais toucher le haut des immeubles les plus élevés. Je tourne un regard effaré vers ma compagne, elle resserre son emprise sur mes épaules et désigne la ville du menton.

-«Je passe beaucoup de temps à regarder vivre les gens, là en dessous. C’est passionnant, et parfois très surprenant. »

Je me penche un peu plus vers la ville, pour en distinguer tous les détails, pendant que, du bout de l’index, Léna désigne successivement plusieurs emplacements.

-« Là, au lycée, j’observe le développement des premières amours des adolescents, alors qu’ici, près de la mairie, se déroulent des histoires bien différentes, des luttes pour gagner un peu plus de pouvoir ou d’argent. »

Le doigt de ma compagne se déplace vers la périphérie.

-« Les familles ne vivent pas de façon identique suivant le quartier qu’elles habitent. Certains dépensent sans compter, souvent juste pour le plaisir de paraître, pendant que d’autres se privent de beaucoup de choses… Les jeunes, eux, ont souvent les mêmes soucis, quel que soit l’endroit où ils vivent. Seules leurs loisirs diffèrent, suivant le niveau de vie de leurs parents. »

Elle se redresse un peu, juste au moment où un homme quitte sa maison. Elle pointe son index vers lui.

-« Cet homme là a une famille, mais entretient aussi une maîtresse, avec ses enfants. Cependant, je ne crois pas qu’il sache que sa femme le trompe, elle aussi. »

Je m’éloigne du rebord de pierre pour m’appuyer contre la paroi de la grotte, croisant mes bras sur ma poitrine. 

-« Tout ça ressemble beaucoup à du voyeurisme. »

Elle vient s’asseoir près de moi, poussant un profond soupir.

-« Je sais , mais… »

Elle lève ses mains devant elle avant de les laisser retomber mollement sur ses cuisses.

-« Je suis ici depuis très longtemps, Gabrielle. Je ne me souviens pas de ma vie. Alors… Je comprends ce que tu peux trouver de malsain là-dedans, mais c’est une manière de me rapprocher d’une existence que je ne connais plus. »

Elle secoue la tête et hésite, semblant chercher ses mots, mais, lorsque je prends sa main, son sourire est sincère, même si son regard est toujours un peu lointain.

-« Je les regarde parce que je les envie. Il m’est souvent arrivé de vouloir sauter. »

Je me redresse brusquement et demande, incrédule.

-« Tu as songé à en finir, à te « suicider » en quelque sorte ? »

Elle ouvre de grands yeux effarés, comme si cette idée ne l’avait même pas effleurée.

-« Bien sûr que non ! »

Elle baisse ensuite le ton pour ajouter.

-« Je pensais plutôt à les rejoindre, à vivre encore une fois, avec eux, au lieu de rester ici à végéter. »

Elle tourne son visage vers moi, ses yeux dans les miens.

-« Si je les envie, c’est pour les multitudes d’émotions qu’ils ressentent, tous les sentiments que nous n’avons même pas le droit d’éprouver ici. »

Elle se lève et marche de long en large dans la petite grotte avant de me faire face à nouveau.

-« Je sais que tout le monde sur Terre rêve d’accéder un jour au Paradis, et peut-être suis-je une ingrate qui ne sait pas apprécier sa chance, mais la vérité, c’est que j’en ai tout simplement assez.»

Je hoche la tête, compréhensive. Je viens juste d’arriver, mais j’imagine tout à fait à quel point l’ennui et l’oisiveté doivent peser sur certains, même s’ils ont réussi à mettre certaines installations en place. Elle revient lentement vers moi et s’accroupit pour que nous soyons bien face à face, puis prend doucement ma main.

-« Est-ce que tu comprends ce que je ressens, Gabrielle ? Ou bien penses-tu que j’ai tort et que je devrais savoir apprécier la chance que j’ai d’être au Paradis ? »

Son ton est anxieux, ses yeux trahissent l’inquiétude qu’elle éprouve, toute son attitude montre que mon opinion est importante. J’appuie mon front contre le sien et je lui souris doucement avant de répondre à voix basse.

-« Je comprends que tu ne te plais pas ici, et je pense que tu as quelques raisons pour cela. Une éternité à ne rien faire, je suppose que ça peut être très long.»

Je lève un bras vers le haut, dans la direction générale des grottes qu’elle m’a fait visiter tout à l’heure.

-« Mais vous vous êtes arrangés pour avoir quelques occupations, ce n’est pas comme s’il n’y avait rien d’autre que les nuages roses. »

Elle secoue négativement la tête, reposant de nouveau son dos contre la paroi, derrière nous.

-« Ca ne me suffit plus. »

Elle hausse les épaules.

-« Au début, j’étais très enthousiaste, mais avec le temps… »

Elle se relève et recommence à arpenter la grotte de long en large.

-« J’ai lu tous les manuscrits, participé à un nombre invraisemblable de compétitions… J’ai l’impression de tourner en rond, de faire continuellement la même chose, et surtout, j’ai du mal à imaginer que rien ne va changer quel que soit le temps que je passe ici. »

Elle pousse un soupir découragé et revient s’asseoir près de moi, posant ses avant-bras sur ses genoux en répétant.

-« J’en ai assez ! »

Je me lève et vient m’installer en face d’elle.

-« Pourquoi m’as-tu amenée ici, et pourquoi te confies-tu à moi ? Il y a plein de gens que tu connais depuis beaucoup plus longtemps et avec qui tu as certainement tissé des liens. »

Elle secoue négativement la tête, le regard fixé sur ses mains.

-« Je les connais tous, oui. Et j’apprécie beaucoup la plupart de ceux qui sont là, mais… »

Elle lève les yeux pour les plonger dans les miens.

-« Tu es différente. J’ai du mal à mettre des mots sur ce que je ressens en ta présence, mais je sais que je n’ai jamais éprouvé ça depuis que je suis ici. »

Elle incline la tête alors qu’un demi-sourire se dessine sur ses lèvres, et qu’elle tend un bras vers la crevasse, près de nous.

-« Peut-être que ça fait partie de ce qu’ils connaissent, là en bas. »

Je baisse le regard un instant, me sentant soudain bêtement intimidée, puis le relève en murmurant.

-« Tu me trouves différente, vraiment ? »

Pour toute réponse, elle tend les bras, et je viens m’y blottir, oubliant immédiatement toute la gêne que j’ai pu ressentir un instant auparavant. Elle me serre doucement contre elle, et je la sens pousser un petit soupir de bien-être. Nous restons comme ça un long moment, sans rien dire et à ne rien faire d’autre que savourer notre étreinte.

La fraîcheur de l’air, jointe à l’humidité ambiante, me fait frissonner, et je remue un peu, essayant de trouver davantage de chaleur contre le corps de Léna. Elle resserre sa prise autour de moi, puis baisse la tête pour déposer sur ma tempe, un délicat baiser qui me fait frémir. Je l’interroge tout bas.

-« Tu crois vraiment que c’est ce qu’on ressent, quand on est en vie ? »

Elle hausse les épaules et me sourit tendrement.

-« Je ne sais pas, mais ce n’est pas si important, finalement. »

Elle m’embrasse de nouveau sur le front.

-« La seule chose qui compte, c’est que nous le ressentions, toutes les deux. »

Je hoche la tête et dépose moi aussi un petit baiser sur sa mâchoire avant de frissonner à nouveau. Elle le remarque et s’inquiète.

-« Tu as froid ? On peut remonter, si tu veux. »

Ma première réaction est d’accepter, mais je retiens les mots avant qu’ils ne franchissent mes lèvres, choisissant plutôt de me nicher plus profondément encore au creux de ses bras. Ca la fait sourire, et elle se penche tout doucement vers moi, ne lâchant pas mon regard.

Son baiser est doux, et tendre. Et si je perds la notion du temps, ce n’est certainement pas parce qu’on ne peut pas le mesurer ici, c’est tout simplement parce que je suis complètement perdue dans la chaleur de ses bras et la tendresse de son étreinte.

Elle sourit encore lorsque nous reculons, ses yeux plus brillants que ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Pourtant, une chose me tracasse et je la questionne une nouvelle fois.

-« Ce que nous venons de faire, ce que nous éprouvons… Nous sommes des hors la loi, maintenant ? »

Elle a un sourire un peu embarrassé.

-« Oui, en quelque sorte, mais… »

Elle pousse doucement une mèche de cheveux qui retombe sur mon front avant de poursuivre.

-« Il suffit que nous soyons discrètes dès que nous sortons des grottes. Tant que nous sommes à l’intérieur, je ne crois pas que nous courions le moindre risque.»

Je hoche la tête, un peu rassurée, et nous nous relevons pour marcher lentement vers la sortie de la grotte, son bras sur mes épaules. En passant devant la crevasse, elle fait un geste dans sa direction.

-« Je ne vais plus avoir besoin de venir les voir. »

Je lève les yeux, un peu amusée.

-« Tu crois que tu ne vas plus t’ennuyer, dorénavant ? »

Elle secoue négativement la tête et me serre un peu plus fort contre elle.

-« Non, plus maintenant. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
T
Originale et légère, voilà les premiers mots qui me viennent à l'esprit en lisant cette nouvelle fiction<br /> <br /> Puis je m'interroge: Vas-tu laisser le paradis en cette configuration ou Léna et Gabrielle vont-elles une fois de plus tout mettre s'en dessus dessous?!
Répondre
Publicité