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6 septembre 2013

Un conte, de Gaxé

Pour Marc

 

                                                         

                                                                 UN CONTE

 

 

Merci à Prudence de relire, encore…

 

 

Il était une fois, aux abords d’un village isolé au plus profond d’une vallée encaissée, une jeune orpheline qui vivait très chichement dans la plus grande solitude.

Ses défunts parents, de braves fermiers très pauvres gagnaient à peine de quoi vivre. Leurs terres très peu étendues ne produisant pas grand chose, ils avaient fini par se tuer au travail. Son père le premier, qui rentra des champs un soir d’été se frottant la poitrine comme s’il était oppressé et ne se réveilla pas le lendemain matin. Après cela, sa mère trop âgée pour s’occuper de la ferme seule, chercha à se placer comme domestique chez les deux ou trois familles les plus aisées du village, mais personne ne voulut d’elle. On lui reprochait son teint, trop pâle dans une région où chacun avait la peau d’une belle couleur de bronze, ses yeux trop clairs alors que tous les villageois possédaient des prunelles aussi sombres que la nuit, et même sa douceur trop grande dans une région où l’âpreté et la dureté étaient considérées comme des qualités primordiales et indispensables.

Pendant quelques temps, la mère et la fille survécurent comme elles le purent, assurant leur subsistance en cultivant un petit jardin derrière leur bicoque et en entretenant péniblement quelques poules et une chèvre. Si leur misère était grande, leur affection mutuelle leur permettait de garder une humeur joyeuse et de prendre leurs difficultés avec autant de philosophie qu’il était possible.

Las ! Tout cela ne dura qu’un temps et bientôt, la mère tomba malade, toussant si fort que parfois, sa fille en venait à se demander si elle ne s’arrachait pas la poitrine. Très vite, elle devint fiévreuse, commença à délirer légèrement, et il ne fallut que peu de temps pour qu’elle ne quitte ce monde.

Restée seule, la jeune femme aux cheveux, aux yeux et à la peau aussi clairs que ceux de sa mère, tenta de s’organiser, s’occupant méticuleusement de son jardin tout en prenant grand soin de sa chèvre et de ses quelques volailles. Elle put ainsi passer l’hiver sans trop de difficultés, n’hésitant pas à couper elle-même le bois dont elle avait besoin pour se chauffer.

La solitude lui pesait bien sûr, personne ne venant jamais lui rendre la moindre visite, mais elle était heureuse de se débrouiller si bien et se contentait de parler à sa chèvre, qu’elle appelait affectueusement Biquette, et aux oiseaux qui venaient parfois gazouiller sur les arbres environnants. Sans doute n’était-elle pas vraiment heureuse, mais elle ne se sentait pas malheureuse non plus et pensait avec optimisme que sa situation s’arrangerait certainement un jour.

Malheureusement, le destin ne tarda pas à se rappeler à son bon souvenir, et un beau jour, alors qu’elle quittait son jardin après avoir soigneusement arrosé ses quelques semis, elle jeta un coup d’œil distrait et machinal vers le village au fond de la vallée. Ce qu’elle vit la glaça d’effroi et elle recula brusquement, portant ses deux mains à sa poitrine tout en laissant échapper un cri, de surprise autant que de frayeur.

Pendant un instant, elle resta pantelante, tentant de reprendre ses esprits tout en attendant que les battements de son cœur se calment. Et puis, lentement, elle avança et regarda de nouveau vers la vallée.

Le village était en feu. Dans l’unique rue, envoyant de terribles coups de pattes ou de queue à tous les villageois qui passaient à sa portée, un dragon à l’énorme corps recouvert d’écailles verdâtres, avec des ailes ridiculement petites sur chaque flanc avançait, enflammant chacune des maisons qu’il voyait, mais aussi la seule église du village et même quelques uns des villageois qui s’enfuyaient pourtant à toutes jambes devant lui. 

De nombreux cris s’élevaient, de douleur de colère ou de chagrin, mais surtout de terreur, à peine couverts par le bruit des charpentes qui s’effondraient.

Horrifiée, son teint habituellement clair devenu blême, la jeune femme ne resta pas longtemps à contempler ce sinistre spectacle, et tout en toussant à cause de l’épaisse fumée noire qui s’élevait jusqu’à elle, recula précipitamment en couvrant ses oreilles de ses mains dans l’espoir de ne plus entendre les hurlements venus de la vallée. Un instant, elle se tint immobile, dans l’indécision, mais réagit rapidement.

Précipitamment, elle se rendit dans sa masure, rassemblant à toute vitesse tous les chiffons propres qu’elle put trouver, notamment les vieux vêtements ayant appartenus à sa mère et qui avaient été ravaudés si souvent qu’ils ne pourraient plus être portés par personne. Juste avant de sortir, elle saisit prestement un pot de grès plein d’un onguent contre les brûlures, sur l’étagère près de l’entrée, puis se hâta en direction de la vallée.

Il ne lui avait fallut qu’une ou deux minutes pour rassembler ces quelques objets, mais apparemment ce court laps de temps avait suffit pour que s’éloigne le dragon à la taille démesurée. Moitié courant, moitié sautant d’un rocher à l’autre, s’agrippant à tous les buissons qu’elle trouvait sur son chemin pour ne pas glisser, la jeune femme arriva au village en quelques minutes, ralentissant immédiatement son allure alors qu’elle constatait les dégâts.

Partout où elle portait le regard, des corps jonchaient le sol. Certains si horriblement brûlés qu’il était impossible de dire s’il s’agissait du cadavre d’un homme ou d’un femme, ni même d’évaluer leur âge. Saisie par cet épouvantable spectacle, la jeune blonde posa une main sur sa bouche, luttant contre la nausée qu’elle sentait venir, attendant de se sentir mieux pour avancer d’un pas décidé vers une femme allongée au milieu de la rue qui gémissait tout bas.

Après avoir humidifié un chiffon à la fontaine, devant l’église, elle s’agenouilla auprès de la femme, passant ce linge sur le visage dont la peau était largement décollée, paraissant apaiser la douleur de la femme simplement par la grande douceur de son geste. Mais, alors qu’elle sortait le pot de grès de sa poche, posant déjà sa main droite sur le couvercle afin de le retirer, une voix interrompît son geste, lui faisant relever la tête avec vivacité.

Devant elle se tenait une femme d’âge moyen dont les seules blessures visibles étaient son visage rougi pas quelques brûlures superficielles et ses mains couvertes de cloques, mais dont l’attitude et le ton qu’elle avait employé pour interpeller la jeune femme démontraient une certaine agressivité. D’ailleurs, il ne fallut que peu de temps à la jeune blonde pour reconnaître la nouvelle venue. Il s’agissait de Marina, une des notables de la ville qui avait si souvent dénigré sa mère pour ses origines nordiques et son physique par trop différent de celui des gens du cru.

-« Tu ne devrais pas être ici, jeune Gabrielle. Rentre donc chez toi. »

Marina avait parlé d’un ton particulièrement sec et autoritaire, s’attendant manifestement à ce que la jeune orpheline décampe aussitôt sans demander son reste, mais au lieu de cela, la jeune femme se releva plongeant ses prunelles vert forêt dans celles, d’un marron particulièrement foncé, de Marina.

-« J’ai vu ce qu’il s’est passé ici et je suis venue le plus vite possible, avec la seule intention  d’aider à soigner les blessés. Pourquoi devrais-je m’en aller ? »

Les lèvres de la femme plus âgée se tordirent dans une moue dédaigneuse.

-«  Tu n’es pas la bienvenue ici. Peu importe tes intentions, et même tes capacités. Tes origines nordiques, dans une région du Sud comme celle-ci, t’excluent de notre société. »

Gabrielle secoua négativement la tête, incrédule.

-« Es-tu en train de me dire que peu importe l’aide que je peux apporter, elle n’est pas bienvenue seulement en raison de mes origines ? »

La femme hocha la tête avec énergie.

-« Tu as parfaitement compris. Personne ne veut être soigné par une blondinette. »

Outre la colère, et sans doute la douleur due à ses blessures, le ton de Marina exprimait un mépris évident qui n’échappa pas à la jeune Gabrielle. Pourtant, elle resta sur place, interrogeant encore, toujours aussi perplexe.

-« Pourquoi ? Guérir tous ces blessés n’est-il pas le plus important ? »

Cette fois, ce fut sa vis à vis qui secoua négativement la tête, un peu exaspérée.

-« Je vois que tu ne comprends pas, ce qui n’est d’ailleurs guère surprenant quand on sait d’où tu viens. Alors, laisse-moi te mettre les poings sur les « i » une fois pour toutes.

Il y a beaucoup trop de nordiques dans la région, qui prennent le travail des gens d’ici, qui nous imposent leurs coutumes. Et si j’avais le moindre pouvoir, je les jetterais dehors en prenant soin de fermer les frontières du royaume derrière eux, de manière à ce qu’ils ne puissent jamais revenir. Et même si je ne peux malheureusement pas prendre ces mesures, ô combien nécessaires, je peux au moins t’empêcher de te mêler à nous.»

Cette méchante diatribe terminée, Marina se détourna de la jeune blonde pour héler deux hommes qui passaient dans la rue une civière à la main en cherchant visiblement des survivants, leur désignant la femme couchée sur le sol d’un geste du bras.

-« Cette femme a besoin de soins, emportez là. »

Les deux hommes, arborant tous deux un crâne rasé, acquiescèrent et se penchèrent vers la blessée non sans jeter un regard dédaigneux en direction de Gabrielle, qui tremblante d’indignation, hésitait encore sur la conduite à tenir. Elle ne se sentait en effet pas de taille à lutter contre l’obstination stupide et les idées ridicules de Marina et de ses acolytes, mais elle n’avait pas non plus envie de détaler à leur injonction. Ce fut finalement la menace à peine voilée de l’un des deux brancardiers de fortune qui la décida.

-« Souhaites-tu que nous fassions déguerpir cette nordique, Marina ? »

Pliant son bras droit pour en faire ressortir le biceps, d’une taille tout à fait impressionnante, il jeta un regard si malveillant en direction de la jeune femme, qu’elle abandonna, se contentant de tendre le pot de grès qu’elle tenait toujours à la main vers la femme.

-« Prends au moins ça. Cet onguent est très efficace, je peux te l’assurer. »

Marina répondit d’un haussement d’épaules méprisant, lâchant sèchement.

-« Nous n’avons que faire de ta médecine de nordique. Va-t-en pendant que tu le peux, et ne reviens pas. »

Désappointée mais jugeant qu’il était inutile d’insister, Gabrielle remit le pot de grès dans sa poche et tourna les talons, retournant beaucoup plus lentement vers sa petite maison qu’elle ne l’avait quittée. Déprimée, elle reposa le pot sur l’étagère, s’assit sur le petit banc installé le long du mur dans la pièce principale et ferma les yeux, les propos malveillants et méprisants de Marina résonnant encore à ses oreilles.

 

Plusieurs jours passèrent, durant lesquels la jeune Gabrielle reprit le cours de sa vie, accomplissant jour après jour les même tâches routinières, mais n’oubliant jamais de surveiller régulièrement les mouvements dans le village, un peu par curiosité et pour rompre la monotonie de son existence, mais aussi parce qu’elle craignait grandement de voir revenir le monstrueux dragon.

Et puis, par un beau matin, alors qu’elle scrutait les alentours avec un peu d’appréhension, elle vit arriver, venant apparemment directement du village, une petite troupe d’une dizaine de personnes qui portaient toutes l’uniforme des soldats du roi. Intriguée, mais aussi un peu inquiète, elle mit une main en visière au-dessus des ses yeux pour mieux observer ces arrivants.

A leur tête, le crâne couvert par un casque de métal brillant de mille feux sous le soleil, chevauchait une femme en grand uniforme d’officier. De la veste bleue aux parements rouges en passant par le pantalon noir et jusqu’à ses bottes de cuir, tout en elle était impeccable, y compris son maintien un peu trop raide. Derrière elle, à cheval eux aussi, les soldats, hommes et femmes, avançaient en bon ordre et semblant tous regarder dans la même direction.

Un moment, la jeune orpheline s’interrogea, devait-elle aller à leur rencontre ? Et puis, elle y renonça, persuadée que la troupe ne passait là que par hasard et n’avait que faire d’une jeune paysanne sans le sou. Aussi, sa surprise fut-elle grande quand les soldats, sur un geste de celle qui les dirigeait, s’arrêtèrent juste devant sa bicoque, restant immobiles, tandis que la femme officier démontait en passant une main d’un geste affectueux sur l’épaule de sa belle jument dorée, puis venait au devant d’elle.

La première chose qui frappa Gabrielle, alors que l’officier approchait, ce fut la couleur de ses yeux, d’un bleu très pur qui l’amena à se demander si la femme n’était pas, elle aussi, une nordique. Et puis, elle remarqua le teint halé et la queue de cheval, noire, sur sa nuque et retint  un petit soupir de désappointement.

Passant une main nerveuse sur le tablier qui recouvrait sa jupe élimée la jeune femme, un sourire un peu crispé sur le visage, rendit toutefois aimablement son salut à la chef de troupe, écoutant ensuite attentivement les questions qui lui était posées.

-« Nous sommes ici par la volonté du Roi, en quête du dragon qui sème tant de troubles dans la région, et puisque nous avons constaté de grands dégâts dans le village voisin, nous espérons que vous pourrez nous indiquer où, selon vous, pourrait se trouver cette bête monstrueuse. Pensez-vous qu’elle gîte dans les environs ?  L’avez-vous déjà aperçue, hormis le jour où elle a dévasté ce village ?»

A toutes ces questions, Gabrielle répondit en secouant négativement la tête, sincèrement navrée de ne pouvoir renseigner les soldats, mais à défaut de les aider, elle pensa pouvoir au moins leur témoigner sa sympathie et son soutien devant une tâche qui s’annonçait particulièrement difficile, leur proposant gentiment de prendre le temps de boire un peu d’eau.

-« L’eau de mon puits est toujours très fraîche, et il fait si chaud que vous l’apprécierez sans doute grandement. »

L’offre sembla ravir l’officier qui sourit largement avant de s’incliner, puis de faire un signe à ses soldats qui démontèrent et vinrent se grouper autour du puits, visiblement enchantés de la proposition. Très vite, l’atmosphère un peu guindée se détendit et les militaires commencèrent à bavarder entre eux, puis à interroger Gabrielle avec curiosité mais d’un ton plein de bienveillance, sur sa vie qui leur semblait si solitaire. La jeune femme répondit avec grâce, expliquant d’abord sa situation de façon succincte,  puis leur précisa qu’elle ne s’ennuyait jamais, certaine qu’elle était que sa situation ne pouvait qu’évoluer au fil du temps. Cela fit sourire chacun des hommes et des femmes de la troupe à l’exception de leur officier, la seule à être restée bien raide, et qui se tenait en retrait sans participer à la conversation se contentant manifestement d’écouter tout ce qui se disait avec attention. Pourtant, au  bout d’un instant, ce fut elle qui s’approcha de la jeune orpheline, l’entraînant à l’écart pour lui parler doucement.

-« Depuis l’arrivée de ce dragon, la région n’est plus très sûre, d’autant que quelques uns en profitent pour se livrer au pillage. Ils seront d’ailleurs très sévèrement châtiés lorsqu’ils seront interpellés, mais en attendant, vous seriez certainement plus en sécurité si vous rejoigniez le village. »

La jeune orpheline baissa la tête un peu gênée qu’on se soucie ainsi de sa personne, mais répondit tout de même.

-« Il serait très difficile pour moi de m’installer là-bas. »

Une seconde, l’officier fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi Gabrielle restait si vague. Et puis, elle la dévisagea un peu plus attentivement, eut une moue un peu désabusée, puis reprit la parole.

-« Nous avons rencontré une femme, lorsque nous sommes allés dans le village, une femme particulièrement agressive qui paraissait être celle qui dirigeait plus ou moins toute la communauté. Serait-il possible que ce soit à cause d’elle que vous répugnez tant à rallier cette bourgade ? »

La jeune femme ne répondit pas, détournant le regard avec un peu de honte à la pensée que l’officier s’imagine qu’elle fuyait les villageois par lâcheté, mais celle-ci la surprit en reprenant, la voix toujours douce et ferme à la fois.

-« Quoi qu’il en soit, il est bien trop dangereux pour vous de rester ici, seule. Nous n’avons pas encore localisé le dragon, mais d’après la véritable « piste de dégâts » qu’il laisse derrière lui, tout nous amène à penser qu’il est encore dans les environs. Quant aux pillards, il sont partout. Aussi, il me paraît nécessaire d’insister pour que vous vous rendiez quelque part où vous serez à l’abri, sinon du dragon, au moins des bandes de brigands. »

Le regard de l’officier, clair et direct, plongea dans celui de la jeune orpheline, cherchant à convaincre. Mais la jeune femme baissa la tête, vaguement confuse et embarrassée de reconnaître qu’elle n’avait aucun endroit où aller. Elle releva les yeux pour trouver l’officier les yeux fixés sur l’horizon, l’index de sa main droite effleurant distraitement son menton, paraissant s’interroger sur un sujet quelconque. Mais cette attitude un peu indécise ne dura guère et très vite, la femme reporta le regard sur Gabrielle.

-« Si vous n’avez nulle part où aller, et dans la mesure où je ne peux détacher personne de ma troupe pour rester afin d’assurer votre sécurité, l’idéal serait que vous vous joignez à nous. »

La seule réaction de l’orpheline fut d’écarquiller les yeux, la bouche légèrement entrouverte devant cette proposition tout à fait inattendue, attitude qui arracha un sourire amusé à l’officier, laquelle reprit toutefois très rapidement son sérieux.

-« Il me semble que c’est la meilleure solution. De cette manière, vous ne courrez plus aucun risque de quelque nature que ce soit, et quant à nous, nous pourrons continuer notre mission sans avoir l’esprit tourmenté par votre sort. »

Gabrielle semblait toujours avoir du mal à le croire, et c’est la voix légèrement chevrotante qu’elle questionna, le ton très incrédule.

-« Comment ? Vous m’emmèneriez avec vous, moi, une paysanne sans le sou et sans aucune compétence particulière, sans craindre que ma présence gêne au déroulement de votre mission ? »

De nouveau, l’officier sourit.

« Votre présence ne gênera personne, je peux vous l’assurer. Au contraire, chacun de nous sera heureux d’aider à assurer la sécurité d’une sujette de sa Majesté. Et en ce qui concerne notre mission, il est évident que vous n’aurez pas à y prendre part, d’aucune manière. »

Encore un peu ébahie par la proposition, Gabrielle resta silencieuse un instant, portant une main à son front alors que ses yeux se posaient sur sa bicoque d’abord, puis sur tous les alentours, du petit jardin qu’elle ne voyait qu’en partie de là où elle se trouvait, au puits où les soldats se désaltéraient et au petit bosquet à l’ombre duquel elle s’installait parfois durant les chaudes après-midi d’été. Finalement, sentant le regard de l’officier peser sur elle, sans doute parce qu’elle attendait une réponse, la jeune femme releva les yeux, rougissante d’embarras.

-« C’est une offre très généreuse, et je ne suis pas loin de me laisser tenter. Malheureusement, j’ai bien peur de devoir la décliner. Que ferais-je de mes poules, de ma chèvre ? »

Elle haussa une épaule et poursuivit, la voix basse.

-« Et puis quand bien même… Je n’ai jamais vécu qu’ici, en quoi pourrais-je vous être utile durant le temps que nous passerions ensemble ? De plus, si, votre mission terminée, je revenais pour trouver ma maison détruite, par le feu ou les pillards,  que me resterait-il ? »

Visiblement, la jeune femme regrettait de ne pouvoir accompagner la troupe pendant quelques jours, et le soupir qu’elle poussa en terminant sa phrase était éloquent. Aussi la femme officier, un peu émue, posa-t-elle une main délicate sur son épaule.

-« Rien ne vous oblige à revenir ici quand le dragon sera hors d’état de nuire. Si vous le désirez, vous pourrez nous accompagner jusqu’à la capitale où, j’en suis persuadée, vous trouverez rapidement une occupation, une femme de bonne volonté n’ayant aucun mal à trouver un emploi là-bas. Quant à vos poules, rien ne vous empêche de les lâcher à proximité du village. Je suis certaine que les « bonnes âmes » qui l’occupent se feront un devoir de les recueillir et de les mettre dans leur poulailler. »

Un instant, Gabrielle se prit à rêver, à s’imaginer vivant en ville, occupant un logement dont le toit aurait toutes ses tuiles, portant des vêtements certes simples, mais en bon état et non pas usés jusqu’à la trame, et peut-être même se faisant des amis… Et puis, elle regarda en direction de la petite bergerie.

-« Et ma chèvre ? Cette pauvre Biquette qui est ma seule compagnie depuis des mois, je devrais la laisser, elle aussi, aux habitants du village ? »

Cette fois, ce fut l’officier qui haussa les épaules.

-« Cet animal me donne l’impression d’être fort docile et ne devrait donc pas poser de problème durant notre mission. »

Pour la première fois depuis le début de cet entretien, la jeune orpheline sourit largement.

-« C’est vrai ? Vous me laisseriez l’emmener avec moi ? »

Si enthousiaste qu’elle en battit des mains comme une petite fille, la jeune orpheline dut se faire violence pour ne pas sauter au cou de l’officier, laquelle paraissait tout à fait heureuse de la joie de la jeune fille. Néanmoins, elle ne la laissa pas exulter longtemps et interrompit rapidement ses manifestations de joie pour lui conseiller d’aller préparer les quelques affaires qu’elle souhaitait emmener.

-« Veillez toutefois à ne pas trop vous charger, nous nous déplaçons beaucoup et un bagage trop grand et trop lourd  serait un poids inutile qui vous encombrerait rapidement. »

Gabrielle ne prit pas la peine de répondre et se précipita à l’intérieur de sa petite maison délabrée, laissant les soldats, sous la direction amusée de leur chef, rassembler les poules et les pousser, affolées et caquetantes, en direction du village. Elle en ressorti quelques minutes après seulement, tenant un baluchon de tissu rouge et blanc dans une main, et une morceau de corde, sans doute destiné à tenir la chèvre en laisse, de l’autre. L’officier saisit le maigre balluchon et le glissa dans une sacoche posée sur le dos de sa jument, puis se tourna vers ses soldats pour leur signifier qu’il était temps de reprendre la route. D’un simple coup d’œil, elle s’assura que toutes leurs gourdes avaient été remplies, puis monta elle aussi en selle avant de donner le signal du départ….

 

*****

 

Malgré sa joie de quitter enfin sa vie monotone, la jeune orpheline n’avait pas emboîté le pas des soldats sans appréhension, mais à chaque jour qui passait, elle se félicitait de sa décision. Chacun des soldats étaient agréables et respectueux, et si elle trouvait pénible physiquement de marcher ainsi pratiquement sans autre halte que celle du soir, elle appréciait particulièrement l’ambiance bon enfant qui régnait au sein du groupe. Certes, la discipline était bien présente, et l’officier -Gabrielle avait appris qu’elle avait le grade de capitaine- entendait que tous ses ordres soient exécutés immédiatement et sans discussion, mais cela n’altérait en rien la bonne entente de la troupe.

Les repas étaient frugaux en milieu de journée, mais souvent bien plus copieux le soir, parfois agrémentés d’un gibier quelconque que la capitaine abattait, en général d’une seule flèche et sans jamais dévier de sa route. Son coup d’œil et sa précision au tir, remarquables, faisaient l’admiration non seulement de Gabrielle, mais aussi de chacun des soldats, pourtant habitués à la voir exécuter de telles performances. Heureuse d’être là, en leur compagnie, la jeune orpheline se détendit rapidement et au bout de quelques jours, elle prit l’habitude de narrer chaque soir des histoires à ses compagnons.

Un peu intimidée d’avoir un tel auditoire, elle relata des contes nordiques qu’elle connaissait par sa mère, laquelle les tenait elle-même de sa propre mère. Des histoires de géants blonds, d’elfes malicieux, de nains retors, mais aussi de Dieux puissants bien que d’une bienveillance douteuse, et de bêtes fantastiques comme d’énormes loups, des serpents gigantesques ou, tombant à point nommé, des dragons. Passionnés par ses récits, les soldats, y compris la capitaine, en redemandaient tant et tant qu’il arrivait que tout ce petit monde veille bien trop tard, ce qui amenait leur réveil à être retardé d’autant. Mais même l’officier n’y trouvait rien à redire et petit à petit ces veillées devinrent le moment de la journée que chacun attendait avec impatience.

Malgré tout, le but de la mission était toujours bien présent à l’esprit de la capitaine, et chaque fois que la troupe passait à proximité d’un village, parfois dévasté par un incendie récent qui attestait du passage du dragon, mais aussi parfois intact et paraissant tout à fait pimpant, la troupe s’arrêtait pour permettre à celle qui la dirigeait d’aller aux renseignements. Il arrivait d’ailleurs qu’elle obtienne des réponses tout à fait fantaisistes, comme cette fois où on lui répondit que le dragon avait été aperçu volant haut dans le ciel durant les nuits de pleine lune.

Cependant, c’est dans l’un de ces villages qui avaient été épargnés, qu’on lui indiqua de suivre la direction du soleil couchant, un vieillard précisant qu’il avait entrevu la bête s’éloigner dans ce sens un jour qu’il rentrait chez lui après avoir cueilli quelques champignons. S’ensuivit ensuite une longue description desdits champignons, du lieu où ils les avait trouvés, de la douleur qui brûlait ses reins pour s’être trop baissés afin de les ramasser, des exclamations de ses amis lorsqu’ils avaient vu le contenu de son panier, du goût délicieux des morilles une fois revenues dans un peu de beurre et d’ail…

La capitaine perdait patience, sa main gauche tapotant avec de plus en plus d’insistance la poignée de l’épée qu’elle portait au côté, mais le vieillard semblait ne pas s’en rendre compte et continuait de décrire avec maints détails le savoureux repas qu’il avait fait en compagnie de ses enfants, jusqu’à ce que l’officier, dont la patience n’était pas la vertu première, lui coupe la parole, le remerciant poliment pour ses informations, mais lui suggérant d’aller rapidement s’abriter chez lui avant que la monstrueuse bête ne revienne.

Soupirant d’exaspération, la capitaine rejoignit enfin sa troupe et remonta en selle en bougonnant, faisant signe à Gabrielle de monter en croupe. Surprise, cela ne s’était jamais produit jusque là, la jeune orpheline obtempéra tout de même sans discuter et s’installa péniblement derrière l’officier, s’agrippant d’une main à l’uniforme bleu tandis que, de l’autre, elle tenait toujours la corde qui retenait sa chèvre, sursautant de stupeur et d’un peu de frayeur quand la jument sur laquelle elle était assise se mit au trot, immédiatement suivie par la troupe qui adopta le même rythme. Serrant la tunique de l’officier entre ses doigts, Gabrielle jeta un coup d’œil vers Biquette, heureuse de voir que, pour l’instant, elle parvenait à suivre le rythme, mais inquiète en pensant que cela ne durerait sans doute pas bien longtemps avant que la petite chèvre ne s’écroule.

Heureusement, la capitaine reprit très rapidement le pas, leur allure habituelle, juste après s’être assurée d’un coup d’œil qu’ils étaient suffisamment loin du village, mais sans manifester à aucun moment le désir que la jeune femme, derrière elle, remette pied à terre.

D’abord, cela troubla un peu l’orpheline, mais au fil des kilomètres, constatant que Biquette n’était pas gênée et parvenait à soutenir la cadence, bien faible en vérité, elle se détendit tant qu’elle se laissa aller à s’appuyer conte le dos de la capitaine, fermant finalement les yeux en soupirant pour se laisser bercer par le doux tangage produit par la démarche de la jument, mais en prenant garde de ne pas s’endormir.

L’officier ne s’arrêta plus, gardant Gabrielle en croupe jusqu’au soir, tant et si bien que, pendant un moment, la jeune orpheline se demanda si la chef de troupe ne l’avait pas tout simplement oubliée. Mais ce n’était pas le cas puisque, de temps en  temps, elle jetait un regard derrière elle, comme pour s’assurer que tout allait bien. Pourtant, si chacune des deux femmes semblait avoir apprécié le moment, aucune d’elle n’en parla le soir venu, ni dans les jours qui suivirent, comme s’il ne s’était rien passé que de très banal ou d’ordinaire.

 Au fil du temps, les paysages que traversait  la troupe changeaient. Alors qu’ils avaient commencé leur périple dans une région assez montagneuse, ils traversaient maintenant de vastes plaines, de grandes étendues de champs cultivés séparés les uns des autres par quelques prairies ou ruminaient des vaches à l’allure placide, et parfois par des bois de taille variable. Et c’est durant une chaude après midi, deux jours après avoir quitté le village du vieillard aux champignons, alors que chacun courbait la tête sous le soleil d’été, que l’officier vint chevaucher tout près de la jeune orpheline, souriant en la voyant lutter avec Biquette qui tirait sur sa longe, alléchée qu’elle était par quelques pousses bien vertes, alors que sa maîtresse tentait de l’entraîner pour ne pas se laisser distancer par la troupe. L’entêtement de l’animal fit sourire l’officier qui se pencha vers la jeune femme pour interroger.

-« Es-tu certaine que ta chèvre n’a pas un âne parmi ses ancêtres ? »

Le ton était taquin et si la jeune orpheline fut surprise par le tutoiement elle ne le montra pas, l’adoptant même à son tour lorsqu’elle répondit sur le même ton.

-« Je suppose que c’est ça, oui. Serais-tu experte en génétique animale ? »

La capitaine opina du chef.

-« Bien sûr. Tous les officiers de Sa Majesté font des études sur les chèvres et leurs origines, c’est obligatoire pour entrer dans l’armée. » 

La jeune nordique ne put retenir un petit rire, sa bouche s’entrouvrit et elle laissa passer une cascade de sons mélodieux, mais cela ne l’empêcha pas de remarquer les yeux de l’officier, fixés sur elle avec intensité. Un regard qui la fit agréablement frissonner, sans qu’elle comprenne bien pourquoi. Rougissante, elle ramena les yeux sur son animal qui, tirant toujours sur sa longe, tendait le cou pour manger les feuilles d’un buisson.

-« Allons, viens Biquette ! Ne faisons pas attendre la capitaine plus longtemps. »

Donnant un coup sec sur la corde, l’orpheline réussit enfin à entraîner sa chèvre derrière elle, pressant le pas pour rejoindre la troupe alors que l’officier restait à chevaucher à son côté, se rapprochant le plus possible pour reprendre la parole

-« Mes subalternes, en bons soldats qu’ils sont, m’appellent par mon grade mais toi, Gabrielle, tu n’es pas militaire et il me serait agréable que tu emploies mon prénom. »

Encore une fois, la jeune nordique se sentit rougir légèrement, mais releva néanmoins la tête pour interroger avec curiosité.

-« Ton prénom ? Mais je ne le connais pas. »

L’officier sourit et se rapprocha encore, se baissant sur sa selle pour murmurer, comme si elle faisait une confidence.

-« Je m’appelle Excellia. »

Aussitôt après, elle se redressa, le visage tourné vers le paysage devant elle mais surveillant tout de même la réaction de l’orpheline du coin de l’œil, souriant en la voyant s’arrêter de marcher, si interdite qu’elle en oubliait même de tirer Biquette derrière elle.

-« Excellia ?! Tu es la nièce du Roi, c’est bien ça ?  Tu es une Princesse !»

Retenant un rire devant l’expression de Gabrielle qui semblait prête à plonger en une profonde révérence, l’officier répondit d’un ton tout à fait naturel.

-« C’est exact, oui. Mais cela ne doit pas changer ton comportement avec moi. »

Elle se tourna en vers la jeune orpheline pour ajouter très sérieusement.

-« Que je sois la nièce du Roi ne doit pas t’amener à me considérer différemment que l’officier que tu connaissais jusqu’à présent. »

Gabrielle, les joues encore roses, hocha la tête en signe d’assentiment, mais, manifestement encore très intimidée, ne jeta pas un regard à l’officier, ce qui sembla la contrarier un peu. Soupirant, elle arrêta sa jument et mit pied à terre pour aller se placer face à la jeune orpheline, plaçant deux doigts sous son menton pour l’obliger à la regarder bien en face.

-« Depuis que tu t’es jointe à nous, ton naturel est l’une des choses que j’apprécie particulièrement en toi. »

Elle lâcha la jeune femme puis s’éloigna lentement, remontant d’un mouvement souple sur le dos de sa jument avant de se retourner vers Gabrielle pour lui faire un petit clin d’œil.

-« Ne l’oublie pas ! »

Songeuse et toujours un peu rougissante, la jeune orpheline se remit en marche pour rejoindre la troupe, tirant énergiquement sur la longe de sa chèvre.

 

Les deux jours suivants se déroulèrent de la même manière un peu routinière que les précédents, avec une Gabrielle qui fit du mieux qu’elle put pour se comporter de façon habituelle avec une capitaine dont l’attitude n’avait pas changé d’un iota. Mais le troisième jour, alors que, face à la troupe, l’horizon commençait à se teinter d’une lueur rougeâtre annonçant le coucher du soleil, le sergent Prosper, seul sous officier de la troupe, se leva sur ses éperons, tendant une main vers le Nord-Ouest avant de crier, sa voix contenant une certaine surexcitation.

-« Mon capitaine ! D’où croyez-vous que peut provenir la fumée, la-bas ? »

Immédiatement, l’ensemble de la troupe, Gabrielle comprise, regarda dans la direction indiquée. Un large nuage de fumée s’élevait, mollement agité par un vent heureusement particulièrement faible. Cachée par un bosquet plutôt épais, l’origine du feu était invisible à l’œil des cavaliers, mais chacun acquît pourtant rapidement la conviction que ce ne pouvait qu’être l’œuvre du dragon. Sans perdre de temps, la capitaine se tourna vers la jeune orpheline, lui désignant d’un geste du bras un groupe de rochers, suffisamment hauts et proches les uns des autres pour servir d’abri pour une ou deux douces nuits d’été.

-« Reste ici le temps que nous accomplissions ce que nous sommes venus faire, Gabrielle. Ce sera rapide, nous serons certainement de retour dans les deux jours, peut-être même moins. »

Là-dessus, elle éperonna sa jument et, entraînant sa troupe à sa suite, elle s’élança en direction de la colonne de fumée.

 

*****

 

 

La nuit était tombée, mais l’incendie qui faisait rage éclairait les lieux d’une façon quasi surnaturelle, laissant voir un village entier, dont pas une construction n’était épargnée, qui flambait. Partout, des gens hurlaient. Certains couraient en tous sens, apparemment sans but, les yeux révulsés et les mains levées vers le ciel, tandis que d’autres se laissaient choir sur le sol en pleurant, prostrés, alors que d’autres encore erraient en regardant de droite et ce gauche en appelant qui une mère, un fils ou un frère, qui un père ou une sœur… Et puis, à la sortie du village, se dandinant sur ses grosses pattes et crachant de longues flammes dans toutes les directions, une lueur de joie malsaine dans ses yeux jaunes remplis de lueurs rougeâtres, le dragon avançait lentement, semblant prendre plaisir à tout ravager sur son passage.

Sitôt qu’elle l’eut repéré, l’officier, obligée de crier pour se faire entendre dans le vacarme ambiant, ordonna à ses soldats d’encercler la bête en tenant leurs arcs prêts à tirer. Puis, tandis qu’ils s’exécutaient, elle dégaina son épée et chargea en direction du dragon.

La bête, absorbée dans son plaisir de destruction, ne vit arriver la Princesse qu’au dernier moment et se tourna  promptement vers elle, crachant immédiatement une énorme boule de feu dans sa direction. Mais la jument de celle-ci, vive et légère, évita les flammes et en profita pour se rapprocher de l’animal. Et puis, au moment où le dragon se retournait de nouveau, la gueule déjà ouverte pour attaquer une nouvelle fois, une pluie de flèches s’abattit sur lui. La plupart d’entre elles ne le blessèrent pas et rebondirent sur ses épaisses écailles, mais furent tout de même suffisantes pour détourner son attention un instant, ce qui était exactement ce qu’attendait la Princesse.

Sans attendre, elle poussa sa jument à s’avancer jusqu’à frôler la bête, et bondit, sautant du dos de sa monture à celui du dragon, son épée brandie. Sentant la présence de la femme sur ses épaules, la bête rugit et se dressa, se tenant pratiquement à la verticale, pour se secouer dans tous les sens, espérant faire tomber le corps qui s’accrochait à lui.  Mais l’officier tenait bon, s’agrippant de la main gauche aux écailles verdâtres tandis que sa main droite, qui tenait l’épée, cherchait à tâtons un point plus vulnérable, sous la gorge.

Il lui fallut un peu de temps pour le découvrir, les formidables secousses que le dragon imprimait à son corps ne rendaient pas la chose facile, mais quand elle l’eût trouvé, elle y enfonça sa lame jusqu’à la garde. D’abord, il ne se passa rien, la bête continuant de s’agiter en rugissant comme si de rien n’était, l’officier toujours fermement accrochée à son dos, mais petit à petit, le corps gigantesque s’affaissa sur le sol.

Prudente, Excellia s’agrippa plus fermement encore et tenta d’élargir la plaie dans la gorge du dragon, poussant son arme de droite et de gauche sans tenir compte du sang épais qui coulait sur sa main et le long de son bras. Ce n’est qu’après plusieurs minutes de ce traitement, et une fois qu’elle ne sentit plus le moindre soubresaut dans le corps de la bête, qu’elle sauta enfin à terre, aussitôt entourée de ses soldats qui la félicitaient. Les congratulations durèrent fort peu de temps cependant, la Princesse les interrompant rapidement pour désigner d’un geste le village qui brûlait et les blessés qui gémissaient sur le sol avant de s’adresser à sa troupe.

-« Notre mission n’est pas terminée, soldats. Les sujets de Sa Majesté ont besoin d’aide ! »

Aussitôt chacun rangea ses armes et s’improvisa pompier, collaborant efficacement avec les villageois pour éteindre l’incendie.

 

 

 

Assise devant le feu, Biquette attachée à un pieu enfoncé dans le sol non loin d’elle, Gabrielle soupira. Certes elle était depuis longtemps habituée à la solitude, mais ces deux semaines passées avec la troupe lui avait donné le goût de la compagnie, et au bout de deux jours complets seule dans la plaine, elle trouvait le temps bien long. L’obscurité était totale et la jeune orpheline remit un peu de bois dans le feu, faisant monter les flammes bien haut avant de retourner au plus près des rochers, là où elle avait installé sa couche. Bâillant largement, elle se frotta les yeux, songeant à se coucher, quand les bêlements de sa chèvre traduisant manifestement un certain affolement la firent de nouveau regarder vers le feu.

Tout près, se tenait une femme, voûtée comme si elle était très âgée et entièrement vêtue de noir. Une seconde, la jeune nordique se demanda d’où elle pouvait bien venir, puis, décidant qu’il suffisait de lui poser la question pour le savoir, s’approcha, curieuse mais aussi contente d’avoir un peu de compagnie pour la soirée. Pourtant, au fur et à mesure qu’elle distinguait mieux les traits de la vieille, et alors que les bêlements de Biquette traduisaient une panique qui croissaient progressivement, elle constata à quel point la femme était laide. Un nez crochu avec une énorme verrue suintante au bout, des yeux injectés de sang, un menton en galoche recouvert de nombreux poils blancs, des paupières tombantes qui dissimulaient à demi le regard, et surtout un sourire qui découvrait des gencives rouges sang, sur lesquelles un ou deux chicots noirâtres seulement étaient plantés de travers, un sourire qui n’avait rien d’aimable mais qui, au contraire, amena les bras de Gabrielle à se couvrir de chair de poule.

Intérieurement, la jeune femme se morigéna de se fier ainsi aux apparences, et elle rendit son sourire à la vieille, l’invitant à s’asseoir près du feu avec elle, avant de lui proposer un bol de soupe. Mais la femme refusa d’un geste, son répugnant sourire s’élargissant alors que l’orpheline se dirigeait vers sa chèvre, tentant de la calmer tout en expliquant.

-« Je ne comprends pas ce qui lui prend à s’agiter ainsi. Elle est très calme habituellement. »

La vieille ricana, sa voix chevrotante aussi désagréable à entendre que sa personne à regarder.

-« Tu ne devrais pas t’encombrer ainsi d’une chèvre. Ce n’est pas un animal de compagnie ordinaire, et une jeune fille aussi jolie que toi mérite certainement mieux. »

Encore une fois, Gabrielle frissonna. Intriguée par cette dernière affirmation, fronçant les sourcils, elle se tourna vivement vers la vieille, le regard curieux.

-« C’est ce que vous pensez vraiment ? Pourtant, outre le fait qu’elle est très affectueuse, Biquette me permet de boire du lait quotidiennement. »

La femme hocha la tête, le même sourire disgracieux et inquiétant étirant ses lèvres minces. Puis elle tendit une main vers la chèvre, laquelle recula aussitôt en bêlant encore plus fort.

-« J’aime beaucoup les chèvres moi aussi. Leurs poils permettent de fabriquer d’excellents manteaux, leur chair est bien plus savoureuse qu’on ne le croit, et je sais faire quantité de choses avec la poudre obtenue en broyant leurs cornes. »

Gabrielle grimaça, commençant à se demander si l’arrivée inopinée de cette étrange femme était une si bonne chose et si sa solitude n’était pas préférable finalement. Cependant, elle garda cette pensée pour elle, continuant de tenir Biquette contre elle tout en lui caressant doucement la tête dans l’espoir de l’apaiser.

-« Regarde-moi, petite. »

La voix de la vieille toujours aussi chevrotante était pourtant étrangement hypnotique, et la jeune orpheline dû lutter pour garder son attention fixée sur l’animal dont la terreur ne diminuait pas.

-« Je t’ordonne de me regarder. »

Le ton était beaucoup plus impératif, et bien que la vieille n’ai pas haussé le ton, Gabrielle tourna le regard vers elle, sentant confusément que c’était la dernière chose à faire mais incapable de lutter contre cette autorité. Tournant très lentement la tête, comme engourdie, elle leva les yeux vers ceux de la femme, surprise de trouver deux pupilles particulièrement dilatées, d’un noir plus intense encore que la nuit qui les entourait.

-« Regarde-moi bien petite. Laisse tes yeux dans les miens. »

La voix s’était faite plus basse, profonde, avec des accents étrangement convaincants. Péniblement, Gabrielle avala sa salive, sentant confusément qu’il fallait qu’elle détourne le regard avant que ces prunelles immenses ne l’engloutissent, mais sans y parvenir.

-« Continue de me regarder, petite. Laisse-moi te convaincre. »

Cette fois, la jeune orpheline cilla, portant inconsciemment une main à son front alors qu’elle se sentait légèrement chancelante, comme si ses jambes, devenues un peu cotonneuses, n’avaient plus la force de la porter. Vaguement, il lui sembla distinguer la main de la vieille qui montait à hauteur de son visage et ses doigts qui claquaient, mais tout cela paraissait lointain, comme si elle aperçu ces gestes au travers d’une vitre déformante.

-« Regarde-moi bien, petite. Ne me lâche pas du regard et donne moi ta chèvre. »

La phrase résonna bizarrement dans l’esprit de Gabrielle, et les yeux toujours dans ceux de la vieille, elle répéta « donner ma chèvre » d’une voix sourde mais dans laquelle perçait une angoisse évidente. Pourtant, la vieille ne s’agaça pas, répétant seulement plusieurs fois, d’un ton particulièrement lancinant.

-« Donne-moi ta chèvre, petite. Donne-moi ta chèvre. »

Pendant un court instant, Gabrielle hésita, paraissant douter du bien fondé de la requête de la femme, mais la voix, près d’elle insistait, convaincante, persuasive…Doucement, elle attrapa la corde au cou de biquette et commença à défaire les nœuds. Mais ceux-ci étaient d’autant plus serrés que l’animal avait tiré très fort sur sa longe. Obligée de regarder ce qu’elle faisait, l’orpheline posa les yeux sur ses mains et sur sa tâche, lâchant le regard de la vieille pour cela, et aussitôt une prise de conscience commença à se faire dans son esprit. Hésitante, elle retira ses doigts de la corde, et sans se retourner vers la femme, la tête et le regard dirigés vers le sol, prononça d’une voix qu’elle tenta de garder ferme.

-« Pourquoi vous donnerais-je ma chèvre ? Elle a été ma seule amie pendant si longtemps. »

Mais la vieille ne l’entendait pas de cette oreille et reprit sa litanie

-« Donne-moi ta chèvre, petite. Tu as d’autres amis maintenant. Donne-moi ta chèvre. Et regarde-moi dans les yeux !»

De nouveau, Gabrielle se sentit chanceler, éprouvant toujours une certaine faiblesse dans les jambes, mais refusa de relever le regard, secouant négativement la tête.

-« Non ! Pourquoi ferais-je une chose pareille ? »

Et puis, alors que la voix de la vieille s’élevait de nouveau, de plus en plus autoritaire et persuasive, une ombre en forme de silhouette humaine coiffée d’un casque se dessina derrière elle, rapidement suivie par d’autres.

-« Cesse immédiatement, sorcière !! »

La vieille, surprise, sursauta et se retourna avec bien plus de vivacité qu’on ne l’aurait attendu pour une personne de son âge, cherchant immédiatement le regard de celle qui l’avait interpellée de cette manière. Mais la Princesse, puisque c’était elle qui se tenait debout son épée à la main, se garda bien de la regarder en face. Déterminée, elle avança et donna un violent coup du plat de sa lame sur le poignet de la femme, celle-ci poussant un cri suraigu dans lequel perçait sans aucun doute plus de rage que de douleur. Aussitôt, l’officier profita de son avantage, s’approchant encore plus près pour attraper les avant-bras de la vieille, les tirant dans son dos avant de héler deux de ses subalternes.

-« Prosper ! Doriane ! Venez vous occuper d’elle !Ligotez là, bâillonnez là et surtout n’oubliez pas de lui couvrir les yeux ! »

Les deux soldats se précipitèrent, la jeune femme brandissant déjà un chiffon pour bander les yeux de la sorcière tandis que le sergent, lui, nouait une corde solide autour de ses poignets, s’appliquant à faire des nœuds bien serrés.

En face d’eux, Gabrielle semblait reprendre lentement conscience. Encore chancelante, elle tentait de reprendre plein contact avec la réalité en observant la capture de la sorcière. La lumière du feu jetait des ombres mouvantes étranges sur toute la scène et il sembla à l’orpheline que les mouvements de chaque protagoniste se faisaient au ralenti, comme si leurs membres étaient englués dans l’épaisseur de l’air ambiant. Une douleur sourde commença à apparaître à ses tempes et le sang se mit à battre derrière ses paupières, lui donnant l’impression que sa tête pesait de plus en plus lourd, alors que près d’elle, les bêlements de la chèvre, un peu moins fort que tout à l’heure pourtant, s’enfonçaient dans son crâne comme des milliers de petites vrilles qui lui perforaient tout autant le cerveau que les oreilles. Titubante, elle fit un pas hésitant en direction de la capitaine mais ne put faire le deuxième, trébuchant sur une petite branche qui n’était pas allée au feu. Poussant un petit cri, elle tendit dans un geste réflexe une main vers le sol dans l’espoir d’amortir sa chute, mais n’eut pas le temps de toucher le sol que déjà deux bras solides l’enlaçaient et la soutenaient, l’enveloppant dans une chaleur si rassurante que la jeune orpheline, retrouvant immédiatement sa sérénité, cessa de lutter et ferma les yeux. 

 

Elle reprit conscience fort peu de temps après cela, découvrant d’abord le visage de la Princesse, qui avait retiré son casque, penché sur elle, puis aperçut dans sa vision périphérique les autres membres de la troupe groupés autour du feu et enfin la sorcière toujours entravée, assise dans un coin, le dos appuyé contre un rocher. Heureuse de constater que son mal de tête avait disparu, elle tenta de se relever mais ne parvint pas à le faire, retenue qu’elle était par deux bras vigoureux qui l’amenèrent doucement à se rallonger. Et c’est à ce moment là seulement que Gabrielle se rendit compte que si son corps était couché sur le sol, sa tête, elle, reposait sur les cuisses de la Princesse. Rougissante, elle exhala un petit soupir avant de murmurer

-« Cette femme, que m’a-t-elle fait ? Comment a-t-elle pu m’ensorceler au point que j’ai bien failli lui donner Biquette ?»

La Princesse sourit doucement, passant une main apaisante sur le bras de la jeune orpheline.

-« Tu n’as donc jamais entendu parler de Chrissie Boutrin, la plus effroyable sorcière que le pays ait jamais connue ? Elle a l’habitude d’imposer sa volonté à ses victimes en les fixant droit dans les yeux. Je ne sais pas exactement comment elle s’y prend, par une forme d’hypnose sans doute,  mais elle a parfois réussi à faire faire des choses épouvantables à des gens qui ne parvenaient pas à résister à son étrange pouvoir. C’est une excellente chose pour le royaume qu’elle soit enfin hors d’état de nuire. 

Ca fait des années qu’elle est recherchée, par la police comme par l’armée. Mais elle a toujours été habile pour se cacher, utilisant de nombreux sortilèges pour cela. D’ailleurs, c’est une chance pour nous d’être arrivée pendant qu’elle s’en prenait à toi. Non seulement nous avons réussi à te sauver, mais nous l’avons même capturée. »

La jeune blonde sourit.

-« Quoi qu’il en soit, je dois vous remercier, toi et ta troupe. Sans vous, ma pauvre Biquette ne serait plus là. Et qui sait ce que cette sorcière aurait fait d’elle… Et de moi. »

La princesse haussa négligemment les épaules.

-« Nous n’avons fait que notre devoir, rien de plus. Et quant à toi, tu as fait de ton mieux pour résister. Tu as été particulièrement courageuse. »

La jeune orpheline ne partageait pas cet avis, mais elle s’abstint d’insister là-dessus, faisant une nouvelle tentative pour se relever. Cette fois, la Princesse la laissa faire, se contentant de rester à ses côtés en se tenant prête à la retenir dans le cas où elle serait reprise de faiblesse. Mais au contraire, la jeune nordique paraissait de plus en plus vaillante sur ses jambes et s’en alla remercier chaleureusement la troupe, adressant un grand sourire reconnaissant à chacun des soldats avant de jeter un coup d’œil rempli de crainte à la sorcière. Celle-ci, bâillonnée, les yeux bandés et les mains attachées dans son dos ne représentait plus du tout une menace pour quiconque, mais Gabrielle frissonna tout de même en passant devant elle, sentant aussitôt la main de la Princesse effleurer son avant-bras dans un geste rassurant. Et puis, elle arriva près de sa chèvre qui, calmée, l’accueillit avec un petit bêlement et en lui donnant une petite poussée amicale du bout des cornes. Gabrielle ravie de la trouver en pleine forme, gratta doucement le cou de l’animal, en une caresse qu’elle savait être appréciée, avant d’interroger doucement l’officier.

-« Pourquoi la sorcière m’a-t-elle demandé de lui donner Biquette ? Il lui aurait suffit de m’empêcher d’intervenir pendant qu’elle la détachait elle-même. »

La capitaine tendit une main pour caresser elle aussi la tête de la chèvre.

-« Je crois qu’elle ne le pouvait tout simplement pas. La plupart du temps, son mode opératoire est identique à celui-là. Elle prend le contrôle des gens et les amène à faire ce qu’elle leur ordonne, alors que si elle le faisait elle-même, les diverses potions et autres préparations plus ou moins infâmes qu’elle préparerait avec le produit de ses larcins seraient beaucoup moins, voire pas du tout, efficaces. »

Gabrielle hocha la tête et resta silencieuse un instant avant de changer complètement de sujet de conversation

-« Qu’en est-il du dragon ? Si vous êtres de retour, c’est que vous en êtes venus à bout, n’est-ce pas ? »

L’officier se redressa fièrement en hochant la tête, un large sourire étirant ses lèvres.

-« Nous avons mené notre mission à bien, oui. La bête est morte et sa tête est dans un sac pour que nous la ramenions à la capitale, où elle sera exposée sur la grand-place, devant le palais royal. »

L’idée de cette tête de dragon exposée, que Gabrielle trouvait fort peu ragoûtante, la fit grimacer d’une façon si laide que la Princesse éclata de rire.

-« Tu ne seras pas obligée d’aller la contempler, je peux te l’assurer. »

Retrouvant son sérieux, elle se rapprocha encore de l’orpheline pour chuchoter au creux de son oreille.

-« Je suis contente que tu nous accompagnes jusqu’à la capitale, Gabrielle. Et je suis persuadée que tu te feras rapidement une vie très agréable là-bas. »

Caressant toujours distraitement la tête de Biquette, la jeune nordique haussa une épaule, une moue un peu désabusée sur le visage.

-« J’espère vraiment que je vais me plaire en ville, mais… « 

Cette fois, son expression était très sérieuse alors qu’elle se tournait vers la capitaine.

-« Mais je ne suis pas sûre de m’adapter. Je n’ai jamais vécu ailleurs que dans la campagne. Je ne connais rien de la ville. Trouverai-je un emploi ? Et puis je serai seule. Je ne sais même pas si j’arriverai à me faire des amis.

La main de la Princesse se posa délicatement sur l’épaule de la jeune nordique.

-« Gabrielle, tu ne seras pas seule, je peux te le promettre. »

Les yeux si clairs de la Princesse plongèrent dans ceux de la jeune nordique dont les bras se couvrirent de chair de poule.

-« Tu dois savoir que chacun d’entre nous ici, est déjà ton ami. Et quant à moi, je serais très honorée de te rendre visite, aussi longtemps que tu le souhaiteras. »

Sur le visage de Gabrielle, l’expression un peu mélancolique disparut, lentement remplacée par un sourire chaleureux, et elle posa sa main sur celle de la Princesse, restée sur son épaule, pour la serrer doucement. Un moment, elles restèrent ainsi, les yeux verts ne quittant pas ceux, si bleus, de l’officier, et puis, quand enfin elles réussirent à se lâcher, elles allèrent lentement rejoindre la troupe, près du feu.

 

Le trajet de retour vers la capitale prit plusieurs jours. Toute la troupe savait que leur arrivée, mission accomplie, serait largement et longuement célébrée dans toute la ville, et chacun souhaitait profiter d’un peu de calme, de quelques journées de répit, avant d’affronter cela.

Détendue, Excellia marchait parfois aux côtés de Gabrielle, hissant dans ces cas là la sorcière sur le dos de sa jument. L’effroyable Boutrin, en effet, ne présentait plus aucune menace tant qu’elle restait entravée et surtout qu’elle gardait les yeux bandés, mais son grand âge ne lui permettait pas de suivre l’allure des chevaux, ce que la Princesse sut très vite utiliser pour se rapprocher de la jeune orpheline, qui semblait d’ailleurs apprécier l’attention à sa juste valeur.

Le soir, lors des veillées, la jeune orpheline ayant déjà raconté tous les récits qu’elle tenait de sa mère, inventait de nouvelles histoires tout droit sorties de son imagination laquelle semblait sans limite, parvenant parfois à tenir son auditoire en haleine pendant de longues heures.

 

Et puis, par une belle matinée ensoleillée, ils arrivèrent enfin en vue de la capitale. Gabrielle qui n’avait jamais quitté sa bicoque et son coin de campagne, resta un moment ébahie en apercevant au loin les toits d’ardoise, bien serrés les uns contre les autres, les façades colorées aux balcons fleuris, et surtout, dominant la ville de son imposante majesté, le château royal avec ses grandes tours, sa façade d’une blancheur immaculée, ses hautes fenêtres, ses vastes balcons aux rideaux flottant doucement dans la légère brise… Tout ce qui donnait noblesse et prestige à la cité.

Les yeux grands ouverts, la jeune nordique observait avec un peu d’émerveillement tout ce qui se présentait à sa vue alors qu’en compagnie de la troupe, elle pénétra dans la cité. De temps à autres, de jeunes enfants s’approchaient pour passer une main timide sur le pelage de Biquette tandis que les adultes, eux, saluaient les soldats avec de grands gestes exubérants, des paroles bienveillantes et des sourires plus que chaleureux, lançant de bruyantes exclamations de joie qui devinrent de plus en plus enthousiastes lorsque ils apprirent, on ne sait comment, que le dragon avait été vaincu, et conspuant bruyamment la sorcière entravée que Prosper guidait d’une main ferme dans les rues de la ville. Souriant elle aussi, et répondant aux saluts de la foule avec de petits signes de la main, la Princesse n’oubliait toutefois pas de jeter de fréquents coups d’œil à l’orpheline, un peu amusée de l’expression ravie inscrite sur son visage, mais soucieuse de vérifier que la joie un peu folle qui les entourait ne l’effraiyait pas.

La foule, de plus en plus dense dans les rues, ralentit l’allure de la troupe et il leur fallut de très longues minutes pour arriver enfin devant le palais royal où, à la grande surprise de Gabrielle, l’immense portail s’ouvrit devant eux sans même qu’ils aient à faire le moindre geste pour cela. La foule cessa de les suivre à ce moment là, restant respectueusement sur la place, devant le palais, et pour la première fois depuis leur arrivée dans la capitale, après que deux soldats de la garde royale soient venus prendre la sorcière en charge afin de l’emmener à la prison, ils purent apprécier un instant de calme. Toujours émerveillée de tout ce qu’elle voyait pour la première fois, la jeune nordique semblait ne pas avoir assez de ses deux yeux pour regarder l’immense parc parfaitement entretenu, aux arbustes taillés en formes d’animaux, aux pelouses impeccables et aux allées parfaitement rectilignes bordées de pierres dont pas une ne paraissait sortir du rang. Malheureusement, ce plaisir qu’elle éprouvait à découvrir tout cela fut un peu gâché par Biquette qui, fort peu respectueuse du lieu, tentait de brouter tous les brins d’herbe qui se trouvaient à sa portée. Aussi fut-ce un vrai soulagement que de voir Excellia interpeller un des palefreniers qui étaient venus chercher leur chevaux pour les amener à l’écurie, lui ordonnant de s’occuper de la chèvre jusqu’à ce qu’on revienne la chercher, ajoutant d’un ton tout à fait sérieux qu’il était impératif d’apporter le plus grand intérêt au bien-être de l’animal. Ceci fait, la Princesse récupéra un énorme sac dans les sacoches de sa jument puis vint s’incliner devant l’orpheline et lui offrit son bras, l’invitant à gravir les escaliers qui permettaient de pénétrer à l’intérieur du château.

Un chambellan les accueillit, jetant un coup d’œil dédaigneux sur Gabrielle, détaillant ses pauvres vêtements usés et ses sabots de paysanne avec une moue méprisante, avant de saluer poliment les soldats puis de s’incliner respectueusement devant Excellia.

-« Le roi Franz vous attend, avec votre troupe, dans la salle du trône, Princesse. Quant à cette…Demoiselle, je suppose qu’elle peut se rendre aux cuisines où on lui servira un repas  chaud ou quoi que ce soit qu’elle pourrait demander. »

Vexée par l’attitude du chambellan, Gabrielle rougit, mais se redressa fièrement, sans répliquer toutefois, trop consciente de ce que son allure misérable pouvait avoir d’incongrue voire de déplacée dans ce luxueux palais, mais l’officier ne l’entendait pas de cette oreille et serra le bras de la jeune orpheline contre elle, l’empêchant ainsi de suivre la direction indiquée par l’homme, avant de s’adresser à celui-ci, un éclair de colère faisant étinceler ses prunelles bleues.

-« Je suis persuadée que le Roi, mon oncle, sera enchanté de rencontrer cette jeune femme qui a participé à notre aventure et nous a permis de capturer l’effroyable Boutrin. D’autre part, elle est ici parce que je l’y ai invitée, et j’entends que chacun la traite avec le plus grand respect.»

Cette fois, ce fut le chambellan qui rougit, le ton employé par la Princesse indiquant clairement ce qu’elle pensait de ses manières. Il s’inclina sans répondre et précéda le petit groupe jusqu’à la salle du trône, leur ouvrit la gigantesque porte et s’effaça devant eux pour les laisser aller au devant du Roi.

Immobile, un sourire aimable sur le visage, debout au milieu de la pièce auprès de la Reine, son épouse, le Roi Franz, vêtu d’un uniforme d’officier du même genre que celui de sa nièce, regarda les soldats et leur officier, tenant chacun leur casque sous le bras, s’avancer au devant de lui et le saluer avec déférence. Mais rapidement, son regard se posa sur la jeune paysanne, un peu étonné peut-être mais sûrement pas choqué par sa présence au milieu de ses soldats. Levant un sourcil il interrogea sa nièce du regard.

-« Majesté, je viens ici vous présenter Gabrielle, une de vos jeunes sujettes qui nous a grandement aidés, notamment pour capturer la sorcière. »

Souriant, le Roi s’avança au devant de la jeune nordique qui venait de plonger en une profonde révérence, attendant qu’elle se relève pour prendre ses mains dans les siennes.

-« Eh bien, jeune Gabrielle, Vous me voyez heureux de rencontrer une jeune femme si consciente de ses devoirs envers le royaume qu’elle n’a pas hésité à prêter main forte à mes soldats. »

Encore une fois, l’orpheline rougit, même si c’était maintenant l’embarras plutôt que la honte qui colorait ses joues.

-« En vérité Votre Majesté, je n’ai pas grand mérite…. »

Le Roi Franz, toujours souriant, lui coupa la parole.

-« Taratata ! Pour gagner l’estime que ma nièce semble vous montrer, vous êtes assurément une jeune femme remarquable. Mais ne discutons pas de cela et venez plutôt avec moi que je vous présente la Reine, mon épouse. »

De nouveau les soldats saluèrent et Gabrielle fit une révérence tandis que l’officier, elle, s’en allait déposer une bise sur chacune des joues de sa tante. Après quoi, l’orpheline, comme les membres de la troupe restèrent immobiles, un peu empruntés, attendant que la conversation entre les membres de la famille royale se termine. Cela ne fut d’ailleurs pas long et rapidement, le Roi se tourna vers la large fenêtre ouverte sur un vaste balcon et au travers de laquelle on entendait les clameurs joyeuses de la foule rassemblée dehors.

-« Il me semble que mes sujets souhaitent remercier ceux qui les ont débarrassés à la fois d’un terrible dragon et d’une épouvantable sorcière. »

D’un ample geste du bras, il invita la troupe entière, leur officier en tête, à se présenter devant ceux qui les acclamaient, rassemblés dans le parc royal, piétinant les impeccables pelouses qui avaient fait l’admiration de Gabrielle peu de temps auparavant. Tremblante d’émotion, la jeune orpheline s’accrocha un peu plus fort au bras d’Excellia, que celle-ci lui avait offert à nouveau, et suivit le Roi sur le balcon.

Là, les deux mains appuyées à la rambarde de pierres, son épouse à ses côtés, le Roi saluait ses sujets, regardant la foule en souriant et en hochant régulièrement la tête dans toutes les directions, alors que la Reine, elle n’hésitait pas à faire des signes de la main et, de temps en temps, à envoyer des baisers.

Le brouhaha d’exclamations et de hourras augmenta encore à l’arrivée des soldats et de leur chef, juste derrière le monarque qui, au bout d’une ou deux minutes, les interrompit, levant les mains devant lui pour réclamer le silence. Le peuple était discipliné et il fallut peu de temps pour qu’un calme relatif s’installe, permettant au Roi de prendre la parole.

« -Aujourd’hui est un grand jour ! La Princesse Excellia, que vous connaissez tous, a rempli, avec sa troupe composée des meilleurs soldats du royaume, une mission extrêmement périlleuse.

Vous savez tous que, sûr de ses capacités et de son courage, je lui avais donné comme objectif de mettre fin aux abominables destructions que causait un dragon sur tout le territoire du royaume. Eh bien, c’est chose faite !! »

Une formidable clameur suivit les propos du Roi, des vivats qui jaillissaient de partout et dont le volume augmenta encore quand, lâchant enfin le bras de Gabrielle, l’officier, fouillant à l’intérieur de l’énorme sac de toile qu’elle portait depuis leur arrivée au palais, en sortit la tête du dragon qu’elle brandit comme un trophée devant la foule si enthousiaste qu’elle en scanda rapidement son nom sur l’air des lampions.

-« Excellia ! Excellia ! Excellia ! »

Toujours détendu et souriant, le monarque laissa son peuple exprimer sa reconnaissance pendant un moment, mais finit tout de même par réclamer de nouveau le silence afin de reprendre la parole. 

-« Mais ce n’est pas tout. Non contents d’avoir parfaitement rempli leur mission, la Princesse et ses vaillants soldats ont également mis hors d’état de nuire la tristement célèbre et effroyable sorcière Boutrin ! »

L’ovation qui s’éleva à ces mots fut encore plus formidable et, pendant un instant, même le Roi ne peut endiguer cet extraordinaire engouement pour la Princesse et sa troupe, les cris de joie et de célébrations succédant aux bravos et aux acclamations.

Pourtant après de longues minutes, semblant se rendre compte que le monarque n’en avait pas fini, la foule se calma d’elle-même, impatiente d’entendre ce que le Roi avait à ajouter.

-« Comme vous le savez, j’avais promis que ceux et celles qui débarrasseraient le royaume de ce monstrueux dragon seraient récompensés. Ainsi, le sergent Prosper est promu au grade de lieutenant, et les soldats de cette troupe victorieuse, eux, sont dorénavant tous sergent de l’armée royale. Quant à celle qui les dirigeait, et qui a tranché la tête de l’ignoble bête, il me semble juste de simplement lui demander quel souhait elle voudrait voir exaucé. »

Se tournant vers sa nièce, parlant le plus fort possible pour être bien entendu de la foule, il interrogea.

-« Princesse Excellia, Quel est ton souhait le plus cher, celui que tu voudrais voir exaucé ? »

La réponse de l’officier fut prononcée sans aucune hésitation, à haute et intelligible voix.

-« Je suis une princesse de sang, mon plus cher désir est de servir le royaume, et le bonheur de son peuple est une récompense bien suffisante à mes yeux.  Mais si votre Majesté le permet, et puisque je ne peux pas présenter ma requête au père de Gabrielle, c’est à vous que je le demande : Majesté, m’accordez-vous la main de la jeune Gabrielle ici présente ? »

Cette fois, la foule retint son souffle, apparemment pressée d’entendre la réponse du Roi à cette requête. Mais celui-ci prit son temps, se tournant d’abord vers la jeune nordique pour l’interroger d’un ton très paternel.

-« Cette demande te concerne au premier chef, Gabrielle. Consentirais-tu à épouser la Princesse, si je lui accordais ta main ? »

L’orpheline, les yeux brillants et les joues roses d’émotion resta un instant sans répondre, fixant le monarque avec un peu d’incrédulité dans le regard. Et puis, portant ses mains à sa poitrine, elle murmura dans un souffle.

-« Rien ne pourrait me rendre plus heureuse, Sire. »

La foule massée sous le balcon ne connaissait pas la jeune orpheline, mais déjà les rumeurs couraient bon train, lui attribuant un rôle très exagéré dans la capture de la sorcière, et les clameurs de joie reprirent, certains n’hésitant pas à lancer leur chapeau dans les airs en signe de liesse. Pourtant, il suffit d’un simple geste de la main de la part du Roi pour que chacun se taise à nouveau, pendu aux lèvres du monarque. Celui-ci, un large sourire sur le visage, se tourna vers sa nièce, prononçant d’une voix forte

-«Princesse Excellia, puisque tel est ton souhait, j’ai la joie de t’accorder la main de la jeune Gabrielle ici présente. »

L‘officier, dont les yeux brillaient de bonheur se précipita au devant de l’orpheline, prenant ses mains dans les siennes en murmurant, le regard plongé dans celui de la jeune nordique.

-« Vraiment, Gabrielle ? Tu acceptes de m’épouser ?»

L’orpheline, dont les yeux ne quittaient pas ceux de la Princesse, ouvrit la bouche pour répondre, quand brusquement, une voix s’éleva du parc, juste en dessous d’elles.

-« Non ! Cela ne se peut pas ! Un mariage entre deux femmes serait la fin de notre monde, l’effondrement de notre société ! Le royaume et même l’humanité ne survivrait pas à un tel événement !… »

Tous les visages, dans le parc mais aussi sur le balcon, se tournèrent vers celle qui venait de lancer ces paroles étranges et dénuées de sens. Blonde, vêtue d’un pull rose sur lequel étaient brodées les silhouettes de deux enfants, la femme continuait de proférer des propos incohérents, tout en bousculant ceux qui se trouvaient sur son passage dans l’espoir d’échapper aux deux hommes et à la femme, vêtus de longues blouses blanches, qui la poursuivaient. Pendant une seconde, le silence se fit, le peuple comme la famille royale trop stupéfaits pour réagir, et puis, le Roi se pencha sur la balustrade pour héler l’un des infirmiers qui pourchassaient la femme.

-« Qui est cette femme ? Et comment ose-telle perturber ainsi le retour triomphal des héros qui viennent de rendre de si grands services à la nation ? »

L’infirmier prit le temps de saluer respectueusement le monarque avant de répondre, confus.

-« Il s’agit de Gyfride Fardeau, Majesté. Une pauvre femme, malade depuis bien des années maintenant. Malgré notre vigilance, elle a réussi à s’échapper de l’hôpital pour venir vous interrompre. »

Baissant la tête, il ajouta, contrit.

-« Nous en sommes désolés, Sire, et présentons aussi toutes nos excuses, à la Princesse et à sa troupe. »

Le Roi hocha la tête, reportant le regard sur la femme à l’esprit dérangé qui s’agitait dans la foule et tentait d’échapper aux deux autres infirmiers, repoussant difficilement les bras de celui qui l’avait ceinturée pour mieux tomber dans ceux de celle qui l’attrapait maintenant par les poignets. Secouant la tête avec un peu de pitié, le Roi se tourna de nouveau vers l’infirmier.

-« Ramener la prestement à l’hôpital, prenez soin d’elle, et tâchez de faire en sorte qu’elle ne s’évade pas de nouveau ! »

L’infirmier s’inclina avec déférence et rejoignit ses collègues, empoignant la pauvre malade par le bras pour l’entraîner à leur suite.

Sur le balcon, l’interruption n’avait guère jeté la confusion. D’abord interloquées par le discours aberrant de la malade, l’orpheline et l’officier n’avaient pas tardé à se regarder de nouveau dans les yeux, oubliant complètement ce qui se passait autour d’elles et se chuchotant de tendres paroles au creux de l’oreille. Tant et si bien que la foule, le Roi, la Reine et toute la troupe furent les spectateurs attendris de leur premier baiser (d’amour vrai)…

 

Quelques semaines plus tard,  Biquette coulait des jours heureux dans la bergerie royale en compagnie d’un bouc tout à fait à son goût.

Gabrielle et Excellia, de leur côté, et grâce à une loi promulguée par le Roi Franz, se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
E
Superbe !!! Vraiment très drôle.
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G
Merci de tous ces commentaires qui ne peuvent que m'encourager à persévérer, pour aller jusqu'à la centaine, qui sait ? :-)
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I
Décidément Gaxé,tu nous étonneras tjs,même après la quoi...la 50ème histoire!!!<br /> <br /> <br /> <br /> Et celle ci est un très joli conte avec toutes ces références et une belle touche d'humour....Trop forte!<br /> <br /> <br /> <br /> Merci Gaxé.<br /> <br /> <br /> <br /> Isis.
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K
Décidément, j'adore votre humour :-) On en redemande parce que c'est amusant et très bien écrit, un vrai plaisir !!!
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G
j'ai beaucoup aimé, et ce clin d'oeil avec la sorcière boutin et gyfribe Fardeau ma bien fait rire,c'est super bien trouver
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