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8 décembre 2019

Journal intime, cahier 4, de Gaxé

 

 

 

                                                           JOURNAL INTIME

 

 

Cahier 4

 

Un jour. Lequel ?

C’en est fini de notre bonne fortune.

Depuis quelques temps, nous parvenions à avancer sans trop de problème, passant de base en base grâce à tous ceux qui nous recevaient et dont nous ne comprenions pas la langue. Petit à petit, nous avons acquis quelques mots de vocabulaire, même s’il n’était toujours pas question de véritablement faire la conversation. Cependant, cela suffisait pour que nous puissions nous faire comprendre sur l’essentiel. Obtenir de l’eau bien sûr, qu’ils nous ont toujours volontiers offerte, et connaitre le meilleur itinéraire possible pour que nous trouvions un autre endroit où nous serions, là encore, accueillies à bras ouverts.

Jusque-là, nos étapes, si elles ne nous permettaient pas de nous diriger directement vers l’Est, nous rapprochaient tout de même de notre objectif, même si le trajet en devenait un peu plus long. Les montagnes, dont nous apercevons quotidiennement les silhouettes imposante, semblent maintenant un peu plus proches que la première fois que nous les avons vues. Mais à présent, il va nous falloir nous débrouiller sans être sûre de trouver rapidement une base pour nous accueillir, puisque la suivante, qui nous a été indiquée par ces gens si accueillants et affables est située plein Nord, une direction qui nous éloignerait bien trop de notre destination.

Avoir des étapes plus courtes, ne pas manquer d’eau et dormir plus régulièrement au frais nous a fait beaucoup de bien. Au physique, bien sûr, puisque nous avons bien récupéré, mais aussi moralement, parce que nous ne passions plus notre temps à constamment nous inquiéter de ce qui adviendrait le jour suivant.

Je ne sais pas ce qu’il va advenir dorénavant. Nous allons recommencer à marcher, comptant sur la chance, le hasard et l’instinct de Léna pour ne pas mourir de soif ou brûlées par le soleil. Reprendre la route dans ces conditions ne m’enchante guère. De nouveau, je suis extrêmement inquiète.

 

Un autre jour

Plus que cinq gourdes. Dix litres. De quoi tenir un jour et demi, deux jours peut-être. Et ensuite ? Les nuits se raccourcissent et par conséquent, nos étapes aussi. De plus, nous nous trouvons à présent sur un terrain de plus en plus accidenté et la marche n’en est que plus pénible. Heureusement, j’ai acquis suffisamment d’endurance dorénavant pour ne plus souffrir de courbatures. La sècheresse rend le sol si poussiéreux que de petits nuages sableux se soulèvent à chacune de nos pas. Mais malgré ça, les arbres, toujours aussi rachitiques, sont un peu plus nombreux, projetant pendant la journée de vagues ombres fantomatiques sur le sol.

Depuis notre départ de la dernière base, Léna a senti mon anxiété, s’efforçant quotidiennement de me rassurer du mieux qu’elle le pouvait, par de petits gestes et des paroles encourageantes, forçant encore mon admiration pour son courage, sa force tant physique que morale, et sa détermination sans faille. Pourtant, cela n’empêche pas qu’à chaque jour passé sur la route, je suis tourmentée par la chaleur, la sècheresse et par le souci de l’eau.

J’écris à l’ombre de la couverture, laquelle est accrochée aux branches d’un arbre, et coincée sous des cailloux de l’autre côté. Près de moi, ma compagne somnole. Nous avons toutes les deux retiré nos vêtements de manière à ce que nos peaux bénéficient du courant d’air léger qui passe constamment sur ces terres désolées et arides. Ce petit vent tiède permet parfois à la sueur de sécher sur nos corps. C’est un soulagement bien mince, mais c’est le seul dont nous pouvons profiter.

 

Un autre jour.

Nous avons survécu.

La dernière fois que j’ai noté quelque chose dans ce cahier, nos provisions d’eau étaient très basses. Deux jours plus tard, il n’en restait plus rien. Au petit matin, nous nous étions allongées nues, à l’ombre et nous nous étions enlacées, une chose que nous ne faisons jamais en pleine chaleur habituellement. Mais je voyais tant d’inquiétude et de culpabilité dans les yeux de Léna que je n’ai pu le supporter. J’étais moi-même extrêmement soucieuse, et effrayée par la situation qui me paraissait désespérée, je dois bien le reconnaitre. Mais voir une telle expression de détresse sur le visage de ma tendre amie ajoutait encore à mon désarroi. Alors, oubliant la chaleur et la sueur, je me suis collée contre elle, cherchant le réconfort de ses bras tout autant que j’essayais de lui en procurer.

Nous nous sommes embrassées et doucement caressées. Et puis, progressivement, nous nous sommes laissées aller à la force de nos sentiments et nous avons fait l’amour. Tendrement, mais avec une espèce de douleur et de mélancolie dans chacun de nos gestes et de nos baisers, comme si nous pensions toutes les deux que c’était sans doute la dernière fois.

Quand nous avons fini, je me suis couchée sur le côté et elle a fait de même, de manière à ce que nous soyons face à face. Elle a tendu un bras, attrapé une mèche de mes cheveux pour jouer avec, puis a commencé à parler, le regard plein de regrets et la culpabilité évidente dans son ton. 

« Je suis désolée, Gabrielle. Je n’aurais pas dû t’embarquer dans cette aventure, et je t’en demande pardon. Mais je veux que tu saches que ce que tu me fais éprouver est quelque chose d’unique, un sentiment que je n’avais jamais ressenti avant de te connaitre. Et si je regrette infiniment de t’avoir menée à ta perte, je suis profondément heureuse et honorée de t’avoir connue. »

Elle a posé un petit baiser sur mon front avant de conclure.

« Tu es ce qui est arrivé de mieux dans ma vie, Gabrielle. Même si j’avais vécu mille ans, je n’aurais pas pu connaitre quelque chose de plus merveilleux que le simple fait d’être dans tes bras. »

Elle a détourné le regard après ça, comme si elle était honteuse, peut-être pas d’avoir ainsi exprimé ses sentiments bien que ce ne soit pas dans son tempérament, mais plutôt parce qu’elle s’estimait responsable de ce qu’elle craignait, me voir mourir de soif.

Tous ces mots, prononcés avec une grande émotion, m’avaient profondément touchée et j’étais au bord des larmes. Doucement, j’ai posé ma main sur sa joue, puis je l’ai forcée à relever la tête, pour qu’elle me regarde pendant que je lui répondais.

« Je veux pas que tu te sentes coupables, Léna. Tu n’es en rien responsable de ma présence à tes côtés. »

Elle a ouvert la bouche, certainement pour émettre une objection, mais je l’en ai empêchée d’un geste impérieux avant de poursuivre.

« Oui, c’est toi qui m’a proposé de te suivre, c’est vrai. Mais j’ai choisi de t’accompagner et quoi que tu en penses, je savais ce à quoi je m’engageais. Je ne regrette certainement pas cette décision, crois-moi. D’ailleurs, si c’était le cas, je serais restée dans une des nombreuses bases qui nous ont accueillies. Et sache que si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je ne voulais pas te quitter, même en sachant que ça pouvait me coûter la vie. »

Je me suis de nouveau blottie dans ses bras et j’ai ajouté tout bas.

« Je t’aime. Et tant pis si mon existence aura été courte, ça en valait la peine. »

Cette fois, c’est elle qui pleurait. Des larmes que j’ai essuyées du pouce en lui faisant remarquer que « ce n’était pas la peine de gaspiller encore de l’eau »

Elle a émis un gloussement, mélange de rire et de larmes, et a resserré son étreinte. Nous avons fermé les yeux et nous sommes restées là, cherchant le sommeil en espérant que la mort viendrait sans que nous nous en rendions compte.

Réveillée en sursaut par un bruit assourdissant, une sorte de craquement monstrueux, je me suis redressée d’un bond. Interloquée, je me suis tournée vers ma compagne pour l’interroger sur l’origine de ce fracas. Elle était déjà en train de se rhabiller, boutonnant rapidement sa chemise avant de se mettre debout tout en attrapant hâtivement son chapeau et ses gants. Elle a toutefois pris le temps de me répondre laconiquement.

« Je ne sais pas de quoi il s’agit, je vais voir. »

Et elle est aussitôt partie à grandes enjambées. J’ai remis mes vêtements, je me suis levée et j’ai regardé dans la direction qu’elle avait empruntée. Je n’ai rien vu et très vite, je n’ai pas pu rester en place, à m’interroger et à me demander ce qui pouvait bien se passer. Alors, je me suis mise en route.

Heureusement, elle n’était pas très loin, je n’ai pas eu à chercher ses traces qui, de toutes les façons, étaient certainement déjà balayées par le vent. En premier lieu, c’est son dos que j’ai aperçu. Elle était debout, plantée devant un groupe de cinq ou six hommes, son attitude suffisamment détendue pour que je devine que l’agressivité n’était sans doute pas présente dans la conversation.  Non loin d’eux se trouvaient deux charrettes, si je peux désigner ça comme ça. Des plateaux de bois montés chacun sur un essieu avec une roue de chaque côté et des barres vers ce qui devait être l’avant. Sur l’une d’elle, se trouvait une petite cuve recouverte d’une planche de bois dont je suis sûre qu’elle contenait de l’eau. Sur l’autre, quelques outils épars, des haches notamment. Et puis, un arbre tombé au sol à quelques mètres seulement de là et dont la chute était certainement à l’origine du bruit qui nous avait tirées du sommeil.

 J’ai continué de marcher vers eux, sautant presque de joie en voyant l’un des hommes tendre une gourde à ma compagne. Elle n’a pas bu cependant, elle a fait un signe de tête, probablement pour remercier l’homme, puis a immédiatement pivoté sur ses talons, sans doute pour me ramener la gourde et que je sois la première à en profiter, encore une preuve d’attention qui m’a émue plus que de raison. Je me suis précipitée à sa rencontre, et elle n’a pas eu le temps de s’étonner de mon arrivée que je lui sautais au cou. Les hommes ont ri devant cette marque d’affection, mais ça m’était bien égal. Nous nous sommes lâchées et à ce moment-là seulement, nous avons bu. Ensuite, je me suis approchée du groupe que j’ai observé un peu plus attentivement pendant que ma compagne m’expliquait de quoi il retournait. D’un vague geste du bras, elle a désigné le groupe d’hommes.

« Ces messieurs ont besoin de bois.  L’arbre que nous avons entendu tomber, n’est que le premier, je crois qu’ils ont l’intention d’en abattre d’autres. »

Pas un mot de trop, comme d’habitude. Mais pour en savoir davantage, il me suffisait de questionner les hommes, ce que j’ai fait en commençant par le plus simple. Je me suis présentée et je les ai remerciés pour nous avoir offert de l’eau.

« Dites-moi, messieurs, comme mon amie vous l’a peut-être dit, je suis d’une nature curieuse, et j’avoue que je me demande ce que vous comptez faire avec autant de bois.»

L’un deux, un gaillard brun et large d’épaules, presque aussi grand que ma compagne, m’a donné son prénom, « Fernand », puis m’a expliqué gentiment.

« Notre base a connu d’énormes problèmes durant la saison humide, cette année.  Nous avons besoin de refaire un grand nombre d’étais. Alors, même si les arbres sont rares, nous sommes venus en chercher. »

J’ai hoché la tête, mais je n’en suis pas restée là, contente de rencontrer quelqu’un qui parle la même langue que nous.

« Des problèmes ? De quel genre ? Des infiltrations peut-être ? »

Il a secoué négativement la tête en grimaçant, l’expression un peu amère.

« Non, pas des infiltrations, si ça n’avait été que ça. »

D’un geste de la main, il a désigné Léna qui discutait avec les autres membres du groupe.

« Comme je l’ai dit à votre copine là-bas, nous avons subi un glissement de terrain. Mais pas un petit, hein. Des tonnes de boue se sont écoulées au-dessus de notre base. Sous la pression, la majorité de nos murs et de nos plafonds s’est effondrée. Depuis, nous sommes en train de tout reconstruire. »

« Accepteriez-vous un coup de main ? »

Je n’avais ni vu ni entendu ma compagne revenir, mais c’est elle qui avait posé cette question. Malgré mon étonnement devant cette proposition,  je suis allée me placer près d’elle en lui murmurant « bonne idée ! » pensant surtout que ça nous permettrait de passer quelques jours au frais.  Ça l’a fait sourire, mais c’est à Fernand qu’elle a de nouveau adressé la parole.

« D’après ce qu’on vient de me raconter, un peu d’aide ne serait pas inutile, ce sont de gros travaux que vous avez entrepris. »

L’homme a haussé les épaules.

« Nous n’avons pas vraiment le choix à vrai dire. Tout s’est effondré, nous n’avons plus que quelques mètres carrés habitables. Même les pompes à eau ont été enfouies sous la boue. C’est pourquoi nous sommes obligés de constamment aller en chercher chez mes parents, qui eux, n’en manquent pas, heureusement.»

Il a posé son regard aux prunelles sombres sur ma compagne.

« Alors oui, quatre bras supplémentaires ne seront pas de trop. Il y a tant à faire, surtout qu’il faudrait que nous terminions avant la prochaine saison humide »

Il a soupiré en passant une main sur son front pour en essuyer la sueur, puis a repris ces explications.

« Notre base est très récente, nous l’avons fondée il y a quelques années seulement. Heureusement, nous ne nous sommes pas installés très loin de celle où sont nos parents, celle où nous vivions auparavant. D’ailleurs, certains d’entre eux sont venus travailler avec nous. »

Comme toujours, ma curiosité s’est manifestée par une question.

« Pourquoi avez-vous quitté la base de vos parents ? Vous ne vous entendiez plus ?»

Fernand a paru surpris de ma question, mais il m’a répondu tout de même.

« Nous nous entendons très bien, sans quoi ils ne nous aideraient pas comme ils le font. Si nous nous sommes en allés, c’est tout simplement parce que la place commençait à manquer là-bas. »

Là-dessus, il nous a laissées, rejoignant ses amis afin de les aider à sélectionner le prochain arbre qu’ils abattraient. J’ai échangé un regard avec ma compagne et j’ai souri.

« Donc, nous allons faire une pause pour venir en aide à ces gens ? Tu es sûre de le vouloir ? »

Son ton était aussi ferme que son regard quand elle a répondu. 

« Oui, j’en suis sûre. »

Là-dessus, elle est retournée vers Fernand et ses amis, a pris la hache qu’on lui tendait et s’est mise au travail.

19 mai 2184

Voilà une semaine que nous sommes là. Fernand n’avait pas exagéré, tout est détruit ici. A vrai dire, il ne reste qu’une vingtaine de mètres carrés habitables, autant dire que nous sommes tous les uns sur les autres.

Au moins passons nous nos nuits au frais. Nous ne pouvons évidemment pas nous rapprocher, Léna et moi, comme nous le souhaiterions, mais heureusement, nous avons tout de même chacune une couchette que nous poussons contre le mur, à la verticale, le matin venu, comme tout le monde ici.

Dans la journée, nous sommes très occupées. Les hommes, dont certains viennent de la base où vivent les parents de Fernand, travaillent principalement à creuser de nouveau les galeries écroulées, et à étayer maintenant qu’ils ont tout le bois nécessaires. Léna et moi, de notre côté, sommes plutôt occupées à dégager les débris, innombrables, qui trainent partout. Des débris qu’il faut évidemment trier afin de récupérer tout de qui peut encore être utile. Nos journées sont très occupées et le soir, nous sommes aussi fatiguées que lorsque nous marchons sous le soleil. Mais nous buvons quand nous avons soif, nous mangeons (principalement des insectes grillés hélas !) et nous ne transpirons pas au point de nous demander si n’allons pas sécher sur place.

Les habitants ne sont pas très nombreux. Une douzaine de femmes, autant d’hommes (aucun d’entre eux ne semble avoir dépassé les cinquante ans), sans compter ceux qui ne sont là que pour aider (une demi-douzaine environ). Berthe, la femme qui s’occupe de la cuisine, et qui passe son temps à se lamenter sur la perte de ses poulets, m’a raconté que trois enfants vivaient habituellement avec eux, dont le fils de Fernand. Pour l’instant, ils sont chez les parents, une base qui se trouve environ à deux jours de marche. L’ambiance est bonne et si le travail est dur, nous avons l’impression de progresser plutôt rapidement, même si, bien sûr, il reste encore énormément à faire.

Nous parlons aussi beaucoup. Avec ceux qui nous hébergent, bien sûr, mais aussi tout simplement entre nous. Et j’ai rapidement posé à Léna la question qui me tarabuste depuis le jour où nous avons rencontré Fernand et ses amis.

« Comment se fait-il que ces gens parlent la même langue que nous alors que, dernièrement, nous ne pouvions même pas dialoguer avec ceux que nous rencontrions ? »

Elle a haussé les épaules, se penchant ensuite pour ramasser ce qui était apparemment un débris de panneau solaire.

« Je ne sais pas vraiment, Gabrielle. Mais je suppose que le peuple qui parle l’autre langue s’est réparti sur la partie Nord de la région, tandis que le peuple auquel nous appartenons, au moins d’un point de vue linguistique, est resté sur une ligne Ouest-Est.»

Elle avait sans doute raison. Et pendant que je déblayais des fragments d’objets impossibles à identifier, j’interrogeais de nouveau ma belle compagne brune.

« Tu as voyagé pendant un an avant d’arriver près de ma base. As-tu déjà rencontré une situation comme celle-ci ? Je suppose que l’entretien des lieux compte beaucoup et je me souviens que, chez nous, les travaux de réfection étaient courants même lorsque j’avais l’impression que rien ne les motivait et que c’était beaucoup de travail pour pas grand-chose. »

Je me suis interrompue, j’ai pensé un instant à ce que je venais de dire, puis j’ai ajouté, plus bas et le ton un peu piteux.

« Je suppose que je ne me rendais pas compte. »

Cette dernière déclaration a amené un sourire sur les lèvres de ma compagne.

« Rassure-toi, tu n’es pas la seule dans ce cas-là. Beaucoup de jeunes pensent comme toi, par manque d’expérience la plupart du temps. Moi-même, j’ai beaucoup appris au cours de mes pérégrinations. Et pour répondre à ta question, non. Je n’ai jamais vu de tels dégâts. J’ai vu des bases dont certains quartiers étaient abimés par des infiltrations que j’aurais considérées comme anodines, mais dont les habitants s’occupaient immédiatement, avec beaucoup de sérieux. Et c’est dans ces moments-là que j’ai compris à quel point il faut surveiller le moindre signe de dégradation, parfois même avant qu’il ne soit visible. »

Elle m’a regardée et a terminé.

« Tu es en train d’apprendre toi aussi. »

A ce moment-là, elle a trouvé ce qui restait d’un filtre pour l’air. Elle a machinalement soufflé dessus, me l’a tendu pour que je le mette de côté, puis a saisi un pic, une espèce de petite pioche, en marmonnant.

« Avec un peu de chance, je vais trouver une bouche d’aération. »

Et elle a creusé. Je me suis tue et j’ai essayé de l’aider du mieux que je le pouvais. 

 

28 mai 2184

Presque dix jours que je n’ai pas écrit, mais je n’en ai guère le temps.

Les travaux avancent lentement. Cependant, depuis environ deux semaines que nous sommes là, nous avons dégagé, à nous tous, de longs mètres de galerie. De quoi satisfaire la plupart d’entre nous.

 Il y a quelques jours, Léna et moi avons choisi d’accompagner Fernand chez ses parents, histoire de prendre un peu l’air, ce que nous n’avons pas pu faire depuis notre arrivée.

Nous étions cinq. Au départ, nous étions assises près de la cuve qui devait être remplie d’eau une fois que nous serions arrivés, sur le plateau de la charrette en compagnie d’un autre homme, Gilbert, pendant que Fernand et Boris, un habitant de la base où nous nous rendions, s’étaient attelés pour tirer la carriole. Au bout d’une heure, Léna et Gilbert sont allés remplacer ces deux derniers. Bien sûr, je n’ai pas pu me contenter de rester tranquillement à l’arrière et je suis rapidement descendue pour leur prêter main forte. Je ne sais pas si j’ai été d’une grande aide, mais j’ai tiré de toutes mes forces, faisant preuve de la meilleure volonté qui soit.

C’était assez pénible, et après plusieurs relais, j’étais particulièrement soulagée de pouvoir faire une pause. Nous avons tous bu largement à nos gourdes, avons grignoté, puis nous sommes allongés sous la carriole, pour profiter de l’ombre. A la tombée de la nuit, Léna a suggéré que nous continuions à avancer, comme nous le faisions nous-mêmes il n’y a pas si longtemps. Une possibilité que Fernand a acceptée rapidement, sans même consulter ceux qui nous accompagnaient. Ça m’a surprise qu’ils n’y aient pas pensé par eux-mêmes.

Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés à destination au petit matin et avons été particulièrement bien reçus. La base était plutôt grande et bien entretenue mais, effectivement très peuplée, avec bien plus de personnes âgées et d’enfants que partout ailleurs. Léna et moi avons eu notre part de regards curieux et, bien sûr, de questions. Beaucoup semblaient ne pas comprendre, non seulement cette envie de partir et d’essayer de trouver un endroit où vivre sans rester constamment sous terre, mais aussi cette espèce d’obstination à repartir à chaque fois que nous rencontrions une base.

« Vous avez toutes les deux failli mourir ! Votre démarche est très dangereuse et, à mon avis, complètement inconsciente. Vous n’êtes restée en vie qu’en ayant une chance inouïe et en profitant de la bonté de gens comme nous ! Je n’arrive pas à comprendre qu’on se mette ainsi en danger sans même être sûre de trouver ce qu’on cherche au bout du chemin. »

C’est ce que nous a dit la cousine de Gilbert, prénommée Sidonie. Une femme aussi brune que son cousin, à l’attitude particulièrement agressive et méfiante envers nous. Je n’ai pas laissé ma compagne répliquer, prenant la parole la première.

« En premier lieu, nous n’avons mis que nos vies en danger, des vies dont nous sommes propriétaires après tout, et n’avons risqué celle de personne d’autre. Et oui, nous avons parfois eu de la chance, et nous avons bénéficié de l’aide de nombreuses bases. Mais nous ne sommes pas des écervelées, nous savons ce que nous faisons. Quoi que vous en pensiez, ce n’est pas un hasard si nous avons survécu plus de sept mois. D’autre part, si Fernand et sa base nous ont aidées, nous les remboursons largement en travaillant avec eux. Alors je pense que vous devriez garder vos commentaires malveillants pour vous.»

Elle n’a pas répondu mais m’a jeté un regard noir, sans doute vexée que je l’ai rembarrée de cette manière, et devant tout le monde. Et pendant tout le temps que nous avons passé là, environ 24 heures, je l’ai vue marmonner à l’oreille de Gilbert. J’étais persuadée qu’elle médisait à notre sujet, sans doute au sujet de notre relation, à Léna et moi, que nous n’avons jamais cherché à cacher. J’en ai parlé à ma compagne, mais celle-ci s’est contentée de hausser les épaules, semblant indifférente.

« Qu’elle dise donc ce qu’elle veut. Ça n’a aucune importance. »

Je n’ai pas insisté et j’ai fini par ne plus y penser.

 

4 juin 2184

Revenues à la base de Fernand, nous nous sommes remises au travail. Mais l’ambiance n’était plus la même. Apparemment, les paroles que Sidonie avait susurrées à l’oreille de son cousin, avaient fait leur chemin dans l’esprit de l’homme et il n’avait pas gardé ces racontars pour lui. Bien sûr, tout le monde ne nous battait pas froid et certains étaient toujours aimables et agréables avec nous. Cependant, quelques-uns nous regardaient dorénavant d’une autre manière, nous évitaient autant qu’ils le pouvaient et s’arrangeaient même pour nous parler le moins possible.

Cela ne semblait absolument pas déranger Léna qui continuait à travailler comme auparavant, mais en ce qui me concernait j’étais perturbée et mal à l’aise, ce genre d’atmosphère m’incommodait.

« Tu es bien trop sensible, Gabrielle. Que t’importe ce que pensent les gens ? Il te suffit d’avoir ta conscience pour toi. Tu n’as rien fait de mal, que je sache ?»

J’ai secoué négativement la tête, elle a poursuivi.

« Alors ne t’occupe pas de ce que pensent les gens. D’ici quelques mois, nous serons parties et tu n’auras plus à te préoccuper de ça. »

Cette dernière phrase m’a interpellée. J’ai posé ce que j’avais en main à terre et je suis allée attraper le bras de ma compagne pour l’entrainer dans un coin où nous nous sommes assises sur le sol. Ça nous a valu quelques regards curieux et désapprobateurs, mais cette fois, ça m’était égal.

« Que se passe-t-il Léna ? Depuis notre départ, tu n’as jamais manifesté le désir de rester dans une base quelle qu’elle soit, au contraire, tu as toujours souhaité partir le plus rapidement possible, la plupart du temps. Tu m’avais déjà surprise en proposant notre aide à Fernand, mais ça fait un peu plus de trois semaines que nous sommes là et tu ne parais toujours pas décidée à t’en aller. Pourquoi ? Qu’est ce qui t’a amenée à changer d’avis ? »

Sa réponse a d’abord tenu en un seul mot.

« Toi. »

J’ai écarquillé les yeux et mon étonnement a amené une expression un peu amusée sur ses lèvres. Elle a passé un bras sur mes épaules et a repris la parole.

« J’ai cru que tu allais mourir, Gabrielle ! Le jour où nous avons rencontré Fernand, nous attendions la mort, je te le rappelle ! »

Elle s’animait, sans doute plus qu’elle ne l’aurait voulu. J’ai posé ma main sur son avant-bras, dans l’espoir de la calmer, et ça a eu l’air de l’apaiser un peu, sa voix était plus douce au moment où elle a recommencé à parler.

« Je ne veux pas te voir mourir, je préfèrerais encore passer ma vie dans une base souterraine et ne jamais revoir la lumière du jour. »

Elle a tourné doucement ma tête vers elle du bout de son index et m‘a regardée bien droit dans les yeux pour conclure.

« Nous pouvons rester ici jusqu’à la prochaine saison humide. Quand elle arrivera à sa fin, nous devrions être arrivées au pied des montagnes, ou pas bien loin. En procédant ainsi, nous ne courrons plus aucun risque et je suis certaine que tu seras en vie quand nous atteindrons notre objectif. »

Je n’ai rien répondu tant je ne m’attendais pas à ça. Elle a déposé un petit baiser sur mes lèvres puis s’est relevée en époussetant le fond de son pantalon d’un geste machinal.

« Allez, remettons nous au travail ! »

Je l’ai suivie, mais ses paroles ont résonné dans mon esprit pendant tout le reste de la journée.

 

5 juin 2184

Malgré la fatigue, certains travaux sont harassants, j’ai eu du mal à m’endormir hier soir, perturbée par la conversation que j’avais eue avec ma compagne. J’y ai pensé toute la journée, et ce soir, une fois le soleil couché, je l’ai entrainée à l’extérieur dans l’intention de lui parler au calme.

Il y a quelques arbres par ici, pas bien grands, pas bien nombreux, mais il y en a. Le jour où nous sommes arrivées, je me souviens avoir demandé à Fernand pourquoi il n’avait pas choisi de couper ceux-là et il m’avait répondu qu’il était préférable de préserver le peu de végétation présente aux abords de leur base, d’autant que, des toutes les façons, ils étaient obligés de se déplacer pour aller chercher de l’eau.

 J’ai pris la main de Léna, et nous sommes allées nous asseoir au pied de l’un de ces arbres, à un endroit d’où nous pouvions encore discerner les silhouettes des montagnes malgré l’obscurité naissante, et je lui ai expliqué ce que je ressentais.

« Je suis très troublée par tout ce que tu m’as dit hier, et pour tout dire, je me sens même un peu coupable. »

L’incompréhension s’est aussitôt lue sur son visage, mais je ne l’ai pas laissée m’interrompre.

« Tout ce que tu m’as dit m’a donné l’impression que je t’empêchais de poursuivre ton objectif, en tous cas de la manière que tu avais choisie. Certes, tu n’as pas renoncé, pas encore, mais tu n’as jamais eu l’intention de t’arrêter trop longtemps dans une base. Nous en avons déjà parlé si tu te souviens bien. Et voilà que tu changes complètement d’avis, que tu fais l’inverse de ce que tu disais il n’y a pas si longtemps. Je ne comprends pas. »

Je me suis penchée vers elle et j’ai interrogé doucement.

« Est-ce que tu as changé d’avis Léna ? Est-ce que, finalement, tu as envie de t’installer ici ? »

Son expression était complètement abasourdie quand j’ai terminé. Elle a secoué négativement la tête, et m’a répondu doucement

« Je ne cherche qu’à te protéger, Gabrielle. Quand nous avons rencontré Fernand, nous n’étions pas passées loin de la catastrophe. Et à mes yeux, rien ne valait la peine de te perdre. Absolument rien ! Alors, je me suis dit que nous pouvions passer la fin de la saison sèche ici, et repartir quand il pleuvra.

C’est vrai, je n’avais pas très envie de m’éterniser dans une base quelle qu’elle soit. Mais sauver ta vie vaut bien un petit séjour ici. »

Elle a pris mes mains dans les siennes, plongeant ses yeux si bleus dans les miens.

« Il n’y en a que pour un peu plus de quatre mois, ce n’est pas si long après tout. Ne t’inquiète pas pour moi, tout ira très bien. »

J’ai secoué négativement la tête et j’ai mis le plus de douceur possible dans mon sourire.

« Non, Léna. Je veux m’en aller. Et je suis certaine que tu en rêves toi aussi. Je ne veux pas que tu sacrifies ton plus cher désir pour moi. »

Elle a froncé les sourcils et a repris, paraissant surprise.

« Je ne sacrifie rien du tout, Gabrielle ! J’ai juste fait un choix. Et entre te voir mourir de soif ou passer quelques temps à bricoler dans une base, je n’ai pas eu la moindre hésitation. »

Je me suis entêtée.

« Non. Depuis le début, tu n’as jamais voulu rester plus d’une semaine dans une base. Et moi, je veux m’en aller d’ici. »

J’ai serré ses mains, qui tenaient toujours les miennes, et j’ai mis de l’insistance dans mes yeux comme dans mon regard.

« Le travail est bien plus fatigant que la marche sous le soleil et surtout, l’ambiance me déplait de plus en plus. Je n’aime pas être regardée de travers, je n’aime pas que les conversations cessent à mon arrivée et je n’aime pas que certains chuchotent en nous jetant des regards de côté. Je n’aime pas non plus que la femme que j’aime sacrifie ses idéaux pour moi alors que je ne le lui ai même pas demandé. Je préfère reprendre la route avec toi. Et ne me demande pas si j’ai mesuré les risques. Nous avons marché suffisamment longtemps pour que je sache exactement à quoi m’attendre ! »

J’avais haussé le ton et à la fin de ce petit discours, le sourcil droit de ma compagne était au plus haut. Mais elle n’a pas changé d’avis pour autant.

« Gabrielle, si nous repartons aujourd’hui, ou demain et que nous nous retrouvons une nouvelle fois sans eau, que se passera-t-il ? Je ne te demanderai pas si tu as pensé aux dangers que nous encourons, mais pour ma part, je ne peux pas ne pas y penser. J’ai vraiment eu peur pour toi, Gabrielle.»

Apparemment elle était aussi têtue que moi. Mais je n’ai pas cédé et j’ai repris, le ton un peu plus virulent.

« Que crois-tu ? Que moi, je n’ai jamais eu peur pour toi ? Ou pour nous ? J’ai peur pratiquement constamment quand nous sommes dehors, mais ça ne change rien à ce que je ressens. L’ambiance n’est plus la même depuis quelques temps, dans cette base. Tu as décidé que nous attendrions la saison humide ici, mais est-ce que tu m’as demandé mon avis là-dessus ? Non. Eh bien, je te le donne. Je veux repartir. »

Elle a paru troublée par ma dernière question et a pris un moment avant de me répondre, hochant la tête avec une expression résignée.

« Tu as raison, je ne t’ai pas posé de question, pas demandé ton opinion, et je suppose que j’aurais dû le faire. Et si tu veux le savoir, je commence moi aussi à me lasser de cette base, et de certains de ses habitants. Mais… »

Je lui ai coupé la parole.

« Il n’y a pas de « mais ». Tu en as assez, et moi aussi. Tu as envie de repartir et moi aussi. Nous avons l’habitude du danger, de la sècheresse comme de la chaleur, et nous savons toutes les deux à quoi nous nous exposons en nous en allant. Nous aurons de nouveau peur l’une pour l’autre. Mais le jour où nous serons au pied des montagnes, où nous verrons de l’herbe, ou un ruisseau peut-être, en pleine saison chaude…. Ce jour-là, Léna, nous oublierons nos craintes, nos tourments et nous pourrons savourer enfin la vie que nous aurons gagné le droit d’avoir. »

J’ai dû être convaincante parce que lorsque j’ai fini ma petite tirade, ma compagne souriait. Elle m’a prise dans ses bras et s’est avoué vaincue, chuchotant au creux de mon oreille. »

« D’accord Gabrielle, tu as gagné. On va rentrer, prévenir Fernand et nous préparer. On peut s’en aller dès demain soir, qu’en penses-tu ? »

J’ai posé mes lèvres sur sa joue et j’ai répondu sur le même ton.

« Le plus tôt sera le mieux. »

 

7 juin 2184

Il fait très chaud et nous transpirons beaucoup, toutes les deux. Mais nous sommes contentes d’avoir repris la route et, pour l’instant en tous cas, nous avons suffisamment d’eau.

Si une partie des habitants de la base paraissaient ravie de nous voir nous en aller (j’en ai vu trois ou quatre qui exultaient visiblement), Fernand, Berthe et Boris eux, étaient sincèrement navrés. Même s’ils n’ont pas dit le moindre mot pour nous retenir, ils étaient tous trois suffisamment lucides pour savoir que tout le monde n’était pas de leur avis. Ils ont quand même fait de leur mieux pour nous aider à nous préparer le mieux possible. En premier lieu en nous encourageant, et surtout en nous donnant « quelques petites choses ».

Pour Berthe, ça a été de quoi faire un repas. Pas plus, parce que la chaleur ne permet pas de conserver des aliments trop longtemps. Comme Emma, elle nous a cuisiné un plat, mélange de légumes (du chou et un peu de carottes qu’elle a obtenu chez les parents de Fernand) avec des vers de terre mais aussi du blanc de poulet. Pour Boris, ça a été simplement une gourde et une paire de chaussures exactement à ma pointure. Quant à Fernand, il a fait bien mieux que ça. Il nous a offert une charrette, une petite. Sur laquelle se trouvait un baquet, pas bien grand là non plus, mais qui contenait au moins cinquante litres d’eau.

Ce genre de présent fait une grande différence, évidemment. Mais forcément, il y a aussi des inconvénients. Plus petite que celles que nos amis utilisaient, la charrette est tout de même lourde et peu maniable, d’autant que le terrain est de plus en plus accidenté. Chaque jour, le sol s’élève. Bien sûr, nous sommes encore loin des montagnes, mais la différence par rapport au territoire que nous avons parcouru à notre départ de ma base est considérable. Cependant, nous avons tiré la charrette, avec son chargement, tant qu’il y a eu de l’eau dans le baquet. (Léna avait essayé de porter le récipient dans ses bras, mais avait renoncé, sa taille étant malgré tout trop importante).

Quoi qu’il en soit, une fois l’eau épuisée, nous nous sommes demandées que faire du petit chariot. J’étais plutôt d’avis de le laisser sur place.

« Ce n’est pas très maniable, et le tirer nous ralentit énormément. Maintenant que le baquet est vide, la charrette est devenue inutile. Le bac aussi d’ailleurs. »

Pour sa part, ma compagne était plus dubitative.

« Je comprends ton raisonnement en ce qui concerne la charrette, mais le baquet… Je ne sais pas, le seau qui se trouvait dans la crypte nous a rendu service, souvent même. Alors, ce bac, qui a bien plus de contenance, pourrait nous être utile lui aussi, non ? »

Elle a réfléchi un instant, son index passant doucement sur son menton, puis a ajouté :

« Si les montagnes sont ce que nous attendons qu’elles soient, un endroit où vivre à ciel ouvert, avec suffisamment d’eau et de végétation, je doute qu’il y ait beaucoup de bases proches d’elles. Il serait logique que ceux qui passent par-là les rejoignent comme nous tentons de le faire plutôt que de s’installer en bas, dans la vallée. Ce qui veut dire que plus nous serons près de ces sommets, moins nous risquons de trouver de l’aide. En fait, notre dernière étape pourrait être la plus longue. Et si c’est le cas, nous aurons besoin de la plus grande quantité d’eau possible. »

Elle n’avait pas tort. Alors, je me suis rendue à ses raisons et nous avons continué à tirer la charrette, avec le baquet vide dessus.

 

Un autre jour

Ça fait un certain temps que je n’ai pas écrit, mais les journées passent si vite ! Jusqu’à maintenant, nous avons eu la chance de rencontrer une base avant que nos gourdes soient toutes entièrement vides. Mais aujourd‘hui, après que le soleil se soit levé et que nous soyons abritées du soleil sous la couverture, j’ai compté les gourdes pleines qui nous restaient. Il y en avait dix. A peine assez pour trois nuits de marche, à condition de nous limiter. J’ai grimacé à cette constatation, mais ma compagne, peut-être plus optimiste que moi finalement, m’a fait remarquer que nous ignorions ce que demain nous apporterait.

« Peut-être allons-nous rencontrer une base aujourd’hui, qui sait ? »

Ma belle compagne brune aurait pu être médium, ou diseuse de bonne aventure, puisque le lendemain de cette conversation nous avons effectivement rencontré des êtres humains. Ebahis par ce que nous leur avons expliqué, ils nous regardaient avec de grands yeux interloqués tandis que je leur racontais une partie de nos aventures. Au fond, ils étaient surtout effrayés et considéraient que ce que nous faisions étaient beaucoup trop périlleux. Je les soupçonne d’ailleurs de nous avoir considérées comme deux femmes un peu folles. Cependant, ça ne les a pas empêchés de nous accueillir avec gentillesse, de nous fournir toute l’eau que nous leur demandions, y compris de quoi remplir le baquet, ce qui faisait tout de même beaucoup. Nous avons dormi dans leur base et sommes parties le lendemain soir en tirant la charrette alors qu’ils nous regardaient en secouant la tête, persuadés qu’ils étaient que notre santé mentale était sans doute un peu défaillante.

A l’horizon, la silhouette des montagnes devient de plus en plus précise. Et ce que nous voyons n’a rien de rassurant. Apparemment, il y a effectivement un peu de végétation, bien que nous ne parvenions pas vraiment à discerner exactement de quoi il s’agit. Mais tout cela semble particulièrement sec, jauni, et ne parait pas ressembler du tout à ce que nous espérions.

 

Encore une autre journée.

Marcher était pénible, mais tirer la charrette l’est encore plus. Parfois, nous sommes obligées de nous arrêter et de dégager les cailloux les plus gros du passage que nous souhaitons emprunter. Le seau, (c’est le premier récipient que nous vidons) attaché au chariot, brinqueballe de droite et de gauche au rythme des obstacles que nous rencontrons, en émettant la même musique grêle et fausse d’une cloche fêlée. Le sol continue de s’élever et même si nous rencontrons quelquefois des terrains plats, notre quotidien est plus fréquemment fait de côtes interminables durant l’ascension desquelles il nous faut tirer de toute notre force pour arriver au sommet. Mais le pire, ce sont les descentes, fort rares et toujours courtes, heureusement. Dans ces cas-là, au lieu de tirer, nous devons retenir la charrette dont le poids pourrait nous entraîner si nous n’y prenions pas garde.

Nous sommes toutes les deux épuisées. Mais nous tenons le coup, bien mieux que je ne l’aurai imaginé au départ. Malheureusement, nous sommes au début de l’été, et les nuits sont courtes, ce qui nous amène régulièrement à prolonger notre avancée d’une heure ou deux, sous le soleil matinal. Le seul point positif est que, dorénavant, notre objectif est bien visible et semble par moment à portée de main.

Sauf que voir les montagnes de plus près a confirmé ce que je craignais depuis un certain temps. S’il y avait de la végétation à flanc de coteau, elle était particulièrement sèche, et apparemment complètement brûlée par le soleil. Ma consternation était telle, en constatant cela, que le découragement m’a très vite envahie. Je trainais les pieds et je soufflais, ce qui a amené ma compagne, pourtant littéralement attelée à la charrette et un peu essoufflée, à m’interroger.

« Tu ne sembles pas en forme, y a-t-il quelque chose dont tu aurais envie de parler ? »

J’ai haussé les épaules, donné un coup de pied dans une petite pierre, sur le sol, puis marmonné. 

« J’ai juste peur que nous ayons fait tout ce chemin pour rien. »

D’un geste du bras, j’ai désigné la montagne et sa végétation plus que jaunie.

« Regarde ! L’herbe est complètement brûlée. Je ne crois pas que nous trouverons un endroit où nous installer à l’air libre là-bas. »

Mon ton n’était pas virulent, las plutôt. Léna s’est arrêtée, a lâché les brancards du chariot, puis est venue passer un bras sur mes épaules.

« Gabrielle, nous marchons en direction de l’Est. Ce qui fait que nous avons face à nous le versant Ouest des montagnes. Un côté qui est baigné de soleil tous les soirs et toutes les fins d’après-midi. C’est normal que la végétation brûle. Par contre, le simple fait qu’il y ait de l’herbe, et des arbres, est particulièrement encourageant. Ça veut dire qu’il y a de l’eau, au moins dans les sous-sols. Quant à nous, nous allons contourner ce versant et nous diriger vers le côté Nord, celui qui ne voit jamais le soleil. Et une fois que nous y serons… »

Elle s’est interrompue, et a terminé en souriant largement.

« Nous trouverons ce que nous cherchons depuis presque un an, Gabrielle. »

Son sourire était radieux, ses yeux brillaient et elle était plus belle que jamais. Alors, je l’ai crue.

 

Juillet 2184

Nous avons rencontré un couple il y a quelques jours. Ils vivaient dans une base non loin de là, et bien que ce ne soit pas du tout dans la direction que nous suivions, nous avons bifurqué pour les suivre. Ils ont regardé la charrette avec curiosité, mais nous ont aidé à la tirer jusqu’à leur base.

Nous avons passé trois jours et deux nuits là-bas. Le temps de nous reposer un peu (Léna pense que c’est sans doute une des dernières bases que nous croisons), et de refaire le plein d’eau. Nos hôtes étaient charmants et généreux, et quand nous sommes reparties, certains d’entre eux nous ont accompagnées un moment, poussant le chariot que nous tirions. Ils nous ont quittées en nous faisant de grands signes amicaux et en nous adressant de grands cris d’encouragement.

Passer trois jours au frais nous avait fait du bien, mais au bout de quelques heures, il me semblait que nous ne nous étions même pas arrêtées. Attelée à la charrette, comme Léna, je suais sang et eau, et ma compagne, si elle n’en montrait rien, n’était guère plus vaillante. Le sol s’élève de plus en plus chaque jour, et sur cette même charrette, le baquet était plein, donc lourd.

Je suis épuisée. Durant la journée, nous dormons sous le chariot et je manque d’énergie pour écrire. Au moins je n’ai pas à me tourmenter pour nos réserves d’eau (grâce au baquet que je voulais abandonner) et je veux croire que nous serons bientôt arrivées à destination.

Un jour de 2184

Cette fois, nous avons laissé charrette et baquet, nous ne pouvons plus faire autrement. La pente est bien trop raide. D’après Léna, nous avons entamé notre dernière étape. Si ma compagne ne se trompe pas, et ça ne lui arrive pratiquement jamais, nous devrions arriver à destination dans trois ou quatre jours. Notre trajet aura été plus rapide que prévu finalement, surtout si l’on tient compte des quelques semaines passées chez Fernand. De plus, en supposant que nous ne mettions pas plus de temps que ça, nous aurions même suffisamment d’eau. (Seau et baquet ne sont plus là, mais nous n’avons pas encore touché à nos gourdes.) Pas d’inquiétude de ce côté-là, donc. Mais depuis hier, un autre souci est venu remplacer celui de nos provisions d’eau dans mon esprit.

Léna boite. Je lui ai demandé de quoi elle souffrait, mais elle m’a répondu que tout allait bien. Je ne me suis pas étonnée de cette réaction, ça n’a jamais été son genre de se plaindre de quoi que ce soit. Cependant, je l’ai bien observée, et je sais que je ne me trompe pas. De temps à autre, je l’ai vue marcher en prenant appui sur son talon, ou sur la pointe du pied.  Je n’ai rien dit, mais j’en ai déduit qu’elle souffrait de la pulpe qui se trouve sur la plante du pied, juste en dessous du gros orteil.

Je me suis arrêtée de marcher. Evidemment, ça l’a étonnée et, sans cesser d’avancer, elle a tourné la tête vers moi pour m’inciter à redémarrer.

« Ce n’est pas le moment de flancher, Gabrielle. Je sais que c’est dur, mais nous sommes trop près du but pour céder à la fatigue. »

Je n’ai pas fait un pas, me contentant d’affirmer fermement.

« Non, je n’avancerai plus tant que tu ne te seras pas arrêtée toi-même afin que je puisse regarder pourquoi tu boites. »

Elle a effectivement cessé de marcher et a pivoté sur ses talons pour me faire face.

« Allons, Gabrielle ! Je n’ai rien du tout. Il serait dommage que nous perdions du temps pour rien. Ne t’inquiète donc pas et viens. »

Mais je n’ai pas bougé. Elle a poussé un soupir exaspéré et est revenue sur ses pas pour venir à ma hauteur.

« C’est ridicule ! »

Elle marmonnait, mais je ne me suis pas démontée et je lui ai désigné le sol d’un mouvement du menton.

« Assied-toi et déchausse-toi »

Mon ton était impératif et, après avoir de nouveau soupiré profondément, elle a obéi, s’est assise sur le talus et a retiré sa chaussure, visiblement de très mauvaise grâce. Je me suis baissée devant elle, j’ai attrapé sa cheville pour lever légèrement son pied vers le haut et j’ai regardé. Ce n’était pas si grave que je le craignais. Sa peau était écorchée, mais les égratignures n’étaient pas vraiment profondes. Un peu de sang avait séché et formé des croûtes, mais aucune trace d’infection n’était visible. J’ai froncé les sourcils, cherchant ce qui avait pu provoquer ces éraflures, pendant qu’elle se dépêchait de récupérer sa chaussure, paraissant être pressée de la remettre. Cette hâte m’a immédiatement mis la puce à l’oreille et j’ai aussitôt compris de quoi il s’agissait. Vivement, j’ai attrapé la chaussure, tirant d’un coup sec pour la lui arracher des mains, et j’ai observé la semelle.

Elle était percée Pas un très gros trou, mais suffisant pour que sa peau soit constamment en contact avec le sol. Avec la terre, avec les petits cailloux, dont certains ont parfois des arêtes coupantes, avec les brindilles…

J’étais plus que contrariée, et, dans un geste de dépit, j’ai jeté la chaussure au sol. Immédiatement, ma compagne a saisi mes poignets et plongé ses yeux dans les miens, son regard intense.

« Calme-toi, Gabrielle. Je sais que tu es très fatiguée, mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Je t’assure que ce n’est pas grand-chose. Oui, ma chaussure est usée, et l’autre ne vaut guère mieux. Mais nous n’en avons plus pour longtemps. Si tout va bien, dans trois jours, nous marcherons sur l’herbe, et ce sera beaucoup moins pénible, moins douloureux, pour moi. Ensuite… Eh bien, nous serons arrivées à destination. »

Ma colère était passée, mais mon humeur restait maussade.

« Et quand nous serons arrivées, nous trouverons un cordonnier, ou, mieux encore, un fabricant de chaussures ? »

Ça ne l’a même pas fait sourire. Elle m’a lâchée, a pris sa chaussure en main et a machinalement joué avec.

« Ce n’est pas drôle. Nous allons continuer parce que nous n’avons pas d’autre choix. Si nous restons ici, nous finirons par mourir de soif. Et je peux tout à fait marcher pendant quelques jours. Tu as constaté toi-même que je n’avais pas de plaie profonde, juste quelques égratignures. Je soignerai ça quand nous serons arrivées. »

Je savais qu’elle avait raison. Même si nous avions eu suffisamment d’eau, nous ne pouvions pas rester là à attendre que ces écorchures guérissent puis repartir pour qu’elle s’en fasse d’autres, ça n’avait pas de sens. Mais ce que je craignais surtout, c’est qu’à force de marcher avec une chaussure percée, les éraflures deviennent de vraies blessures et s’infectent. Cependant, c’est un argument dont elle n’a pas voulu tenir compte. 

« Je ne sais pas si ça peut s’aggraver à ce point, mais la question n’est pas là. Le seul problème est celui que je viens de t’exposer. Nous devons partir, point final. Il arrivera ce qui doit arriver et nous ferons face à ce moment-là. »

Bien sûr, que pouvions nous faire d’autre ? Mais avant que nous ne nous remettions en marche, je suis allée fouiller dans nos sacs, cherchant ce qui pourrait faire office de chiffons parmi nos vêtements les plus abimés. J’en ai tapissé la semelle (intérieure) de sa chaussure et ensuite seulement, je l’ai laissée se rechausser. Je me rendais bien compte que ma réaction était excessive, du moins tant qu’elle n’était pas plus sérieusement blessée, mais je me sentais vraiment contrariée, comme si l’intégrité physique de ma compagne était réellement en danger.

Au bout de deux ou trois heures, les chiffons, usés à leur tour, étaient percés eux aussi. Je l’ai remarqué, mais cette fois, j’ai su tenir ma langue. Tout mon entrain à l’idée de toucher bientôt au but m’avait quitté ce jour-là.

 

A suivre

 

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Commentaires
A
C'est une très belle partie, le cahier 4 :)<br /> <br /> Merci pou cette histoire ^^
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