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7 juillet 2011

Aotearoa, de Gaxé

                                

                                                             AOTEAROA

 

De Gaxé

 

 

Il paraît que les indigènes l’appellent  « Aotearoa », ce qui signifie « l’île au long nuage blanc » en langage maori, mais pour moi, ça reste tout simplement la Nouvelle Zélande, un endroit où je n’avais pas particulièrement envie d’aller à priori. Mais puisque que je suis là, j’ai bien l’intention de faire en sorte que mon séjour se passe du mieux possible.

 

Chapitre 1 :

 

Le voyage a été long et fatigant, et ce matin, alors que nous abordons enfin, je me sens plus soulagée que je ne saurai le dire alors que je pose le pied sur la terre ferme pour la première fois depuis de très longs mois. Le vent, chargé d’humidité, repousse mes longs cheveux noirs en arrière, et je prends une grande inspiration, espérant sentir autre chose que cet air marin que je respire depuis notre départ et dont je commence à vraiment me lasser. Mon maigre baluchon sur l’épaule, je me joins au groupe des femmes tout en jetant un coup d’œil méfiant en direction des hommes qui débarquent à leur tour. Comme moi et les femmes qui ont voyagé en ma compagnie, ils ont été envoyés ici pour peupler la colonie, par la grâce de sa Majesté la Reine, qui leur donne ainsi une deuxième chance à eux aussi. Nous sommes tous des repris de justice, mais si la plupart des femmes a été condamnée principalement pour racolage et prostitution, ou dans mon cas, pour vol, le groupe des hommes est majoritairement composé d’assassins et d’individus violents.

A peine à terre, nous sommes prises en charge par les soldats qui nous dirigent tant bien que mal vers l’Ouest, à la périphérie de la ville. Soupirant sans aucune discrétion,  je suis le mouvement et me met en marche moi aussi, mais garde l’esprit et le regard en alerte, guettant la moindre occasion de sortir du rang. Je sais qu’ils ont l’intention de nous emmener dans une sorte de couvent, ou de pensionnat, où il est prévu que nous restions jusqu’à ce que nous trouvions soit une occupation honnête et respectable, soit un mari. Mais je n’ai pas l’intention de rentrer dans le moule, ni surtout de laisser qui que ce soit décider ce que je dois faire de ma vie, fut-ce la reine Victoria elle-même.

Nous avançons lentement, chacune d’entre nous observant les rues, les alentours, et même les passants avec curiosité, comme si nous pensions pouvoir en apprendre beaucoup sur ce pays simplement grâce à nos regards. Le trajet est relativement long, et nous sommes nombreuses à traîner les pieds, ayant perdu l’habitude des exercices physiques durant ces longs mois passés sur le navire, mais après environ deux heures, alors que nous approchons d’un grand bâtiment à la façade grise et à et l’aspect sinistre, je trouve enfin l’occasion que j’attends depuis notre départ du port. Profitant de l’agitation qui se répand dans nos rangs alors que nous approchons du but, je m’écarte petit à petit du groupe de femmes, marchant avec nonchalance sur le côté droit de la grande avenue que nous suivons, jusqu’à ce que j’aperçoive un passage sombre et étroit dans lequel je m’engouffre le plus rapidement possible, me plaquant immédiatement contre un mur et restant immobile pendant que je regarde passer mes compagnes et les soldats.

Je n’attends que peu de temps pour bouger, craignant que quelqu’un ne remarque mon absence. Sitôt que le groupe s’éloigne, je m’enfonce à l’intérieur du petit passage, avançant jusqu’à ce que je parvienne à une petite cour intérieure au sol pavé. Levant les yeux vers le ciel, je regarde les façades des immeubles qui m’entourent, remarquant le linge qui pend aux fenêtres, tandis qu’en face de moi, j’entends vaguement une femme chantonner, en même temps que des bruits de vaisselle qui s’entrechoque, sur ma gauche.

Ramenant mon regard au niveau du sol, je parcours la petite cour rectangulaire des yeux, cherchant une autre issue que celle par laquelle je suis arrivée, mais je n’en vois aucune. Résignée à revenir sur mes pas, j’avance de nouveau dans l’étroit passage, jetant un coup d’œil prudent de chaque côté de l’avenue avant de prendre rapidement la direction du Sud, tournant le dos au bâtiment à la façade grise, et à l’avenir terne et sans intérêt qui m’attendait sans doute à l’intérieur.

 

Pressée de quitter la ville, je ne m’arrête que quelques instant pour acheter un peu de pain et de fromage, ainsi que deux fruits étranges comme je n’en avais encore jamais vus, et que les gens du cru appellent des kiwis, dépensant ainsi presque tout l’argent dont je dispose.

Je ne sors d’Auckland qu’à la tombée de la nuit, suivant une route poussiéreuse, suffisamment large pour que deux chariots s’y croisent sans problème. Sur ma gauche comme sur ma droite, s’étendent des bois aux arbres clairsemés et au sol couvert de fougères, au delà desquels j’entends le bruit régulier et monotone de l’océan. Le ciel est toujours aussi couvert, la température fraîche, et la fatigue commence à se faire sentir, tant et si bien que, décidant que cet endroit en vaut bien un autre, j’avance sous les arbres, cherchant un lieu abrité où je puisse dormir quelques heures.

 

Je me remets en marche dès l’aube le lendemain matin, déterminée à mettre encore plus de distance entre Auckland et moi, finissant mes maigres provisions tout en marchant, et me dissimulant sur le bas côté dès que j’entends arriver un chariot. La soif commence à se faire sentir, et je suis extrêmement soulagée lorsque, en fin de matinée, j’arrive enfin dans une agglomération qui me paraît relativement importante.

Après avoir étanché ma soif à une jolie fontaine de pierre, je déambule dans la ville, le long des rues et des avenues. Je regarde les vitrines, les façades des églises, je flâne nonchalamment, jusqu’à ce je trouve ce que je cherche depuis que je suis arrivée ici : Un marché qui se tient sur une grande place circulaire.

La foule est nombreuse. Devant chaque étal, des clients potentiels, principalement des femmes, se pressent en observant attentivement les marchandises qui leur sont proposées, questionnant les marchands en soupesant, qui des pommes, qui des poires ou du raisin, pendant que certains commerçants tentent d’appâter le chaland en vantant leurs produits à grand renfort de cris et de gestes exubérants.

Appuyée contre un mur, à l’angle d’une rue qui donne sur la place, je croise les bras sur ma poitrine, souriant narquoisement alors que je vois là une occasion de me remplir les poches sans faire trop d’effort. Attentivement, j’observe chaque commerçant, et surtout chaque cliente, surveillant leurs petites manies, guettant leurs attitudes, jusqu’à ce que j’en remarque une en particulier.

D’âge moyen, elle a déposé un grand panier d’osier à ses pieds dont elle s’éloigne régulièrement afin de regarder de plus près les kiwis, ou les choux, qu’elle a l’intention d’acheter. Apparemment très méfiante, elle fait de grands gestes véhéments, haussant la voix alors qu’elle marchande pour chaque denrée qu’elle désigne du doigt.

Lentement, je m’approche d’elle, tentant de paraître moins grande en voûtant les épaules, gardant les yeux baissés en faisant bien attention de ne croiser le regard de personne.

Discrètement, j’arrive devant l’étal de fruits et légumes, me rapprochant à tout petits pas du panier de la femme, toujours posé à terre.

Sa bourse est là, je l’ai vue la glisser dedans tout à l’heure. Un bref coup d’œil me permet de la repérer, puis, alors que le marchand et sa cliente sont encore à discuter âprement du prix des carottes, je me baisse avec vivacité, plonge ma main dans le panier, et me redresse tout aussi rapidement, reprenant immédiatement la posture d’une femme qui hésiterait sur le légume qu’elle doit acheter. A peine ai-je le temps de pousser un petit soupir, et alors que j’esquisse un sourire en pensant au poids de la bourse que je viens de dérober, qu’un cri retentit, juste dans mon dos.

-« Une voleuse ! »

Je me retourne brusquement, pivotant sur mes talons, et réagissant immédiatement en voyant le jeune garçon d’une dizaine d’années qui me montre du doigt en répétant ses accusations.

-« La bourse de cette femme, je l’ai vue la voler ! »

Déjà, la femme tend le bras pour récupérer son panier et vérifier si sa bourse s’y trouve encore, tandis que plusieurs des gens qui se trouvent là s’approchent et commencent à former un cercle autour de moi.

Je ne perds pas de temps à discuter, ni même à essayer de nier. Je réagis immédiatement et m’élance, courant à toute allure en direction de la rue au coin de laquelle je me tenais tout à l’heure, sans jamais tourner la tête pour regarder derrière moi. Il suffit que j’entende des pas lourds et précipités et des respirations sifflantes, pour savoir que je suis poursuivie. J’accélère, courant aussi vite que je le peux, tout en sachant que je ne garderai pas ce rythme très longtemps, d’abord en raison de mon manque d’entraînement après plusieurs mois de navigation, ensuite à cause de la fatigue que j’ai accumulée en marchant toute la matinée et une partie de la journée d’hier. Cherchant une solution des yeux, je tourne brusquement et sans ralentir dans une autre rue, sur ma gauche. Tout de suite, je vois une porte qui s’ouvre, et la silhouette d’une femme qui sort, levant la tête vers le ciel comme si elle vérifiait le temps qu’il fait. Je viens juste de m’engager dans la rue, et je sais que je ne dispose pas de plus de deux ou trois secondes avant que mes poursuivants ne tournent eux aussi et ne me voient faire, alors je n’hésite pas. Je me rue sur la jeune femme, la bouscule en la repoussant à l’intérieur, me précipite à sa suite, et claque la porte derrière moi.

 

::::::::::::::::::::::::::::::::::

 

Chapitre 2 :

 

 

Je n’ai pas le temps de la voir arriver, ou même de pousser un cri, que je me retrouve plaquée face au mur de l’entrée, une main posée sur ma bouche et une autre me tordant le bras dans le dos, dans une prise qui, si elle n’est pas franchement douloureuse pourrait le devenir rapidement à la moindre traction. Une bouche s’approche ensuite de mon oreille, et une voix murmure, d’un ton sec qui indique bien qu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie.

-« Si tu veux que je te lâche, donne-moi ta parole que tu ne crieras pas et que tu n’appelleras personne. »

Et puis, elle tire un peu, juste un peu, sur mon bras pour appuyer ses paroles. Je suis obligée de serrer les dents pour retenir un gémissement de douleur, puis je hoche lentement la tête en murmurant « je te le promets ».

Elle attend quelques secondes, mais finit par relâcher lentement sa prise avant de se reculer d’un pas pendant que je me retourne pour me trouver le dos contre le mur et observer celle qui vient de surgir si brutalement dans mon entrée.

La première chose que je remarque, alors qu’elle colle son oreille contre la porte, guettant apparemment avec une grande attention les bruits qui viennent de la rue, c’est sa haute taille, elle fait bien une tête de plus que moi. Vêtue très simplement d’une jupe bleu marine longue et ample, et d’un chemisier plus clair dans les mêmes tons, elle porte aussi un châle de laine beige dont les pans sont noués autour de sa taille et qui a glissé de ses épaules et pend sur le sol derrière elle à la manière de la traîne d’une robe de mariée, auquel est accroché un petit baluchon de toile grise.

Elle se décolle enfin de la porte pour se tourner vers moi, faisant un mouvement de la tête pour repousser ses cheveux noirs, longs et ébouriffés, qui tombent devant son visage, et c’est au moment où ses yeux viennent se poser sur moi que je remarque leur intense couleur bleue.

Son regard, lui, est froid et inamical, c’est le moins que l’on puisse dire, alors qu’elle me dévisage en croisant les bras sur sa poitrine, repoussant dans le même geste un petit objet que je ne distingue pas bien mais qui fait une bosse sous son chemisier.

-« Combien y a-t-il de personnes qui vivent ici ? »

Dans le silence qui s’était installé, sa question, posée d’une voix forte, me fait sursauter. J’hésite un instant, me demandant si je dois lui répondre, mais son attitude menaçante et sa mine tendue, tout autant que le souvenir de la douleur dans mon bras et mon épaule, me décident à le faire.

-« Une dizaine. »

Elle écarquille d’abord les yeux de surprise avant de se reprendre aussitôt et de s’avancer vers moi en tendant un index menaçant dans ma direction.

-« Ne te moque pas de moi ! »

Si le mur n’était pas derrière moi, je reculerais certainement, tant elle me fait peur. Mais je me refuse à lui montrer ma frayeur et ne baisse pas les yeux alors que je lui réponds.

-« Ce n’est pas une plaisanterie. C’est une pension de famille, ici. Et je suis loin d’être la seule pensionnaire. »

La méfiance et l’incrédulité s’effacent lentement de sa physionomie. Elle fronce les sourcils et parcourt la petite entrée du regard avant de revenir vers moi et de m’attraper de nouveau par le poignet pour me tordre le bras encore une fois, moins fort que tout à l’heure cependant.

-« Allons dans ta chambre. Et en silence. »

Elle ne me lâche pas, et si sa prise est relativement peu serrée, je sais qu’elle n’hésitera pas à me faire mal au moindre geste qu’elle jugera suspect de ma part, quitte à me casser le bras.

Nous suivons le long couloir du rez-de-chaussée, puis nous engageons dans les escaliers jusqu’au premier étage où je lui désigne ma chambre d’un geste de ma main libre. Nous y entrons rapidement et elle me libère aussitôt, s’appuyant le dos contre la porte dès que celle-ci est fermée.

Un moment, elle observe les quatre murs blancs et nus, le petit lit poussé contre la paroi à droite de la porte, avec la table de chevet et le vase, vide de fleur pour l’instant. Elle regarde l’armoire de bois brun foncé en face, le guéridon sur lequel sont posés la bassine et le broc d’eau qui servent à mes ablutions, le bureau, avec son écritoire et la chaise bien rangée devant, et même le parquet, impeccablement ciré. Et puis, elle se dirige vers la fenêtre, en face d’elle, et regarde dans la rue avant de se retourner vers moi, paraissant presque étonnée de me trouver encore là, assise sur mon lit, les mains sagement posées sur mes cuisses.

-« Pourquoi n’essaie-tu pas de t’enfuir ? »

Son ton est soupçonneux, son attitude méfiante, mais je ne me laisse pas impressionner. Ma peur a diminué progressivement, et je me sens bizarrement bien plus détendue depuis que nous sommes arrivées dans ma chambre, et que j’ai réalisé qu’au fond, elle n’a pas vraiment l’intention de me faire du mal, du moins tant que je ne tenterai pas de prévenir ou d’alerter qui que ce soit. Et c’est quelque chose que je n’ai aucune envie de faire. Je hausse les épaules, la questionnant à mon tour d’un ton égal, comme si nous tenions une conversation ordinaire dans des circonstances qui seraient tout à fait normales.

-« Tu ne m’as rien dit, mais j’ai l’impression que tu étais poursuivie par les villageois quand tu es entrée ici. »

Cette réflexion a l’air de la surprendre. Elle s’approche de moi, un sourcil haut sur son front, son expression indiquant clairement qu’elle attend une réponse à sa question. Je hausse de nouveau les épaules et  tente de calmer sa curiosité en expliquant succinctement.

-« Je ne les aime pas. Ils sont bornés, et la plupart d’entre eux est tout à fait stupide, si tu veux mon avis. »

Manifestement, elle ne s’attendait pas à ça. Elle va chercher la chaise et la pose près de mon lit, non loin de moi, puis s’assieds dessus en me jetant de petits regards intrigués, attendant visiblement que je lui donne des explications, ce que je ne fais pas, préférant l’interroger à mon tour.

-« Pourquoi te pourchassaient-ils ? »

Elle a un petit sourire et glisse la main sous son chemisier pour en extraire l’objet que je n’ai pas pu distinguer tout à l’heure. Une bourse, apparemment bien remplie, qu’elle soupèse avec satisfaction.

-« J’ai volé ça, sur le marché. Un gamin m’a vue faire et a donné l’alerte. »

Je pince les lèvres en lui jetant un coup d’œil désapprobateur qui a l’air de la gêner un peu, puisqu’elle m’interroge aussitôt, sur la défensive.

-« Quoi ? Tu viens de me dire que tu ne les aimais pas, tu ne vas pas prendre leur défense ? »

Je secoue négativement la tête.

-« Le problème n’est pas là. C’est juste que je trouve lamentable de voler l’argent de ceux qui ont parfois travaillé très dur pour le gagner. Quelle fierté peux-tu tirer de ça ? »

Cette fois, c’est son tour de hausser les épaules, son expression exprimant toujours le même contentement de soi.

-« Il ne s’agit pas de fierté. Je n’ai tout simplement pas envie ni de me marier juste parce que c’est le destin promis aux femmes, ni de trimer à longueur de journée pour gagner à peine de quoi vivre. Je veux profiter de la vie autant qu’il est possible, avoir du temps à moi pour faire ce qui me plaît, être libre de toutes contraintes, et ne pas avoir à me priver constamment. C’est aussi simple que cela. »

Je hoche la tête, non pas parce que je l’approuve, mais plutôt parce que je comprends ce qu’elle veut dire. Il n’y a rien de drôle à s’imaginer travailler une douzaine d’heures par jour, quels que soient le patron ou l’emploi, tout en élevant une ribambelle d’enfants dont on n’a, de toutes façons, pas le temps de s’occuper convenablement. Ses propos me laissent songeuse, et je reste silencieuse un moment pendant qu’elle se relève pour regarder par la fenêtre une nouvelle fois, fronçant les sourcils en constatant qu’il y a toujours autant de monde dans la rue. Passant une main sur sa nuque, elle revient s’asseoir sur sa chaise, soupirant avec résignation alors qu’elle murmure.

-« Je vais être obligée d’attendre la tombée de la nuit pour quitter la ville. »

Ces paroles me tirent de ma rêverie et me font réagir. Je me penche vers elle, cherchant sciemment son regard pour y plonger le mien avant de lui demander :

-« Est-ce que tu me laisserais aller avec toi ? »

Elle ne s’y attendait pas, mais la surprise qui se lit sur son visage est vite remplacée par la méfiance.

-« Pourquoi voudrais-tu m’accompagner ? Tu as une vie, ici. »

Lentement, je me lève et commence à faire les cent pas dans la chambre, prenant ainsi le temps de rassembler mes pensées. Un instant, j’hésite. Après tout, je ne connais pas cette femme, et elle ne semble pas être un modèle de vertu, c’est le moins qu’on puisse dire. De plus, elle est tout à fait capable de violence, il me suffit  de me rappeler la manière dont elle a tordu mon bras pour m’en convaincre. Pourtant, aussi bizarre que ça me paraisse, je n’ai plus du tout peur d’elle, comme si le fait d’avoir une conversation avec elle me l’avait rendue familière.

-« De quoi vis-tu ? »

La question, inattendue, me fait sursauter, mais je réponds sans hésitation.

-« J’ai une petite rente, que m’a laissée mon père. Rien de faramineux, mais j’ai de quoi vivre. »

Elle a un petit reniflement dédaigneux, alors qu’elle marmonne comme pour elle-même, mais suffisamment fort pour être sûre que je l’entende.

-« Comme c’est pratique ! »

Le sarcasme, évident dans sa voix, m’exaspère, et je réplique avec vivacité.

-« Crois-tu être la seule à qui la vie ait envoyé des épreuves ? »

Elle lève un sourcil, toujours aussi ironique. Je pousse un soupir et lève les bras au ciel avant de revenir vers elle.

-« Prenons les choses dans l’ordre. Je m’appelle Amy, Amy Dalle. »

Elle répond en se désignant elle-même d’un geste de la main.

-« Je suis Tilda Mac Enrouée. »

Je hoche la tête et retourne m’asseoir sur mon lit, appuyant mon dos contre les oreillers. Ensuite, je lui explique pourquoi je n’aime pas les villageois.

 

:::::::::::::::::::::::::::::

 

Chapitre 3 :

 

Je la regarde, tout autant que je l’écoute. Ses longs cheveux blonds reposent sur l’oreiller blanc, et ses jolis yeux verts expriment les mêmes émotions que son ton de voix.

Elle parle longtemps, ne s’interrompant que rarement pour reprendre son souffle ou boire une gorgée d’eau.

D’abord, elle me raconte son arrivée dans ce pays, seule en compagnie de son père, alors qu’elle n’était encore qu’une toute jeune fille, sa mère et ses deux frères  ayant choisi de rester à Londres. Amy, quant à elle, s’ennuyait tant dans le pensionnat de jeune fille où elle passait ses journées, que l’idée de découvrir un pays neuf l’enthousiasma.

Son père était un érudit et un savant, un passionné de biologie, de sciences naturelles et d’ethnologie qui avait choisi de venir travailler dans l’hémisphère Sud et de découvrir de nouvelles contrées. La Nouvelle Zélande l’attira naturellement, davantage que la Nouvelle Galles du Sud à laquelle il reprochait des températures trop élevées.

Il s’installa donc ici, à Papakura non loin de la ville d’Auckland, où il avait l’intention d’étudier notamment la flore locale. Ces divers travaux et recherches l’amenèrent rapidement à s’éloigner de la ville pour camper en pleine nature, parfois pendant plusieurs semaines d’affilée, emmenant régulièrement sa fille avec lui. Elle l’aidait, lui tenait compagnie, rédigeait parfois certains rapports sous sa dictée…

C’est au cours d’une de ces expéditions qu’ils rencontrèrent un groupe de Maoris. Si Monsieur Stan Dalle se révéla enchanté de cette rencontre et tenta immédiatement d’établir un contact, les Maoris, eux, se montrèrent bien plus méfiants, les blancs, qu’ils appellent les pakehas, ne leur ayant jusqu’ici pas donné beaucoup de raisons de leur faire confiance. Mais le charisme et l’intérêt sincère que leur portait Monsieur Dalle, ajouté au charme de sa fille eurent raison de cette défiance, et après quelques temps, le naturaliste et sa fille s’installèrent au sein d’un kainga, un village, vivant ainsi avec toute la tribu, iwi en langage maori. 

Cela dura plusieurs mois, pendant lesquels ils découvrirent les coutumes de ce peuple, et apprirent les bases de leur langage, jusqu’à ce que le père d’Amy décide de rentrer à Papakura, notamment pour faire publier ses travaux.

A aucun moment les villageois ne mirent le naturaliste et sa fille au ban de la société, jamais ils ne furent rejetés ou regardés avec mépris, mais il était évident que personne ne comprenait qu’ils n’aient pas tenté d’évangéliser les indigènes, ni essayé de leur montrer à quel point la  civilisation Britannique était supérieure à la leur, ni même qu’ils aient pu entretenir avec eux des relations d’égal à égal. Ces critiques, qu’il entendait régulièrement, touchèrent profondément Stan Dalle, au point que sa santé, déjà fragile, vacilla, et c’est au moment où il envisageait de retourner au kainga, et de s’installer de façon plus durable avec l’iwi, qu’il attrapa une angine de poitrine, dont il ne se rétablit jamais et à laquelle il succomba au bout de quelques semaines. Passés les premiers moments de chagrin, sa fille décida de rester en Nouvelle Zélande et de ne pas rentrer en Angleterre.

 

A ce moment de son récit, Amy se relève et se dirige vers la fenêtre, passant une main lasse sur sa nuque avant de conclure.

-« A la mort de mon père, j’ai connu quelques moments de découragement et de lassitude. Si je ne me suis jamais vraiment laissée aller, j’étais sans ressource, abattue. J’ai dû quitter l’appartement où nous vivions durant nos séjours ici, pour prendre une chambre dans cette pension de famille, moins onéreuse. Mais depuis quelques temps, je me suis ressaisie, et je pense très sérieusement à retourner au kainga. »

Elle se tourne vers moi, l’expression de son visage extrêmement sérieuse.

-« Je me plaisais avec l’iwi, bien plus que dans cette ville pleine de gens qui n’ont jamais rien compris au travail de mon père, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, et qui sont incapables de voir la richesse d’une autre culture que la leur. »

Elle s’approche, se plaçant face à moi, à deux pas de ma chaise.

-« J’ai pris ma décision, je repars là-bas. Mais puisque tu es là, et étant donné que tu n’as aucun intérêt à rester en ville, je me dis que tu pourrais m’accompagner. »

Je hausse un sourcil, à la fois un peu amusée, mais aussi étonnée par cette proposition venant d’une jeune femme qui ne me connaît pas et qui ne m’a certainement pas vue sous mon meilleur jour, c’est le moins que l’on puisse dire. Je croise les bras sur ma poitrine et l’interroge, un peu ironique.

-« Parce que tu crois que c’est de ce genre de vie dont je voulais parler, quand j’évoquais une existence libre de toutes contraintes ? »

Elle hoche la tête, l’air tout à fait convaincu.

-« Je le pense, oui. Tu ne le crois pas parce que tu ne connais rien de cette vie. Bien sûr, je peux me tromper, mais en te regardant, j’ai le sentiment que tu serais tout à fait à ta place dans cette iwi, et que tu t’y plairais. Elle te permettrait de garder une certaine indépendance, de montrer ce que tu vaux, et ne te condamnerait pas forcément à vivre selon un schéma préétabli par la société, comme c’est le cas dans notre culture. »

Elle s’interrompt et s’approche encore de moi, paraissant maintenant légèrement embarrassée.

-« De plus, pour être tout à fait honnête, je préfère ne pas faire toute seule les quelques jours de marche nécessaires pour me rendre là-bas. »

Voilà un argument que je n’attendais pas et qui m’amène à l’interroger tout à fait spontanément.

-« Tu n’aurais pas peur de prendre la route avec moi ? Je pourrais en profiter pour te faire du mal. »

Je désigne son bras d’un mouvement du menton, mais elle secoue négativement la tête, apparemment sûre d’elle.

-« Non. Je ne crois pas que tu sois aussi méchante que tu veux bien le faire croire. »

Je me lève pour pouvoir la dominer de toute ma hauteur alors que je suis juste face à elle, et prends mon expression la plus menaçante. 

-« Tu crois ça ? »

Elle ne recule pas et ne détache pas ses yeux des miens, m’impressionnant ainsi bien davantage que par sa réponse.

-« Depuis que tu es dans cette chambre, tu t’es comportée très civilement, alors que tu aurais pu me brutaliser, ou fouiller partout à la recherche de mes économies… »

Je hausse négligemment les épaules et recule.

-« Honnêtement, je n’ai jamais eu de scrupules à détrousser des inconnus, quels qu’ils soient, mais c’est beaucoup plus difficile sitôt que j’établis un contact. »

Je pince les lèvres, cherchant mes mots, alors que je lève une main pour frotter mon pouce contre mon index.

-« Ce n’est pas facile à expliquer, mais dès que je parle avec quelqu’un, qui que ce soit, ce n’est plus tout à fait un étranger »

Son sourire fait briller ses yeux d’une manière que je trouve tout à fait séduisante alors qu’elle conclut, d’un ton plein de certitude.

-« Je peux donc considérer que tu m’accompagneras ? »

Je hoche lentement la tête, pas vraiment sûre que la vie dans une tribu maori me plaise autant qu’elle semble le croire, mais j’accepte tout de même, d’abord parce qu’il n’est pas question que je reste à Papakura, ensuite parce que le fait d’accompagner Amy ne m’oblige en rien à rester là-bas une fois que nous serons arrivées à destination. Et puis, elle sera sans doute une compagne de route agréable. Cette pensée me fait pousser un petit gloussement que je ne contiens qu’à moitié, en mettant ma main devant ma bouche et qui amène Amy à me jeter un regard étonné. Un moment, elle paraît sur le point de me demander ce qui m’amuse, mais se ravise et se tourne vers son armoire, la désignant d’un geste du bras.

-« Si nous devons partir dès ce soir, j’ai quelques petites choses que je souhaite emmener. »

Un sac à la main, elle ouvre son meuble, et après y avoir glissé quelques vêtements et affaires de toilette, se saisit d’un gros cahier à la couverture rouge et noire qu’elle tient un instant devant elle, le caressant de la paume de la main avant de pousser un soupir en le serrant contre sa poitrine. Intriguée, je la regarde faire, me demandant pour quelle raison ce cahier est si précieux pour elle. Je n’ai pas besoin de lui poser la question toutefois, puisque après quelques secondes, elle se tourne vers moi et explique, murmurant tout bas.

-« C’est le journal de mon père. Il y notait toutes ses observations, même celles qui lui paraissaient sans importance au premier abord, il y inscrivait aussi certaines des pensées qui lui venaient à l’esprit de façon impromptue et qu’il avait peur d’oublier. »

Je m’approche et jette un regard curieux sur le cahier, observant la couverture rouge et noire marquée d’un Stan Dalle joliment calligraphié, qu’elle tend vers moi pour me le montrer avant de le déposer doucement dans le sac, presque religieusement. Elle ajoute encore une couverture, deux gourdes et quelques petits objets  que je ne distingue pas bien, m’étant désintéressée de ses préparatifs pour retourner à la fenêtre. Une fois qu’elle termine, elle retourne s’asseoir sur son lit et désigne la chaise d’une geste pour m’inviter à me ré-installer moi aussi. Une fois que je suis assise, elle m’interroge, une expression curieuse sur le visage.

-« J’ai beaucoup parlé de moi, mais je ne sais rien de toi. Pourtant, j’avoue que je suis curieuse de savoir ce qui peut amener une jeune femme à voler, et même à être brutale si elle l’estime nécessaire. »

Elle prononce cette dernière phrase en regardant son bras, ce qui me fait grimacer, mais elle insiste.

-« Nous avons encore quelques heures à tuer avant notre départ, et puisque nous allons passer du temps ensemble, sur la route, j’aimerais te connaître un petit peu mieux. »

Je hausse les épaules, pas très encline à me confier, mais je me laisse convaincre tout de même,  plus pour tuer le temps que par goût pour la confidence.

 

 

 

 

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Chapitre 4 :

 

Je l’écoute très attentivement, mais je profite aussi de l’occasion pour la regarder, admirant son sourire, le bleu de ses yeux et l’élégance, clairement involontaire et même complètement inconsciente, de chacun de ses gestes.

Son histoire est digne d’un roman de Dickens, pourtant elle la raconte sans émotion apparente, le ton froid et l’œil sec comme si ce qu’elle relate n’avait aucun rapport avec elle.

 

Elle vient d’une famille écossaise vivant dans les bas fonds d’Aberdeen. Son père, un pêcheur, disparut en mer alors qu’elle était très jeune. Alors, puisqu’elle était l’aînée, elle se retrouva rapidement à s’occuper de ses quatre frères et sœurs pendant que sa mère occupait toutes sortes d’emplois plus ou moins ingrats et mal rémunérés, pour subvenir aux besoins de tout ce petit monde.

Cela dura un certain temps, jusqu’à ce que sa mère rencontre un homme, apparemment charmant, qui bien que plus jeune qu’elle, semblait tout à fait prêt à s’installer avec toute la famille et à la prendre en charge.

Malheureusement, le coquin n’était pas si honnête qu’il voulait le faire croire, et Madame Mac Enrouée se retrouva bien vite forcée de travailler dans une taverne sordide, vendant son corps aux marins de passage, l’homme la menaçant de s’en prendre à ses enfants si elle refusait.

Durant quelques années, Tilda s’occupa tant bien que mal de ses cadets, mais le temps passant, l’homme remarqua que, alors que sa mère vieillissait et attirait moins de clients, sa fille, elle, devenait une jeune fille d’une très grande beauté. Il tenta de l’obliger elle aussi à aller travailler dans le même établissement que sa mère, mais Tilda ne se laissa pas impressionner et résista suffisamment longtemps pour organiser sa fuite, avec ses frères et sœurs, jusqu’à Edimbourg. Là, il lui fallut trouver un moyen de faire vivre sa famille, et comme elle n’avait ni l’envie ni les qualifications nécessaires pour trouver un emploi, elle commença rapidement à voler. Evidemment, ce qui devait arriver arriva, elle finit par se faire prendre la main dans le sac et fut arrêtée, avant d’être jetée en prison.

La justice de sa Majesté n’a aucune indulgence pour les voleuses et pour éviter d’être enfermée pendant de longues années dans des conditions particulièrement difficiles, elle a acceptée d’être envoyée en Nouvelle-Zélande, pour peupler la colonie.

 

Elle termine son récit en toussant discrètement dans sa main fermée en cornet et évite mon regard, non pas parce qu’elle aurait honte de quoi que ce soit, mais plutôt comme si elle était gênée de m’avoir fait tant de confidences. Je lui laisse quelques secondes, puis l’interroge doucement.

-« Sais-tu ce que sont devenus tes frères et sœurs, ou ta mère ? »

Elle hausse les épaules et me réponds en gardant les yeux fixés sur le mur, sur ma gauche.

-« Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ma mère, mais j’ai reçu une lettre des petits, avant mon départ. Ils se portaient tous bien et mon frère Georges, qui a vingt ans maintenant, me garantissait qu’il allait prendre soin de tous.»

Là-dessus, elle se lève et retourne regarder par la fenêtre, toute son attitude indiquant clairement  qu’elle n’en dira pas davantage sur le sujet. Je n’insiste pas.

 

Nous remplissons les gourdes à la fontaine d’une petite place, non loin de la sortie Est de la ville, puis marchons en silence le long des rues jusqu’à ce que nous sortions enfin de l’agglomération, et que nous pénétrions dans les grandes et nombreuses forêts qui couvrent la région. Je marche la première, suivie par Tilda qui n’a pas prononcé une parole depuis qu’elle m’a raconté ce qui l’avait amenée dans ce pays. Complètement refermée sur elle-même, elle s’est contentée d’acquiescer d’un mouvement du menton lorsque je lui ai suggéré de passer prendre quelques provisions à la cuisine, et si elle a mis d’autorité le sac sur son épaule, avec son petit baluchon, elle garde une mine renfrognée et une attitude fermée qui me fait m’interroger sur le bien fondé de ma décision de prendre la route avec elle.

Après deux ou trois heures de marche dans les bois, nous découvrons un espace dégagé, trop petit pour être qualifié de clairière, mais que je juge suffisant pour que nous y passions la nuit. Nous ne faisons pas de feu, nous contentant de grignoter un peu de pain et de viande séchée, toujours dans le plus grand silence, avant de nous allonger, moi sur la couverture que j’ai emmenée, et Tilda à même le sol, seulement couverte de son châle.

C’est le grognement sourd qu’elle pousse alors qu’elle s’étire longuement qui m’éveille, quelques heures plus tard. Elle m’entend sans doute remuer, parce qu’elle se tourne vers moi et me salue d’un geste de la main, son visage ne montrant plus rien de la contrariété qu’il affichait la veille. Je luis souris et vais la rejoindre, l’aidant à rassembler branchages et brindilles qu’elle enflamme rapidement avant de mette un peu d’eau à chauffer pour préparer le thé que nous buvons dans un silence un peu embarrassé, comme si nous ne savions pas comment nous comporter l’une avec l’autre.

Et puis, alors que nous nous remettons en route, elle se tourne vers moi, m’interrogeant sur le traité de Waitangi, un traité dont je ne pensais même pas qu’elle connaissait l’existence.

Je hoche la tête, un peu étonnée mais ravie de constater qu’elle a l’air sincèrement intéressée, son visage indiquant clairement qu’elle ne chercha pas seulement à faire la conversation pour passer le temps. Le traité a été signé il y a fort peu de temps, et je me suis suffisamment renseignée là-dessus pour lui répondre.

-« Ce traité n’est pas très long en fait. D’abord, il reconnaît la souveraineté de la reine d’Angleterre sur la Nouvelle-Zélande, et dans l’absolu, il n’est pas si mal, puisqu’il garantit, en principe, l’égalité des droits entre les sujets britanniques et les maoris. Il est aussi censé maintenir les possessions immobilières des autochtones, qui par contre, ne peuvent vendre leurs terres qu’à la couronne. »

Je reprends mon souffle, faisant un mouvement de la main, devant mon visage, pour chasser un insecte, puis lui donne quelques précisions sur ce qui a amené l’Angleterre à s’impliquer davantage dans ce pays.

-« Tu vas peut-être trouver amusant de savoir que la recrudescence de vols, de meurtres et autres méfaits est une des raisons qui ont poussé le gouvernement de sa Majesté à établir ce traité. La population devenait de plus en plus incontrôlable et il semblait nécessaire de remettre un peu d’ordre tout en asseyant davantage l’autorité souveraine de l’Angleterre. »

Je jette un coup d’œil dans sa direction. Elle m’écoute, le regard attentif, attendant visiblement que je poursuive.

-« Bien sûr, ce n’est pas la seule raison, ni sans doute la plus importante. Par exemple, je sais qu’à Londres, un courant se dessine, partisan d’une large immigration permettant d’éliminer ainsi une grande partie de la misère urbaine. D’ailleurs, c’est peut-être à eux que tu dois ton arrivée ici. Dans un autre ordre d’idées, certains spéculateurs anglais achètent des terres, dans l’espoir d’y installer des fermiers, triés sur le volet. Evidemment, ces deux courants ne tiennent aucun compte des populations maoris. »

Je n’ai pas pu retenir la colère, dans ma voix, en prononçant cette dernière phrase. Ca fait sourire Tilda, et cette réaction me fait bizarrement plaisir, comme s’il était important qu’elle ne montre aucune désapprobation à ce sujet Je hausse les épaules et reprend.

-« Il y a encore une raison : les français. Eux aussi tentent de prendre possession des territoires de Nouvelle-Zélande. La Compagnie Nanto-bordelaise, par exemple, a fondé un comptoir sur Akaroa, et le gouvernement de sa Majesté avait si peur que la France lui coupe l’herbe sous le pied en prenant possession des terres la première, qu’il lui a parut nécessaire d’agir, d’où la signature de ce traité. »

Je m’arrête de parler pour prendre un peu d’eau à la gourde que j’ai accrochée à ma ceinture. Elle me sourit, plus gentiment qu’elle ne l’a fait jusque là, et m’interroge de nouveau, ayant apparemment envie d’en savoir plus.

-« Et ce traité a été signé par tous les chefs de tribus ? »

Je secoue négativement la tête, écartant du bras la branche étendue au travers du chemin, juste à hauteur de mon visage, d’un pohutukawa sur lequel la multitude de fleurs rouges ne commence même pas à bourgeonner.

-« Non. Je crois qu’il y environ cinq cents chefs d’iwi qui ont signé, mais je ne suis pas sûre qu’ils l’aient tous fait en toute connaissance de cause. Pour ce que j’en sais, certains chefs ont refusé de signer et de participer à ce qu’ils considèrent comme une mascarade.»

Les sourcils froncés, elle avance sans plus rien dire, réfléchissant manifestement à tout ce que je viens de lui raconter, puis me pose une nouvelle question.

-« Si tous les maoris ne sont pas d’accord, n’y a-t-il pas risque de conflit entre eux ? »

J’acquiesce, levant mes mains devant moi pour les faire retomber le long de mon corps dans un geste d’impuissance.

-« Bien sûr que si, mais ça ne changera pas grand chose de toutes façons. Pour autant que je le sache, les guerres intertribales sont monnaie courante, depuis bien avant l’arrivée des européens. »

Alors que nous n’avons pas cessé de marcher tout au long de cette conversation, elle s’arrête un instant, me regardant avec curiosité.

-« Et toi, pourquoi as-tu choisi de rester ici ? Tu as passé ton enfance à Londres, dans un milieu relativement protégé qui considèrent certainement les maoris comme des sauvages, pourtant on dirait qu’ils te fascinent. »

Elle recommence à avancer pendant que je réfléchis à sa question, observant un peu machinalement la forêt autour de nous. Les arbres, pohutukawas, hêtres rouges et autres manukas, bien plus petits, répartis en quantité presque égale, forment un paysage tout à fait plaisant à regarder, les différentes nuances de vert de leur feuillage s’assortissant d’une manière que ne renierait aucun peintre un tant soit peu talentueux. Le sol, de part et d’autre du sentier que nous suivons, est tapissé d’herbes folles et de fougères, le tout parsemé de quelques fleurs printanières qui donnent un aspect champêtre tout à fait agréable à notre petite expédition, la faisant presque ressembler à une simple promenade dominicale dans la campagne anglaise. Je rassemble les mèches de cheveux qui viennent sur mon visage, poussées par la légère brise, pour les glisser derrière mon oreille, puis me décide à répondre à sa question.

-« J’étais encore bien jeune quand j’ai quitté Londres, je ne connaissais pas grand chose des populations vivant ici, et je suppose que j’avais quelques idées préconçues. Pour moi, tous les indigènes se valaient, quel que soit leur pays d’origine, ou même le continent, et n’étaient guère plus que des barbares, qu’ils soient maoris de Nouvelle-Zélande, aborigènes de Nouvelle Galle du Sud, africains, ou asiatiques. Mais, j’éprouvais toutefois une certaine curiosité à l’égard de ces terres plus ou moins inconnues, et je n’avais pas très envie de passer ma vie sans rien connaître d’autre que l’Angleterre, le mariage, la maternité et les  salons plus ou moins élégants de ma ville. Alors, quand mon père m’a proposé de l’accompagner, j’ai accepté avec enthousiasme, pensant que cela me donnerait une chance unique de vivre autre chose avant de rentrer dans le rang. »

Je m’interromps un instant, pour reprendre mon souffle et boire de nouveau une gorgée d’eau. Près de moi, Tilda remonte le sac, dans lequel elle a déposé son baluchon, et qui avait glissé le long de son bras, sur son épaule, attendant patiemment que je poursuive mon récit. Je raccroche la gourde à ma ceinture, m’essuyant la bouche du bout des doigts, avant de retourner à mes souvenirs, pas si lointains, de mon arrivée ici.

-« Durant le voyage en bateau, mon père, qui avait l’esprit ouvert, a passé beaucoup de temps à me parler, m’expliquer que ce qui est différent n’est pas forcément mauvais, et qu’il ne faut pas avoir peur de ce que nous ne connaissons pas, mais plutôt essayer de le comprendre avant de penser systématiquement à le combattre.

Il semblait si convaincu de ce qu’il disait, était si persuasif en me décrivant l’enrichissement personnel qu’il avait acquis en s’en tenant à cette philosophie toute sa vie, qu’à notre arrivée, j’étais au moins aussi enthousiaste que lui. Je n’ai donc pas été particulièrement effarouchée lorsque nous avons rencontré des maoris, et je n’ai eu ni appréhension, ni difficulté à m’intégrer à l’iwi et à vivre au kainga, au contraire, j’ai très vite été enchantée par la manière de vivre, bien plus libre et spontanée que tout ce que j’avais connu jusque là. »

Je me tais enfin, un peu essoufflée par cette longue tirade, et jette un regard en direction de ma compagne de route. Un moment, elle reste songeuse, puis se tourne vers moi, un demi-sourire étirant ses lèvres.

-« Tu as renoncé sciemment au mariage, à la maternité, et à vivre de manière tout à fait ordinaire et traditionnelle pour finalement décider de t’installer au sein d’une tribu d’indigènes… Finalement, nous nous ressemblons bien plus qu’on pourrait le croire au premier abord. »

Un instant, je la regarde, un peu vexée de sa comparaison. Elle garde les yeux fixés sur moi, son visage arborant une expression goguenarde, comme si l’idée que je puisse avoir des points communs avec elle, voleuse écossaise exilée en Nouvelle-Zélande plus ou moins contre son gré, était très amusante. Et puis, je me laisse gagner par l’humour de sa remarque, et lui rends son sourire. Ca a l’air de lui faire plaisir, et elle me fait un petit clin d’œil complice, comme si nous étions deux amies de longue date qui partagions une bonne blague.

Après tant de paroles, le silence qui suit est bienvenu, d’autant plus qu’il n’est pas embarrassé ou contraint comme ce matin. Au contraire, nous semblons toutes les deux nous contenter du calme ambiant et de la beauté des paysages autour de nous.

Le soir venu, nous nous installons non loin d’un petit ruisseau, et partageons un repas froid dans une ambiance bien plus détendue que la veille.

 

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Chapitre 5 :

 

Elle dort encore, le visage enfoui sous sa couverture. Seuls quelques cheveux dépassent, laissant une grande mèche blonde traîner sur l’herbe verte. Sans bien savoir pourquoi, je souris en la regardant, puis me dirige vers le ruisseau, attentive à ne pas faire de bruit pour ne pas la réveiller. Arrivée sur la rive, je m’agenouille, jetant encore un coup d’œil vers Amy pour m’assurer qu’elle dort encore, puis retire mon chemisier, ma jupe, et après un court instant d’hésitation, mes sous-vêtements. Immédiatement, je commence à m’asperger et me nettoyer sommairement. La fraîcheur de l’eau sur ma peau, me fait rapidement frissonner,  mes avant bras se couvrent de chair de poule, et je me frotte énergiquement, dans l’espoir de me réchauffer.

-« Il y a un morceau de savon dans le sac, si tu veux. »

Je suis si surprise et je sursaute si fort que je manque de glisser dans le ruisseau. Ca la fait rire, alors qu’elle vient s’installer près de moi, complètement nue elle aussi. Mais elle ne se contente pas de s’asperger, et pénètre entièrement dans le ruisseau, s’allongeant dans l’eau jusqu’à ce que seule sa tête en émerge. Un peu médusée par son manque apparent de pudeur, je laisse un instant mon regard traîner sur son corps, au travers de l’eau particulièrement claire du ruisseau, descendant de la blancheur de ses jolies épaules jusqu’à ses seins ronds, surmontés de mamelons roses raidis par le froid, et que je trouve si fascinants qu’il me faut plusieurs secondes avant d’en détacher le regard.

Un peu gênée par ma propre indiscrétion, je me détourne et vais chercher le savon avant de revenir au bord de l’eau pour me laver rapidement, ne pouvant m’empêcher de jeter quelques coups d’œil furtifs vers ma compagne de route, qui ne semble pas se rendre compte de ma curiosité et se nettoie en chantonnant doucement.

 

Nous quittons le sentier dans le courant de la matinée, au moment où il tourne vers l’Est, reprenant ainsi la direction de l’océan alors que, pour notre part, nous continuons vers le Sud Ouest, nous enfonçant encore plus profondément dans la forêt.

Nous parlons peu, économisant notre souffle alors que le rythme de notre marche s’est légèrement accéléré et que le terrain commence à monter un peu puisque nous atteignons une zone un peu plus vallonnée. Progressivement, les pohutukawas disparaissent, remplacés par des kauris à la hauteur parfois impressionnante. Nous commençons à apercevoir de petits animaux, et surtout des oiseaux, des kéas, sorte de perroquets au plumage vert olive, et un groupe de pukekos, avec leur plumage sombre et leur bec rouge, que ma compagne de route me désigne, m’apprenant leurs noms pour mon plus grand plaisir.

Le soir venu, avant de nous installer pour la nuit, Amy s’éclipse un moment. Je ne prête pas vraiment attention à son départ, supposant qu’elle a tout simplement besoin de s’isoler, aussi suis-je particulièrement surprise quand je la vois revenir avec une pleine poignée de grosses baies d’un rouge bien vif, qu’elle dépose sur une des assiettes de métal que je viens de sortir du sac, en m’annonçant que c’est là notre dessert du soir. Riant franchement devant l’étonnement qu’elle voit s’inscrire sur mon visage, elle ajoute, entre deux gloussements, qu’elle a également posé deux ou trois pièges qui nous fourniront un peu de viande pour les prochains jours. Un peu vexée par son hilarité, j’attends qu’elle se calme pour l’interroger, du ton le plus dégagé possible.

-« J’ignorais que tu possédais ces talents là. »

Elle sourit encore largement, mais me répond gentiment, haussant les épaules comme pour montrer que tout ça n’est pas très important.

-« J’ai passé plus de six mois dans une iwi, j’y ai appris quelques petites choses. »

Je hoche la tête, reconnaissant la logique de son explication, avant de la questionner de nouveau.

-« Est-ce que tu sais chasser, aussi ? »

Elle secoue négativement la tête.

-« Non, seulement poser des pièges, mais c’est très efficace, en principe. Je connais aussi les plantes, celles qu’on peut manger sans risque, et celles qui soignent.»

Je ne réponds pas, légèrement impressionnée et peut-être un peu envieuse aussi, et elle le devine sans doute à mon regard, puisqu’elle se penche vers moi, souriant toujours gentiment pour poser une main sur mon avant bras.

-« Si tu en as envie, je pourrai t’apprendre. »

J’accepte avec un enthousiasme qui me surprend moi-même, engloutissant mon repas à toute allure tant je suis pressée d’aller relever les pièges. Elle s’aperçoit de mon impatience, mais ne se hâte pas pour autant, finissant son repas avec le même calme et la même élégance qu’elle met dans tout ce qu’elle fait. Ce n’est qu’une fois qu’elle a terminé qu’elle se lève et me fait signe de la suivre. Les pièges ne sont pas très loin, et si les deux premiers sont encore en place, attendant qu’un gibier quelconque vienne se faire prendre, le troisième, une espèce de collet, contient un weka, un oiseau qui ne vole pas comme il en existe plusieurs dans ce pays, et qui ressemble un peu à un poulet sans aile au plumage beige. Le volatile tire en caquetant sur la cordelette qui retient sa patte, dans une vaine tentative pour se libérer, paniquant encore plus à notre arrivée. Amy le regarde un instant en grimaçant, se tournant ensuite vers moi en soupirant.

-« C’est le moment le plus difficile pour moi, celui où je dois achever la pauvre bête. »

Elle reste encore un instant à l’observer, tripotant machinalement le petit poignard qu’elle à pris dans le sac avant de quitter le campement, puis me jette un petit regard que je ne sais pas trop comment interpréter. Essaie-t-elle de me faire comprendre que nous pourrions tout aussi bien nous passer de viande dans les jours qui viennent, ou bien espère-t-elle que je me charge moi-même de la besogne ? Je ne tergiverse pas longtemps et tends la main vers la sienne, effleurant doucement ses doigts avant de saisir le manche du poignard.

-« Je peux le faire. »

Elle me jette un coup d’œil un peu incrédule avant de plonger ses jolis yeux verts dans les miens, cherchant sans doute un peu d’incertitude, mais finit par baisser le regard au bout de quelques instants, évitant visiblement de regarder en direction du weka, alors que j’essaie de la convaincre.

-« Tout ira bien. Quand j’étais plus jeune, il est arrivé que ma mère revienne du marché avec une poule vivante, dans l’espoir d’avoir régulièrement des œufs à la maison. »

Je hausse une épaule, souriant doucement à l’évocation de ce souvenir, pendant que je poursuis.

-« Nous avions confectionné une petite cage, que nous avions déposée dans le couloir. Mais nous n’avons pas vraiment profité des œufs. Rapidement, la poule commença à dépérir et cessa de pondre, seule et dans un si petit espace. Alors, nous l’avons mangée. Ma mère n’avait que peu de temps, c’est donc moi qui me suis occupée de tout. »

Je ne sais pas si j’ai réussi à convaincre Amy, mais elle me sourit doucement et pose délicatement une main sur mon avant bras, faisant un petit mouvement du menton pour me donner son accord.

-« Je vais t’attendre au campement. »

Elle tourne les talons et je la regarde s’éloigner, caressant la peau de mon avant bras du bout de l’index avant de me tourner vers le volatile en soupirant.

 

Elle remue distraitement une branche dans les braises du foyer, souriant en me voyant arriver avec un weka sans tête, plumé et vidé qu’elle désigne d’un geste pendant que je l’enveloppe dans un linge.

-« Un vrai travail d’experte ! »

J’acquiesce en lui rendant son sourire, puis vais m’asseoir près d’elle, résistant à l’envie étrange que j’éprouve d’embrasser la jolie petite fossette qui creuse sa joue.

 

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Chapitre 6 :

 

Même si nous ne somme pas véritablement en montagne, le sol s’élève toujours. Le terrain est bien plus pentu que ces derniers jours, la végétation se raréfie, les arbres sont moins nombreux et plus espacés, les fougères disparaissent progressivement et l’herbe perd sa belle couleur verte pour prendre une teinte jaunie beaucoup moins agréable à l’œil.

Nous gravissons une colline relativement peu élevée, mais à la pente abrupte, dont les flancs sont recouverts d’une terre grise sur laquelle nos pieds chaussés de bottines beaucoup plus adaptées à la vie citadine qu’à la marche en pleine nature, glissent constamment.

Près de moi, Tilda cesse de marcher un instant, jetant un coup d’œil devant nous comme pour évaluer la distance qu’il nous reste à parcourir avant le sommet, et semblant ravie de constater que nous n’en avons plus pour très longtemps. Je suis son regard et me tourne vers elle pour lui sourire, réprimant une surprenante envie de me pencher vers elle dans l’espoir de la frôler, et me contentant finalement de prononcer quelques paroles d’encouragement.

-« Ce sera plus facile bientôt. Dès que nous en aurons fini avec cette colline, le terrain s’aplanit rapidement, et nous retrouverons le genre de paysage que nous avons traversé jusqu’à présent. »

Elle hoche la tête et se remet en route. Je lui emboîte le pas, observant son profil qui se découpe parfaitement dans le ciel d’un bleu aussi limpide que ses yeux, si concentrée sur son visage que je ne remarque pas le caillou, sur le sol, devant moi. Il roule sous mon pied, je perds l’équilibre et glisse, sentant ma cheville se tordre alors que mes bras battent dans l’air, dans un geste réflexe pour éviter la chute. Je chancelle, mais parviens à rester debout, sentant dans le même temps un élancement particulièrement douloureux au bas de ma jambe droite, juste à la cheville que je viens de me tordre. Je grimace et lève les yeux vers Tilda, qui m’a déjà rejointe et tend un bras pour le passer sous le mien, afin de me soutenir et de m’aider à retrouver mon équilibre. L’expression soucieuse, elle m’incite à faire deux ou trois pas, regardant ma démarche avec beaucoup d’attention, avant de me faire asseoir sur le sol. Aussitôt, elle se baisse, délace ma bottine et observe ma cheville avec soin, la manipulant doucement tout en me jetant de petits regards interrogatifs pendant quelques instants avant de se relever en époussetant un peu machinalement la terre qui s’est déposée sur sa jupe, à hauteur de ses genoux, puis de lever les yeux dans ma direction en poussant un petit soupir.

-« Je pense que tu as une petite entorse, ou au moins, une bonne foulure. »

Elle désigne ma cheville d’un geste pour ajouter en grimaçant.

-« Ca commence déjà à enfler. »

Je hausse un sourcil, vaguement étonnée de tant de certitude.

-« Voilà un diagnostic précis ! »

Elle hausse les épaules, et l’expression de son visage devient songeuse.

-« Pendant des années, j’ai servi de mère de substitution à mes frères et sœurs, et nous n’avions certainement pas les moyens de nous offrir les services d’un médecin. Alors, j’ai appris à combattre les rhumes, les angines et les fièvres de toutes sortes, mais aussi à soigner les plaies et les bosses. »

Son sourire s’élargit, et pour la première fois pendant qu’elle évoque sa famille, elle n’est pas loin de rire.

-« Avec quatre garnements à la maison, il y avait toujours de quoi faire. »

Secouant la tête pour en chasser des pensées qu’elle paraît trouver inopportunes, elle se penche de nouveau vers moi en tendant une main, dans l’intention évidente de m’aider à me relever.

-« Nous ne pouvons pas rester ici. L’idéal, puisque nous sommes presque au sommet, serait que nous continuions notre ascension. Je trouverai certainement de quoi fabriquer une attèle de l’autre côté. »

J’attrape sa main et elle me tire si vigoureusement vers elle que je cogne contre son corps. Elle passe un bras autour de ma taille et me soutient du mieux qu’elle peut, m’interrogeant avec beaucoup de douceur.

-« Penses-tu pouvoir marcher ? »

J’acquiesce d’un mouvement du menton, pas très sûre d’y arriver en fait, mais convaincue qu’elle a raison et comprenant parfaitement que nous ne pouvons pas attendre là que ma cheville aille miraculeusement mieux. Je m’appuie lourdement contre elle, tout à fait consciente de la chaleur et de la force de son bras, autour de ma taille, et si ce n’était la douleur dans ma cheville, je trouverais la situation extrêmement agréable.

Nous avançons lentement, mais finissons par arriver au sommet de la colline, où nous nous arrêtons un moment pour reprendre notre souffle, et regarder, en contrebas, les arbres encore espacés les uns des autres, projeter leurs ombres sur une herbe d’un joli vert tendre. 

Toujours très attentionnée, elle jette un nouveau regard vers ma cheville et raffermit sa prise autour de moi pour m’entraîner doucement vers le bas de la colline.

Assise dans l’herbe, adossée contre le large tronc d’un kauri dont le feuillage  me procure une ombre que j’apprécie particulièrement alors que le soleil est à son zénith, je regarde Tilda, agenouillée à mes pieds, envelopper consciencieusement de linge les morceaux de branches qu’elle a taillés à la bonne mesure, pour que je ne sois pas blessée par des échardes ou autre. Ensuite, avec une grande douceur et beaucoup de délicatesse, elle pose les deux branches de part et d’autre de ma cheville, vérifiant que celle-ci est bien immobilisée avant de les faire tenir en place à l’aide d’une large bande de coton qu’elle enroule autour de mon articulation, vérifiant une dernière fois que ma cheville est parfaitement maintenue.

Elle ne se relève pas immédiatement, une fois sa tâche terminée, laissant sa main traîner sur mon mollet, les yeux dans le vague et un demi-sourire étirant ses lèvres. Elle reste ainsi plusieurs secondes, l’expression rêveuse, puis se ressaisit brusquement, ses joues rougissant d’embarras alors qu’elle se relève rapidement, regardant ailleurs pendant qu’elle marmonne de vagues excuses.

-« Je ne me plaignais pas. »

Ma réponse la surprend, c’est tout à fait visible dans son regard, mais il y autre chose dans ses yeux au moment où elle se tourne vers moi. Je ne parviens pas à définir exactement ce que c’est toutefois, et j’oublie rapidement de m’interroger alors que ses prunelles bleues viennent plonger dans les miennes, y restant suffisamment longtemps pour que mon souffle se raccourcisse et que je perde le fil de mes pensées. Et puis, juste quand je commence à lentement me pencher vers elle, avec je ne sais quelle intention, elle se remet debout et me sourit.

-« Il serait raisonnable que tu restes sans marcher pendant un jour ou deux. »

Encore un peu troublée après l’échange silencieux que nous venons d’avoir, je me contente d’acquiescer d’un mouvement du menton, la suivant du regard alors qu’elle s’éloigne de quelques pas, ramassant quelques petits bâtons sur le sol avant de prendre mon petit poignard et un peu de cordelette dans le sac, puis de revenir vers moi pour s’asseoir à mes côtés, en me tendant le tout.

-« Crois-tu pouvoir m’apprendre à faire des pièges sans bouger d’ici ? »

Je grimace dans une moue un peu dubitative, il serait largement préférable de les confectionner et de les poser directement là où l’on espère attraper le gibier, mais puisqu’il est hors de question que je me déplace, j’improvise et tente de lui expliquer clairement quoi faire. Dieu merci, elle se révèle très douée. Habile et adroite, elle comprend vite, et retiens tout ce que je lui explique, et au bout d’une petite heure, elle se relève pour rassembler tout ce dont elle a besoin avant de prononcer avec un grand sourire.

-« Tu peux considérer que le repas de ce soir est déjà attrapé ! »

Et puis, juste avant de partir, elle se penche vers moi, déposant un petit baiser rapide sur ma tempe. Surprise, je relève la tête, mais elle est déjà partie, marchant à grandes enjambées dans le sous-bois. Je la regarde s’éloigner en silence, caressant du bout des doigts l’endroit où ses lèvres ont effleuré ma peau.

Je somnole quand elle revient, l’air tout à fait satisfaite d’elle-même, m’annonçant d’un ton exempt du moindre doute, que nous aurons de la viande dès ce soir. Ensuite, souriant à la vue de mes yeux encore pleins de sommeil elle s’allonge dans l’herbe non loin de moi, appuyant sa joue dans la paume de sa main droite pendant qu’elle joue avec quelques brins d’herbe de la gauche. Après un instant pendant lequel elle se contente de me regarder, elle m’interroge doucement.

-« Peux-tu m’expliquer ce que tu as trouvé chez les maoris que tu n’avais pas à Londres, ou à Papakura ? »

La première réponse qui me vient à l’esprit et qui franchit mes lèvres est tout à fait spontanée.

-« Une certaine indépendance, une liberté comme on n’en trouve pas dans la société britannique. »

Après ça, je prends quelques secondes pour réfléchir, me grattant l’oreille un peu machinalement, avant de faire un large geste du bras pour désigner le sous-bois dans lequel nous nous trouvons.

-« Je ne parle pas seulement de situations comme celle-ci, où nous sommes seules dans les bois, mais aussi de la vie courante. »

Je m’interromps, prenant soin de choisir mes mots, pour bien me faire comprendre.

-« Même au sein d’une iwi, la place des femmes est subalterne à celle des hommes. Selon les croyances maoris, la femme a été façonnée à partir de la terre, alors que l’homme, lui, est une création directe du Dieu de la guerre, Tu. C’est pourquoi les femmes ne peuvent accéder à certaines fonctions, notamment dans le domaine religieux, et c’est aussi la raison pour laquelle on ne m’a pas appris à chasser. Cependant, tout cela ne m’a pas empêchée de gagner une autonomie que je n’ai jamais eue à Papakura, ni encore moins à Londres. »

Je m’interromps, reprenant mon souffle tout en jetant un regard à ma compagne de route. La tête légèrement inclinée sur le côté, elle m’écoute avec attention, les mêmes brins d’herbe tournoyant toujours entre ses doigts.

-« Même à Papakura, au milieu de sujets de Sa Majesté bornés et bourrés de préjugés, le fait d’avoir vécu dans un kainga, d’avoir fait partie d’une iwi, m’a donné une certaine indépendance d’esprit, un non-conformisme tout à fait libératoire pour moi. Je ne me sentais plus obligée de suivre des règles ou des contraintes sociales telles que je les connaissais jusqu’à présent, et qui me sont soudain apparues absurdes, particulièrement pour les femmes. »

Je lève les mains devant moi, me frottant la tempe du bout de l’index alors que je cherche à préciser ce que je veux dire. 

-« Bien sûr, chez les maoris comme chez les anglais, la femme n’est pas l’égale de l’homme, comme je viens de te l’expliquer. Mais à mon sens, elles bénéficient tout de même de bien plus de possibilités pour s’épanouir, en dehors du mariage et de la maternité qui sont les seules voies ouvertes aux femmes en Grande Bretagne, avec la prise de voile. »

Je passe une main dans mes cheveux et sourit timidement à Tilda, toujours aussi attentive, avant de conclure.

-« Je ne sais pas si j’ai été très claire, mais c’est ainsi que je le ressens. »

Elle me sourit elle aussi, chaleureusement, et hoche la tête, marmonnant dans sa barbe, si bas que je ne l’entends pas et lui demande de répéter. Elle fronce les sourcils et semble hésiter une seconde avant de me répondre d’un ton extrêmement sérieux.

-« Je disais que, finalement, ça ne me déplaira peut-être pas. »

Je hausse un sourcil.

-«Tu en doutais ? »

Elle lève les yeux vers le haut, contemplant longuement le ciel avant de me répondre.

-« Quand nous avons quitté Papakura, mon unique souci était de m’éloigner de la ville. Je me disais que je pouvais t’accompagner jusqu’au kainga, le temps que les choses se calment, puis te laisser et aller voir ailleurs en ayant toujours la bourse que j’ai dérobée au marché et qui me permettrait de voir venir. Mais pas un instant, je n’ai envisagé sérieusement de m’installer au sein d’une iwi. »

Je ne suis pas vraiment surprise par ses doutes, par contre, je m’étonne de son revirement.

-« Et qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? »

Elle hausse les épaules et ramène son regard sur moi, me fixant avec beaucoup d’intensité, comme si elle cherchait quelque chose au fond de mes yeux. Peut-être devrais-je me sentir mal à l’aise sous ce regard inquisiteur, mais ce n’est pas le cas. L’impression que j’éprouve pour l’instant, est plutôt celle de plonger dans un lac d’eau tiède et accueillante, ou dans une lagune chauffé par le soleil et dans laquelle je me baignerais avec délice. Enfin, elle baisse les yeux et observe ses mains, paraissant  un peu embarrassée, alors qu’elle essaie de m’expliquer son changement de point de vue.

-« Ces quelques jours passés en ta compagnie, en pleine nature, dans des conditions auxquelles je ne suis absolument pas habituée, ont été parmi les meilleurs de ma vie. »

Elle secoue la tête, ses mains s’agitant comme si elle cherchait ses mots.

-« Entendons nous bien. Je n’ai jamais pensé que j’étais malheureuse lorsque je vivais à Aberdeen ou à Edimbourg, j’aimais beaucoup mes frères et sœurs, et ils me le rendaient bien. Nous étions très bien ensemble, et depuis mon départ d’Angleterre, il ne s’est pas passé une seule journée sans que je pense à eux. »

Elle repousse une mèche de cheveux qui est venue s’égarer sur son front, alors qu’elle  a toujours la tête baissée, puis reprend.

-« Cependant, je dois reconnaître que mes journées étaient chargées, et parfois plus que fatigantes. C’est peut-être pour cette raison que je souhaite tant mener une vie libre de contraintes, et d’être libre de faire ce qui me plaît, et non pas seulement ce que je dois. »

Elle se tait de nouveau et j’en profite pour me rapprocher d’elle, sans me lever, me contentant de prendre appui sur mes deux mains pour glisser sur mes fesses.

-« Penses-tu avoir trouvé la liberté que tu cherchais, ici, en pleine nature ? »

Elle hausse les épaules et relève enfin les yeux, me faisant un sourire un peu timide.

-« J’aime cette liberté dont nous profitons depuis notre départ de Papakura, mais ce n’est pas ce qui m’a fait changer d’avis. »

Elle détourne le regard et termine à voix basse.

-« Ce que j’apprécie le plus, depuis quelques jours, c’est ta compagnie. »

Elle n’attend pas que je réponde ou que je réagisse d’une manière ou d’une autre après ça. Elle pose une main sur la mienne, donnant une légère pression, puis se lève et s’éloigne, me jetant un « je reviens bientôt ! » par dessus son épaule avant de disparaître dans l’ombre des arbres. Je reste longtemps à regarder dans la direction qu’elle a prise, bien après qu’elle se soit enfoncée dans les bois, tentant de calmer les battements de mon cœur qui s’est emballé sans que je comprenne bien pourquoi.

Elle revient un long moment après, s’occupant de faire le feu et de préparer le repas comme si nos relations n’avaient pas changées dans l’après midi, à tel point que je me demande si, après tout, ce n’est pas le cas et si je suis la seule à être troublée, que ce soit par sa présence, par son sourire, ou par les paroles que nous avons échangées.

 

Allongée sur le sol, je contemple les étoiles. Ma somnolence de cet après midi, au pied du kauri, m’a sans doute trop reposée pour que je puisse trouver le sommeil. Je tourne sur moi-même, repoussant légèrement la couverture sur mes épaules pour jeter un coup d’œil sur la silhouette de Tilda, non loin de moi, que je distingue sans difficulté grâce à la pâle clarté de la lune. Enveloppée dans son châle, couchée sur le dos, je vois sa poitrine se soulever régulièrement au rythme de sa respiration. Là, sous la faible lueur lunaire, elle paraît extrêmement paisible. Je me soulève légèrement, prenant appui sur mon coude, et tournant complètement la tête pour mieux l’observer, m’interrogeant sur les émotions que j’éprouve de plus en plus souvent quand je la regarde, quand elle me sourit, ou mieux encore, quand par hasard, nos corps se frôlent. Je sens un frisson me parcourir alors que je repense au léger baiser qu’elle a déposé sur ma tempe, posant mes yeux sur ses lèvres entrouvertes, en me demandant quel effet cela ferait de poser les miennes dessus.

Je reste plusieurs minutes ainsi, à juste la regarder, puis pousse un profond soupir et me rallonge, espérant que si je garde les yeux fermés suffisamment longtemps, je finirai par m’endormir.

 

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Chapitre 7 :

 

J’aurais aimé que nous restions plus longtemps ici, tant je m’y sentais bien. Mais la cheville d’Amy va mieux, et si elle boitille encore, elle se sent tout à fait capable de marcher et refuse de prolonger notre séjour sur place. Sur mon insistance, elle a toutefois accepté que nous raccourcissions les étapes, haussant les épaules en me répondant avec un sourire joyeux que, de toutes façons, nous n’étions plus très loin du kainga.

Nous avons beaucoup parlé durant ces deux jours, moi, en tous cas. C’est d’ailleurs assez bizarre, alors que je n’ai pas l’habitude de me confier, et que mes proches me considéraient plutôt comme une jeune femme assez renfermée. Mais avec Amy, c’est différent. Elle a comme une espèce de don pour attirer les confidences, les miennes en tous cas. Il suffit qu’elle me regarde, et je lui dirai tout ce qu’elle veut savoir, juste pour la voir me sourire.

Je lui ai raconté en détails toutes les anecdotes amusantes dont j’ai pu me souvenir sur ma vie avec les petits, et il y en avait un certain nombre, mais le plus surprenant, c’est qu’elle a paru sincèrement intéressée, comme si elle voulait vraiment en savoir davantage sur moi, et sur ce qui m’a faite telle que je suis.

Je sors lentement de mes pensées, la regardant marcher doucement à quelques pas de moi, appuyée sur un long bâton qu’elle a ramassé au pied d’un manuka, et qu’elle utilise comme une canne. Je souris, songeant que, depuis qu’elle s’est foulée la cheville et que nous nous sommes trouvées obligées de rester sur place, notre relation comme doucement à changer, à évoluer. De simples étrangères quand nous avons quitté Papakura, nous sommes passées à quelque chose d’autre, quelque chose qui ressemble à… de l’amitié ?

Je secoue la tête, et m’exhorte en mon for intérieur, à être honnête avec moi-même. Je ne suis pas si innocente que je ne sache pas ce qui m’arrive : je suis très attirée par ma compagne de route, c’est aussi simple que cela.

J’ai vu certaines choses en prison, et avant cela, il m’était déjà arrivé d’éprouver ce genre d’attraction, et même d’y céder, à trois reprises exactement. Des étreintes brèves et jamais renouvelées, parce que je manquais de temps, bien sûr, mais surtout parce que je n’avais pas suffisamment d’attaches affectives avec mes partenaires. Mais, là encore, la situation n’est pas la même. Bien que nous nous soyons rencontrées il y a quelques jours seulement, je connais  beaucoup mieux Amy que les trois jeunes femmes avec lesquelles j’ai eu ces aventures.  D’une part parce que nous avons beaucoup parlé, que nous nous sommes ouvertes l’une à l’autre, et d’autre part, parce que depuis notre départ de Papakura, nous passons tout notre temps ensemble, comptant l’une sur l’autre pour une chose ou une autre, que nous ne nous quittons pas, ce qui nous a donné le temps et l’occasion de créer des liens bien plus solides que tous ceux que j’ai pu créer avec qui que ce soit jusqu’à présent, hormis ma famille.

J’en suis là de mes réflexions, lorsque je la vois s’arrêter, désignant d’un geste un petit lac, sur notre gauche. Je m’approche et jette un coup d’œil intéressé sur le point de vue.

Si le lac n’est pas très grand, ses eaux sont limpides, et ses abords, recouverts d’un sable apparemment très doux, paraissent tout à fait accueillants. A quelques mètres de là, un bosquet de pohutukawas dispense une ombre bienvenue sur la rive du lac. Quelques oiseaux, que je ne vois pas, chantent non loin de là, ajoutant une touche sonore à ce paysage tout à fait ravissant.

Souriante, je fais un geste en direction du lac, remuant les sourcils dans le même temps.

-« Tout ça ne te donne pas envie de prendre un bain ? »

Elle ne semble pas remarquer ma mine joueuse, et commence à répondre d’un ton très sérieux.

-« Oui, ce serait certainement très rafraîchissant, mais… »

Elle n’a pas le temps d’en dire plus que déjà, je suis sur elle, l’attrapant aux épaules d’un bras pendant que l’autre glisse derrière ses genoux, pour la soulever alors qu’elle pousse un cri de surprise. Je ris et me précipite vers le lac, ravie de constater que non seulement elle ne proteste pas, mais que passé le premier moment de surprise, elle s’accroche à mon cou, pas du tout effarouchée de se retrouver dans mes bras. Cependant, je dois dire que je ne m’attendais pas à ce qu’elle approche sa bouche de mon oreille, resserrant sa prise autour de mon cou, pour chuchoter, au moment où je pénètre dans le lac, l’eau m’arrivant déjà au niveau des chevilles.

-« Je ne sais pas nager, tu ne peux plus me lâcher maintenant. »

A vrai dire, je n’en avais pas tellement envie de toutes façons, mais je dois dire que si cette petite confidence m’étonne un peu, je n’hésite pas à profiter de l’occasion et continue d’avancer malgré ma jupe qui se colle contre mes jambes, jusqu’à ce que l’eau m’arrive à la taille. Là, je dépose délicatement Amy sur l’eau, laissant toutefois mes bras là où ils sont, sous ses épaules et ses genoux, pour ne pas qu’elle s’effraie, même si elle se rend sans doute parfaitement compte qu’elle a encore pied à l’endroit où nous sommes. A ce moment, elle détache ses bras de mon cou, laissant ses mains caresser doucement mes épaules une seconde avant de se dégager de mes bras et de se mettre debout, face à moi. Et puis, elle se met à rire, fait un pas en arrière et s’éloigne en nageant, plutôt bien de surcroît.

Je reste interdite une seconde, puis me lance à sa poursuite. Mais cela ne dure pas et elle revient rapidement près de la rive en pestant contre ses vêtements qui gênent ses mouvements. Je me hâte de la rejoindre, me plaçant face à elle, encore dans l’eau pratiquement jusqu’à mi-mollets, pour l’interroger.

-« Pourquoi m’as-tu menti ? »

Elle hausse une épaule et détourne le regard, un peu de rouge venant colorer ses joues.

-« Je n’avais pas envie que tu me lâches. « 

Je ne sais pas quelle réponse j’attendais, mais certainement pas celle-là. Cependant, je ne me laisse pas décontenancer, et me rapproche d’elle pour passer mes bras autour de sa taille, collant ainsi nos deux corps l’un contre l’autre.

-« Je peux te reprendre, si tu veux. »

Elle remet ses bras autour de mon cou et lève son visage vers le mien en se laissant aller contre moi.

-« Je veux. »

Je n’ai pas de réponse à ça. Je me contente donc de plonger mes yeux dans les siens, y cherchant un doute ou une crainte quelconque, mais je n’y vois que de la confiance, et une petite lueur que j’interprète comme étant du désir.

Très lentement, je me penche vers elle, sentant ses mains dans mes cheveux, qui me tirent doucement vers elle jusqu’au moment où nos lèvres se touchent. Je ferme les yeux, ne sentant plus ni la fraîcheur de mon chemisier mouillé sur le haut de mon corps, ni l’eau tout autour de mes chevilles. Je ne suis plus concentrée que sur la douceur de sa bouche, de son goût sur mes lèvres. Elle n’est pas la première femme que j’embrasse, mais jamais jusqu’à présent je n’avais ressenti cette espèce de plénitude, cette sensation de tenir dans mes bras une femme qui me donne l’impression d’être complètement faite pour moi.

Les pieds dans l’eau, je me noie dans son baiser, et ce n’est qu’au moment où nous sommes près de suffoquer, par manque d’air, que nous nous relâchons enfin. Immédiatement, Amy pose sa tête sur mon épaule, tandis que je me fonds entièrement dans notre étreinte, posant ma joue dans ses cheveux en laissant mes yeux errer sans but sur le paysage environnant,  savourant le moment. Elle resserre sa prise sur mon cou, et c’est quand je baisse le regard vers elle que je le vois.

J’ai beau savoir qu’à priori ils ne sont pas agressifs et qu’Amy les connaît, de le voir planté là à nous regarder fixement sans bouger, me fait légèrement frissonner d’appréhension. Dans mes bras, Amy, intriguée, se décolle un peu de moi pour me lancer un regard interrogatif auquel je réponds en lui désignant l’homme, sur la rive, d’un mouvement du menton. Un grand sourire illumine aussitôt son visage et elle se détache de mes bras, pour se précipiter vers le rivage, boitillant plus qu’elle ne marche alors qu’elle fait de grands signes en direction du maori qui la regarde venir sans manifester la moindre émotion.

Je la suis lentement, alors qu’elle est déjà arrivée auprès de l’homme que je prends ainsi le temps d’observer attentivement. Presque aussi grand que moi, jeune, vêtu d’un simple pagne qui lui ceint les reins, ses cheveux noirs tombent sur ses épaules musculeuses. Son visage est recouvert par un tatouage qui indique qu’il occupe une place importante au sein de l’iwi, et la massue d’une taille impressionnante qu’il porte sur le côté confirme cette impression. Amy le salue de la manière traditionnelle, en posant son nez sur le sien, ce qui m’amène à ressentir une surprenante pointe de jalousie, que je m’efforce de ne pas laisser paraître alors que j’arrive enfin à leurs côtés. C’est à ce moment qu’ils se relâchent, ma compagne de route se tournant aussitôt vers moi pour me présenter le guerrier.

-« Tilda, je te présente Nunui, un des membres de mon iwi, mais mon ami aussi. Quand je vivais parmi eux, je passais beaucoup de temps avec sa mère, et ses sœurs. Je faisais partie de sa whanau, sa famille élargie. »

Je hoche la tête et tend une main en direction de l’homme qui ne la saisit pas, se contentant de me rendre mon signe de tête tout en écoutant Amy. Je ne comprends pas ce qu’elle lui dit, mais je suppose qu’elle me présente, puisque je discerne mon prénom au milieu de la longue phrase qu’elle prononce en langue maori. Il lui répond brièvement, elle acquiesce, puis se tourne de nouveau vers moi.

-« Nunui va nous accompagner jusqu’au kainga. D’après lui, nous y serons dès demain, en fin de journée. »

Je lui souris, cachant du mieux possible le regret que j’éprouve à ne plus voyager seule avec elle, tout autant qu’à l’idée de la fin de notre périple. Peut-être ressent-elle mon malaise, parce qu’elle vient vers moi, souriant avec malice, pour se hausser sur la pointe des pieds afin de déposer un petit baiser sur ma joue. Ensuite, elle prend ma main dans l’intention de m’entraîner avec elle, alors qu’elle s’apprête à emboîter le pas de son ami guerrier qui s’engage déjà dans les bois, mais je résiste à sa traction, refusant d’avancer. Etonnée, elle se retourne et je m’empresse de lui rappeler qu’étant donné l’état de sa cheville, nous avions décidé de raccourcir les étapes. Elle grimace mais ne proteste pas, et hèle Nunui, qui revient, visiblement contrarié, mais écoute ses explications sans broncher, jetant seulement un regard en direction de sa cheville blessée. Amy lui dit encore quelques mots, auxquels il répond d’un grognement tout en me regardant avec une désapprobation évidente, puis ses yeux se posent sur ma main, toujours liée à celle d’Amy, et sa mine se fait presque boudeuse. Il ne dit rien à ce sujet toutefois, se tournant plutôt vers le lac en tendant le bras, désignant le bosquet tout proche de la rive en expliquant quelque chose à ma compagne qui hoche la tête en l’écoutant, puis me traduit succinctement les quelques paroles qu’ils viennent d’échanger.

-« Il suggère que nous passions la nuit dans le bosquet. Les arbres nous protègerons si le vent vient à se lever. »

Je n’aime pas la manière qu’a Nunui, de prendre les choses en main et d’essayer de prendre la direction des opérations comme si nous ne nous étions pas débrouillées sans lui, et malgré moi, mes lèvres se pincent, traduisant mon déplaisir. Amy interprète parfaitement cette moue et semble retenir un petit rire avant de m’expliquer.

-« Il est maori, Tilda. Il connaît parfaitement la région et la nature autour de nous, ce qui n’est pas mon cas et encore moins le tien. »

Un instant, je reste médusée qu’elle ait pu deviner ainsi mes pensées, et ça doit se voir sur mon visage, parce que cette fois, elle ne retient pas son rire. De stupéfaite, je deviens un peu vexée par son hilarité, mais me détend rapidement, et la suit sans rien dire de plus.

Pendant que Nunui part dans les bois en annonçant à mon amie qu’il s’en va en chasse, nous vaquons à nos occupations habituelles du soir, rassemblant notamment du bois pour faire un grand feu. Après quoi, je suggère à Amy de retirer ses vêtements mouillés. Mais alors qu’elle n’a jamais manifesté la moindre gêne à chaque fois que nous avons fait un brin de toilette, elle semble cette fois être un peu embarrassée, refusant d’un mouvement de tête, et se contentant de s’asseoir tout près des flammes. Amusée et un peu étonnée de cette timidité soudaine, je m’installe silencieusement à ses côtés, respectant sa pudeur en ne me déshabillant pas moi non plus. Je pense qu’elle apprécie l’attention, parce qu’il y une lueur de gratitude dans son regard alors qu’elle prend ma main avant de s’appuyer contre moi pendant que je passe mon bras sur ses épaules. C’est ainsi que Nunui nous retrouve lorsqu’il revient, balançant un weka au bout de son bras, et quelques plantes passées dans sa ceinture.

Durant le repas d’abord, la soirée ensuite, je tente tant bien que mal d’établir un contact un peu plus chaleureux avec le taciturne guerrier maori. Bien sûr, la barrière du langage ne nous aide pas, mais Amy paraît ravie de jouer les interprètes.

En premier lieu, Nunui me parle de son moko, son tatouage facial, qui indique son rang. Fier de la place de son père, qui est ahupiri, c’est à dire chef de haut rang, il m’explique que le moko donnant des informations sur sa lignée paternelle se trouve du côté droit de son visage, alors que sa lignée maternelle elle, se trouve sur le côté gauche. Ensuite, il évoque rapidement sa mère, ses trois sœurs et ses deux frères cadets, avant de glisser un mot au sujet sa whanau, sa famille élargie, comprenant une multitude de cousins, et qu’Amy a intégré durant son précédent séjour au sein de l’iwi. Enfin, il termine en me conseillant de fréquenter, au moins pendant un temps, la whare wananga, maison de réunion du village, où l’on m’enseignera les principales coutumes maoris, ainsi que les bases de la langue, tout cela dans le but de m’aider à m’intégrer et de m’éviter de commettre des impairs. Je hoche consciencieusement la tête à ces paroles, cela suffisant apparemment à satisfaire Nunui qui, estimant sans doute qu’il en assez dit pour ce soir, s’allonge ensuite au pied d’un arbre, directement sur le sol, s’endormant particulièrement rapidement. Quant à moi, il me faut beaucoup plus de temps pour cela, mais je suppose que la proximité de mon amie, qui a installé sa couverture tout près de moi avec un petit sourire timide comme je ne lui en avais pas encore vu, n’est pas étrangère à ce fait, mon cœur battant un peu plus rapidement que d’habitude en raison de ce rapprochement.

 

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Chapitre 8 :

 

Je devrais me lever, mais je n’en ai aucune envie. Non loin de là, il me semble entendre Nunui qui patauge dans le lac, mais ce n’est pas ce qui m’empêche de d’ouvrir les yeux, ni de bouger. Non, si j’ai tant envie de rester là, c’est tout simplement parce qu’en dormant, Tilda et moi nous sommes inconsciemment rapprochées l’une de l’autre, et je me trouve maintenant confortablement nichée au creux de ses bras, à un endroit où je me sens si bien que j’ai l’impression d’y avoir trouvé ma place.

Finalement, c’est elle qui se dégage, si doucement que je suis persuadée qu’elle me croit encore endormie. Je ne fais rien pour la détromper, entrouvrant seulement légèrement mes paupières pour l’observer discrètement entre mes cils. Maintenant debout, elle rajuste son chemisier sur ses épaules avant de replier lentement son châle pour le glisser dans son baluchon qui lui a servi d’oreiller, puis dans le sac.

Je me décide alors à me lever, secrètement ravie de la voir me regarder m’étirer, puis m’approche d’elle pendant qu’elle est occupée à préparer le thé. J’attends patiemment qu’elle finisse et se redresse pour poser doucement ma main sur son avant bras, l’amenant ainsi à se tourner vers moi, un sourcil interrogateur levé haut sur son front.

-« Je voulais seulement te dire bonjour. »

Après ça, je pose délicatement un petit baiser rapide sur ses lèvres, me détournant immédiatement pour me diriger vers le lac et Nunui qui revient avec deux belles truites à la main. Il sourit et presse le pas en me voyant sur la rive, apparemment heureux de ses prises.

Ensemble, nous rejoignons Tilda, qui nous sert un quart de thé à chacun, sirotant ensuite le sien en me jetant de petits regards amusés auxquels je réponds en lui faisant des grimaces. Nous aurions pu jouer longtemps comme ça, mais Nunui pressé de retourner au kainga nous interrompt, nous faisant comprendre d’un geste qu’il est prêt à partir. Debout, les jambes légèrement écartées, une main sur la massue accrochée à sa taille pendant que l’autre maintient sur son épaule le bâton sur lequel il a embroché les deux truites, il cache mal son impatience alors que nous rangeons nos quelques affaires dans le sac, puis que nous éteignons le feu. Ce n’est qu’une fois que nous nous mettons en route qu’il semble se détendre, réfrénant même son envie de presser le pas pour que je ne fasse pas trop d’efforts sur ma cheville blessée.

 

 

Nous arrivons au kainga le surlendemain, en fin de matinée. Mon ami guerrier aurait préféré accélérer l’allure de manière à toucher au but la veille, mais Tilda est restée particulièrement intransigeante concernant la décision de raccourcir les étapes, et dans la mesure où j’avais donné mon accord, je l’ai soutenue, même si ma cheville va mieux de jour en jour.

La première personne que je vois, marchant entre les huttes en direction de la rivière sans doute pour aller chercher de l’eau, est Raunui, la mère de Nunui. Je lui fais un signe de la main et aussitôt, elle vient vers moi en tendant les bras, posant son nez et son front sur les miens dans une énorme étreinte et ne me relâchant que pour appeler tous ceux qui passent là, faisant de grands gestes exubérants pour être sûre que personne ne manque de remarquer ma présence. Très vite, une véritable petite foule se presse autour de nous, gesticulant et bavardant bruyamment, riant haut et fort en se bousculant dans une cohue particulièrement joyeuse.

Bien que j’apprécie grandement la gaieté et l’enthousiasme avec lesquels je suis accueillie, et quel que soit le plaisir que j’éprouve à retrouver tous ces gens parmi lesquels je me suis sentie si bien durant les six mois passés avec eux, je n’en oublie pas Tilda pour autant. Raide et semblant un peu mal à l’aise, elle observe le groupe joyeux qui m’entoure d’un œil légèrement effaré, ne se détendant que lorsque je parviens à m’approcher d’elle et à saisir sa main dans la mienne, en profitant pour entrelacer doucement ses doigts avec les miens. Et puis, je lève mon autre main, dans l’espoir d’obtenir un peu de silence, ou tout du moins, de calmer un peu l’exubérance de mes amis maoris. Cela prend un peu de temps, néanmoins je parviens à attirer suffisamment l’attention de tous ceux qui sont là pour prendre la parole et leur présenter mon amie.

Ils se tournent vers elle sans cacher leur curiosité, certains la détaillant de bas en haut tandis que d’autres, plus amicaux, viennent lui flanquer une tape sur l’épaule. Elle leur sourit en retour et tente de faire bonne figure, même si elle n’est manifestement toujours pas complètement à l’aise, se retenant visiblement de danser d’un pied sur l’autre. Et c’est alors que l’agitation repart de plus belle, au moment où la plupart des villageois commencent à s’extasier sur les yeux bleus de Tilda, qu’un grand silence, particulièrement surprenant après la cacophonie qui régnait jusque là, s’abat sur notre petit groupe. Avec une incroyable rapidité, tous ceux qui nous entouraient s’écartent de nous, reculant chacun d’un ou deux pas, à l’exception de Raunui, qui elle, s’avance vers celui qui a provoqué ce changement d’attitude brutal parmi les maoris.

Accompagné de Nunui, le nouveau venu fait un geste pour stopper l’avancée de son épouse, lui même marchant encore quelques pas pour se planter à deux mètres, face à nous. Aussitôt, je donne une pression ferme sur la main de Tilda, toujours dans la mienne, attirant ainsi son attention avant de m’incliner respectueusement devant Teiki, le chef de l’iwi. Mon amie fait la même chose, et nous ne nous redressons que lorsque nous entendons un grognement guttural sortir de la gorge du chef. Il vient vers nous et me salue affectueusement de la manière traditionnelle, puis se tourne vers Tilda, qu’il observe longuement avant de faire un signe de tête apparemment approbateur.

Maintenant que le protocole est respecté, je présente officiellement mon amie à Teiki, lui expliquant ensuite que nous comptons nous installer de façon durable au kainga, s’il le permet. Je sens un peu de rouge me monter aux joues alors que je m’engage en lieu et place de mon amie qui ne m’a jamais rien dit de tel, mais je ne m’imagine pas demander au chef la possibilité pour elle de faire un essai, ni encore moins, de rester ici moi-même en la laissant s’en aller.

Teiki prend le temps de réfléchir à ma requête avant de me répondre de sa belle voix grave qu’il n’y a aucun problème en ce qui me concerne, mais qu’il ne donnera son accord au sujet de Tilda qu’après avoir jugé de son degré d’implication dans la vie de la communauté. Je traduis brièvement pour mon amie qui hoche la tête, donnant ainsi son accord, puis le chef s’éloigne lentement en compagnie de son fils, tandis que Raunui nous entraîne vers la hutte que nous allons partager avec d’autres femmes de la whanau.

 

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Epilogue :

 

La première semaine a été très difficile pour Tilda, plus décontenancée qu’elle ne voulait le reconnaître par un changement aussi radical de manière de vivre. Pourtant, elle ne s’est jamais découragée, se rendant chaque jour à la whare wananga, apprenant consciencieusement tout ce qui lui était enseigné, jusqu’à ce qu’elle se sente de plus en plus à l’aise, notamment quand elle a pu s’exprimer sans passer systématiquement par moi pour traduire, puis qu’elle commence à vraiment aimer la vie au kainga

J’aime à croire que je ne suis pas étrangère à l’évidente bonne volonté dont elle a fait preuve, et à son désir d’intégration, notre relation ayant lentement évolué vers quelque chose de très profond. D’abord un peu timide, comme si nous n’osions pas y croire nous-mêmes, notre amour s’est développé doucement, basé en premier lieu sur la confiance que nous avons l’une envers l’autre, mais aussi sur l’estime et l’espèce d’admiration mutuelles que nous éprouvons, elle pour ma douceur et ma répugnance à faire du mal à qui que ce soit, y compris les animaux les plus insignifiants, et moi, notamment pour sa force de caractère et sa vive intelligence.

Parmi la multitude de souvenirs que j’ai engrangés au fil des années, celui de la construction de notre hutte, puis de notre emménagement, reste l’un des plus forts. C’est Tilda qui a convaincu le chef qu’il était temps pour nous de bâtir notre propre hutte et de quitter celle dans laquelle nous vivions jusque là, en compagnie des autres femmes célibataires de la whanau. Toute l’iwi nous a aidées ce jour là, et ce fut un chantier particulièrement joyeux durant lequel nous sentîmes que nous faisions partie intégrante du kainga.

Ce soir là, après que tous nos compagnons soient partis, mon amie m’a prise dans ses bras, me portant comme elle l’avait fait quelques mois auparavant juste avant que Nunui ne vienne à notre rencontre, et m’a déposée délicatement sur notre couche, m’embrassant avec un mélange de douceur et de passion qui réveilla immédiatement en moi des hormones que j’avais, de toutes façons, de plus en plus de mal à contrôler.

La douceur dont elle fit preuve ensuite, éveillant doucement ma sensualité tout en prenant garde à ce que je n’éprouve aucune douleur, le dispute dans ma mémoire, à la fougue qu’elle ne retint plus par la suite, et à laquelle je répondis avec un enthousiasme émerveillé que j’éprouve encore à chaque fois que je suis dans ses bras.

 

Cela fait longtemps que nous sommes ici à présent. Au fil des années, nous avons connu une épidémie d’influenza qui provoqua de très nombreux décès dans le kainga, puis une guerre contre une iwi voisine qui reprochait à Teiki d’être trop proche des britanniques, et même le départ de quelques jeunes, fascinés par la civilisation anglaise, qui partirent pour Auckland dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie.

Les années ont passé, le vingtième siècle n’est plus très loin maintenant. Peut-être ne serons-nous plus là, mais ça n’a guère d’importance. Nous avons vécu une vie libre, heureuse et remplie de plus d’amour que nous n’aurions pu l’imaginer étant jeunes. Tout cela grâce à l’exil forcé de Tilda par la justice de sa Majesté. Alors, infiniment reconnaissante, je sais que, lorsque viendra pour moi l’heure de quitter ce monde, ma dernière pensée sera : God save the queen !

 

 

 

 

 

Quelques mots maoris, et leur signification :

 

Aotearoa : L’île au long nuage blanc. La nouvelle-zélande.

 

Iwi : Tribu

 

Kea : Sorte de perroquet néo-zélandais

 

Kainga : Village

 

Kauri : Grand conifère très commun en Nouvelle-Zélande

 

Moko : Tatouage, art du tatouage

 

Pakeha : Etre humain à la peau blanche

 

Pohutukawa : Arbre à tronc multiple qui se couvre d’une multitude de fleurs rouges au début                               de l’été.

 

Tu : Dieu de la guerre dans la mythologie maorie

 

Manuka : Arbrisseau parfois appelé « arbre à thé. »

 

Pukekos : Oiseaux au plumage sombre et au bec rouge.

 

Nouvelles Galles du Sud : L’actuelle Australie.

 

Weka : Oiseau coureur néo-zélandais

 

Whanau : Famille élargie

 

Whare wananga : Maison de réunion.

 

Ahupiri : Chef de haut rang responsable d’une confédération de tribus

 

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Commentaires
G
Merci à toi pour tous ces éloges, sur des textes qui ne sont pas forcément récents mais que j'avais pris autant de plaisir à écrire que tu en as (apparemment) eu à les lire..
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E
Vraiment intéressant, je ne peux pas me permettre de faire des commentaires chaque fois car se serait trop répétitif mais bon sang !!! Gaxé, j'adore ton style d'écriture !!! Il y a quelques unes de tes fanfics qui me plaisent particulièrement, pas forcément celles que j'ai commenté ... <br /> <br /> Je passe vraiment un excellent moment à lire chacun de tes textes.<br /> <br /> Un très grand MERCI ^^ . :-)
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