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2 août 2020

Les voleurs d'eau, de Gaxé, partie 2

Deuxième partie

Merci à Atr_ pour ses conseils avisés

 

                                                        LES VOLEURS D’EAU

 

Encore une fois, c’est la main de Léna sur mon épaule qui me tire du sommeil. Je bâille, m’étire et regarde autour de nous. Nous sommes dans la nature, tout près d’un petit bosquet dont les arbres sont plutôt serrés et surtout dont les branches portent encore de nombreuses feuilles, et je devine que c’est là que ma camarade a l’intention d’abandonner la voiture. C’est vers elle que je tourne maintenant mon regard et je constate qu’elle n’a pas très bonne mine, sans doute parce qu’elle a passé bien trop de temps sans dormir

« Tu devrais te reposer. Est-ce que nous sommes loin de la frontière ? »

Je saute du coq à l’âne, ce qui semble l’amuser, mais elle répond gentiment après avoir jeté un coup d’œil au compteur, sur le tableau de bord.

«Nous avons parcouru environ deux cents kilomètres, c’est plutôt pas mal si on tient compte du fait qu’il n’est que 6 heures du matin. Et si nous parvenons à faire entrer la voiture là-dedans, je ne serais pas contre quelques heures de sommeil. » 

Je regarde le bosquet, dubitative.

« Ce serait certainement une bonne cachette, mais je ne suis pas sûre qu’il soit possible de rouler là-dedans. C’est vraiment serré. »

Elle me sourit gentiment et dessine un cercle imaginaire du bout de son index.

« J’ai fait le tour pendant que tu dormais. Je pense que l’espace est suffisant de l’autre côté. »

C’est donc ainsi que nous faisons. En réalité, il a été difficile de pénétrer à l’intérieur du bosquet, et la voiture a maintenant quelques rayures, quelques marques sur chacun des côtés, mais il faut reconnaître que la cachette est bonne. Léna est vraiment fatiguée et, sitôt le moteur à l’arrêt, s’installe confortablement derrière le volant, ne tardant pas à s’endormir. Un moment, je pense à faire la même chose, si j’ai pris davantage de repos qu’elle ces derniers jours, je ne suis pas encore dans la forme de ma vie, mais finalement, je décide plutôt de rester éveillée et de surveiller un peu les environs.

Je ressors donc du bosquet, et observe un peu les alentours. Nous sommes à la campagne, en pleine nature et je ne vois pas une seule habitation, pas une seule ferme à l’horizon. Ce n’est sans doute pas plus mal pour le moment. La région paraît plutôt plate, avec très peu de reliefs et encore ceux-ci ne sont-ils pas bien hauts. Je ne distingue pas de route à proximité et n’entend aucun bruit de moteur indiquant que des véhicules se déplacent non loin d’ici, mais il est encore tôt et peut-être que ce ne sera plus le cas d’ici une heure ou deux. En attendant, je retourne à la voiture, dans le bosquet, et commence à fouiller dans les quelques affaires des gardes qui sont restées là.

Dans les sacs à dos, pratiquement les mêmes que le mien, je trouve des gourdes, pleines, quelques barres énergétiques, une petite boite à pharmacie, et trois ou quatre boites de ration que je dépose soigneusement à l’avant. Un tee-shirt propre, bien trop grand pour moi mais qui pourrait aller à Léna et qui lui permettra de se changer, mais surtout, je trouve une carte, détaillée de tout le pays. 

Je la consulte un long moment, la plie et la range dans ma poche, puis je m’installe dans l’herbe, réfléchissant à ce que nous allons bien pouvoir faire maintenant. La première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’apparemment, je n’ai plus envie de me séparer de Léna et que tant que cette aventure se poursuivra, j’aimerai autant la vivre en sa compagnie. Je ne sais pas exactement ce qui a changé mon état d’esprit, peut-être l’espèce de loyauté dont elle a fait preuve lorsque les militaires sont venues l’arrêter….

Evidemment, j’ai fini par m’endormir. Léna m’a de nouveau réveillée, un petit sourire moqueur sur les lèvres, mais n’a pas fait de commentaire. Je me relève lentement, pas très fière de moi, n’importe qui aurait pu arriver ici et nous attaquer pendant que nous dormions toutes les deux, mais heureusement, ça n’a pas été le cas. Pour ma défense, nous avons beaucoup marché et pris fort peu de repos depuis plusieurs jours et l’épuisement m’a rattrapée. Je fais quelques pas, histoire de repousser les dernières traces de sommeil, puis me tourne vers ma compagne. Elle a sorti son uniforme de son sac à dos et déchire le morceau de tissu qui porte son nom et son matricule, faisant un geste vers moi pour m’inciter à faire la même chose avec ma propre tenue en m’expliquant :

« Il vaut mieux que nous n’ayons plus rien qui nous rattache avec l’armée sur nous, ce ne serait pas prudent. Quant aux « étiquettes nominatives », si je puis dire, nous les détruirons à la première occasion. »

Elle a raison, bien sûr. Alors, je fais la même chose qu’elle tout en lui parlant de ce que j’ai trouvé dans les affaires des soldats, ou des gardes-frontières. Elle hoche la tête à chaque chose que j’énumère, mais la seule information qui parait vraiment l’intéresser, c’est la carte. Pourtant, c’est vers moi qu’elle se tourne après avoir déplié la carte déposée sur le capot de la jeep.

« D’abord, il faut que nous décidions où nous voulons nous rendre. Ensuite, il va nous falloir décider des moyens que nous emploierons pour y aller. D’accord avec ça ? »

Je hoche la tête.

« J’ai déjà pensé à tout ça quand j’étais dans l’herbe, avant de m’endormir. Pour ma part, je crois que la capitale, la plus grande ville du pays, serait l’endroit  idéal pour passer inaperçues. Quant à la façon de nous déplacer, nous n’avons pas d’argent, alors le stop me parait la meilleure, et la seule, solution. »

De nouveau, Léna regarde la carte, posant son index sur le point qui indique la capitale du pays avant de revenir vers un autre lieu, plus proche de la frontière que je suppose être celui où nous nous trouvons maintenant.

« Va pour la capitale, ce n’est pas tout près, mais tu as sans doute raison, ce sera plus discret. En ce qui concerne le stop, c’est sûrement la seule solution mais il va falloir qu’on trouve une histoire, quelque chose à raconter si on nous pose des questions. Les gens sont curieux parfois. »

C’est avec un petit sourire triomphant que je réponds.

« J’ai pensé à ça aussi. »

Je fais un geste de la main entre nous deux.

« Puisque j’ai encore des marques de coup sur le visage, on pourrait raconter que je fuis ma famille, où quelqu’un me bat, et que tu m’accompagnes. Nous ne nous ressemblons pas suffisamment pour nous faire passer pour des sœurs, ni même des cousines, mais tu pourrais être une amie, une voisine qui m’aide, m’accompagne dans ma fuite. Qu’en penses-tu ? »

Elle me dévisage attentivement avant de répondre d’un ton très sérieux.

« Tu as encore des marques, oui, mais elles sont déjà en train de s’estomper. Il va falloir que je t’en fasse d’autres. »

J’écarquille les yeux de stupeur et je recule d’un pas, incapable de croire qu’elle puisse envisager de faire une chose pareille. Et puis, elle éclate de rire, si longtemps qu’elle en perd le souffle. D’abord un peu vexée de cette hilarité, je finis par la partager. Après ça, et une fois qu’elle a repris son sérieux, elle pose une main sur mon épaule.

« Je ne te ferai pas ça, Gabrielle…. Mais je le dirai peut-être de nouveau. Rien que pour revoir la tête que tu as faite à ce moment-là. »

Elle retourne consulter la carte et me montre un point sur le papier.

« Et si on commençait par aller ici ? »

Je regarde le nom de la localité qu’elle m’indique et observe le trajet en partant de l’endroit où je pense que nous nous trouvons, surprise que l’agglomération en question ne soit pas dans la ligne droite qui nous amènerait à la capitale, mais quand j’interroge Léna, sa réponse montre que je ne suis pas la seule à avoir réfléchi à la question.

«Il serait préférable que nous ne donnions pas trop d’indication sur la direction que nous prenons, autant faire quelques zig-zags. Je ne crois pas que les soldats de mon pays, ou du tien, viennent nous chercher en pays neutre, mais nous avons volé une voiture après avoir éliminé des gardes-frontière. Ici, personne n’a idée de nos identités, et je doute qu’ils posent la question à nos états-majors respectifs, mais il vaut mieux être prudentes. »

Je hoche la tête, je suis d’accord avec ça. Léna replie soigneusement la carte, la glisse dans sa poche de pantalon puis met son sac à dos sur ses épaules avant de se tourner vers moi.

« Nous avons dormi longtemps et la journée est déjà bien avancée. On devrait commencer à avancer un peu. »

Encore une fois, je suis d’accord avec elle. Je prends mon propre sac et nous quittons le bosquet, avançant de nouveau vers l’Ouest en espérant rencontrer rapidement une route.

 

**********

Nous sommes au bord d’une route de campagne sur laquelle la circulation n’a rien de dense. Peu de véhicules, et aucun ne s’arrête pour nous. Nous marchons sur le bas-côté, nous retournant le pouce tendu dès que nous entendons un moteur. Mais la chance ne semble pas être avec nous et il faut environ quatre heures avant qu’une camionnette s’arrête enfin.

C’est un fourgon gris à l’arrière découvert, et nous installons toutes les deux à l’avant, moi contre la portière et  Gabrielle entre moi et le chauffeur. Celui-ci, un homme d’une bonne cinquantaine d’années, au visage recouvert d’une barbe de trois jours poivre et sel et au crâne chauve couronné de rares cheveux  plus blancs que gris, nous encourage à monter d’un geste du bras. Son sourire à demi édenté est amical, et malgré la fumée du mégot qui pendouille à la commissure de ses lèvres, l’odeur dans la cabine n’est pas nauséabonde, sans doute parce que les deux vitres sont ouvertes. Il ne roule pas bien vite et c’est heureux parce que son regard est plus souvent posé sur nous que sur la route, mais il a l’air sympathique, c’est déjà ça.

C’est un homme bavard qui s’est arrêté pour nous faire monter dans sa fourgonnette. Dès notre arrivée, les questions ont commencé à pleuvoir. Sur ce que nous faisions là, au bord de la route, en premier lieu. Je ne participe guère à la conversation, mais Gabrielle est très à l’aise et raconte l’histoire que nous avons élaborée avec beaucoup de naturel. Il jette un coup d’œil appuyé sur les marques que portent encore le visage de ma compagne de route et grimace en secouant négativement la tête, si visiblement choqué que certains puissent frapper ainsi une jeune femme, que je m’en sens presque gênée. Après cela, il commence à nous raconter sa vie.

« La vie à la ferme n’est pas facile tous les jours, vous savez. C’est la fin de l’été, le travail ne manque pas. Malheureusement, les bras eux, sont en nombre bien insuffisants. A cette saison, il y a les moissons, le foin à rentrer et nous ne sommes que trois : mon fils, ma femme et moi. Evidemment, je ne suis pas aux champs maintenant, puisque je suis sur la route, avec vous. Je suis allé vendre des tomates au marché. Je n’en avais pas beaucoup, mais je n’allais pas les laisser se perdre, vous comprenez. Ma femme s’occupe principalement des bêtes, nous n’en avons pas tant que ça mais elles nécessitent des soins quand même. Et puis il faut aussi s’occuper de la maison, il y a tant de choses à faire. Pendant que j’étais au marché, je me suis renseigné, j’ai essayé de demander à quelques jeunes gens s’il voulait un peu de travail, mais les jeunes ont si fainéants de nos jours… »

Il parle d’une traite, semblant ne jamais vouloir s’arrêter, et au bout d’un moment, je ne l’écoute plus. Mais Gabrielle, elle, n’a rien perdu et ne rate pas l’occasion n’hésitant pas à lui couper la parole.

« Vous pourriez nous embaucher. Nous sommes jeunes, pleines d’énergie et certainement pas paresseuses. »

Il tourne son regard entièrement vers elle, heureusement nous sommes sur une ligne droite, pour lui jeter un coup d’œil éberlué. Gentiment et en souriant, mon ex-prisonnière fait un geste de la main vers la route et ce n’est qu’après qu’il se soit de nouveau, plus ou moins, concentré sur sa conduite, qu’elle confirme ce qu’elle vient de dire, sans même me demander mon avis.

« Comme je viens de vous l’expliquer, je me suis enfuie d’un foyer où on me battait et un travail, même provisoire, sera bienvenu. Quant à ma camarade ici présente, elle a tout abandonné pour m’accompagner et n’est pas plus riche que moi. »

A aucun moment nous n’avons parlé de prendre le temps d’accepter un petit boulot, mais malgré tout, je n’élève pas d’objection, nous n’avons pas un sou et un peu d’argent ne nous sera pas inutile. Je me tais donc pendant que l’homme au volant recommence à parler, empêchant même Gabrielle d’en placer une.

« Vous pensez pouvoir travailler à la ferme ? C’est un travail physique, pénible, vous savez. En ce moment, nous rentrons les foins. Si soulever des poids ne vous fait pas peur, nous pourrons peut-être nous arranger. Nous ne sommes pas éleveurs, seulement cultivateurs, mais nous avons tout de même des poules, des lapins et quelques chèvres. Je fabrique le fromage avec ma femme, ça nous prend beaucoup de temps, mais nous en tirons de bons bénéfices. Cette ferme appartenait à mon père, et à mon grand-père avant lui, j’ai grandi ici, et j’ai de beaux souvenirs, jusqu’à ce que nous commencions à manquer d’eau. »

Il s’interrompt un instant, le temps de rallumer son mégot, avec un briquet ce qui l’oblige à lâcher son volant, puis recommence aussitôt à jacasser.

« Où est ce que j’en étais ? Ah oui, l’eau. Ça a été un vrai problème pendant quelques années, jusqu’à ce que notre gouvernement aie cette idée de génie… »

A ces mots, je suis tout de suite plus attentive, intéressée et curieuse de savoir comment ce pays a géré la pénurie d’eau, et je tends l’oreille alors qu’il reprend la parole.

« Vous êtes trop jeunes pour vous en souvenir, bien que ça ait touché tout le pays, mais pendant un temps, nous avons bien cru que nous ne pourrions pas poursuivre notre activité, j’étais encore un jeune homme, mais je me rendais bien compte que la situation devenait catastrophique, et mon père était encore plus pessimiste. Ça s’est arrangé juste à temps, mon père a pu garder la ferme, nous avons même réussi à agrandir un peu notre surface cultivable. Et pendant ce temps, les pays voisins, celui du Sud et celui du Nord, ont commencé à se faire la guerre. Ça nous a bien arrangés, on ne s’en serait pas sortis sans ça. Pas nous seulement, mais le pays entier. Et pendant ce temps, le pays du Sud et celui du Nord qui n’avaient rien compris, n’ont même pas cherché à comprendre comment on avait fait pour s’en sortir, les crétins ! »

Il s’esclaffe, ce qui nous permet de bénéficier d’un court moment de silence que je mets aussitôt à profit pour essayer de réfléchir à ce qu’il vient de dire. Près de moi, Gabrielle a les sourcils froncés et paraît un peu déconcertée alors qu’elle jette un regard surpris en direction du conducteur. Pour ma part, je fouille ma mémoire, cherchant dans mes souvenirs quelque chose, quoi que ce soit, qui puisse m’indiquer ce qu’il a voulu dire. Mais évidemment, je ne sais même plus qui sont les voleurs d’eau puisque un des deux états, le mien ou celui de ma compagne, a menti à sa population. Je porte mon index à mon menton avec l’impression que ce qu’a dit l’homme devrait me donner un indice, mais je n’ai pas le temps de mettre le doigt dessus qu’il recommence à bavarder.

« C’était une drôle d’époque que nous avons vécu en ce temps-là. Le pays s’était beaucoup appauvri, à cause du manque d’eau, même quand les grands travaux ont commencé, d’autant qu’il fallait les faire avec le plus de discrétion possible. Notre gouvernement avait même tenté une sorte de diversion, en allant mendier de l’eau aux pays voisins. Et ça a marché ! Nous avons failli connaitre la misère, mais tout s’est arrangé. Et puis les autres ont commencé à se battre. En tous cas, la vie à la ferme a tout de suite été plus facile. Nous avons planté du maïs, ce qu’on ne faisait plus depuis quelques années, et nous avons recommencé à vivre confortablement. C’est à cette époque-là que j’ai rencontré ma femme, au bal du village. Elle était vive et mince, j’étais fringant et j’avais des cheveux sur tout le crâne. Nous nous sommes plus tout de suite et nous nous sommes mariés un peu plus d’un an plus tard. Mes parents étaient si contents, parce que ma sœur a épousé un gars de la ville et n’habitait déjà plus dans la région…. »

Je ne l’écoute plus, je réfléchis. Et puis, au bout de quelques minutes, je crois que je finis par trouver.

 

********

Cet homme est incroyable. Quand je pense qu’on accuse toujours les femmes d’être bavardes…   Quoi qu’il en soit, j’ai ressenti un véritable choc en l’entendant parler de la pénurie d’eau et même s’il n’a pas précisé la manière que le gouvernement a utilisé pour résoudre le problème, il a trop insisté sur la guerre entre mon pays et celui de Léna pour que ça n’ait pas de rapport. Mais j’y réfléchirai plus tard, pour l’instant, l’homme vient de tourner à droite, et engage sa fourgonnette sur un chemin de terre. Après une minute, il stoppe son véhicule devant une maison de plain-pied, sans étage, à côté de laquelle je distingue une grange, ainsi qu’un ou deux autres bâtiments un peu plus petits derrière. Apparemment, nous sommes arrivés à destination. Immédiatement, Léna attrape la poignée et ouvre la portière contre laquelle elle a été appuyée durant tout le trajet, mais avant qu’elle descende, l’homme se tourne vers nous.

« A propos, je m’appelle Guido. »

Il nous tend une main calleuse que nous serrons tout en nous présentant l’une et l’autre. Ensuite seulement, nous sortons du véhicule. Un chien accourt vers nous en remuant la queue et nous salue d’un petit aboiement joyeux avant d’aller exprimer sa joie de le revoir à son maitre qui le gratifie d’une caresse. Et puis, derrière lui, arrive un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, de taille moyenne mais bien bâti qui nous dévisage avec curiosité avant de jeter un regard interrogatif à Guido. Celui-ci pose une main sur l’épaule du garçon et tend l’autre bras vers nous.

« Tom, je te présente Léna et Gabrielle qui vont nous aider à la ferme pendant quelques jours. Les filles, je vous présente mon fils, Tom. »

Le jeune homme s’avance pour nous serrer la main. Il y a une ressemblance certaine entre les deux hommes, hormis les cheveux bruns et bien fournis du plus jeune. Il nous sourit gentiment puis nous désigne la maison d’un geste du bras.

« Venez, je vais vous présenter ma mère. Après quoi, mon père pourra vous expliquer ce qu’il attend de vous. »

Nous nous dirigeons donc tous les quatre vers la maison. Sur le seuil, une femme, sans doute l’épouse de celui qui nous a pris en stop, vient d’apparaitre et nous regarde venir. Elle a environ le même âge que Guido, ses cheveux, abondants, son gris et si elle était mince dans sa jeunesse, c’est une époque révolue. Mais sa silhouette replète est gracieuse et son sourire avenant alors qu’elle nous accueille dans une vaste cuisine au centre de laquelle trône une grande table de bois sombre. Nous nous présentons, (elle se prénomme Marga) puis nous asseyons tous autour de la table. Les hommes et Léna boivent une bière alors que je me contente d’un verre d’eau bien fraiche, tout comme la maitresse de maison.

J’écoute attentivement ce que nous explique Guido, notant mentalement les tâches qu’il nous assigne : principalement les foins pour Léna, en compagnie de Tom, pendant que pour ma part, je travaillerai surtout avec Marga. Nous nous occuperons des volailles, des lapins, des chèvres, et du jardin potager, situé derrière la maison et qui est relativement grand d’après notre nouveau patron.

Nous avons attendu longtemps au bord de la route avant que Guido ne s’arrête et l’après-midi touche à sa fin. Pendant que Marga commence à préparer le repas et que son époux va rentrer le tracteur, selon ce qu’il nous dit, Tom, lui, nous emmène vers la grange où nous allons passer nos nuits.

Apparemment, ce n’est pas la première fois que cet endroit sert de chambre à coucher puisqu’il se trouve là une demi-douzaine de lits de camp. Sur chacun d’eux est posé un petit paquetage enveloppé  dans du plastique pour le protéger de la poussière. Dans ces paquets se trouvent une couverture, un oreiller et des draps. Il fait très chaud ces jours -ci et je doute que nous utilisions les couvertures, mais nous remercions le jeune homme qui nous a accompagnées puis nous commençons à faire nos lits pendant qu’il quitte la grange.

Depuis que nous sommes descendues de la camionnette, Léna n’a pratiquement pas prononcé une parole et un pli de contrariété est apparu sur son front. Elle n’a rien dit non plus lorsque j’ai choisi, parce que nous n’étions jamais éloignées quand nous dormions dehors,  le lit voisin du sien. Mais je préfère l’interroger avant que nous retournions à la maison partager le repas du soir de Guido et de sa famille.

« Quelque chose te contrarie, Léna. Tu veux m’en parler ? »

Elle me jette un regard un peu étonné, comme si elle avait oublié ma présence. Et puis, elle pose une main légère sur mon avant-bras, m’indiquant ainsi qu’elle préfère me parler avant que nous ne sortions de la grange.

« Je pense que nous savons maintenant qui sont les voleurs d’eau. »

Je n’ai pas repensé à tout ça, mais en l’écoutant je me dis qu’elle a sans doute raison. De plus, ma compagne de route reprend aussitôt, comme s’il était nécessaire d’en rajouter pour me convaincre.

« Tu te souviens de ce que nous a dit Guido tout à l’heure ? Je ne sais pas comment ils ont fait, mais je suis persuadée qu’ils ont résolu leurs problèmes en nous manipulant, le gouvernement de ton pays comme celui du mien. »

Elle a raison, j’en suis sûre moi aussi. Mais ce que j’aimerais savoir, c’est comment ils se sont arrangés pour que nos deux nations se déclarent la guerre. Je suppose qu’il va falloir interroger nos hôtes là-dessus, le plus prudemment possible évidemment. Heureusement, Guido est un grand bavard et il devrait être possible de lui tirer les vers du nez sans qu’il ne s’en rende compte. En attendant, nous sortons de la grange, et sous les faibles rayons du soleil couchant, nous allons retrouver la famille qui nous a accueillies.

 

********

Il fait très chaud, mais ça ne me gêne pas vraiment. J’ai de l’eau à portée de main et le travail, si pénible soit-il, n’est pas déplaisant. Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé me dépenser, alors je suis plutôt contente de ce que je fais, d’autant plus que l’ambiance est bonne. Debout sur le camion, Tom me fait passer les balles de foin à l’aide d’une fourche, pour que je puisse les ranger dans le fenil, au-dessus de l’endroit où Gabrielle et moi passons nos nuits. Pendant ce temps, Guido est parti chercher le foin restant dans les champs, avec sa fourgonnette. Bien sûr, il en ramènera une moins grande quantité, mais ça devrait suffire pour que tout soit rentré avant que l’orage qui s’annonce n’éclate.

Tom est un garçon agréable et je m’entends plutôt bien avec lui. Cependant, contrairement à son père, il n’est guère bavard. Nous travaillons en bonne entente, nous entraidons volontiers, échangeons volontiers une plaisanterie si les circonstances s’y prêtent, n’hésitons pas à boire une bière ensemble en fin de journée, mais rien de plus que cela. Heureusement, Gabrielle, de son côté, n’a pas sa langue dans sa poche et a réussi sans mal à obtenir quelques renseignements de Marga.

D’après ce qu’elle m’a raconté, il a suffi que ma compagne, après avoir entendu parler de toute la famille de nos hôtes sur au moins trois générations, amène la conversation sur la pénurie d’eau connue par la région, et le pays, il y a une trentaine d’années. Je me souviens très bien du moment où elle m’a répété ce qu’elle avait appris, hier soir. Nous étions dans la grange, allongée chacune sur nos lits et je sentais la colère m‘envahir à chaque parole de Gabrielle.

« D’après ce que Marga m’a raconté » disait-elle, « Ce pays a détourné les cours d’eau, de chez moi comme de chez toi. Si tu te souviens de tes cours de géographie, tu te rappelles sans doute la forme du pays où nous nous trouvons en ce moment. A l’Ouest, il s’étire jusqu’à former plus ou moins un arrondi, mais à l’Est, il s’étend en une espèce de longue bande, de moins en moins large, entre nos deux pays. »

J’ai hoché la tête. Je savais tout ça et j’avais hâte qu’elle en vienne au fait.

« Dans mon pays coulait un fleuve, qui se dirigeait vers notre côte Sud et qui passait de ce côté de la frontière, sur quelques kilomètres. Et il me semble qu’un cours d’eau passait chez toi, dans le même sens. Celui-là ne pénétrait pas sur le territoire du pays de l’Ouest, mais il ne passait tout de même pas très loin. »

Je lui ai coupé la parole, un peu estomaquée par ce que je croyais comprendre.

« Tu veux dire que ce pays aurait détourné les deux cours d’eau sans que personne ne s’en rende compte ? C’est insensé ! Ça demande de gros travaux, il est impossible que nos états respectifs n’aient rien vu, absolument impossible ! » 

Elle a haussé les épaules avec un petit sourire, comme si elle s’excusait.

« C’est pourtant ce que m’a raconté Marga. Comme toi, je lui ai aussi dit que ça paraissait incroyable, mais elle m’a répondu qu’elle ne connaissait rien à la technique, et qu’elle ne savait pas comment le travail avait été fait. Pour ce dont elle se souvient, il était question de tuyaux souterrains, comme des oléoducs, amenés depuis de très longues distances jusque sous le lit des cours d’eau. De leurres aussi, c’est-à-dire de prétendus travaux effectués un peu partout sur tout le territoire, pour détourner l’attention d’éventuels observateurs. Et de volontaires qui avaient passé les frontières de ton pays et du mien pour répandre les rumeurs qui amèneraient nos deux nations à se faire la guerre. C’était assez facile en fait. Les contentieux ne manquent pas dans l’histoire entre nos deux pays. Combien y a-t-il eu de conflits au fil des siècles ? Au moins cinq. Alors évidemment, ça ne devait pas être bien difficile de souffler sur les braises.»

J’ai secoué négativement la tête, un peu écœurée par la duplicité nécessaire pour mettre tout ça en place. J’étais aussi particulièrement en colère en pensant à tout ce que mon peuple avait enduré à cause du manque d’eau, de la misère que ça a provoqué, et de la guerre, bien sûr. Je pensais à mes parents, à la manière dont la vie avait brusquement changé pour eux, et pour moi…

J’étais si furieuse que je me suis brusquement redressée, décidée à quitter cette grange. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je pourrais aller, ni si je devais me rendre auprès de nos hôtes pour leur dire ma façon de penser. Mais Gabrielle ne m’a même pas laissée me relever complètement. Doucement, elle s’est baissée près de moi, posant ses genoux à terre et ses talons sur ses fesses, puis a tendu une main vers moi pour la mettre délicatement sur mon avant-bras.

« Calme toi, Léna. Tout ce que tu pourras faire ou dire maintenant ne changera rien à ce qui s’est passé.  De plus, malgré ses ricanements Guido n’est pas un mauvais homme et ne mérite certainement pas que tu t’en prennes à lui, personne ne le mérite dans cette famille, d’ailleurs. Et puis, nous avons tout intérêt à être discrètes si nous ne voulons pas être capturées et renvoyées dans nos pays respectifs. »

Elle a entamé un mouvement de va et vient sur mon bras, c’était curieusement apaisant. Sans arrêter son geste, elle a repris doucement.

« Nous ne pouvons pas changer ce qui s’est passé, Léna. Il vaudrait mieux réfléchir à ce que nous pourrions faire pour arranger la situation. »

Elle a conclu avec un soupir.

« Encore que je ne vois pas comment nous pourrions nous y prendre. »

Je l’ai regardée.  J’étais toujours furieuse, mais je comprenais son point de vue. J’avais complètement conscience du mouvement de sa main et du fait que je l’appréciais. Mais je n’ai rien dit à ce sujet, tout ce que j’ai répondu était un « Nous trouverons une solution. » Je lui ai souri, j’ai pris sa main, je l’ai pressée entre les miennes et je me suis rallongée sur mon lit de camp en murmurant « Merci de m’avoir parlé, Gabrielle. »

 

Ce matin, nous avons repris le travail comme à l’accoutumée. Ça fait une bonne semaine que nous sommes là, et nous partirons après-demain. C’est la première chose que Guido nous a dit ce matin. Il semblait sincèrement ennuyé et je n’ai eu aucun doute quant à sa sincérité alors qu’il disait être désolé de ne pas pouvoir nous garder. Mais moi, je suis contente de partir. Nous n’étions pas mal ici, mais dorénavant, je me sens investie d’une mission et même si je n’ai pas posé la question à Gabrielle, je pense qu’elle est dans le même état d’esprit. Je n’ai pas encore vraiment réfléchi à ce que nous allons faire, une fois arrivées à la capitale, pour rétablir la vérité et stopper la guerre entre nos deux nations, mais je suis persuadée que nous trouverons un moyen.

 

*********

Enfin ! Ça fait plus d’un mois que nous avons quitté Guido et sa famille, et c’est seulement aujourd’hui que nous arrivons à la capitale. Comme nous le pensions, c’est une très grande ville et nous aurons sûrement moins de mal à passer inaperçues ici.

Le voyage a été long, et plutôt difficile. Nous n’avons pas eu d’autre occasion de travailler un peu et nous n’avions pas gagné tant d’argent que ça à la ferme. De plus, sachant que nous en aurions besoin en arrivant en ville, nous avons évité de le dépenser. Alors, comme avant de passer la frontière, Léna a chassé. Je tire vite et bien, mais ma compagne a un incroyable coup d’œil pour repérer tout ce qui pourrait faire office de gibier. Lièvres et lapins, poule d’eau, faisan, perdreau… Nous avons même mangé du hérisson et du renard. Par contre, nous avons évité les trop gros animaux, tels que cerfs ou sangliers, parce que nous ne voulions pas transporter des restes et que nous jugions inutile de laisser une carcasse trainer dans les bois. Le reste de notre alimentation se composait de champignons, de noisettes, de mûres et des fruits que nous pouvions marauder.

Il nous faut une bonne journée pour traverser toute la banlieue avant d’arriver enfin à la ville proprement dite. Le quartier par lequel nous pénétrons dans la capitale est populaire, et peuplé. Une foule de petits commerces bordent les rues le long de trottoirs encombrés par une multitude de gens qui avancent tous d’un pas pressé. Personne ne flâne ou ne fait du lèche vitrine, non. Des hommes vêtus à la façon d’ouvriers qui rentrent de l’atelier, des femmes chargées de cabas et trainant derrière elles des enfants dont les cartables semblent deux fois trop lourds et volumineux pour eux, circulent sans nous jeter un regard.

Un peu perdues au milieu de cette cohue, nous avançons lentement, regardant à droite à gauche, un peu effarées de nous trouver au milieu d’une telle foule après avoir passé tant de temps seules dans la nature et je passe mon bras sous celui de ma compagne. Nous nous sommes rapprochées depuis notre séjour chez Guido. Sans doute parce que savoir que nos deux pays se sont fait berner nous a fait un ennemi commun, mais aussi parce que nous avons beaucoup parlé. Je ne la considère plus comme une ennemie ni comme une adversaire, et je suis persuadée qu’il en est de même pour elle. D’ailleurs, il n’est plus question que nous partions chacune de notre côté et nous avons implicitement choisi de ne pas nous séparer.

Nous ne connaissons ni la ville ni le pays et n’avons pas vraiment décidé de ce que nous allions faire en arrivant dans la mesure où nous avons surtout ressassé tout ce que nous avions appris sur le détournement des fleuves et les conséquences qui ont suivies. Finalement, nous nous asseyons à la terrasse d’un petit bistrot pour déguster un café. Rien de plus, parce que nous tenons à économiser le peu d’argent que nous possédons. Une fois les cafés servis, un vrai régal, c’est moi qui entame la conversation.

« Et maintenant, que faisons-nous ? »

Elle tourne sa touillette pendant quelques secondes avant de répondre.

« Il nous faut un toit, j’imagine que c’est la priorité. Mais il est aussi très important que nous parvenions à nous procurer des papiers, ce qui nous permettra peut-être de trouver chacune un emploi. Avec ça, nous pourrons vivre. Ensuite, il faudra trouver un moyen de prévenir nos pays, le tien et le mien. Ça permettra peut-être, sans doute j’espère, de faire cesser la guerre. »

Je hoche la tête, mes lèvres s’étirant dans une petite moue soucieuse.

« Ça pourrait nous prendre un certain temps. Mais oui, Je suppose que tu as raison. »

Nous finissons nos cafés et nous repartons à la recherche d’un toit. Nous marchons toute la journée, mais malheureusement, nous n’avons que peu d’argent et finalement nous nous résignons à passer la nuit dans une maison abandonnée. Elle est située au fond d’une impasse peu éclairée et semble inhabitée depuis fort longtemps. Une partie du toit est à demi effondrée, mais le côté nord parait solide, et nous n’avons pas grand mal à pénétrer à l’intérieur. Les fenêtres sont murées, mais la porte est à demi dégondée et il suffit de la pousser pour que nous entrions dans ce qui était sans doute autrefois une petite entrée. A gauche, une pièce vide, sombre et sale, pas très grande, peut-être une ancienne chambre, et c’est là que nous nous installons.

Assises contre un mur sur lequel pendent quelques lambeaux de papier peint, nous terminons les restes de gibier et de fruit qui trainent encore dans nos sacs avant de nous allonger sur le sol. Le sommeil vient rapidement, fatiguées que nous sommes par la marche de la journée.

Au matin, nous sommes serrées l’une contre l’autre et mon bras est passé autour de la taille de ma compagne. Elle ne s’en formalise pas, c’est une chose qui arrive régulièrement dorénavant, et si je n’ai aucune idée de ce qu’elle en pense, pour ma part,  cela me parait bizarrement tout à fait naturel et plutôt agréable en fait. Nous terminons les quelques fruits qui restent dans nos sacs en guise de petit déjeuners, puis, retournons explorer la ville et chercher un moyen de nous y établir de manière plus ou moins durable.

Comme la veille, c’est une journée fatigante et démoralisante. Et puis, alors que nous pensons à retourner dormir au même endroit que la nuit précédente, une voix se fait entendre, à quelques mètres sur notre droite.

« Léna ! Léna, c’est toi ? »

Nous nous tournons toutes les deux en direction de l’homme qui vient de héler ma compagne. C’est un gaillard d’une trentaine d’années, aussi grand que Léna et à la barbe noire si fournie que je sens ma camarade hésiter un instant, semblant chercher de qui il peut bien s’agir, jusqu’à ce qu’elle avance à grands pas vers lui en souriant. Mon bras est toujours accroché au sien, ce qui m’oblige à faire de longues enjambées pour la suivre. Heureusement, ce n’est que sur quelques mètres.  Là, elle donne une grande accolade à l’homme, lequel n’hésite pas à lui flanquer de vigoureuses tapes dans le dos. Après quoi, elle se tourne aussitôt vers moi pour me présenter.

« Howard, je te présente mon amie Gabrielle. »

Elle tend ensuite une main dans la direction du dénommé Howard.

« Voilà un de mes anciens frères d’armes. Il a été rapatrié à l’intérieur du pays après une blessure il y a un peu plus d’un an. »

L’homme me salue et sourit chaleureusement avant de nous désigner la petite terrasse d’un café, à quelques pas de nous.

« Venez, je vous offre un verre. Nous pourrons parler un peu. J’avoue que je suis très étonné de te voir ici, Léna. Je te croyais encore au front. »

Ma compagne hausse les épaules et marmonne

« C’est une longue histoire. Mais je suis, moi aussi, surprise de te rencontrer dans ce pays. Que s’est-il passé ? Est-ce que ta blessure t’a empêché de retourner au combat ? »

Il secoue négativement la tête pendant que nous nous installons autour d’une petite table un peu branlante.

« Non. »

Il parait hésiter un moment, soupire, pose ses coudes sur la table avant d’enfouir sa tête dans ses mains pour la redresser au bout de quelques secondes, le regard ferme, et se décide enfin à parler.

« J’ai décidé de ne pas revenir. J’en avais assez. Ma blessure était sérieuse, mais je n’ai pas eu de séquelle. Par contre, certains soldats ont eu beaucoup moins de chance que moi. Ce que j’ai vu à l’hôpital, Léna… Des jeunes qui n’avaient pas plus de vingt ans estropiés, défigurés. Des amputés, d’une jambe ou d’un bras quand ce n’était pas des deux, des hommes et des femmes invalides à jamais. Ceux qui avaient marché sur une mine, devenus cul de jatte ou paralysés, ceux qui avaient reçu une grenade en pleine figure, les rendant aveugles, ou sans nez, ou dont les dents avaient été arrachées par l’explosion, les mâchoires réduites en bouillie…. Les gueules cassées comme on dit. J’ai vu tant de choses que j’aurais souhaité ne jamais voir… J’en rêve encore presque toutes les nuits.

Je crois qu’au début, j’ai eu peur. Peur de retourner au front et de revenir dans un état si pitoyable que j’appellerais la mort de tous mes vœux. Ensuite, j’ai commencé à réfléchir, à me poser des questions. Celles que beaucoup d’entre nous se posent sans doute. Du genre : Pourquoi ? A quoi bon ? »

Il hausse les épaules, regarde son verre de jus de fruit, bois une gorgée, puis reprend, le ton las.

« J’ai toujours su pourquoi je combattais : l’eau. Mais ça ne me suffisait plus, j’étais démoralisé et je n’ai pas eu besoin de longues réflexions pour décider de déserter. Je ne voulais plus me battre, quelle que soit la justesse de notre cause. Alors, je suis parti, sans rien dire à personne. »

Il nous regarde bien en face pour conclure.

« Je suis venu ici, dans ce pays, parce que j’y ai de la famille. Ma tante, la sœur de mon père, a épousé un gars d’ici, avant même que la guerre ne débute. Ça m’a grandement facilité les choses pour obtenir un titre de séjour. »

Son verre fini, il le garde en main, le faisant tournoyer en attendant visiblement une réponse. Peut-être craint-il que Léna le juge durement, mais ce n’est pas ce qui se passe. Elle hoche la tête et sourit à son ex-compagnon d’arme avant de lui parler doucement.

« Je te comprends, Howard, peut-être plus que tu ne le crois. Et je ne vais certainement pas te juger pour une décision que je peux comprendre, même si en ce qui me concerne, je n’ai jamais souhaité déserter.»

Elle hausse les épaules, soupire profondément.

« Je n’ai jamais envisagé de partir, ni de venir ici, dans cette ville. Ce que je voulais, c’était défendre mon pays contre ceux que je pensais être  des voleurs d’eau. »

En face d’elle, Howard fronce les sourcils, semblant ne pas comprendre ce qu’elle veut dire.

« Comment ça tu n’as jamais voulu partir ? Comment es-tu arrivée ici, alors ? C’est ta copine qui t’a emmenée de force ? »

Léna ne rit pas souvent aussi franchement, mais là, elle se laisse aller et je fais la même chose. Il faut dire que la question est amusante quand on sait comment nous nous sommes retrouvées en compagnie l’une de l’autre. Quoi qu’il en soit, l’homme en face de nous ne comprend pas ce qu’il a bien pu dire de drôle et nous regarde toutes les deux d’un air éberlué. C‘est ma compagne qui, le voyant si décontenancé, se calme la première et se charge de lui expliquer les circonstances de notre rencontre et ce qui nous a amenées à fuir nos pays respectifs.  Il parait surpris d’apprendre que je viens du camp ennemi me regardant aussitôt d’un air beaucoup moins amical, même s’il écoute attentivement ma compagne sans l’interrompre. Les révélations sur l’identité vraisemblable des voleurs d’eau ne paraissent pas le surprendre et je suppose qu’il avait déjà appris ça en arrivant dans ce pays, peut-être par l’intermédiaire de sa famille. Lorsque Léna finit son récit, il hèle d’abord le serveur et commande trois nouveaux verres avant de reprendre la parole.

« On peut dire que tu as joué de malchance. Même sans prévenir ta troupe, il aurait suffi que tu reviennes avant que les soldats ne s’en aillent pour que rien de tout ça ne t’arrive. Mais puisque tu es ici, je pense pouvoir t’aider, à trouver un emploi, et pour t’obtenir des papiers d’identité aussi.  Peut-être que ce seront des faux d’ailleurs, obtenir le statut de réfugié est difficile et les autorités ne veulent pas donner l’impression d’encourager l’immigration.  Mais de bons faux, je peux te l’assurer, j’ai déjà eu à en faire faire pour un ou deux copains et tout va bien pour eux. »

Il ne dit rien de plus, me jetant un regard en coin sans que je puisse comprendre le sens de ce coup d’œil. Il reporte d’ailleurs rapidement son regard sur ma compagne alors qu’elle lui répond, son ton vif.

« Je te remercie de nous proposer ton aide, et j’avoue que ça nous retirerait une grosse épine du pied. A vrai dire, nous ne savions pas vraiment comment nous y prendre pour nous installer, même provisoirement. D’autant que nous avons quelques projets. »

Howard a visiblement tiqué pendant que Léna parlait et il réplique aussitôt

« Léna, tu dis « nous », mais je n’ai parlé que de toi. »

Il me désigne d’un geste de la main.

« Ta copine, là. Tu m’as bien dit que c’est une ennemie, n’est-ce pas ? J’ai peut-être déserté, mais il n’est pas question que j’aide quelqu’un qui n’aurait eu aucun scrupule à me tirer dessus il y a peu de temps. »

Voilà qui me met particulièrement mal à l’aise, mais il n’est pas question que ma présence empêche Léna de profiter de l’aide de son ex-compagnon d’arme. Cependant, je n’ai pas le temps de me lever que déjà, la main de mon amie se pose sur la mienne qui traîne encore sur la table. Elle parle calmement, sans hausser la voix mais tout, dans son ton comme dans son attitude, indique qu’elle est extrêmement sérieuse.

« Dans ce cas, ton offre ne m’intéresse pas. Je suis désolée, Howard, mais Gabrielle n’est plus mon ennemie depuis longtemps. Au contraire, elle est mon amie et je lui fais entièrement confiance. Quant à toi, tu devrais oublier ça. Nous ne sommes plus au front, il n’y a aucune raison pour que nous nous combattions encore. Avant même que je t’en parle, tu savais qui étaient les voleurs d’eau et le gouvernement du pays de Gabrielle s’est fait berner, comme le nôtre. Nous garder mutuellement rancune ne sert à rien. »

Elle pousse un profond soupir et commence à se lever, mais Howard l’arrête d’un geste.

« Ok, ok.  D’accord, je vais m’arranger avec mes copains pour qu’ils vous préparent des papiers à toutes les deux. Pour le reste…. Où m’as-tu dit que vous aviez passé la nuit ? »

Ma compagne, qui s’est rassise sans lâcher ma main, hausse les épaules.

« On a trouvé un truc, une vieille bicoque. Ça suffira pour l’instant. C’est de nous procurer des papiers qui est important, et si tu peux t’occuper de ça, nous t’en serons infiniment reconnaissantes. »

Il secoue négativement la tête, affichant son sourire le plus aimable.

« Non, venez. D’abord, il faut vous photographier, pour les papiers. Et puis, je vous propose de passer la soirée et la nuit chez ma tante. Je suis sûr que vous apprécierez de dormir dans un vrai lit, ou de prendre une douche »

C’est le mot « douche » qui la décide, je pourrais le parier. Pendant qu’Howard  paie nos consommations, elle me consulte du regard et elle a l’air de se rendre compte que je pense la même chose. C’est au moment où nous lui emboitons le pas qu’elle lâche ma main.

**********

Quelle chance nous avons eu de rencontrer Howard ! J’ai longtemps cru que sa blessure avait été trop grave pour qu’il puisse revenir au front, mais jamais je n’aurais imaginé qu’il avait déserté. Je ne suis pas sûre de pouvoir lui faire entièrement confiance en ce qui concerne Gabrielle, il n’avait manifestement pas très envie de l’aider, mais je vais l’avoir à l’œil quelques temps. Ensuite, il y a de grandes chances qu’il succombe à son charme, comme il semblerait que je l’ai fait moi-même. En tous cas, c‘est ce que j’espère. Du moins tant que ça reste dans certaines limites.

La tante d’Howard, Norma, nous accueille très chaleureusement, souriante et agréable. Veuve et sans enfant, elle est ravie d’avoir son neveu avec elle, et semble tout aussi heureuse de nous recevoir. Elle vit dans une petite maison au bout d’une rue passante, mais le brouhaha qui monte par les fenêtres s’atténue à la tombée de la nuit. Nous prenons un repas chaud pour la première fois depuis notre départ de chez Guido, puis une douche, le moment le plus agréable de la soirée. Ensuite, Norma nous emmène dans la chambre où nous allons passer la nuit, une petite pièce qui contient en tout et pour tout une armoire et un grand lit pour deux personnes. Norma s’excuserait presque de la situation, mais pour moi, comme pour ma compagne, ce n’est pas un grand problème, nous avons l’habitude de dormir l’une près de l’autre après tout. Howard, lui, en profite pour faire une plaisanterie de mauvais goût.

« Si ça t’ennuie de dormir dans le même lit que ta copine, Léna, tu peux venir partager le mien. »

Je ne goûte guère la boutade, mais je choisis de répondre seulement d’un haussement d’épaules et d’une grimace dédaigneuse. Sa tante lui donne un petit coup sur le bras avec le même sourire indulgent qu’on adresserait à un enfant, puis la porte est fermée et nous nous retrouvons seules dans la chambre.

Fatiguées, nous parlons peu, nous félicitant simplement de ne pas dormir sur le sol, pour une fois. Après quoi, une fois que nous sommes toutes deux allongées côte à côte, il est évidemment impossible de dormir. Je me tourne sur le côté droit, puis sur le gauche, avant de mettre de nouveau sur le dos. Et puis, je ne sais pas vraiment pourquoi, et parce que j’ai bien remarqué que Gabrielle ne dort pas non plus, je commence à parler.

«Je ne pourrais pas rester ici, dans ce pays. Pas après toutes ces années passées à combattre un ennemi qui n’était pas le bon à cause du gouvernement de cette nation. Bon sang ! J’ai même du mal à me comporter normalement dans les rues, à ne pas hurler ce que je sais à tous les passants. »

Ma compagne roule sur le côté pour se trouver face à moi.

« Je suis comme toi, tu sais. Complètement frustrée par l’impossibilité de raconter ce que je sais. J’en ai envie autant que toi, mais nous savons toutes les deux que ça ne servirait qu’à nous faire passer pour des folles et que nous finirions expulsées, ou enfermées. »

Elle secoue la tête et achève, son expression désabusée, avant de reprendre.

« Ce n’est pas pour ça que je me suis engagée dans l’armée. Je croyais que défendre ma patrie était noble, et que je pourrais venger mon père, que peut-être, je pourrais sécher les larmes de ma mère. Au lieu de ça, elle pleure certainement encore plus maintenant. Et elle doit supporter la honte d’avoir enfanté une déserteuse… »

Devant mon expression intriguée, elle poursuit.

« Je connais ma hiérarchie. Ils ne veulent pas donner l’impressions d’être indulgents alors je suis certaine qu’il n’est pas question que je sois portée disparue, ou prisonnière. Dans leurs esprits, si je ne donne plus de nouvelles et qu’on ne trouve pas mon cadavre, c’est que j’ai déserté. Ce sera la version officielle, celle qui leur permettra de ne verser aucune indemnité à ma famille.»

Je hoche la tête, je comprends parfaitement ce qu’elle dit au sujet de sa hiérarchie comme de sa mère, j’ai déjà pensé à la mienne dans les mêmes termes. Mais ce n’est pas ce que je lui dit. Je tends plutôt une main vers elle et la pose sur sa joue avant de jouer, un peu machinalement, avec une mèche de ses cheveux.

« Ton père est mort au front ?  Le mien est professeur, et plutôt pacifiste, il n’est pas parti. Mais mon frère ainé, lui, s’est engagé alors qu’il n’avait que dix-huit ans. Il a combattu deux ans, et puis mes parents ont reçu un coup de fil de l’armée…. »

Je hausse les épaules tandis que je revois la haute silhouette de mon frère, son sourire, son assurance, lorsque je l’ai vu en uniforme pour la première fois. Il avait beaucoup d’allure et j’étais tellement fière de lui que j’étais presque certaine qu’il gagnerait la guerre à lui tout seul.

« J’avais quelques années de moins que lui, mais dès que j’ai eu l’âge requis, je me suis engagée moi aussi. Mes parents s’y sont opposés, bien sûr, mais je ne les ai pas écoutés. Et maintenant…»

Nous restons silencieuses un moment, jusqu’à ce que Gabrielle bâille largement. Je hausse un sourcil, elle me sourit doucement puis dépose un petit baiser sur ma joue.

« Je suis contente que tu sois là, Léna. Je n’avais pas l’intention de partir, de quitter l‘armée et mon pays, mais je n’ai aucun regret, excepté quand je pense au chagrin que ma mère ressent certainement. Savoir ce qui s’est passé, même si ce n’est que dans les grandes lignes, connaitre la manière dont  la guerre a été déclenchée me rend complètement dingue et je sais que je serais incapable de combattre avec tout ça en tête. Et puisque je suis là, je suis heureuse que ce soit avec toi. »

Son sourire s’élargit et devient mutin tandis qu’elle ajoute.

« J’aurais juste préféré que tu ne tapes pas aussi fort lorsque nous nous sommes rencontrées. »

Je ne retiens pas la petite grimace de sympathie que sa remarque m’inspire mais je réponds sur le même ton.

« Si ça n’avait pas été le cas, nous ne serions pas ici. Ou pas ensemble. »

Elle acquiesce d’un mouvement du menton, se rapproche suffisamment de moi pour poser sa tête sur mon épaule, puis ferme les yeux. »

« Bonne nuit Léna »

Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’elle dort déjà. Il faut peu de temps pour que je m’assoupisse moi aussi.

 

*********

Ces trois jours sont passés à toute vitesse. Nos (faux) papiers d’identité sont dans nos poches. Les amis d’Howard ont travaillé vite et si bien qu’on croirait avoir des vrais. Nous sommes toujours hébergées par Norma, mais malgré sa gentillesse, ni Léna ni moi ne souhaitons que la situation perdure. Heureusement, les bonnes nouvelles se succèdent depuis deux jours. D’abord, ma compagne a trouvé un emploi, dans une menuiserie. Au départ, j’étais étonnée qu’elle ait recherché un travail dans ce domaine mais elle m’a expliqué qu’elle avait une petite expérience. En effet, l’un de ses cousins, plus âgés qu’elle de quelques années, possédait une entreprise de fabrication de meubles où elle a travaillé régulièrement durant les vacances scolaires lorsqu’elle allait au lycée. Quant à moi, je me suis présentée dans une boulangerie après avoir vu, collée sur la vitrine, une affichette annonçant que ce commerce recherchait une vendeuse.

Je n’ai aucune expérience dans ce domaine, ni dans aucun autre d’ailleurs. Depuis que je suis adulte, je n’ai jamais exercé que le métier de soldat. Mais je suis bien élevée, aimable, capable de patience et de diplomatie, alors j’ai été embauchée. Bien sûr, ce n’est qu’un mi-temps provisoire puisque la titulaire habituelle de ce poste ne le quitte que pour le temps d’un congé maternité.  Cependant, cela nous permettra de nous occuper et surtout de nous chercher un logement, même petit et inconfortable, afin de nous suffire à nous-mêmes. Pour fêter ça, Howard nous propose de célébrer ces bonnes nouvelles, chez sa tante.

Nous voilà donc tous les quatre assis autour de la table dans la salle à manger de Norma. Chacun a un verre devant lui et si l’ambiance est plutôt bonne, les deux anciens frères d’armes racontant à tour de rôle les anecdotes les plus amusantes de leurs classes respectives je dois dire que je n’apprécie que très peu Howard. Certes, il nous a tiré une grosse épine du pied en nous procurant des papiers d’identité et en nous emmenant chez sa tante, mais je n’aime pas son attitude. Envers moi pour qui il parait toujours éprouver une certaine méfiance bien que je ne lui ai jamais donné de raison pour cela, et plus encore à cause de sa façon de se comporter avec Léna. Sa manière de faire régulièrement des blagues plus que douteuses et pleines de sous-entendus plus ou moins grivois, les gestes soi-disant amicaux qu’il effectue souvent et que je vois surtout comme une occasion de la toucher, et jusqu’à sa façon de la regarder, tout me dérange. Un moment, je me suis interrogée sur cette gêne, et sur son origine, et ce soir, je décide qu’il est temps de mettre les choses au clair avec ma compagne.

La soirée est terminée et nous sommes allongées, côte à côte comme tous les jours avant de nous endormir. C’est le moment où nous parlons en général, et ce soir, je ne déroge pas à la règle.

« Ne trouves-tu pas Howard particulièrement agaçant avec ses blagues à deux sous et sa manie de constamment te toucher ? »

Léna tourne son regard vers moi, son sourcil gauche haut sur son front.

« Pas vraiment, non. C’est vrai qu’il est parfois lourd, et un peu collant, mais nous sommes allés au feu ensemble, nous avons combattu, ramené des blessés derrière nos lignes, partagé des rations, passé des soirées devant un feu de camp ou à l’inverse dans l’obscurité totale, crapahuté dans les bois et sur des terrains déserts, brûlés par le soleil… Dans ces conditions où nous devions être solidaires les uns avec les autres, nous avons créé des liens, tu sais ce que c’est, je suppose.»

Son sourcil monte encore plus haut et son regard se fait un peu inquisiteur.

« Pourquoi me poses-tu cette question, Gabrielle ? Aurais-tu un problème avec Howard ?»

Je pousse un soupir, mais je garde mes yeux dans les siens alors que je lui réponds doucement

« Je sais qu’il nous a aidées, que si nous avons dorénavant des papiers et donc la possibilité de travailler, c’est grâce à lui. Nous logeons chez sa tante, qui nous nourrit aussi. Je n’oublie rien de tout ça, mais oui, il m’agace. »

Elle parait sur le point de prendre la parole, mais je la fais taire d’un geste avant de reprendre.

« Je comprends bien que tu le considère comme un ami, ou un frère peut-être, mais ce n’est pas mon cas. D’abord parce qu’il se montre méfiant envers moi, mais surtout à cause de tout ce que je t’ai dit tout à l’heure, sa façon de se comporter avec toi et son humour plus que discutable. »

Elle ne répond pas immédiatement, mais un petit sourire vient étirer ses lèvres tandis qu’une petite lueur, signe d’amusement et d’autre chose peut-être, s’allume dans ses yeux. Comme elle le fait souvent, elle vient mettre une main dans mes cheveux pour en caresser une mèche, et  c’est à ce moment-là seulement qu’elle prend la parole pour me poser une drôle de question.

« Et pourquoi tout cela te dérange-t-il autant, dis-moi ? »

Je ne sais pas vraiment comment répondre à ça. Alors, je hausse les épaules en marmonnant.

« Je trouve qu’il est très agaçant, c’est tout. »

Le sourie de Léna s’élargit, son expression bizarrement joyeuse.

« Vraiment ? Il n’y a pas de raison plus profonde ? Après tout, le comportement que tu déplores ne concerne que moi. Toi, il te laisse tranquille. »

Je lève les yeux au ciel pour regarder le plafond en me demandant pourquoi diable elle insiste comme ça. J’en viendrais presque à regretter d’avoir abordé le sujet, d’autant que j’ai bien trop peur de lui donner le véritable motif de mon irritation. De nouveau, je me contente de marmonner.

« Je n’aime pas sa manière de toujours rechercher ton attention. Il est particulièrement exaspérant d’après moi. »

Son sourire a disparu, remplacé par une expression extrêmement sérieuse. Elle se redresse, en appui sur un coude, pour se pencher légèrement vers moi, son regard cherchant le mien. Ses yeux si bleus restent plongés dans les miens un long moment, semblant y chercher quelque chose. Pendant quelques instants, c’est si intense que ça me coupe le souffle. J’esquisse un sourire un peu timide,  elle cesse le mouvement dans mes cheveux, sans les lâcher cependant. Et puis, elle murmure

« Est-ce que tu es jalouse, Gabrielle ? »

Evidemment, elle a deviné. Au fond, je ne suis pas vraiment étonnée, ce n’est pas la première fois qu’elle lit en moi. Mais moi, je n’ai aucune idée de ce qu’elle pense à ce sujet et je sens l’anxiété croître au fond de moi. Je ferme les paupières et, pas très sûre de ma voix, je réponds d’un simple hochement de tête.

Je ne la vois pas, mais je mettrai ma main à couper que son sourire s’est encore élargi.

« Tu peux le dire à voix haute, ce n’est pas comme si ça me dérangeait de t’entendre. A croire que tu crains de me dire le fond de ta pensée.»

Je ne réponds rien, pas sûre de la manière dont elle accueillerait ce que je pourrais lui révéler. Alors, après une minute, c’est elle qui reprend la parole.

« Qui sait ? Peut-être qu’il y a des choses que j’aimerais t’entendre dire »

Je rouvre les yeux si brusquement que je me demande si je ne me suis pas fait une entorse à chaque paupière, si tant est que ce soit possible. Le regard de Léna est patient et brille de ce qui ressemble à de la tendresse. Ça ne suffit pas à me rendre ma confiance en moi, mais c’est assez pour que je trouve le courage de prononcer quelques mots.

« Oui, je suppose que c’est de la jalousie que je ressens. Parce que… »

Je m’interromps, lui jette un petit regard, referme les yeux et reprend si bas que j’ai peur qu’elle ne m’entende pas.

«Parce que ce que j’éprouve pour toi est très fort, plus que ce que j’ai jamais connu jusqu’à présent. Et je ne sais pas ce que tu vas en penser…. »

« Tu as tort d’avoir peur… »

Je n’ai pas le temps de rouvrir les yeux que je sens ses lèvres sur les miennes, dans un baiser doux comme une caresse. Ensuite, ses bras viennent m’entourer, et je me fonds dans leur étreinte.

 

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Commentaires
S
Manipuler les foules, les ressources, mais pour le bien de tous ... tant qu'on est dans le même camp, le même pays, le même confort... pourquoi est-ce que toutes nos fictions reposent sur de tristes réalités ?<br /> <br /> <br /> <br /> quant à nos deux héroïnes, elles sont égales à elles-mêmes et Gaxé les a si bien croquées ;)<br /> <br /> <br /> <br /> S'
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