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30 août 2020

Les voleurs d'eau, de Gaxé, partie 3 et fin

Troisième partie

 

 

                                             LES VOLEURS D’EAU

 

C’est un studio, et pas un grand. Une pièce de moins de vingt mètres carrés, avec un petit coin cuisine et un évier sous une des deux fenêtres. Sur le côté, les toilettes, avec un lavabo et une cabine de douche, le seul endroit séparé du reste de l’appartement par des murs. Ceux-là sont entièrement carrelés de blanc, côté salle d’eau bien sûr. Nous avons achetés le moins d’équipement possible. Une table, deux chaises, un petit frigo, une plaque de cuisson, un petit miroir, que nous avons accroché dans la salle d’eau, et un lit. Un lit double. Avec un peu de linge, draps et serviettes, vêtements de rechange, nos deux salaires y sont pratiquement passés. Mais nous sommes chez nous, enfin indépendantes. C’est tout ce qui compte.

L’installation a été plutôt rapide. Un mois après avoir commencé à travailler toutes les deux, nous avons fait nos adieux à Norma. Une femme généreuse qui nous a beaucoup aidées et que j’espère revoir de temps en temps. Par contre, je dois dire que je suis ravie de ne plus rencontrer Howard.

Il semblait particulièrement désappointé le soir où nous avons quitté sa tante, comme s’il ne s’y était pas attendu. Il s’est approché de Léna, a bien évidemment passé un bras autour de ses épaules, et lui a parlé tout bas. D’après ce qu’elle m’a répété, il a cherché à la convaincre que tout ça était une mauvaise idée et que si elle tenait vraiment à prendre un logement, elle pouvait le faire en sa compagnie. A quoi ma compagne a répondu avec toute la diplomatie dont elle était capable, en lui faisant savoir qu’elle préférait ma compagnie à la sienne. Je ne connaissais pas la teneur de ses propos à ce moment-là, mais voir sa mine déconfite, même de loin, était un plaisir rare que je savoure parfois encore dans ma mémoire.

Puisque je ne travaille qu’à mi-temps, je suis la première rentrée et le repas est prêt lorsque Léna revient du travail. Je me précipite vers elle, elle me tend les bras et nous restons enlacées un moment. C’est devenu une sorte de rituel, notre manière de nous saluer après une journée de labeur. Après cela, nous nous mettons rapidement à table, et c’est quand nous finissons qu’un coup se fait entendre à la porte. C’est Léna qui va ouvrir pendant que je débarrasse la table pour faire la vaisselle, mais notre studio est si petit que je n’ai qu’à me pencher un peu en arrière pour voir devant qui ma compagne a ouvert la porte. Howard se tient là, les mains dans les poches de son pantalon et un sourire avec la bouche fermée sur le visage. S’il prononce un « bonsoir » poli à l’intention de Léna, il ne daigne pas me saluer et je m’abstiens moi-même de reconnaître sa présence sur le palier.

Léna connait mes sentiments au sujet de son ancien frère d’arme et ne l’invite pas à entrer, se contentant de rester face à lui en lui demandant seulement ce qui l’amène. Il hausse les épaules tout en laissant ses mains dans les poches de son jean avant de lui expliquer la raison de sa venue.

« Je me disais qu’on pourrait peut-être faire une petite sortie, tous les deux. Ou au moins boire un café. Qu’en dis-tu ? Tu ne peux pas seulement travailler et aller te coucher sans rien faire d’autre, ce n’est pas une vie. »

Il emploie un ton dégagé, mais ma compagne secoue négativement la tête.

« Non. Je suis désolée, Howard, mais je n’ai pas envie de sortir. Nous avons passé, Gabrielle et moi, de longues journées sur les routes et pour l’instant, tout ce que nous souhaitons, c’est de rester un peu tranquilles. »

Je lâche ma vaisselle un moment pour faire un pas de côté afin de les avoir tous les deux dans mon champ de vision. Léna a gardé la main sur la poignée de la porte, qui est grande ouverte, et face à elle, Howard arbore une mine qui indique à quel point il est contrarié par la réponse de ma compagne. Pourtant, il insiste, essayant de la convaincre.

« Allons, tu n’es pas drôle ! Nous nous sommes toujours plutôt bien entendus tous les deux. Et ce n’est pas une soirée qui va t’épuiser. Je te connais, je sais que tu es endurante. A moins que ce soit ta copine qui t’empêche de sortir. »

Il a mis un ton de défi dans la dernière phrase, mais Léna ne se laisse pas prendre au piège et garde un ton raisonnable en expliquant patiemment.

« Gabrielle ne m’interdit rien du tout. Nos relations ne sont pas basées sur ce genre de rapport de force. Si tu veux le savoir, et sans vouloir te vexer, il se trouve que je préfère sa compagnie à la tienne. Même si rien ne nous empêche de nous revoir une fois de temps en temps, tous les trois. »

Maintenant, il fronce les sourcils et son visage se renfrogne visiblement. Il me jette un bref regard qui n’a rien d’amical avant de commencer à se détourner, lançant un « Quand je pense à ce je j’ai fait pour toi, Léna. Pour vous deux en fait… »

Je n’aime pas qu’on me rende service pour me le reprocher ensuite, ou pour qu’on se sente en droit d’exiger tout et n’importe quoi de moi par la suite, et apparemment, Léna a la même opinion là—dessus. Lâchant la porte, sans la refermer, elle descend quelques marches pour se trouver à la même hauteur que le jeune homme qui combattait à ses côtés il n’y a pas si longtemps de cela. Je ne les vois plus, mais j’entends distinctement Howard, sa voix couvrant sans mal le bruit de ses pas.

« Je ne pensais pas que tu serais si ingrate, mais rassure-toi, je ne le serai pas moi non plus. Ne t’étonne donc pas si tu reçois la visite des agents de l’immigration ! »

Cette menace a de quoi me faire frémir, être expulsées signifierait être renvoyées dans nos pays respectifs, avec toutes les conséquences que ça engendrerait. Mais Léna ne se laisse pas démonter et répond sur le même ton que son ex-frère d’arme.

« Tu as raison, fais donc ça. Nous aurons sans doute des ennuis, mais j’espère obtenir un peu d’indulgence en donnant ton nom comme le complice qui nous a permis d’obtenir nos papiers. »

Il ne dit plus rien après cela. Léna remonte les escaliers, referme la porte et vient aussitôt me prendre dans ses bras.

« Tu as tout entendu, n’est-ce-pas ? »

Elle esquisse un petit sourire et désigne la vaisselle sale, toujours sur l’évier.

« Ou plutôt, tu as tout écouté. Mais ne t’inquiète pas, je doute qu’il mette sa menace à exécution, surtout en sachant que je n’hésiterai pas une seconde à le dénoncer. Non, il était vexé, après tout nous nous entendions bien à l’époque où nous nous sommes connus, mais ça n’ira pas plus loin.»

A vrai dire, je ne suis pas véritablement inquiète. Non pas parce que j’imagine Howard retrouver un semblant de loyauté envers ma compagne, mais plutôt à cause de l’avertissement qu’elle lui a donné. Mais pour ce soir, la conversation sur ce sujet est terminée. Nous nous dirigeons vers l’évier et, à nous deux, la vaisselle est vite nettoyée, séchée et rangée.

********

La visite d’Howard a rendu la soirée plus animée que prévue, mais je ne crois pas que nous ayons quoi que ce soit à craindre. Il est parti en colère, mais je le sais suffisamment réaliste pour savoir que je n’hésiterais pas à mettre ma menace à exécution s’il venait à nous dénoncer. Gabrielle, une fois le premier moment d’inquiétude passé, n’a pas l’air particulièrement soucieuse. Nous avons donc toutes les deux l’esprit suffisamment libre pour chercher quels moyens employer pour réaliser notre objectif : faire connaître la vérité à nos deux peuples.

Comme nous en avons pris l’habitude, chez Norma comme chez Guido et même quand nous étions dans la nature, c’est une fois que nous sommes couchées que nous commençons à parler. Et ce soir, c’est moi qui prend la parole la première.

«Maintenant que nous avons stabilisé notre situation, que nous n’avons plus le souci de nous prendre en charge, il est temps de réfléchir à ce que nous pourrions faire pour arranger les choses entre nos deux pays. » 

Gabrielle hoche la tête et remue, semblant avoir une suggestion à faire.

« Nous pourrions tout simplement aller à l’ambassade, de ton pays ou du mien, voire des deux. Si nous parvenons à convaincre l’ambassadeur, notre but sera atteint. Ce sera rapide et relativement facile finalement. Ensuite, nous n’aurons plus qu’à vivre nos vies sans plus nous soucier de tout ça. »

Je la regarde en souriant. Ça a l’air si simple quand elle le dit comme ça. Et je lui fais tout à fait confiance pour convaincre n’importe qui, fût-ce un ambassadeur, de croire n’importe quoi, à fortiori la vérité. Mais ce n’est pas forcément là que se trouve le problème.

« Et tu crois qu’on nous laissera rencontrer un diplomate sans difficulté ? Je ne connais pas le monde de la diplomatie, mais je doute qu’on puisse approcher des hauts fonctionnaires comme eux aussi facilement que tu sembles le penser. D’autant plus qu’il va nous falloir faire très attention à ce que personne ne se rende compte que nos papiers sont faux.»

Un peu machinalement, Gabrielle se gratte l’oreille. Et puis, doucement, elle se rapproche de moi pour poser sa tête sur mon épaule. Ce genre de familiarité est très courant maintenant, et nous l’apprécions toutes les deux. Mais pour l’instant, si je savoure la proximité, j’écoute aussi attentivement la réponse de ma compagne.

« Tu as raison, mais j’avoue que je n’ai pas envisagé d’autres possibilités. Ce n’est pas comme si nous pouvions envoyer des milliers de tracts chez toi ou chez moi. D’ailleurs, les textes de ce genre, s’ils étaient lus, ne seraient sans doute même pas crus. Je ne sais pas pour chez toi, mais chez moi, le sentiment patriotique est exacerbé et il serait sans doute facile de faire croire à de la désinformation, ou de la propagande pacifiste. »

Je pince un peu les lèvres, fronçant légèrement les sourcils dans le même temps, le temps de penser à ce que ma compagne vient de dire. Je ne réponds qu’après quelques secondes.

« A ce propos je me demande…»

« Je ne peux pas parler pour chez toi, mais je pense que dans mon pays ce genre de papiers, s’ils étaient assez nombreux, finiraient par trouver un écho. Mais ce n’est pas ça qui me chiffonne. »

Je me redresse sur un coude pour voir plus clairement le profil de mon amie avant d’expliquer :

« Howard a de la famille, dans mon pays. Et il n’est sûrement pas le seul dans ce cas-là, de ce côté de la frontière. De plus, je suis persuadée que certains de tes compatriotes sont dans la même situation. Et je n’arrive pas à imaginer que personne n’aie de contact avec ceux qui sont restés là-bas. Forcément, les gens écrivent à leurs familles, téléphonent, donnent des nouvelles d’une manière ou d’une autre… Or, Avant de « déserter », je n’ai jamais entendu la moindre rumeur à ce sujet. Et tu n’en as jamais évoqué toi non plus. Je ne comprends pas comment il est possible qu’il n’y ait jamais eu aucun on-dit, potin ou racontar. »

C’est au tour de Gabrielle d’arborer une expression intriguée. Mais son seul mouvement est pour se réinstaller plus confortablement contre mon épaule. Quand elle reprend la parole, son ton est aussi perplexe que son visage.

« Tu as raison, c’est bizarre. Ou alors, il y a un censure très sévère dans les communications. Du moins dans tout ce qui est courrier écrit, pour ce qui est du téléphone, ça me parait beaucoup plus difficile, sauf si les communications sont entièrement coupées. »

Toujours à demi redressée, je pose un doigt sur la joue de ma compagne, juste pour le plaisir de toucher sa peau. Mais je garde mon sérieux pour poursuivre la discussion.

« Ça, c’est facile de le vérifier. Il suffira que l’une de nous essaie d’appeler sa famille. Nous ne possédons pas de téléphone, mais nous ne sommes sans doute pas les seules. J’ai remarqué que, dans cette ville, il y a beaucoup plus de cabines téléphoniques que dans celle où j’ai grandi par exemple, un endroit où on n’en trouve plus depuis l’avènement du téléphone portable. Nous devrions pouvoir en utiliser une. »

Elle acquiesce et ajoute, apparemment convaincue.

« Je suppose que nous pouvons essayer d’appeler, oui. Une fois que ce sera fait, nous en saurons davantage. »

Apparemment, le sujet est clos pour elle puisque, comme je l’ai fait tout à l’heure, elle se redresse sur un coude pour mettre son visage à la même hauteur que le mien. Elle sourit tendrement et murmure :

« Nous sommes d’accord sur la marche à suivre pour l’instant ? Alors, je suggère que nous passions à autre chose, si tu n’y vois pas d’inconvénient. »

Sa bouche vient se poser sur la mienne, tout doucement. Ses mains, elles, se glissent très lentement sur mes cuisses pour effleurer ma peau du bout des doigts. Je lui rends son baiser, puis nous nous allongeons complètement sur les draps. »

**********

Je glisse une pièce de monnaie dans la fente prévue à cet effet et je pose le combiné contre mon oreille. Mes mains sont moites, mon souffle court. Ça fait un très long moment que je n’ai pas parlé à ma mère, et je me sens particulièrement fébrile. Ça sonne, une fois, deux fois… Je retiens mon souffle et, brusquement la voix de ma mère résonne dans mes oreilles.

« Allo ? Qui est à l’appareil ?

« Allo ? Maman ? C’est moi, c’est Gabrielle, est ce que tu vas bien ? 

Gabrielle ? Oh mon Dieu ! Tu es en vie ! Où es-tu ? Que s’est-il passé ? »

Elle a vraiment l’air bouleversé. Bien sûr, je m’y attendais, et je suis très émue moi aussi d’ailleurs, mais d’entendre sa voix, rauque comme si elle était en train de pleurer, me touche profondément. Je prends une grande inspiration, histoire de retenir mes propres larmes, puis recommence à parler.

« Tout va bien, Maman, ne t’inquiète pas. Il y a eu des imprévus, des aléas de toute sorte, mais je vais parfaitement bien. Malheureusement, je ne pourrais sans doute pas venir te voir de sitôt. Je suis dans un autre pays…

Dans un autre pays ? Est-ce que tu as déserté ? Est-ce….

Laisse-moi parler, je n’ai guère de temps. Je voulais que tu saches que je vais bien, mais aussi te parler aussi des choses incroyables que j’ai découvertes ici. Des choses qui ont eu des conséquences pour tous les  pays de la région… Maman ? Maman ? Est-ce que tu m’entends ? »

Je raccroche et me tourne vers Léna en soupirant.

« La ligne a été coupée. »

Je n’ai pas le temps d’en dire davantage que, déjà, ma compagne m’attrape par le bras et m’entraîne derrière elle, marchant aussi vite qu’elle le peut. Obligée de trottiner pour me maintenir à sa hauteur, je me tais pour épargner mon souffle. Heureusement, elle ralentit rapidement, jetant cependant de nombreux regards de droite et de gauche, comme si elle craignait d’être épiée, ou suivie.

Ce n’est qu’au bout d’un quart d’heure qu’elle s’arrête enfin de marcher, et moi avec elle. Essoufflée, je lève les yeux vers elle avant de l’interroger.

« Pourquoi t’es-tu autant dépêchée ? Nous aurions pu marcher moins vite, surtout que, si je me repère bien, nous n’avons même pas pris la bonne direction pour rentrer chez nous. »

Elle me jette à peine un coup d’œil alors qu’elle continue d’observer les environs avec beaucoup d’attention. »

« Tu cherches quoi ? Tu regardes partout depuis tout à l’heure, y a-t-il quelque chose que tu ne m’as pas dit, Léna ? »

Elle regarde autour de nous encore une fois puis baisse enfin les yeux vers moi, ses lèvres étirées en un demi sourire d’excuse.

« Désolée, Gabrielle. Pendant que tu parlais à ta mère, il m’est venu à l’idée que s’ils surveillaient toutes les cabines téléphoniques, ils pouvaient aussi les situer. Et je me suis dit que, peut-être, ils avaient des agents, sans doute pas près de chacune d’entre elles, mais à proximité de certaines, choisies de façon aléatoire, ou d’une manière que je ne parviens pas à deviner pour l’instant. Quoi qu’il en soit, j’ai pensé qu’il ne nous coûterait pas grand-chose de décamper le plus vite possible et de ne pas donner d’indication sur le lieu où nous vivons. Au cas où nous aurions été suivies, bien sûr. »

Cette fois, c’est mon tour d’observer attentivement les alentours. Nous nous trouvons dans le même quartier populaire par lequel nous sommes arrivées dans la capitale, et comme c’est aujourd’hui samedi, les trottoirs sont particulièrement encombrés. C’est un inconvénient, parce que n’importe qui pourrait se dissimuler dans la foule sans que nous ne nous en rendions compte, mais c’est aussi un avantage puisque, noyées dans cette cohue, nous sommes forcément beaucoup plus difficile à repérer. Léna, toujours aux aguets, semble lire dans mes pensées et prend ma main, comme si elle voulait me rassurer. Je la sens se détendre petit à petit, et au bout de quelques minutes, elle donne le signal du départ.

« Je ne pense pas que nous ayons été suivies, mais pour plus de sécurité, nous allons faire quelques détours avant de rentrer. Pendant que nous marcherons, tu pourras me raconter comment ça s’est passé avec ta mère. Est-ce que tout va bien pour elle ? »

A vrai dire, ce coup de fil m’a frustrée plus qu’autre chose, mais au moins je n’ai pas eu l’impression que les choses allaient particulièrement mal pour ma mère. Je répète à ma compagne les très rares mots que j’ai pu entendre avant que la communication ne soit coupée et je hausse les épaules.

« Je n’en sais pas plus sur sa situation maintenant, mais au moins est-elle rassurée à mon sujet. Je suppose que c’est mieux que rien. »

Elle lâche ma main et passe un bras sur mes épaules, non pas pour me réconforter, je ne me sens pas démoralisée, mais simplement dans un geste d’affection. Un geste que j’apprécie, Léna n’est pas très démonstrative, et je me laisse un peu aller contre son flanc.

Nous rentrons chez nous environ deux heures plus tard, après avoir fait de nombreux détours, mais sûres de ne pas avoir été suivies et beaucoup plus détendues qu’après mon coup de fil.

 

******

Nous nous mettons au lit de bonne heure ce jour-là, fatiguée par la marche faite durant l’après-midi et, en ce qui concerne Gabrielle, par les émotions fortes. Elle n’en dit pas grand-chose, mais je me rends bien compte qu’entendre la voix de sa mère l’a, non pas bouleversée, mais touchée tout de même. Et de n’avoir pas pu lui parler plus longuement n’a pas arrangé les choses. Lasses mais pas ensommeillées, nous entamons une nouvelle discussion en commençant par la confirmation de nos soupçons de censure qui viennent de se trouver confirmés.

« Et maintenant, Léna, qu’allons-nous faire ? Comment allons-nous nous y prendre pour faire connaitre la vérité à nos compatriotes ? Finalement, nous serons peut-être obligées d’essayer de contacter nos ambassadeurs respectifs. »

Ma compagne secoue négativement la tête. Je sais qu’elle ne croit guère à cette possibilité et j’écoute attentivement l’autre solution qu’elle évoque maintenant.

« Peut-être serait-il plus efficace d’alerter la population. Si les peuples demandent des comptes à leurs dirigeants, je veux dire en très grand nombre, ceux-ci seront bien obligés, non seulement de se justifier mais surtout de prendre des dispositions pour arranger les choses. Il y a beaucoup trop de jeunes gens, et de moins jeunes, qui sont morts ou qui souffrent à cause de cette guerre. Elle doit cesser, d’une manière ou d’une autre. »

Intéressée, je fais un petit geste de la main pour l’inciter à poursuivre, persuadée qu’elle a déjà une idée pour parvenir à prévenir nos compatriotes. Elle me sourit et reprend aussitôt la parole.

« D’abord, il faudrait qu’on s’arrange pour faire imprimer des tracts, des brochures, des libelles, peu importe comment on appelle ça. Dans la plus grande discrétion évidemment. Les diffuser sera beaucoup plus difficile, mais nous trouverons une solution le moment venu, j’en suis certaine. »

Pour une fois, c’est moi qui hausse un sourcil, et je n’ai pas besoin de l’interroger pour qu’elle me donne quelques précisions.

« Je sais à quoi tu penses, Gabrielle. Nous ne connaissons pas d’imprimeur, et il faudra du temps avant de pouvoir faire confiance à ceux que nous pourrions rencontrer prochainement, en imaginant que nous essayions de fréquenter ce corps de métier. Mais je suppose que nous pourrions nous mettre en contact avec ceux qui ont fabriqué nos papiers d’identité. Je suis presque sûre qu’ils ont le matériel nécessaire, et au vu de leur activité, ils sauront se taire. »

C’est plutôt bien vu d’après moi, mais il y a quand même un obstacle que je ne manque pas de faire remarquer à mon amie.

« Ce n’est pas une mauvaise idée, Léna, mais nous connaissons seulement les prénoms de ces deux garçons, Harold et Théo si je me souviens bien. Et nous ne savons pas du tout comment les joindre. »

Visiblement, elle a pensé à ça, j’aurais dû m’en douter. Elle lève un index devant elle, comme une enfant à l’école, et me révèle ce à quoi elle a pensé.

« Howard les connaît. Je le contacterai et j’arriverai certainement à le convaincre de me les présenter dès que je l’aurai vu. »

« Quoi ? Tu veux voir Howard ?»

Non seulement je ne souris plus à ma compagne, mais mon déplaisir se lit sans aucun doute sur mon visage. Ça n’échappe évidemment pas à Léna qui tend vers moi une main apaisante.

« Allons, Gabrielle, ne te fâche pas. Il ne s’agit pas de fréquenter Howard au sens où tu l’entends, mais simplement d’utiliser un contact, le seul que nous ayons d’ailleurs, au profit de notre cause. Je suis sûre que tu comprends ça. »

Mais ça ne me suffit pas, et même si, tout au fond de moi, je sais que je n’ai aucune raison de ne pas faire confiance à ma compagne, et que je comprends parfaitement ce qu’elle vient de dire, j’affiche ma mauvaise humeur.

« Je n’oublie pas que cet homme nous a rendu service, mais je ne l’aime pas. Et je suis persuadée que si tu le contactes, il ne va pas se gêner pour te tourner autour de nouveau. »

« Et je le remettrai à sa place. »

La répartie de Léna est immédiate, mais elle ne s’arrête pas là, semblant déterminée à vaincre ma réticence.

« Je n’ai pas vraiment le choix, Gabrielle. Ce n’est pas comme si nous connaissions des milliers de gens qui pourraient nous aider. Et si tu préfères, rien ne t’empêche de m’accompagner le jour où j’irai le voir. »

Maintenant, c’est mon tour de répliquer aussitôt, mon ton encore acerbe.

« Certainement pas ! Je comprends que tu envisages de le contacter, et je n’ai pas d’autre choix à te proposer, mais je refuse de le regarder essayer de te faire du charme. Si tu penses vraiment devoir le joindre et boire un ou deux cafés avec lui, et j’espère que ça se limitera à ça,  fais le. Mais ne me demande pas de l’approuver. »

Là-dessus, je roule sur le côté de manière à tourner le dos à ma compagne, et ferme les yeux, déterminée à m’endormir le plus rapidement possible. Mais je suis si contrariée que le sommeil ne vient pas. Je ne le trouve que lorsque ma compagne vient se coller derrière moi et m’entoure de ses bras.

 *********

Ça déplait à Gabrielle, je le sais et elle  ne s’en cache d’ailleurs pas. Mais en l’absence d’autre solution, je me suis résignée à téléphoner à Howard cette semaine. Il semblait étonné, mais ravi de cette initiative et m’a immédiatement donné rendez-vous dans un café, non loin de mon lieu de travail. J’arrive à l’heure exacte qu’il m’a fixée et je pénètre dans un petit établissement comme il en existait sans doute beaucoup durant le vingtième siècle. Un comptoir devant lequel s’alignent plusieurs tabourets de bar, avec trois ou quatre hommes assis qui boivent l’apéritif en devisant, et une salle emplie de petites tables de bois. C’est derrière l’une d’elles, assis sur une banquette qui longe le mur que j’aperçois mon ancien frère d’arme. Il me fait signe d’un grand geste du bras, comme s’il craignait que je n’aie pas remarqué sa présence, et je viens nonchalamment m’asseoir sur une chaise, en face de lui.

Il tique légèrement, sans doute espérait-il que j’allais m’installer plutôt à ses côtés, mais ne dit rien à ce sujet-là, se contentant de m’inviter à passer commande d’une boisson, puis d’entamer la discussion aussitôt que mon verre est déposé devant moi.

« Alors, tu as changé d’avis, finalement. Il faut dire que la seule compagnie d’une combattante ennemie ne doit pas être très réjouissante. Je suis sûr qu’il doit t’arriver de passer des soirées particulièrement ennuyeuses. »

Il ne connait pas la nature de la relation entre Gabrielle et moi, je ne lui en ai jamais rien dit. Non pas que j’ai honte de quoi que ce soit, mais d’une part je ne suis pas du genre à raconter ma vie amoureuse à tout le monde, et d’autre part, je n’ai pas suffisamment confiance en Howard pour lui confier quoi que ce soit au sujet de ma vie personnelle. De toute façon, ça ne regarde que nous. Quoi qu’il en soit, je garde une attitude tout à fait détendue pour lui répondre.

«Mes soirées sont parfaites, notre rencontre d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ça. Si j’ai voulu te voir, c’est plutôt pour te demander ton aide. »

Il me coupe la parole, son ton amer.

« Parce que tu as quelque chose à me demander ? Il n’y a donc que ça qui t’intéresse, que je te rende service ?»

Il se lève, bousculant la table tant son geste est brusque, mais je n’ai qu’à tendre le bras pour l’agripper fermement par le poignet. 

« Rassieds toi donc. Laisse-moi au moins t’expliquer de quoi il retourne, tu verras ce que tu en penses ensuite. »

Sa mine reste renfrognée mais il se réinstalle lentement sur la banquette er m’écoute sans rien dire alors que je lui expose ce que j’attends de lui. Peu de chose au fond, mais ça semble encore trop pour lui. Il attends que je termine et secoue immédiatement la tête pour indiquer son désaccord.

« Non. Je comprends ce que tu veux, et pourquoi tu le veux mais je ne t’aiderai pas. J’en ai assez qu’il faille que tu aies quelque chose à me demander pour que tu acceptes de me voir. J’en ai assez Débrouille toi sans moi ! »

Il s’en va immédiatement après ça et je n’essaie pas de le retenir. Je termine lentement mon verre et paie nos consommations. Mais ce n’est pas la direction de l’appartement que je partage avec Gabrielle que je prends en sortant.

 

A peine ai-je mis un pied dans l’appartement que ma compagne m’accable de questions, visiblement surprise que mon entrevue avec Howard aie duré aussi longtemps. D’un geste, je lui indique de se calmer, avant d’aller m’installer sur une chaise, posant mes coudes sur la table. Elle s’assied en face moi et c’est à ce moment-là seulement que je lui relate ce que j’ai fait de mon après-midi.

« Howard a refusé de m’aider. Il était manifestement très mécontent de constater que je n’ai pas une grande envie de le fréquenter. Nous n’avons pas parlé plus de dix minutes, peut-être même moins. Ensuite, il est parti et m’a laissé seule dans le café. »

Gabrielle soupire bruyamment.

« Il fallait s’y attendre. Ça ne va pas nous faciliter les choses, mais au fond, je suis contente que tu ne sois plus obligée de le voir, c’est toujours ça de pris. »  Et puis, elle fronce les sourcils avant de m’interroger, l’air intrigué.

« Mais si cette rencontre avec lui a été si brève, comment se fait-il que tu reviennes si tard ?  Je doute que tu aies fait du lèche-vitrine. »

Je souris d’un air taquin.

« Peut-être que si, pourquoi pas ? »

Mais je reprends vite mon sérieux pour lui expliquer ce que j’ai fait durant les deux dernières heures.

«Après le départ d’Howard, je me suis demandé qui d’autre pouvait m’aider. Et je me suis dit que le plus simple, pour savoir qui pourrait éventuellement connaitre les relations d’Howard, c’était d’aller poser la question à sa tante. Alors, je me suis rendue chez elle. Et j’ai bien fait. »

Ma compagne quitte sa chaise pour aller chercher une bouteille de soda dans le réfrigérateur, prenant deux verres au passage. Je ne reprends la parole que lorsqu’elle est réinstallée face à moi.

« Il s’avère que Norma, si elle ne connait ni Harold, ni Théo, a ses propres contacts. Peut-être même en a-t-elle plus que son neveu qui serait un peu trop nonchalant et je m’en foutiste, selon ses dires. Quoi qu’il en soit, il se trouve que Norma a un véritable réseau, un réseau qu’elle a constitué au moment de l’arrivée d’Howard dans le pays. »

En face de moi, Gabrielle fronce les sourcils

« C’est ce qu’elle t’a dit ? Est-ce qu’elle t’a montré quelque chose qui prouve ça ? Est-ce qu’elle t’a raconté pourquoi elle a monté ce fameux réseau ? Pour quelles raisons elle l’a monté ? Et quelles actions elle a déjà accomplies ?»

Je dois reconnaitre que la méfiance de ma compagne me surprend. Elle s’en rend compte d’ailleurs, m’expliquant immédiatement pourquoi elle juge que cette absence de défiance n’est pas étonnante de ma part.

« Tu n’es pas naïve, Léna. Et tu es plutôt prudente en temps normal, c’est juste que tu connais Norma, et que tu l’aimes bien. Mais tu es si loyale que tu voudrais croire que tout le monde l’est. Alors, tu as du mal à reprendre la confiance que tu as donnée.»

Je hoche la tête, je comprends ce qu’elle veut dire. Et je repense à toutes les questions qu’elle vient de me poser. Bien sûr, je n’ai aucune réponse à tout ça. De plus, j’ai toujours pensé qu’elle était plutôt proche de son neveu et en y repensant, je me souviens qu’elle a mis beaucoup d’empressement à me proposer son aide, comme à critiquer Howard. De l’autre côté de la table, ma compagne me regarde, semblant suivre le fil de mes pensées, et c’est les yeux dans les siens que je lui réponds.

« Crois-tu que j’ai eu tort de me confier à elle, Gabrielle ? Crois-tu qu’elle serait capable de m’avoir baratinée pour nous signaler ensuite aux services de l’immigration ? Et d’ailleurs, pourquoi ferait-elle ça ? Qu’aurait-elle à y gagner ? »

En face de moi, Gabrielle hausse les épaules.

« Je ne sais pas pourquoi elle ferait ça. Peut-être que le gouvernement a prise sur elle d’une manière ou d’une autre, peut-être à cause de son neveu. Ou alors elle est payée pour ça. Après tout, elle a un train de vie tout à fait correct, elle ne se prive de rien, et pourtant elle ne travaille pas. On peut se demander d’où proviennent ses revenus. »

Je hoche la tête, je commence à penser que je n’ai pas été prudente en allant voir Norma et à me demander si ma compagne n’a pas raison. Je réfléchis une seconde, puis prends une décision.

« Il serait préférable que nous quittions cet appartement, le plus vite possible et au moins pour deux ou trois jours, le temps de voir ce qu’il se passe. Si tout va bien, nous pourrons revenir, sinon… »

Elle acquiesce d’un mouvement du menton, paraissant avoir pensé à ça bien avant moi. D’ailleurs, elle ne tarde pas à me le confirmer.

« J’étais très inquiète tout à l’heure, ton absence a été beaucoup plus longue que prévue. J’ai eu beaucoup de temps pour me poser des questions, de me tourmenter. Alors, j’ai pensé que si tu avais des ennuis et qu’il nous faille partir très vite, le mieux serait que je prépare les sacs à dos. »

Elle tend le bras vers notre lit.

« Je les ai posés là-bas. Il y a nos armes, les gourdes, quelques vêtements et affaires de toilette, et tous les aliments secs que nous avions dans les placards, boîtes de conserves et autres. Et bien sûr, la carte du pays. Avec ça, nous sommes parées. »

Je dois reconnaître que je suis un peu admirative devant cette organisation. Je me lève et vais déposer un petit baiser sur ses lèvres. Après quoi, nous allons chercher nos sacs. Au moment de franchir le seuil, Gabrielle jette un dernier regard à l’unique pièce, poussant un soupir comme si elle regrettait déjà de quitter la petite vie presque tranquille que nous avons vécue ici, même si ça n’a duré que très peu de temps. Ensuite, nous fermons et nous descendons les escaliers.

 

************

Nous ne sommes pas encore dans la rue, que nous voyons Howard surgir, passant la porte de l’immeuble au moment où nous arrivons en bas des escaliers. Instinctivement, je recule d’un pas et porte la main à ma poche de veste, là où j’ai dissimulé mon poignard. Heureusement, je n’ai pas à m’en servir puisque Léna va immédiatement à sa rencontre, l’œil attentif et l’expression méfiante pour le questionner d’un ton rogue.

« Pourquoi es-tu là, Howard ? »

Elle jette un ou deux regards nerveux dans la rue, ne reportant les yeux vers lui qu’une fois qu’elle s’est assurée que personne n’accompagne son ancien frère d’arme. Du moins personne de visible d’ici, et je m’en vais me poster près de la porte pour surveiller la rue en tendant l’oreille vers la conversation entre ma compagne et Howard. Celui-ci parait un peu fébrile alors qu’il donne les raisons de sa présence à Léna.

« J’ai reçu un coup de fil de ma tante. Elle jubilait manifestement en me racontant qu’elle avait enfin un motif suffisant pour vous signaler à la police. Je suis venu vous prévenir et vous conseiller de partir, le plus vite et le plus loin possible. »

«Je relâche ma surveillance une seconde pour observer la réaction de ma compagne à ce discours surprenant. Son sourcil droit est grimpé très haut sur son front, elle croise les bras sur sa poitrine et interroge, son ton indiquant clairement son scepticisme.

« Norma nous aurait dénoncée ? A la police ? Pourquoi maintenant, et pourquoi pas à l’immigration ? D’ailleurs, qu’est ce qui me dit que ce n’est pas toi qui nous tends un piège ? Après tout, tu étais furieux après moi cet après-midi, et tu n’as jamais aimé Gabrielle. »

Je ne vois pas la réaction d’Howard, mes yeux étant de nouveau fixés sur la rue, mais j’entends l’impatience mal contenue dans sa voix.

« C’est vrai, je n’ai aucune sympathie pour ta copine là, mais toi, tu as combattu à mes côtés et nous nous entendions bien, nous nous sommes entraidés souvent si tu te souviens bien. Et si Norma n’a pas appelé l’immigration, c’est parce que ceux qui arrivent ici illégalement pour fuir la guerre sont si nombreux que les dénonciations sont inutiles une fois sur deux.  La police, par contre, ne fait de cadeau à personne. Jusqu’à présent, elle ignorait que vous aviez tué des gardes-frontières, et que vous cherchiez à faire connaitre le détournement des fleuves à vos peuples respectifs. Et ça, c’est impardonnable ici. »

Il s’arrête de parler le temps de reprendre son souffle puis reprends aussitôt.

« Tu dois me croire, Léna. Jamais je ne pourrai m’en prendre à toi, je me rappelle parfaitement le jour où tu as descendu l’ennemi qui allait me tirer dessus. Quant à ma tante, elle t’a sans doute raconté qu’elle possède un réseau assez important. Et c’est vrai. Parce que c’est de ça qu’elle vit, l’état lui verse un salaire pour qu’elle observe et soit à l’affut de tous les nouveaux venus qu’elle peut repérer et qui sont près à n’importe quelle malhonnêteté,  ou pire, pour s’en sortir. Il faut me croire Léna, je suis sûr qu’elle a déjà prévenu les flics et qu’ils ne vont pas tarder à arriver. Vous devez vous dépêcher ! »

Ma compagne le regarde dans les yeux, sans ciller, pendant presque une minute, puis semble prendre sa décision. Elle lui tapote l’épaule, prononce un « d’accord » sans la moindre hésitation, puis vient me rejoindre près de la porte.

« Allons-y, Gabrielle. De toute façon nous ne pouvons pas rester ici, et nous avions des doutes au sujet de Norma avant même qu’Howard n’arrive. »

Je la suis en marmonnant que j’espère que nous ne regretterons pas de le suivre, tout en jetant un regard dépourvu de toute amabilité vers l’homme, lequel fait comme s’il ne l’avait pas remarqué. A la queue leu leu, nous nous glissons dans la rue, rasant les murs jusqu’à la première intersection, sur notre droite. Au moment de nous engager dans celle-ci, je jette un dernier regard vers notre immeuble, et ce que je vois me fait frémir. Une voiture de police est garée de l’autre côté de la rue, exactement à l’opposé de l’endroit où nous nous trouvons, une voiture dont sortent quatre hommes, en uniforme et leurs armes à la main, visiblement prêtes à servir, se dirigeant droit vers l’entrée que nous avons quittée depuis moins d’une minute.

Reculant sous une porte cochère, nous observons les hommes pénétrer dans ce qui, jusqu’à ce soir, était notre immeuble et il ne faut que quelques secondes pour que nous apercevions la lumière s’allumer à ce qui étaient nos fenêtres. Nous n’en voyons pas davantage. Apparemment un peu nerveuse, ou en colère, Léna donne le signal du départ et nous nous éloignons rapidement du quartier.

Nous marchons vite, et comme je suis la plus petite du trio, j’ai beaucoup de mal à suivre mes compagnons de route et c’est complètement essoufflée que j’interroge Léna, ignorant complètement Howard, lequel me traite avec le même mépris.

« Que faisons-nous maintenant ? Où allons-nous ? Je suppose que nous devrions quitter la ville le plus vite possible, toutes les deux seulement d’ailleurs, mais ensuite ? Est que tu as une idée ? »

Ma compagne me jette un regard, la colère ou l’irritation ayant quitté ses yeux maintenant, et ralentit le pas en me voyant trottiner.

« Non, je ne sais pas encore à quel endroit nous serions le plus en sécurité. Mais comme toi, je pense que nous devons quitter la ville, et sans doute le pays. »

Elle pousse un profond soupir et passe un bras sur mes épaules.

« Ça risque d’être long. Nous allons de nouveau marcher, sans doute pendant un long moment. »

J’acquiesce, c’est à peu près ce que je pensais moi aussi. Et puis, Howard se mêle de la conversation. 

« Il y a fort à parier que Norma a donné vos signalements aux policiers et que vous ne serez plus en sécurité nulle part dans ce pays. Vous avez tout intérêt à passer une frontière, le plus rapidement possible. »

Il a sûrement raison, je le sais bien mais l’interruption m’agace, et je suis encore plus irritée quand ma compagne me lâche pour l’interroger.

« Tu as peut-être une suggestion à nous faire, une solution à nous proposer ? Après tout, il me semble que tu connais quelques personnes toi aussi. »

Il hoche la tête

« Oui. J’ai un petit réseau, moins important que celui de ma tante, mais ça devrait suffire. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de vous éloigner, très rapidement. Il se trouve que je connais quelques cheminots et que, si je me souviens bien, il y a un train, ce soir, qui se dirige vers l’Ouest. Il passe même la frontière je crois, mais je ne sais pas si vos faux papiers pourront servir au moment de franchir la douane, tout dépendra de ce que Norma aura signalé. »

Léna secoue négativement la tête, réfléchissant à la proposition de son ex-compagnon d’arme. Elle me jette un regard interrogateur, mais je ne réponds que d’un signe de tête négatif. Pour être honnête, la proposition d’Howard est tentante, mais je ne suis pas sûre de faire confiance à l’homme. Et si je ne m’ouvre pas à ma compagne à ce sujet, c’est que je n’arrive pas à savoir si je suis soupçonneuse parce que je le crois indigne de confiance, ou si c’est seulement parce qu’il m’a toujours exaspérée. Alors, je préfère ne rien dire et m’en tenir au jugement de mon amie, en qui j’ai totalement confiance. Finalement, ma compagne hoche la tête en direction de son ancien frère d’arme.

« D’accord, on va faire comme ça. »

Elle n’en dit pas davantage et Howard ne pose pas plus de question tandis que nous nous dirigeons donc vers la gare. Celle-ci n’est pas dans le quartier et il nous faut marcher pendant une bonne demi-heure pour y arriver. Il fait nuit noire et, sous les néons de la compagnie ferroviaire, les quais, peu encombrés par quelques voyageurs à l’air ensommeillé, semblent crasseux sous la vague peinture grise qui les recouvre. Mon premier regard est pour le tableau des trains au départ, constatant que, là-dessus au moins, Howard ne nous a pas menti. Un départ pour le pays frontalier le plus à l’Ouest  de celui-ci est prévu dans moins d’une heure. Instinctivement, je fouille dans mes poches pour compter l’argent que je possède tout en me demandant combien Léna peut bien avoir sur elle. Apparemment, Howard devine à quoi je pense puisque, sans même me jeter un coup d’œil, il se tourne immédiatement vers ma compagne pour lui indiquer une banquette, sur le quai.

« Il vaut mieux que vous attendiez là. Vous risquez de vous faire repérer en allant au guichet. Je vais plutôt aller voir qui sera le contrôleur pour votre voyage, avec un peu de chance, ce sera un copain. Ca vous permettra d’être tranquille pendant tout le trajet. »

Nous nous asseyons donc, choisissant un banc dans un coin ne bénéficiant pas de trop de lumière, pendant que l’ancien compagnon d’arme de ma compagne s’éloigne, à la recherche de qui que ce soit qui pourrait nous aider.

 

**************

 

Gabrielle s’appuie légèrement sur moi, mais je la sens retenue, comme je le suis moi aussi, d’ailleurs. Après tout, il est inutile de nous faire remarquer en manifestant trop visiblement notre attachement l’une envers l’autre. Les minutes passent lentement, et je dois dire que je ne suis pas très à l’aise. J’ai décidé de faire confiance à Howard, je le connais depuis suffisamment longtemps pour être convaincue de sa loyauté envers moi. Mais ma compagne, même si elle ne m’en a rien dit, n’est pas de cet avis, et je ne peux retenir une légère appréhension. Que se passera-t-il si je me suis trompée ? J’assumerai mon erreur, en ce qui me concerne, mais que la jolie blonde dont je suis tombée amoureuse si rapidement doive en subir les conséquences est une idée qui me fait frémir. Cependant, je m’efforce de garder une attitude calme et détendue, bien que j’observe attentivement, et sans arrêt, les alentours, le moindre mouvement, la moindre silhouette, qui pourraient paraitre suspect ou dangereux.

Sur ma gauche, ma compagne étouffe péniblement un bâillement et marmonne. Je ne comprends pas les mots qu’elle prononce mais je sais que l’attente lui tape sur le nerfs et je me penche vers elle pour lui murmurer à l’oreille que tout ira bien et qu’elle ne doit pas s’inquiéter. Elle ne répond pas, mais le regard qu’elle me lance indique son scepticisme. Je n’insiste pas.

Howard revient vers nous au bout d’une demi-heure environ, accompagné d’une homme d’âge moyen vêtu de la tenue règlementaire de la compagnie ferroviaire. Très grand, sans doute un bon mètre quatre-vingt-dix, des cheveux bruns grisonnants et un regard clair, avec un visage avenant et des yeux clairs, il m’est immédiatement sympathique. Il nous salue rapidement, puis nous indique de le suivre pendant que mon ancien frère d’arme fait un geste vers une des sorties de la gare.

« Je vais sous laisser maintenant. Vous êtes en de bonnes mains et je dois rentrer avant que ma tante ne s’interroge sur mon absence. Je te souhaite bonne chance, Léna. »

Il me donne une franche accolade que je lui rends sans hésitation, je chuchote même un petit merci par-dessus son épaule. Il me relâche, me sourit brièvement, et se détourne sans accorder même un regard à Gabrielle, laquelle semble tout à fait d’accord avec ça.

L’homme commence par se présenter « Je m’appelle Marc, et je serai le contrôleur dans le train que vous allez prendre », puis nous entraine immédiatement à sa suite en nous expliquant ce que nous devrions faire, d’après lui.

« Il est inutile, et dangereux, d’acheter des tickets. Nous avons déjà reçu des photos de vous deux, la police nous les a faxées. Ce ne sont pas de très beaux portraits, et avec un peu de chance, personne ne vous reconnaitra. Cependant, il serait prudent de ne pas trop trainer dans la gare, alors je pense que vous devriez d’ors et déjà monter à bord du train. Ce sera moins risqué et de toute façon, le départ est prévu dans moins d’une demi-heure maintenant. »

Tout en parlant, il marche en direction des voies, s’éloignant des quais pour s’approcher des voies de garage là où des ouvriers effectuent les dernières vérifications sur les trains en partance. Discrètement, nous contournons plusieurs rames et passons sans nous faire remarquer jusqu’à ce que nous arrivions près d’une locomotive, pas très moderne apparemment. Nous montons dans le wagon accroché immédiatement derrière la motrice et Marc nous désigne les deux sièges, côte à côte, qui se situent juste derrière le local de conduite.

« Je dois y aller maintenant. On se reverra pendant le trajet. Restez discrètes et tout se passera bien, faites-moi confiance. »

Il nous laisse là-dessus. Nous le regardons quitter le wagon puis nous nous tournons l’une vers l’autre. Le regard de Gabrielle est encore incertain, et je m’efforce de la réconforter en lui répétant que tout ira bien. Elle fait une petite moue, pas vraiment convaincue, avant d’exprimer enfin le fond de sa pensée.

« Notre sort est maintenant entre les mains de quelqu’un que nous ne connaissons pas. Honnêtement, je ne suis pas vraiment rassurée par tout ça. Et puis, même si tout se passe bien, qu’allons-nous faire ensuite ? Attendre que les douaniers montent dans le train et nous prennent sur le fait ? »

Je prends délicatement sa main pour lui répondre doucement.

« Je ne crois pas, non. Du moins, ce n’est pas ainsi que j’ai envie que nous procédions. Ce que j’aimerais, et j’ai hâte d’entendre ton opinion à ce sujet, c’est que nous quittions ce train à la dernière gare avant la frontière, pour terminer le trajet à pied, comme quand nous sommes arrivées dans ce pays. »

Gabrielle grimace. Apparemment, cette idée ne semble pas lui plaire tant que ça, pourtant, sa première parole n’est pas une objection. Ce n’est qu’ensuite qu’elle m’explique ses réticences.

« J’aimerais beaucoup recommencer à marcher avec toi. Mais je n’ai aucune envie de passer la frontière de la même manière que la dernière fois. Nous avions combattu longtemps, et nous battre pour passer semblait presque naturel si je puis dire, mais maintenant… Je ne veux plus tuer des gens qui ne m’ont rien fait, qui font seulement leur travail. Pour être honnête, j’aimerais beaucoup ne plus jamais avoir à tirer sur quelqu’un de ma vie. Est-ce que tu comprends ça ? »

Elle lève les yeux vers moi, arborant presque un air penaud, comme si elle avait peur de me décevoir par cette déclaration. Mais ce n’est pas le cas, et je m’empresse de la rassurer sur ce point.

« Oui, je comprends, peut-être plus que tu sembles le penser. Je me battrais s’il le fallait, mais j’avoue que j’aimerais bien, moi aussi, ne plus avoir à utiliser une arme contre qui que ce soit. J’ai beaucoup pensé à tout ça, Gabrielle, et la suggestion que je vais te faire te plaira sans doute, du moins c’est ce que j’espère. »

Elle se redresse sur son siège et me regarde avec attention, paraissant impatiente de m’entendre.

«  Si nous rentrons dans ce nouveau pays comme nous l’avons fait dans celui que nous quittons, nous devrons de nouveau nous cacher de l’immigration, nous procurer, plus ou moins facilement, des papiers… Et nous n’aurons sans doute pas la chance de rencontrer un de mes anciens compagnons d’arme. »

La simple mention d’Howard fait grimacer ma compagne, et je ne peux retenir un petit sourire, je n’aurais jamais pensé qu’elle soit jalouse. Mais je dois dire que, tant qu’elle n’est pas exagérément possessive et soupçonneuse, ça a un petit côté qui ne me déplait pas. Je ne dis cependant rien à ce sujet et reprend là où je me suis arrêtée.

« Ce que je crois, c’est qu’il nous faut de vrais papiers d’identités, que nous puissions vivre là-bas de manière légale et régulière. Alors, je crois que nous devrions simplement nous présenter à la frontière et demander l’asile. Qu’en penses-tu ? »

L’expression de son visage est songeuse, mais elle hoche rapidement la tête pour donner son accord.

« Ca nous créera quelques problèmes au début, je suppose, mais tu as raison, Léna. Même si c’est compliqué les premiers temps, nous serons plus tranquilles par la suite, du moins si nous ne sommes pas refoulées à la frontière. Veux-tu m’expliquer comment tu vois les choses exactement ? »

Je m’installe un peu plus confortablement dans mon siège, sans lâcher sa main, avant de lui répondre.

« D’abord, nous allons nous présenter aux gardes-frontières, désarmées. C’est en partie pour ça que je t’ai proposé de finir le trajet à pied,  pour que nous puissions nous débarrasser de nos revolvers, et des poignards, le plus discrètement possible. Et aussi pour passer une ou deux journées tranquilles avec toi de la même manière que nous l’avons fait avant d’arriver ici, comme au bon vieux temps en quelque sorte. »

Ça la fait sourire. Nous nous taisons une minute, alors que nous ressentons les secousses provoquées par le démarrage du train, puis je reprends la parole.

« Nous nous rendrons donc à la douane et demanderons l’asile en expliquant notre situation et en mentant le moins possible, afin d’éviter de nous tromper. En fait, il suffira de ne pas mentionner la manière que nous avons utilisée pour entrer ici, de prétendre que nous avons simplement réussi à nous faufiler discrètement et de feindre l’ignorance si on nous parle des gardes-frontières abattus. Pour le reste, je crois qu’il serait judicieux de nous en tenir à la vérité. Sur la façon dont nous nous sommes rencontrées, les accusations de désertions, la vie que nous avons menée ici, et bien sûr, notre conviction que les fleuves ont été détournés. »

Elle ne me lâche pas du regard durant tout le temps de mon petit laïus, et me sourit doucement lorsque je termine avant de me donner son opinion sur ce que je viens de lui proposer.

« Je vois que tu as pensé à tout. Et j’avoue que je n’imagine pas d’autre scénario possible. Alors allons-y ! Après tout, jusqu’à présent nous n’avons jamais eu peur de prendre des risques. J’espère juste que ceux-là paieront et que nous pourrons enfin vivre en paix. La seule chose que tu n’as pas évoquée est l’objectif que nous poursuivons depuis un moment maintenant. As-tu réfléchis à ça aussi ? »

J’acquiesce d’un simple mouvement du menton et reprends.

« J’ai eu une idée toute bête. Pourquoi ne pas alerter la presse, tout simplement ? Bien sûr, cela va nous obliger à attendre que notre situation soit régularisée, ce qui peut prendre un certain temps. Mais à ce moment-là, nous aurons de vrais papiers d’identité, nous n’aurons pas besoin de nous cacher ou d’utiliser des contacts plus ou moins douteux et tout sera plus facile.  Même ton idée de contacter un ambassadeur sera, peut-être, possible. Deux choses que nous ne pouvions pas faire ici, notamment à cause de notre situation irrégulière qui nous incitait à la prudence. Dans ce nouveau pays, même si nous passons quelques moments difficiles dans les débuts, nous pourrons faire tout cela.»

Lorsque je me tais enfin, Gabrielle me sourit en passant doucement une main dans mes cheveux. Elle reste silencieuse une seconde, semblant se contenter de faire ce geste affectueux, avant de prendre la parole.

« Je suis contente, Léna. Parce que tu as apparemment la même opinion que moi sur ce qu’il convient de faire. Honnêtement, je ne sais pas comment j’aurais réagi si tu avais parlé de reprendre les armes, ou de laisser tomber la nécessité d’informer nos compatriotes respectifs sur cette guerre et les raisons qui l’ont provoquée. »

Elle pousse un petit soupir mais continue de me sourire tandis qu’elle prolonge la caresse, dans mes cheveux.

« Je suis contente, parce que je ne me suis pas trompée en ce qui te concerne. D’ailleurs, je suis sûre que je n’aurais pas pu tomber amoureuse d’une femme moins noble, moins courageuse, moins décidée à suivre ses convictions que toi. Ca m’a couté quelques bleus et ecchymoses au moment de notre rencontre, mais je suis très heureuse d’être auprès de toi, Léna. »

Elle termine cette déclaration en posant un petit baiser sur ma joue. Après quoi, elle appuie la sienne contre mon épaule et ferme les yeux, paraissant décidée à profiter du mouvement de balancement du wagon sur les rails pour faire un petit somme.
Je reste bien éveillée pour ma part, réfléchissant à tout ce que nous venons de nous dire et cherchant ce que nous pourrions avoir oublié, le détail qui pourrait ruiner nos chance de pénétrer dans ce nouveau pays. Je cherche longtemps, et je trouve le trajet très long.

 

**************

Enfin ! Enfin nous avons réussi et, pour la première fois depuis que nous nous connaissons, Léna et moi sommes installées, sans doute pour un bon moment. Tout n’a pas été facile et nous avons toutes deux connu quelques moments de découragement. Mais nous avons trouvé du travail, avons loué une petite maison dotée d’un minuscule jardinet, commençons à nous faire des amis et entretenons de bons rapports avec nos voisins. Le seul inconvénient étant que nous sommes l’une et l’autre loin de nos familles et que nous ne pourrons ans doute pas les voir avant longtemps. Mais nous avons réussi, et c’est bien là l’essentiel.

Ça a été difficile, pourtant. Après deux petites journées de marche, au sortir du train, nous avons passé la dernière soirée non loin de la frontière. Nous étions toutes les deux un peu solennelles au moment d’enterrer nos armes, poignards compris, au pied d’un vieux chêne. Nous avons mangé ce qui restait de nos provisions, nous sommes allongées entre deux grands arbres et avons parlé longtemps, évoquant Howard et l’aide qu’il nous a apportée, Norma et sa trahison, et les diverses aventures que nous avions traversées pour arriver jusqu’ici. La conversation a fini par languir et nous avons fait l’amour, lentement, tendrement. Et puis, le matin venu, nous nous sommes présentées à la frontière.

Après avoir raconté plusieurs fois les circonstances de notre arrivée sur les lieux, ensemble et séparément, nous avons intégré un centre de rétention. L’endroit était correct, propre, avec des installations tout à fait convenables et bien entretenues. Mais nous y sommes restées longtemps, très longtemps. Presque un an en fait. Heureusement, si nous ne partagions pas le même dortoir nous nous voyions tout de même tous les jours, lors des repas communs, ou dans les espaces extérieurs.

Personnellement, si je trouvais le temps long, j’ai longtemps considéré que cette obligation de rester derrière des murs, ressemblant à une peine de prison, était une manière d’expier mes fautes, envers les gardes-frontières notamment, même si personne ici n’était au courant de ce fait. Mais pour ma compagne, ces moments ont été très difficiles. L’enfermement lui a pesé bien plus qu’à moi. Elle a réussi à ronger son frein mais je voyais sa patience s’éroder au fil des semaines et des mois et je sais que, les derniers temps, elle échafaudait mille projets d’évasion dans son esprit. Des projets qui sont restés lettre morte, heureusement, mais quand nous sommes enfin sorties du centre, son soulagement était très visible.

Personne ne nous a expliqué quelles enquêtes ont été menées durant cette période, ni sur quels critères notre libération a été décidée. Ceci dit, ce ne sont, à nos yeux, que des détails qui n’ont guère d’importance tant qu’on nous permettait de vivre dans ce pays. Nous n’avons obtenu que des papiers provisoires pendant la première année. Cependant, ils nous  ont suffit pour trouver chacune un emploi. Encore dans une menuiserie pour Léna, qui aime beaucoup travailler le bois, et dans une crèche pour moi. J’aime beaucoup les enfants et d’ailleurs, maintenant que nous possédons enfin des titres de séjour permanents, je me suis inscrite à des cours du soir afin de passer le concours obligatoire qui me permettra de devenir institutrice.

Nous avons évidemment mis nos projets à exécution,  et avons contacté des journaux pour leur raconter ce que nous avions appris au sujet des vols d’eau. Evidemment, cela a fait grand bruit, sur pratiquement tous le continent. Les ambassadeurs, que je rêvais de rencontrer, sont venus à nous d’eux-mêmes après de nombreuses enquêtes, journalistiques d’abord, policières ensuite. Il s’est avéré que nos diplomates, dans le pays de Norma, étaient au courant de la situation, mais avaient préféré se taire et profiter des nombreux avantages que le pays leur fournissaient pour prix de leur silence. Heureusement, d’autres n’étaient pas corrompus, eux, et nous avons toutes les deux été remerciées par nos nations respectives, sans toutefois que leur gratitude aille jusqu’à rayer la mention de déserteuse de nos dossiers militaires. Cependant, le plus important n’était pas là pour nous, mais bien dans le fait qu’enfin, la guerre est terminée et que nos deux pays tentent timidement de retrouver des relations normales et peut-être même amicales d’ici quelques années.

Nous sommes bien ici et, à moins d’avoir l’occasion de rendre visite à nos familles respectives, nous ne partirons sans doute plus de ce pays qui nous a très bien accueillies après les difficultés de la première année. L’approvisionnement en eau n’est pas un problème dans la région, grâce à de nombreuses sources qui jaillissent des régions montagneuses les plus au Nord et à une pluviométrie qui me semble tout à fait raisonnable. Ce n’est certainement pas la vie que j’imaginais lorsque je me suis engagée dans l’armée. Idéaliste, je ne pensais qu’à défendre ma patrie et à faire payer la disparition de l’eau à ceux que je pensais responsables de la pénurie. Et puis, j’ai été capturée par une ennemie. Je ne l’aurais jamais pensé à l’époque, mais c’était certainement la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Aujourd’hui, je vis heureuse en compagnie de la femme que j’aime plus que je ne croyais pouvoir aimer quelqu’un. L’avenir me parait radieux.

 

 

 

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Commentaires
F
Merci à gaxé de faire voyager nos imaginaires dans des histoires au charme toujours renouvelé
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S
un dénouement tout en douceur pour un drame humain issu de réflexes de survie tournés vers l'égoïsme plutôt que vers l'entraide et engendrant défiance, misère et mort<br /> <br /> <br /> <br /> S'
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