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10 septembre 2022

Cible mouvante, chapitre 27

Cible Mouvante

(Moving Target)

Chapitre 27

Traduction : Fryda (2022)

************************

Le temps qu’elles descendent l’escalier de l’avant et approchent de la salle à manger, le crépuscule était avancé et la climatisation avait fait des progrès pour rafraîchir le navire. Dar se sentait à l’aise dans son tee-shirt à manches courtes et après leur douche improbable ensemble, elle se sentait fraîche et prête à affronter la nuit.

Kerry marchait près d’elle et semblait avoir recouvré son énergie également et être de bonne humeur tandis qu’elles passaient le seuil et entraient dans le hall. Au lieu de porter un jean, elle avait préféré enfiler un pantalon de charpentier affublé d’une boucle pour marteau que Dar avait trouvée trop mignonne pour dire quoi que ce soit.

Un bourdonnement leur fit lever les yeux et elles se rendirent compte qu’elles rejoignaient une foule bien plus importante que ce qu’elles avaient pensé, dans un environnement qui mettait presque en valeur le glamour vernis du navire.

Dar ralentit et regarda autour d’elle, un peu surprise. La salle énorme était en meilleure condition qu’elle ne s’y était attendue, son plafond montait sur deux ponts et le mur du fond totalement fait de baies vitrées, montrait une jolie vue du port de Miami qui s’éloignait derrière eux.

La moquette était neuve, apparemment fraîchement posée et les tables étaient couvertes de tissu et de couverts en argent. Le long de l’arrière de la pièce, un grand buffet avait été installé et derrière lui, les traiteurs étaient occupés à faire le nécessaire pour servir la nourriture qu’ils avaient apportée avec eux.

La pièce était pleine de membres de l’équipage, la plupart d’entre eux plutôt jeunes, tous vêtus à l’ordinaire et l’atmosphère était détendue et bien plus amicale que jusque-là. Ils avaient été traités avec courtoisie quand ils étaient à bord, mais l’équipage avait été clair sur le fait qu’ils débordaient sur leur espace.

L’équipe d’ILS était installée en petits groupes, se mêlant avec précautions à l’équipage et attirait surtout l’attention des femmes. Dar poussa Kerry du coude pour montrer Mark entouré de deux femmes, une blonde, l’autre brune. « Tu penses qu’on devrait le secourir ? »

Kerry se mit à rire. Elles reprirent leur marche vers le petit groupe mais elles furent repérées et l’équipe d’ILS se mit à marcher vers elles également.

C’était intéressant. Kerry observa les regards de l’équipage qui suivaient les techniciens, détectant une touche d’envie. D’une certaine façon, elle pouvait presque voir un parallèle entre les deux groupes ; comme les officiers, ses techniciens avaient leur propre hiérarchie et comme les officiers, son équipe regardait dans la direction des dirigeants à la recherche de direction, protection et assurance.

La grande différence, bien sûr, était que les officiers seniors du navire étaient tous des hommes. Et Dar et elle étaient définitivement des femmes.

« Tout le monde est bien installé ? » Dar s’arrêta sur la dernière marche avant le hall, attendant que tous les techniciens se regroupent autour d’elle.

« Oui, c’est super », répondit Mark pour eux. « C’est plutôt cool. On a des fenêtres. » Il semblait agréablement surpris. « Mais mec, ces salles de bains sont minuscules ! Si vous aviez votre famille avec vous, les douches prendraient foutument toute la matinée. »

Dar le regarda et haussa un sourcil. Elle jeta un coup d’œil à Kerry qui fixa studieusement le lointain. « Ahem. C’est vrai. » Elle s’éclaircit la voix.

« Bref, c’est super cool ! » L’assura Mark.

« Bien. » Dar mit les mains sur ses hanches. « Voilà le plan », dit-elle. « Tout le monde profite du bon dîner, se détend et ensuite on commence la distribution. »

« On a tout entreposé dans le lobby », acquiesça Mark.

« L’atrium. »

Ils se retournèrent pour voir le vieux pote de Kerry, Talley, qui se tenait là. Il toussa et cligna des yeux en moquerie. « C’est l’atrium. On n’a pas de lobby », expliqua-t-il. « Nous n’avons pas de salle de bains, nous avons des têtes (NdlT : ce terme est utilisé sur un navire à la place des toilettes, c’est lié à une tradition), et nous n’avons pas de chambres mais des cabines ou des quartiers. »

Quelques membres d’équipage s’étaient approchés et écoutaient.

« D’accord, l’atrium. » Mark se corrigea aimablement, puis il retourna son attention vers Dar. « Nous avons déballé avant d’aller nous changer. »

« Hum… excusez-moi. » Talley l’interrompit à nouveau. « Puis-je poser une question ? »

Dar le regarda droit dans les yeux. « Bien sûr. Tirez », dit-elle. « Mais si vous voulez une compétition de jargon, je veux bien parier que je peux vous battre, surtout vu le fait que j’ai grandi sur une base de la Navy et que je connais plus de noms pour l’équipement sur ces foutus trucs que vous avez de cheveux courts. »

Talley cligna des yeux. « Heu. »

« Vous aviez une question ? » Le pressa Dar en haussant les deux sourcils en signe d’interrogation.

« Dar. » Kerry la poussa doucement. « Qu’y a-t-il Talley ? Dar est juste grognon parce qu’on ne l’a pas encore nourrie. » Elle  ignora le regard outragé de sa compagne.

Encouragé, Talley se tourna plutôt vers elle. « Tout ces trucs c’est pour quoi faire ? » Demanda-t-il. « On dirait un entrepôt de société informatique. »

Kerry se mit à rire doucement. « Et bien, c’’est pour vous », dit-elle. « Ce sont de nouveaux ordinateurs pour le navire. »

Les membres d’équipage échangèrent des regards. « Vraiment ? » Demanda une des femmes. « Même à la réception ? On utilise des manifestes manuels depuis vingt ans. Vous dites qu’on va aussi en avoir un ? »

Kerry hocha la tête. « C’est ce qu’ils ont demandé », dit-elle. « Beaucoup de choses vont changer. »

« Wow », murmura Talley.

Un bruit de pas rapides derrière elles fit se retourner Dar et elle vit les officiers du navire qui entraient dans le hall. Sans surprise, son père les accompagnait avec Céci près de lui et qui arborait une drôle d’expression sur le visage. « Salut. » Dar fit un salut général tandis qu’ils s’arrêtaient sur la plateforme haute avec elles.

Le capitaine s’arrêta, la regardant brièvement avant de produire un mince sourire. « Ms Roberts, bonsoir », répondit-il. « Je vois que vous avez rempli votre partie du contrat. »

Dar jeta un coup d’œil à la nourriture et au bar rapidement mis en place et elle haussa à demi les épaules. « Ce n’est pas le Waldorf mais c’est mieux que le MacDo. » Elle ignora le regard noir du capitaine en charge des RH. « On y va ? »

La capitaine fit un geste vers le buffet avec grâce. « S’il vous plait », dit-il. « Vous avez rencontré mes officiers si je comprends bien ? Certains d’entre eux au moins ? » Son regard passa sur son capitaine des RH et une étincelle de faible amusement entra dans ses yeux. « Et vous connaissez aussi, je crois, ah… » Il jeta un coup d’œil à Andrew. « Le commandant… »

« Oh oui, nous nous sommes rencontrés », dit Dar d’une voix trainante.

« Hé. » Son père ricana. « Ouais. Plusieurs fois. »

Céci leva les yeux au ciel. « C’est évident de voir qui a génétiquement contribué à ce sens de l’humour », fit-elle observer. « Peut-on manger maintenant ? J’entends du coleslaw qui m’appelle. »

Ils descendirent les marches pour entrer dans la salle. L’équipage se sépara rapidement pour laisser les officiers passer sans être gênés, mais tandis qu’ils s’approchaient de la nourriture, certains d’entre eux se joignirent timidement à nouveau. « Monsieur, peut-on prendre votre commande ? » Demanda l’un d’eux au capitaine avec respect.

« Certainement. » Le capitaine hocha la tête. « Nous allons nous installer à cette table-là. » Il en montra une petite sur le côté avec des choses finement posées dessus. « Qu’on nous apporte une bouteille de vin rouge et une bouteille de vodka, s’il vous plait. »

« Monsieur. » L’homme qui avait parlé baissa la tête puis se retourna et alla vers le bar d’un pas volontaire.

Mark s’approcha de Dar. « Euh… Cheffe ? »

« N’y pense même pas. » Dar montra de son pouce par-dessus son épaule. « Allez faire la queue, vous tous. »

Les techniciens se dépêchèrent d’obtempérer, étouffant des sourires tandis qu’ils rejoignaient la ligne grandissante des gens qui attendaient pour atteindre la récompense.

Kerry tourna le cou puis se tourna vers Mark. « Ecoute… j’attrape ton roastbeef si tu peux trouver deux bouteilles de Corona », proposa-t-elle. « Tope là ? »

« Tope là. » Mark se dirigea vers le bar avec un sourire.

« On en a apporté une caisse. » Dar regarda sa compagne.

« Je ne prends pas le risque. » Kerry mit les mains dans son dos et balança un peu sur ses talons. « Je connais au moins la moitié de cette foule. »

« Mm. « La ligne se mit à avancer tandis que le capitaine finissait de choisir et Dar jeta un regard au buffet d’un œil critique. Etant donné le court délai, le traiteur s’était plutôt bien débrouillé. A part le roastbeef, il y avait du porc rôti, plusieurs blancs de dinde qu’on découpait, des cuisses d’agneau, ce qui ressemblait à des poêlées de poisson blanc, des lasagnes, quelques sortes de pâtes au parmesan et des légumes assortis.

Il y avait aussi de la purée de pomme de terre. Dar se lécha les lèvres de satisfaction et hocha la tête. Elle avait faim et elle savait que Kerry aussi, vu qu’aucune d’elles n’avait apporté de barres de céréales et qu’elles avaient consommé de l’énergie entre elles.

« Par la Déesse, ce sont des asperges ? » Fit remarquer Céci. « Honnêtement je pensais que j’allais devoir me contenter d’algues. »

Kerry se mit à rire. « Maman. »

« Et bien, je l’ai déjà fait. J’ai visité des navires où ils pensaient que les boulettes de viande c’était des légumes parce qu’on avait mis du persil haché dedans. »

« Je vois pas mal de légumes », fit observer Kerry. « Regardez, il y a des carottes. » Elle regarda à nouveau. « Ou bien ce sont des patates douces. »

« Du moment qu’ils n’ont pas de foie de porc grillé. » Sa belle-mère renifla. « Alors tu te sens mieux maintenant ? »

Kerry prit une assiette et en tendit une à Céci, Dar ayant équipé son père et elle de la même façon. « Hein ? Oh… » Elle s’éclaircit la voix. « Oui, j’ai eu l’occasion de me détendre un moment dans notre cabine. » Elle posa du brocoli vert brillant avec virtuosité sur son assiette. « Désolée d’avoir été grognonne tout à l’heure. »

« J’ai le bœuf pour Mark. » Dar tourna la tête pour informer Kerry. Elle avait deux assiettes et jonglait avec dextérité avec tout en ajoutant des choses, ce que Kerry n’aurait même pas rêvé d’essayer.

« D’accord. Merci. » Kerry la cogna doucement d’une épaule. « Attention. »

Dar rit et continua ses jongleries.

Céci mit de quoi dans son assiette également. « Et bien, pour être parfaitement honnête, Kerry, si j’avais appris que j’avais monté des centaines de kilos d’équipement dans un escalier en métal alors qu’il y avait un ascenseur en parfait ordre de marche, grognonne serait la moindre de mon humeur. »

Un peu confortée, Kerry se contenta de grogner, tandis qu’elle se servait d’un peu de tout, gardant de la place pour quelques tomates en grappe avant de suivre Dar vers une table proche. Elle s’assit près de sa compagne qui posa avec soin l’assiette de Mark devant lui avant de s’installer avec grâce dans son fauteuil, posant sa propre assiette en même temps.

Céci s’assit près d’Andrew, scrutant son assiette pleine de viande et de pommes de terre, avec une résignation désabusée. « Je pensais qu’ils avaient des petits pois. »

« J’crois ben qu’oui », lâcha son mari. « Tu en voulais ? »

Céci coupa un peu d’asperge et mordit dedans. De toutes les différences qu’elle avait avec Andy, celle-ci causait le plus de discussions dans leur quotidien. Pendant le temps où il était dans la Navy, elle n’avait pas vraiment eu à s’inquiéter vu qu’il mangeait au mess ou qu’il était à bord d’un navire, et elle pouvait cuisiner comme elle voulait ses propres plats végétariens.

Ou pas.

Alors, bien entendu, elle avait été dépitée quand sa fille, qui après tout, avait plus d’expérience à manger sa cuisine que celle de la Navy, avait fini par détester les légumes autant que son père.

La génétique ? Céci en doutait sérieusement, mais il y avait deux assiettes sur la table, remplie de la même façon et ni son mari ni sa fille n’avait jamais semblé souffrir de ça. Kerry, d’un autre côté, appréciait plus les légumes et en fait elle coupait des morceaux de son plat et les posait sur l’assiette de Dar quand celle-ci ne regardait pas.

Dar, bien entendu, naviguait autour des intrus colorés. Céci aurait pu dire à Kerry que c’était une cause perdue, vu qu’elle avait tout tenté pour y arriver. Cependant, elle notait que Kerry continuait et à la fin, Dar en mangeait un juste pour l’écarter de son chemin.

Hm.

Peut-être qu’elle n’avait pas assez essayé. Ah, bon.

Le bateau bougeait doucement sous eux et lentement la queue s’éclaircit au buffet et le bas grondement de conversation démarra dans la pièce. Le bar était occupé et tout le monde semblait content de la sélection de nourriture.

Certain techniciens d’ILS s’étaient mêlés à l’équipage et Céci regarda les réactions tandis que les deux groupes différents se mêlaient. Vu qu’ils avaient à peu près le même âge, elle se disait qu’ils trouveraient des sujets de conversation communs, surtout que l’équipage avait été sur le navire depuis un moment, ce n’était pas des marins au sens où les collègues d’Andy l’avaient été.

Ils étaient encore un peu civils. « Hé, Andy ? »

« Oui madame ? » Son mari la regarda.

« On devrait faire une croisière. »

Un haussement de sourcil gris. « On vit sur un bateau », dit-il. « Tu veux aller sur un gros ? »

« Mm. » Céci hocha la tête. « Un de ces  monstres énormes flottants où on met des bonbons à la menthe sur votre oreiller et vous pouvez jouer au golf sur le pont supérieur. »

Andy tressaillit.

Et bien, peut-être pas. Céci retourna à ses légumes. Ou peut-être qu’elle pourrait en trouver un où on vous laissait pêcher les poissons queue d’éventail. Andy adorait ça.

Maintenant que tout le monde était assis, le capitaine se leva et tapota son verre de son couteau. Les conversations s’éteignirent et tous les regards pointèrent sur lui. « Je suis content que nous ayons cette occasion de savourer un bon repas ensemble », dit-il. « Vous avez tous travaillé dur et c’est bien que nous ayons constaté des progrès et que nous ayons une soirée sans bruit de marteaux, pas vrai ? »

L’équipage applaudit immédiatement mais ne dit rien.

« Alors reposez-vous bien ce soir. Nos hôtes vont malheureusement travailler mais je pense qu’ils ne font pas autant de bruit que les métallos, n’est-ce pas vrai ? » Le capitaine regarda Dar.

Dar était contente de n’avoir pris qu’une seule gorgée de bière pour humidifier sa bouche. Elle l’avala rapidement. « Nous pouvons faire du bruit si c’est nécessaire », dit-elle. « Mais en général ce n’est pas le cas. »

« Excellent. » Le capitaine se retourna. « Et espérons que les gens du gouvernement finiront vite leur investigation, car nous ne pouvons pas retourner au port avant. » Il renifla. « Pour le temps que ça prendra. Alors savourez ce repas autant que vous le pouvez. »

Dar cligna des yeux et regarda Kerry.

Le capitaine s’assit et prit son verre de vin, sirotant avec une expression calme.

Céci se gratta la mâchoire. « J’espère que je ne nous ai pas jetés dans un cauchemar du Hollandais Volant. »

« Beurk. » Kerry se couvrit les yeux. « J’ai un mauvais pressentiment. »

« Ben. » Andy continuait à se frayer un chemin dans son dîner. « La vie c’est pas un coup de pied aux fesses après l’autre ? »

Est-ce que c’était le cas ? Dar se mit presque à rire. C’était le cas.

*******************************************

Kerry s’appuya contre la fontaine en granit au centre de l’atrium, vérifiant quelques entrées sur son bloc-notes. Tout était très calme autour d’elle vu qu’on était bien après minuit et que son équipe était entièrement consacrée à distribuer du matériel à plusieurs endroits du navire.

Elle entendait le léger clapotis de l’eau contre la coque et elle pouvait sentir le mouvement sous ses jambes, mais le silence qui l’entourait autrement apportait un moment hors du temps.

Le navire craquait un peu. Les plaques de métal qui retenaient l’eau âprement protestaient contre les vagues montantes telles une vieille femme de l’océan pareille à Kerry qui se tenait là solitaire.

L’équipage avait disparu après le dîner. Vers leurs quartiers ou ailleurs sur le navire, se dit-elle, un endroit où eux n’étaient pas les bienvenus. Ce qui lui allait fort bien, vu qu’ils avaient beaucoup de travail à achever et que c’était bien plus facile sans personne sur leur chemin.

Et pourtant, la vacuité donnait au navire une qualité fantomatique avec laquelle elle n’était pas à l’aise. Un autre craquement lui fit regarder rapidement autour d’elle et elle se tapa mentalement pour son imagination débordante. « D’accord. » Elle parla tout haut. « Alors ça, ça règle le problème des pc. Maintenant, il faut régler celui des systèmes d’exploitation personnels (SEP). Pas vrai ? »

« Vrai. »

Kerry sursauta, incapable de s’en empêcher à temps même si ses oreilles reconnaissaient la voix sur-le-champ. « Eeh. »

Dar descendit à grands pas l’escalier central, se frottant les mains sur un jean déjà plein de poussière. « On communique. »

« Ah. » Kerry cocha une case sur sa liste. « Le satellite fonctionne, hein ? »

« Ouais. » Dar semblait très contente d’elle-même. « Ça a demandé de la persuasion mais ça fonctionne. Ils surfent sur le web là-haut. »

« Oh, vraiment », dit Kerry. « Je parie que c’est une expérience nouvelle pour eux. »

« Mm. » La jeune femme brune s’appuya contre la colonne de marbre, près de Kerry. « C’est foutument plus lent mais c’est quelque chose quand même. » Elle regarda la liste de Kerry. « Pas mal… tous les pc sont installés ? »

« Oui. »

« Hm » Dar sortit son organisateur PDA et se connecta, regardant sa carte sans fil récupérer le signal depuis l’un des appareils qu’elle avait installés. « Les serveurs sont en marche. »

« Enfin », grogna Kerry. « Est-ce que j’ai mentionné récemment combien je déteste les serveurs OS geignards ? »

« Non. »

« Je déteste les serveurs OS geignards. »

« Hm. »

« Tu ne peux pas en écrire un meilleur ? » Demanda Kerry en mettant son bloc-notes sous son bras avant de lancer un regard inquisiteur à Dar.

Dar écarquilla les yeux. « MOI ? » Demanda-t-elle. « Je n’ai pas encore fini d’écrire ton robot de sécurité de réseau. » Elle poussa Kerry de son épaule. « Pourquoi tu n’en écrirais pas un toi ? »

« Oui oui. » Kerry cogna la colonne avec son dos. « Je me contente de mettre le souk avec ton spermophile, merci. »

Dar ricana.

Kerry la regarda. « Tu sais bien ce que je veux dire. »

« Oui », acquiesça Dar. « Mais les gens qui nous entourent ne le savent probablement pas. »

Kerry regarda le grand vide de l’atrium. « Il n’y a personne ici. Mais même si c’était le cas, je parie que personne ne me questionnerait jamais sur ton spermophile, Dar. »

Dar ricana de nouveau.

« Dar. »

Lentement, Dar se laissa glisser au sol, le ricanement se transformant presque en gloussements idiots.

Kerry espéra simplement que l’équipe de techniciens ne reviendrait pas pour connaître leurs prochaines tâches avant un moment. Elle se laissa glisser près de sa compagne et allongea les jambes, tapotant sa cuisse avec son crayon tandis qu’elle attendait patiemment. « Dar. »

« Ah. Désolée. » Dar étouffa un dernier rire. « Il est fichtrement tard. »

Après minuit, en fait. Bien trop tard. Kerry se glissa un peu plus et mit son épaule contre celle de Dar. « Tu veux t’arrêter pour ce soir ? On peut reporter les SEP à demain. »

C’était très tentant. Dar était fatiguée. Elle savait que Kerry était fatiguée et elle soupçonnait le reste de l’équipe d’être également fatigué bien qu’aucun d’eux ne l’admettrait devant leurs cheffes. Pouvaient-elles prendre le risque d’attendre ? Elles ne savaient pas quand le navire rentrerait au port et tant qu’elles étaient dehors, elles avaient l’avantage.

Mais c’était vrai aussi que plus ils travaillaient tard, plus ils seraient fatigués et plus le risque était grand de faire des erreurs. Maintenant que tous les ordinateurs étaient positionnés, la vraie partie majeure du travail était faite et le positionnement des terminaux SEP inintelligents pouvait être fait au matin, pas vrai ?

Dar fixa le ciel noir visible dans les vitres de chaque côté d’elle. Elle reconnut silencieusement que sa décision était influencée par son propre désir d’arrêter, mais elle leva les yeux pour voir les premiers techniciens qui revenaient, las et couverts de poussière, alors elle se plia au penchant de ses entrailles et fit un hochement de tête bref et décisif. « Faisons comme ça. »

« Je t’aime. »  Kerry posa son menton contre l’épaule de Dar. « Je te l’ai dit récemment ? »

Si elle avait besoin d’un point d’exclamation pour cette décision, et bien, elle l’avait eu. Dar serra ses mains et frotta un peu d’adhésif sur son index tandis qu’elle attendait que l’équipe finisse d’arriver pesamment près d’elles. « Il est temps de faire une pause, les gars. »

Des yeux ravis se posèrent sur elle. L’équipe avait l’air éreintée et pour couronner le tout, le navire avait commencé à bouger plus, faisant des mouvements verticaux et roulant d’un côté à l’autre. Plus d’un visage était un peu verdâtre. « Cheffe, ce sont des mots magiques », dit Mark. « Mais on a une tonne de choses à faire ce soir. Il reste à déposer ces trucs là-bas et à les lancer. »

Dar hocha la tête. « Bien. Alors on fera ça au matin », dit-elle. « Allez vous reposer. »

« Tout le monde a bien bossé », ajouta Kerry. « Vous êtes des superstars. »

Leurs yeux brillèrent malgré l’heure tardive. « C’était plutôt cool », dit Carlos. « Surtout avec tout le monde hors de notre chemin… bon sang, j’en avais assez de me cogner à ces types avec leur soudure. »

« Oui. » Plusieurs techniciens approuvèrent. « On devrait travailler la nuit tout le temps. »

« Hé ! » Objecta Mark. « Parle pour toi, mec ! Certains d’entre nous ont une vie ! »

Tout le monde se mit à rire. Dar se releva et tendit sa main à Kerry, la soulevant également. « Je ne sais pas ce qui nous attend demain, si nous rentrons ou pas. Alors retrouvons nous ici à neuf heures et on improvisera. » 

« D’accord, DR. » Mark était couvert de paillettes informatiques et de poussière. « Mec, je me fiche bien si le lit est une planche, je dormirai dessus là maintenant. »

« Fichtrement oui. »

Le groupe se dispersa se dirigeant vers les cabines assignées. Dar et Kerry les suivirent lentement, prenant leur temps pour monter les marches et grimper au niveau où se trouvait leur logement grandiose.

« Je me demande où tes parents étaient toute cette nuit ? » Commenta Kerry tandis qu’elle ouvrait la porte et qu’elles entraient. « Je ne les ai pas vus après le dîner. »

« Peut-être qu’ils se sont mis au lit », suggéra Dar.

« Ils sont allés se coucher aussi tôt ? » Kerry semblait sceptique.

« Ce n’est pas ce que j’ai dit. »

Kerry détourna son regard de la porte du balcon. « Oh c’est ce genre de truc  ‘penses-y et sois aveuglée’, n’est-ce pas ? » Elle fit coulisser la porte vitrée et sortit, surprise de la force du vent. « Ouaouh. »

Dar la rejoignit, l’air doux de la nuit empli seulement du sel marin et d’une pointe de gasoil. Tandis qu’elles s’appuyaient contre le balcon, la Lune sortit et peignit une rayure sur les vagues remuantes, faisant surgir de l’écume tandis que le navire plongeait. « Hm. »

« Dur », nota Kerry, s’agrippant à la rambarde alors que le navire tanguait. « Dar, tu n’as pas… »

« Dans mon sac », dit Dar. « Tu le ressens ? »

« Non », dit la jeune femme blonde. « C’est juste une précaution. La fois où j’ai vraiment été malade c’était sur le ferry de Staten Island. »

Dar la regarda. « Tu veux rire ? »

Kerry secoua solennellement la tête. « Un jour calme, pratiquement pas de vagues, la statue de la Liberté à l’arrière-plan, et moi malade comme un chien au-dessus de la rambarde. Pathétique. »

Dar se mit à rire. « Je vois. » Elle donna un petit coup à Kerry et lui montra l’intérieur. « Viens. La vue à l’arrière est meilleure et il fait chaud ici. » Elle mena sa compagne à l’intérieur, où la climatisation avait réduit l’humidité à contrecœur et apporté une température relativement confortable pour dormir.

Autour d’elles, sur ce pont supérieur, elles pouvaient entendre les craquements. Kerry écouta un moment tandis que le navire roulait et elle grogna puis elle se tourna vers Dar. « Est-ce que ce truc va se désagréger ? On dirait bien. »

Dar retira son tee-shirt, examinant la rayure là où se trouvait sa manche. « Nan. » Elle retourna le vêtement sur l’intérieur et puis le plia avec soin, le posant de côté. « Il va durer au moins une nuit ou deux. » Elle retira son jean et fit pareil, roula ses chaussettes en boule et les posa sur les vêtements pliés. « Bon. »

« Bon. » Kerry était en retrait, admirant le show. « Une douche ? »

« Mm. »

« Au lit ? »

« Mmhmm. » Dar tendit la main. « Enlève tes fringues, Yankee. La journée a été longue. »

Oh oui. Kerry approuva et retira son tee-shirt. Mais elle était finie.

Dar lui fit un clin d’œil.

Et bien, presque finie. Kerry enleva son jean et rejoignit sa compagne à la porte de la salle de bains incroyablement petite. « Si le navire roule, est-ce que la douche fait pareil ? »

Dar lança la douche et la tira à l’intérieur.

« C’était jute une question. »

*****************************************

Elle était à cheval. Kerry pouvait sentir le mouvement sous elle et la poussée excitante du vent sur son visage. Elle était assise à l’avant d’une grande selle bizarrement nue avec la sécurité d’un corps chaud derrière elle et un bras puissant entourant son estomac.

Une route très, très longue s’étirait devant elle, semblant sans fin à son regard et de chaque côté, une forêt magnifique s’étendait sans aucun signe d’habitation.

C’était merveilleux.

Elle était emplie d’une joie simple qui ne demandait rien de plus que la chaleur du soleil et les deux rires qui s’élevaient vers lui.

Puis le cheval pila.

Kerry ouvrit grand les yeux, arrachée à une journée ensoleillée vers une obscurité totale avec une soudaineté cinglante. Le navire bougea violemment sous elle à nouveau et la souleva du lit avant d’y retomber. « Dar ? » Cria-t-elle.

« Oui. » Dar semblait raisonnablement éveillée.

Kerry agrippa le bord du lit alors que le navire penchait dangereusement à droite. « Est-ce normal ? »

En guise de réponse, Dar l’entoura d’un long bras et d’une jambe pour faire bonne mesure, l’attirant près d’elle. « Ben, on est au large. »

Les craquements avaient augmenté de manière inquiétante et elles pouvaient entendre le tonnerre gronder dehors. Le mouvement ascendant du navire devenait plus prononcé et la cabine bougeait sérieusement d’un côté à l’autre tandis que le navire roulait dans les vagues.

« Ah. » Kerry déglutit fortement.

Dar leva la tête et regarda l’obscurité. « Ça va ? »

« Oui, bien sûr », dit Kerry, inspirant brusquement tandis que le navire penchait à nouveau.

« Sûre sûre ? »

Sa compagne déglutit à nouveau. « Et ben, peut-être pas. »

« Tiens bon. » Dar se sortit des draps et de la poigne de Kerry et se leva en attrapant la poignée de la salle de bains tandis qu’elle manquait être renvoyée sur le lit près de la jeune femme. « Ouaouh ! »

« Ouaouh », répéta Kerry d’une voix étouffée. Elle serra la mâchoire et essaya de ne pas penser à son estomac.

Dar appuya sur l’interrupteur. Il ne se passa rien. Elle recommença puis dans une crise d’inconscience technique irraisonnée, elle appuya plusieurs fois rapidement. « Bon sang. »

« MMpf. » Kerry n’était pas disposée à ajouter quelque chose d’utile. Elle était juste contente de voir que, si la lumière ne fonctionnait pas, au moins la clim oui. La pensée de la pièce chaude et humide et… « Ohquec’étaitstupide. »

« Ker ? »

« Mmpfr. »

Dar tâtonna le long du mur pour trouver le bureau, jurant lorsqu’elle faillit glisser sur son sac à dos, tombé au sol pendant le tangage. « Ouille. »

« Ermp ? »

Dar se laissa tomber à genou et ouvrit le sac, criant quand un mouvement de roulis lui fit perdre l’équilibre et l’envoya au sol avant de la faire atterrir près du lit. « Fils de… » Avec un grognement, elle rampa pour revenir prendre le sac, s’assit sur la moquette, les jambes étendues.

Cela sembla résoudre le problème du mouvement pour l’instant. Dar détacha le rabat et fouilla dans le sac, criant un peu quand elle se tapa avec une pince coupante. « Foutues lesbos. » (NdlT : traduction libre (original =damn dykes), je pense que c’est en référence au côté technique et le fait d’avoir transporté des pinces coupantes dans un sac à dos, accessoire pas forcément utile à première vue. Je suis preneuse pour une meilleure explication J)

Un silence. Puis Kerry s’éclaircit la voix. « Qu’est-ce qu’on a fait ? »

« Pas nous. » Dar fouilla plus avant et découvrit une petite fiole. Elle la sortie avec un grognement de satisfaction.

« Tu as d’autres foutues lesbos dans ton sac ? »

« Ah ah. » Dar revint rapidement à côté du lit et tendit la main vers celle de Kerry. « J’ai quelque chose pour toi. » Elle cligna des yeux en sentant des doigts s’enrouler autour de son poignet, un peu surprise dans l’obscurité malgré le fait qu’elle savait Kerry très proche d’elle. « Tu penses pouvoir avaler un cachet ? »

« Donne-moi un instant », marmonna Kerry.

Dar attendit, pressant son dos contre le lit et attrapant l’encadrement tandis que le navire montait et descendait à nouveau.

Kerry émit un petit grognement.

« Doucement. » Dar grimaça de sympathie. Elle avait eu de la chance jusque-là dans sa vie avec les expériences de mal de mer, mais les quelques fois où elle en avait souffert l’avaient convaincue de ne jamais voyager sans médicament. « Prête ? »

« Noui oui. »

Dar fronça les sourcils. « Tu as besoin d’eau ? » Elle sentit la prise sur son poignet augmenter et le front de Kerry se poser contre son épaule. « Chérie, si tu peux avaler ça, ça devrait t’aider. Je te le promets. »

Kerry resta juste immobile un moment puis elle soupira, réchauffant la peau de Dar. « Vas-y. »

« Tu ne vas pas vomir. »

« Dar, vas-y. »

Dar saisit la bouteille d’eau et grimpa sur le lit, soulevant Kerry en position assise pratiquement au jugé. « Respire. » Elle sentit le corps de sa compagne sursauter et elle se raidit pour gérer un éventuel vomissement, mais la mâchoire de Kerry resta fermée et elle sentit la tension dans les muscles tandis qu’elle posait sa main le long de la joue. « C’est bon. Fais ce que tu as à faire, Ker. »

Pendant plusieurs longs roulements, Kerry se contenta de rester où elle était. Puis le navire se calma un peu, et à ce moment, elle se redressa. « Je pense que tu as dix secondes. » Elle inspira brusquement. « Mais ne m’oblige pas à le faire. »

Dar sentit les lèvres de Kerry et mit le comprimé contre elles, les sentant s’écarter tandis que Kerry acceptait avec confiance. Puis elle porta le col de sa bouteille d’eau au même endroit et pressa doucement. « Ça arrive. »

Kerry émit un bruit étranglé, faisant tressaillir Dar et fermer ses yeux, malgré l’obscurité. Puis elle entendit le bruit d’une déglutition exagérée. « S’il te plait. » Dar s’adressait au navire. « Reste foutument tranquille, d’accord ? »

« Gurpf. » Kerry protesta faiblement.

« Pas toi », grogna sa compagne. « Ce bon dieu de bout de métal rouillé qui tient en place avec du scotch et la vieille pisse sur laquelle nous flottons. »

Une vibration traversa le vaisseau. Dar grogna à nouveau, presque comme si se produisait une bataille de volontés.

Kerry se dit que cette seule pensée était ridicule.

Mais le navire, comme beaucoup avant lui, céda à la volonté de Dar et avança paisiblement un moment jusqu’à ce que Kerry se détende enfin et se laisse tomber contre Dar. « Beuh. »

Dar lui caressa le bras doucement, s’appuyant en arrière et attirant Kerry avec elle jusqu’à ce qu’elles soient toutes les deux inclinées. Le vent souffla de la pluie contre la porte du balcon, les surprenant, mais la course du navire semblait, du moins pour le moment, relativement stable. « Hpf. »

Kerry n’était pas prête à desserrer sa mâchoire tout de suite. La nausée, bien qu’elle ait diminué, se tenait à la frontière et menaçait de revenir à tout moment. Vomir maintenant aurait été, non seulement extrêmement dégoûtant, ça aurait également éjecté le médicament que Dar lui avait donné et s’il y avait deux choses qu’elle ne voulait pas faire, c’était ces deux-là.

Dar semblait le ressentir. Elle bougea sa prise et frotta légèrement le ventre de Kerry pour la réconforter. « Prends de bonnes inspirations profondes. »

Kerry essaya. « Tu as déjà connu ça ? » Devina-t-elle. « Je ne peux pas le croire. »

« Mm. Quelques fois », admit Dar. « La première fois que j’ai sorti le Dixie, en fait. Ce maudit truc est une teigne à piloter quand on a la nausée, je te le dis. »

Kerry se mit à rire doucement. « Tu dis ça pour que je me sente mieux », accusa-t-elle.

« Non non. »

« Si. »

« Non. »

« Si si. »

« Tu te sens mieux ? »

Kerry pouvait à peine voir les contours du visage de Dar dans la maigre lumière de la vitre mais son imagination emplit les angles et les plats sans effort. « Oui. » Elle reposa la tête sur la clavicule de Dar. « Oh, ça a craint. »

« Mm. »

« Quelle heure est-il ? » Demanda Kerry. « On a dormi longtemps ? Je ne pense pas qu’il pleuvait quand on s’est mises au lit. »

« Non, il ne pleuvait pas », confirma Dar en tendant le bras pour prendre son téléphone. Il n’y avait pas de signal, ce à quoi elle s’attendait mais il lui fournit un réveil. « Il est quatre heures. »

« Beuh. » Kerry tressaillit. « Deux heures. Pas étonnant que j’ai l’impression qu’une vache m’a piétinée. »

Dar se demanda si le navire allait encore tanguer. Être dehors dans l’obscurité, sans savoir vers où ils se dirigeaient ne la mettait pas exactement à l’aise et le fait que des parties du navire ne fonctionnaient pas bien rendait le tout encore pire. « Je me demande ce qui se passe avec la lumière. »

« La clim fonctionne », commenta Kerry. 

« Hm. Oui. » Dar sentit le navire rouler un peu et elle jeta un coup d’œil à Kerry. Dans la faible lueur, elle pouvait voir les sourcils clairs battre un peu mais sa compagne restait détendue. Pas étonnant vu que la puissance industrielle du médicament qu’elle lui avait donné la mettrait ko en peu de temps. « Tu vas bien ? »

« Oui oui. » Kerry ferma les yeux. La nausée semblait encore diminuer et elle était à nouveau fatiguée. Le navire se mit à bouger et plutôt que de la rendre malade, ça semblait la détendre.

Bizarre.

Dar berça Kerry contre elle, trouvant un sourire quelque part quand Kerry se blottit volontiers. Elle peignit de ses doigts les cheveux blonds ébouriffés et connut un moment de contentement ridicule malgré les circonstances.

Le tonnerre gronda. Comme dans un signal, le navire recommença à tanguer mais un rapide coup d’œil confirma que Kerry était maintenant bien endormie et inconsciente. Dar appuya ses pieds nus contre la cloison et l’encadrement du lit pour les garder en place et elle espéra sincèrement que le fichu capitaine les emmenait loin de la tempête plutôt que dedans.

******************************************

Il faisait toujours noir, il pleuvait toujours et  le navire roulait toujours comme un hamac lorsque Kerry se réveilla, dans une désorientation fumeuse qui lui fit cligner des yeux plusieurs fois avant de pouvoir se concentrer sur les ombres grises qui l’entouraient.

Combien de temps avait-elle dormi ? Sous son oreille, elle entendait le battement de cœur de Dar, régulier et calme et elle resta immobile pour ne pas réveiller sa compagne. Après quelques secondes à fixer l’intérieur de la cabine, elle referma les yeux et essaya de se rendormir.

Le problème était que maintenant elle pouvait entendre les craquements autour d’elle. A l’extérieur de la cabine, dans le couloir, elle put aussi détecter les bruits de quelqu’un qui marchait dans le coin, s’écrasant contre les parois tandis que le navire bougeait sans relâche dans les vagues.

Malgré la taille du bateau, il semblait très fragile, ses os hurlant et se plaignant tandis que l’océan le pressait de tous les côtés.

Mais paradoxalement, ici, dans le cercle léger des bras de Dar, Kerry se sentait complètement en sécurité, sans tenir compte du bruit menaçant autour d’elle. Le navire pouvait tomber en pièces, songea-t-elle, et aussi longtemps que Dar et elle étaient ensemble, elle était sûre qu’elles allaient traverser ceci sans problème.

Comment le savait-elle ? Kerry ne le comprenait pas vraiment mais elle savait, au très profond d’elle-même que c’était vrai. Elle le savait depuis qu’elles avaient été piégées dans cet hôpital, quand Dar les avaient sorties de sous le mur effondré, refusant de laisser du béton et du métal l’arrêter.

A ce moment-là, elle avait été stupéfiée et submergée, avec la douleur et un stade élevé d’anxiété quant à ce qui allait leur arriver autant que ce qui aurait pu arriver à leurs amis et familles. Mais s’il y a bien une chose qu’elle n’avait pas, c’était peur bien qu’elle ne l’avait réalisé que bien plus tard.

Kerry écouta le bruit dans les couloirs, un bourdonnement étouffé devenant lentement deux voix, masculines, visiblement agacées. L’une d’elles avait un accent lourd et elle ne put comprendre un seul mot de ce qui se disait, mais l’autre avait un ton plus clair et plus aigu.

« Espèce de connard, je ne vais pas te cacher plus longtemps ! » Dit la voix. « Pas étonnant que tu aies dû faire taire la garce… elle en avait probablement autant marre de toi que moi ! »

Kerry ouvrit les yeux. Elle jeta un coup d’œil à Dar et vit la légère lueur dans les yeux de sa compagne qui la regardait à son tour. « Tu as entendu ça ? »

Dar hocha la tête.

« La ferme », grogna l’autre voix. « J’vais te mettre dans une caisse et te jeter par-dessus bord. »

Kerry écarta les narines. « Oh non », murmura-t-elle.

« Quoi ? »

« On est dans un mauvais téléfilm. »

Dar ricana en silence. « Ils sont probablement souls », dit-elle doucement.

Un craquement sourd les fit sursauter puis quelque chose frappa l’extérieur de la porte, suivi par le bruit d’une lutte violente.

Elles soupirèrent ensemble. « Excuse-moi. » Dar se sortit des bras de Kerry et se leva, se dirigeant vers la porte en enfilant son tee-shirt de manière décorative. Elle tapa l’interrupteur en chemin, grognant quand il refusa de produire quoi que ce soit à part un clic humide.

Kerry hésita puis rampa hors des draps et la suivit, arrivant derrière Dar quand celle-ci ouvrit brusquement la porte et jeta un regard noir dans le couloir à peine éclairé.

Deux silhouettes se battaient, traversant le hall et se cognant dans les portes devant elles. Plus loin dans le couloir, il y eut le bruit d’une seconde porte qui s’ouvrait.

« Hé ! » Dar aboya. « Qu’est-ce que vous pensez être en train de faire, bordel ! »

Les deux hommes arrêtèrent de se battre et se retournèrent, la fixant. « Qu’est-ce que vous faites là ? » Demanda le plus petit. « Qu’est-ce que vous faites sur ce navire ? Partez ! » Il avança vers elle. Il était costaud avec une barbe rude et mal taillée sur un visage peu avenant.

Dar se redressa de toute sa hauteur, de vingt ou vingt-cinq centimètres de plus que lui, et elle entoura la porte de ses bras, ne reculant pas d’un pouce. « Mec, si vous savez ce qui est bon pour vous, arrêtez-vous », l’avertit-elle. « Vous êtes qui, bon sang, et qu’est-ce que vous faites ici ? »

L’autre homme restait dans l’ombre, s’essuyant la bouche de sa manche, mais sans rien dire.

« Estavan. »

Les hommes se retournèrent en entendant la voix du capitaine. Il se tenait au bout du couloir, près d’un panneau presque caché et à demi masqué par son corps. « Capitaine. » L’homme le plus petit recula et baissa à moitié la tête. « J’ai trouvé ces femmes ici ! »

Kerry regardait de derrière Dar. Son regard tomba sur l’autre homme, qui commençait à se faufiler dans le couloir. Quelque chose de familier dans sa silhouette attira son attention et elle se pencha un peu en avant, glissant son bras dans le dos de Dar pour maintenir son équilibre.

Il était plus grand que l’autre homme et plus mince, mais il avait un air général minable qui lui rappelait les ouvriers du carnaval de trou perdu qu’elle avait vu occasionnellement quand l’église levait des fonds au Michigan.

Ce qui lui rappela une chose à laquelle elle ne pensait plus depuis des années.

L’homme vit qu’elle le regardait et plissa le front, baissant la tête avant de partir encore plus vite, cachant à demi son visage de son bras malgré le fait que l’obscurité le rendait quasi invisible de toutes les façons. Kerry le regarda partir avec une expression très pensive.

« Vous n’avez trouvé que des ennuis ici, Estavan. S’il vous plait, rejoignez vos quartiers, ou bien retournez à la salle des machines où est votre place. Ne dérangez pas nos invitées ou moi-même avec votre boucan », dit fermement le capitaine.

« Mais Capitaine… »

« Partez. » Le capitaine haussa légèrement la voix.

« Oui, Capitaine. » L’homme se retourna et partit péniblement sur les traces de son adversaire de tout à l’heure, disparaissant dans l’obscurité tandis qu’il tournait au coin.

Le capitaine les regarda. « Toutes mes excuses. C’est mon ingénieur en chef et il est sur ce navire depuis très très longtemps. Il n’aime pas les choses étrangères et les changements. » Il se retourna pour repartir passer le portail. Il s’arrêta cependant et les regarda avec curiosité. « On ne vous a pas assigné des quartiers privés ? »

Dar le regarda droit dans les yeux. « On n’en a pas besoin. »

Etonnamment il se contenta de renifler et hocha la tête. « Très bien. Bonne nuit. »

« Capitaine », lança Kerry. « Est-ce que les lumières ne fonctionnent pas pour une certaine raison ? »

Le capitaine tendit la main et appuya sur un interrupteur, apparemment surpris quand rien ne se passa. Il appuya plusieurs fois, tout comme Dar avait fait plus tôt puis il grogna et secoua la tête. « Je vais voir ce qui ne va pas. Ils fonctionnent dans les quartiers des officiers. » Il se retourna et disparut par le portail, qui se referma derrière lui avec un clic sonore.

Il y avait un signe sur la porte mais elle était bien trop loin pour qu’elles puissent lire et il faisait trop sombre de toutes les façons. Dar soupçonnait que c’était ‘réservé à l’équipage’. Avec un soupir, elle regarda la tête de Kerry placée sous son bras. « Au lit ? »

« Attends, et rater toute l’excitation par ici ? » Demanda Kerry d’un ton malicieux. « Dar, tu as vu cet autre type ? » Elle recula quand Dar se retourna et elle ferma la porte, laissant le couloir sombre derrière elles. « Celui avec qui il se battait ? »

« Non, non pas vraiment », dit Dar. « J’étais bien trop inquiète que le petit sconse devant moi se mette à s’agripper. »

« Hm. » Kerry s’accrocha au dos du tee-shirt de Dar et la suivit au lit. « Ouais, il avait l’air assez stupide… effrayant si on considère que c’est l’ingénieur du navire. »

« Ça explique beaucoup de chose », marmonna Dar.

Elles se laissèrent tomber dans les draps froissés et placèrent les oreillers. Dar s’étira et roula à demi sur le côté, tandis que Kerry faisait de même, toutes les deux faisant face à la vitre du balcon. Dar mit un bras autour de l’estomac de Kerry et elles posèrent la tête quasiment en même temps.

Le calme s’imposa brièvement et le son de la pluie qui fouettait la vitre sembla très fort.

« Ce type me prend la tête », dit soudain Kerry.

« Hm ? »

« Cet autre type. Je l’ai déjà vu et j’essaie de me souvenir où », expliqua la jeune femme blonde.

« Hum… je veux pas faire ma maligne, mais peut-être que c’était sur ce navire où on a travaillé des jours ? » Suggéra Dar. « Il y a des chances que tu l’aies vu là, Kerry. »

« Mm… oui, je sais bien… mais… » Kerry soupira. « Il se comportait vraiment bizarrement… filer comme ça quand il a vu que je le regardais. »

« Filer ? » Demanda Dar. « Vraiment ? »

« Oui. Il a mis sa main sur son visage et il est parti. »

Là, c’était un peu étrange. « Et bien », dit Dar d’un ton songeur. « Peut-être qu’il croit à la théorie qui dit que ‘regarder des homos rend aveugle’. »

« Dar. » Kerry ricana. « Mais oui, tu as sûrement raison. Je l’ai probablement vu ici… peut-être en bas dans la zone de fret. » Elle s’installa, savourant la chaleur du corps de Dar contre le sien. « Ou sur le dock. Mais de quoi tu crois qu’ils se parlaient ? »

Dar haussa les épaules. « Pour moi ils se disaient que des conneries », admit-elle candidement. « Les mecs font ça. »

« Les filles aussi », approuva Kerry. « Oui, peut-être. » Elle réfléchit un peu plus. « Le capitaine ne semblait pas ennuyé à notre sujet. »

Dar rit.

Kerry tourna la tête et regarda sa compagne. « Est-ce que ça veut dire que je dois renvoyer mon gaydar pour le faire réparer ENCORE ? » Demanda-t-elle. « Seigneur, je me sens tellement bête parfois. »

« Non. » Dar la pressa doucement. « C’est juste que je pense que c’est plus accepté sur ce genre de navire que ce à quoi nous étions habituées. J’ai vu quelques types qui faisaient une petite fête quand je travaillais sur le satellite. »

« Oh. »

« Je les ai regardés, ils m’ont regardée, et nous avons en quelque sorte, oui… » Dar leva la main et la remua.

« Je vois le tableau. » En fait c’était le cas et Kerry sourit. Les homos et les lesbiennes étaient tellement différents à tellement de niveaux, parfois. Elle en avait parlé à des gens à leur église et elle s’était rendu compte qu’elle en savait moins sur les autres personnes gays qu’elle ne l’avait imaginé, à son grand étonnement. « Oh, bien. Ça me reviendra », décida-t-elle finalement. « Où je l’ai vu. »

« Oui oui. » Dar l’attira plus près. « Après tout ceci, je vais être grillée demain. »

« Moi aussi. »

Finalement, c’était vraiment paisible. Même la pluie avait trouvé autre chose à frapper que leur vitre.

*****************************************

Au matin, elles étaient toujours en mer, avec des nuages gris qui les environnaient et l’eau d’un bleu profond. Dar s’appuya sur la rambarde du balcon et regarda en bas, notant les moutons blancs à la surface et l’apparence menaçante d’un monde qu’elle trouvait habituellement si accueillant.

Peut-être que c’était dû au fait de le voir d’une perspective plus élevée. Quand elles étaient sur le Dixie, la surface de l’eau était proche et elle se sentait en faire partie plus qu’elle ne le faisait maintenant, surplombant d’aussi haut.

Le bruit de la porte de la cabine qui se fermait derrière elle la fit se retourner et elle s’appuya sur ses coudes tandis que Kerry traversait la pièce et émergeait sur le balcon près d’elle, portant deux tasses fumantes. « Ah », dit Dar. « Tu as trouvé du café. »

« J’ai trouvé du café. » Kerry lui tendit une tasse. « J’ai trouvé la salle à manger de l’équipage, en fait. C’était plutôt vide. » Elle regarda le ciel. « Autant pour ce truc des marins qui se lèvent à l’aube. »

Dar rit en sirotant son breuvage avec soin. Il n’était pas bon et pas mauvais, la norme moyenne du café d’hôtel, mais il était chaud et cafféiné et c’était ça qui comptait surtout. « Il y a probablement eu une fête hier soir. Est-ce que tu as trouvé les gars du traiteur ? »

Kerry la rejoignit à la rambarde, le vent ébouriffant ses cheveux blonds. « En fait, oui. Ils sont un peu flippants. »

« C’est sûr. »

« Je leur ai dit de juste essayer de réutiliser ce qu’ils ont apporté autant qu’ils peuvent et de mettre en place des petits buffets pour nos gars au moins. Mais j’espère que ça ne va pas prendre trop de temps. »

« Moi aussi », acquiesça Dar. « Je veux juste que tout ce foutu truc soit terminé. »

Kerry l’étudia par-dessus le bord de sa tasse. « Tu le veux vraiment, pas vrai ? »

Dar hocha la tête.

Kerry prit lentement une gorgée et avala. « Tu sais ce que je veux ? »

Après un moment d’hésitation, Dar secoua un peu la tête. « Quoi ? »

« Rien. » Kerry se pencha en avant et déposa un baiser sur ses lèvres. « J’ai tout ce dont j’ai besoin ici. »

« Oh. » Un sourire charmé apparut sur les lèvres de Dar. « Tu me dis les choses les plus agréables. » Elle lui rendit son baiser, se reculant pour regarder les yeux de Kerry et y trouver le mélange le plus plaisant de passion et d’affection. « Bon. »

« Bon. » Kerry se souvint de l’heure avec regret. « Je présume qu’on ferait mieux de faire notre boulot, hein ? » Elle posa sa main sur la hanche de Dar. « Faire fonctionner ces machines SEP ensuite nous pourrons certifier le système. »

« Et après ça… »

« Après ça, on verra bien », finit Kerry pour elle. « Viens. »

Elles quittèrent leur cabine ensemble et descendirent le couloir vide, ne voyant personne jusqu’à ce qu’elles soient à mi-chemin de l’escalier quand elles virent Mark. « Bonjour », l’accueillit Dar. « Bien dormi ? »

Mark étouffa un bâillement. « Je ne suis pas un grand marin », admit-il. « Bon sang, j’ai fichtrement eu de la chance de trouver ton père hier soir, cheffe. Il m’a mis d’équerre. »

« Hm. » Kerry descendit les marches par deux. « Ça doit être un trait de famille. »

Plusieurs autres techniciens sortirent dans le couloir au palier suivant et les rejoignirent dans leur descente. La plupart avaient l’air fatigué, quelques-uns étaient un peu verts. Le navire ne bougeait plus autant que la nuit précédente mais il y avait toujours un roulis perceptible et tout le monde se tenait aux rampes à l’exception de Dar.

Ils entrèrent dans l’atrium, qui était comme ils l’avaient laissé, les caisses joliment entreposées près des parois et les machines alignées qui attendaient le déploiement. Quelques caisses avaient traversé la pièce pendant la nuit mais autrement tout semblait en état.

« Très bien. » Mark fit craquer ses phalanges. « On vérifie le plan, les gars. » Il alla vers un plan collé sur l’un des côtés de la cage d’ascenseur, toujours entourée d’adhésif et hors service. Le plan indiquait les ponts sur toute la longueur du navire et il y avait des points bleus et rouges pour indiquer où allaient les matériels.

Dar tira Kerry sur le côté et elles écoutèrent tranquillement, laissant Mark faire son travail sans interférence. Kerry regarda autour d’elle, notant l’absence de l’équipage. « C’est tellement calme », murmura-t-elle.

Dar hocha la tête d’assentiment. « Il n’y a pas grand-chose à faire pour eux je présume », dit-elle puis elle s’arrêta alors que Talley apparaissait de derrière le bureau d’accueil et se dirigeait vers elles. Elle poussa Kerry qui se retourna et le repéra. « Et voilà ton copain. »

« Mon copain ? » Kerry lui donna un coup. « Salut », accueillit-elle Talley.

« Salut. » Le jeune homme lui fit un bref sourire. « Vous avez entendu les infos ? »

Oh oh. « Non… qu’est-ce qui se passe ? » Demanda Kerry. « Ne me dites pas qu’on est détournés sur Cuba. Si c’est le cas, je nage jusqu’à la maison. »

Cela lui valut un sourire de Talley. « Non… ils ont nettoyé le port. Nous rentrons. » Il jeta un coup d’œil aux techniciens. « Alors si vos gars ont besoin de finir des trucs, vous devriez faire vite. De ce que j’ai entendu, les entrepreneurs sont sur les docks et attendent de sauter dès qu’on est amarré. »

Dar ne savait franchement pas si elle devait être soulagée ou déçue. « Courtes vacances pour vous, je présume », dit-elle.

Talley ricana. « C’est une ruine de toutes les façons », dit-il. « Nous connaissons tous la vérité. Aussitôt que Quest en aura fini avec son arnaque, ils vont le saborder et on sera envoyés quelque part. Alors lâchez-moi. »

Dar et Kerry échangèrent un regard. « Vous en êtes sûr ? » Demanda Dar. « Il met beaucoup d’argent dans ces trucs. »

Talley la fixa. « Vous blaguez, pas vrai ? » Demanda-t-il. « Vous ne pensez pas qu’il a aligné un centime encore, n’est-ce pas ? Tout est lié au fait que vous terminiez. Il n’a pas risqué un centime… et il ne le fera pas ! » L’homme mit ses mains sur ses hanches. « Il vous utilise un max et vous êtes tous tombés dans son arnaque. »

Kerry avait conscience que certains techniciens écoutaient en douce. « Ne nous sous-estimez pas. » Elle le regarda droit dans les yeux. « Vous ne pensez pas qu’on y a réfléchi ? »

Talley regarda autour puis elle. Son expression était pleinement sceptique.

« Peut-être que c’est nous qui l’utilisons », suggéra Kerry. « Peut-être qu’on utilise ce projet pour nous faire de la pub auprès des compagnies maritimes qui regardent… vous y avez pensé ? »

« En plus », interjeta Dar. « Pensez à ça… et s’il cherchait à faire acheter ces rafiots par une de ces sociétés avec de vrais navire… vous aimeriez peut-être faire le ménage. »

Talley les regarda précautionneusement. « Ils n’y toucheront pas. » Il montra le navire. « Il va finir à la casse. On le sait tous. »

Dar haussa les épaules. « Vous ne le savez pas jusqu’à ce que ça arrive. » Elle secoua la tête. « Alors je ne voudrais pas essayer de le couler encore. »

L’homme se raidit, regarda autour rapidement avant de fixer Dar attentivement. « Où avez-vous entendu parler de ça ? » Siffla-t-il. « Ils l’ont dit à votre père ? Ces… » Le bruit d’une porte qui se fermait brusquement filtra dans l’atrium, faisant se retourner Talley pour voir ce qui se passait. Avec un dernier regard pour Dar, il se dirigea vers le bruit, partant au petit trot avant de disparaître derrière le bureau d’accueil à nouveau.

« Purée, qu’est-ce que… » Balbutia Kerry. « Dar, est-ce que tu as ent… » Elle se tut, ses lèvres sous les doigts de Dar.

« J’ai entendu », murmura Dar. « Reste ici. Installons ce fichu équipement. Je vais trouver Papa et voir s’il a une idée de ce qui se passe vraiment. »

Kerry fronça les sourcils, une protestation s’élevant. Dar haussa un sourcil et elle plissa les yeux, déclenchant un sourire désinvolte chez sa compagne en retour. « D’accord », acquiesça-t-elle à contrecœur. « Mais si tu es partie plus de quinze minutes, je viens te chercher.

Dar lui ébouriffa les cheveux. « Conclu. » Elle s’éloigna de l’escalier et se dirigea vers l’avant du navire, se disant que le pont de commandement serait un bon endroit pour commencer à chercher à la fois son père et la vérité.

Kerry la regarda disparaître puis elle retourna son attention au groupe de techniciens. Ils regardaient tous précautionneusement ailleurs, pas vers elle, mais elle savait qu’au moins certains d’entre eux avaient entendu la conversation avec Talley.

Elle passa en revue leur posture et décida qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour le moment, mais ça devait prendre sa place après les autres choses dont elle devait s’inquiéter.

« Cheffe, vous avez autre chose à ajouter ? » Demanda Mark. « On va commencer à l’étage d’en bas et monter pour changer. »

« Ça me va bien. » Kerry alla vers les rangées d’équipement. « Je ne sais pas si vous avez tous entendu, mais on se dirige vers le port et il faut vraiment qu’on avance avec le travail. Je veux le certifier avant qu’on amarre le navire. »

Les techniciens bougèrent plus vite, un bourdonnement de bruit montant tandis qu’ils réagissaient à ce qu’avait dit Kerry. « Mec, c’est plutôt dommage », dit Carlos. « Ces types du navire allaient nous inviter à une fête ce soir. »

Kerry le regarda. « Ils allaient quoi ? »

Carlos hocha la tête. « Ouais… ils ont un bar en bas », expliqua-t-il. « C’est là qu’ils sont tous allés hier soir. » Il prit un des systèmes SEP puis sembla perdu pour savoir comment il allait jongler avec l’imprimante et les câbles assortis.

Kerry résolut le problème pour lui en les prenant. « Allez », dit-elle. « Il y a soixante de ces trucs. Si on y va par paires, ça ne fait que quatre voyages pour chaque équipe et on aura fini. » Elle se dirigea vers l’escalier, jetant un coup d’œil à l’affichette en passant. « Et vous voyez ? Vous allez voir le bar de l’équipage de toutes les façons. C’est là qu’on va. »

Carlos trotta derrière elle portant l’encombrante station SEP. Ils s’approchèrent des marches et commencèrent à descendre, passant le dernier étage de passagers pour entrer dans l’espace de l’équipage. Tout était toujours calme et leurs pas résonnaient fortement sur le lino, les baskets de Carlos couinant un peu alors que les bottines de randonnée de Kerry frottaient à peine.

De chaque côté de la paroi, des panneaux usés portaient des notices et des annonces, et alignée à l’intérieur d’un long espace, se trouvait une carte du navire, comportant des zones étranges. De chaque côté, des portes, marquées de plaques écaillées et qui pelaient.

Ils continuèrent dans le couloir vers l’avant du navire, descendant un autre demi-escalier puis plus bas dans un couloir étroit. Devant eux se trouvait une porte en acier gris sans plaque avec une poignée très usée et une surface écaillée et griffée repeinte de nombreuses fois. « C’est ici ? » Demanda Kerry.

Carlos hocha la tête. « Ils me l’ont montré hier soir », expliqua-t-il. « Pour que je puisse la retrouver. Ils étaient plutôt sympas là-dessus », ajouta-t-il. « On a parlé d’ordinateurs et des trucs comme ça. »

Bien sûr. Kerry mit l’imprimante sous un bras et attrapa la poignée de la porte, la tourna et ouvrit. Elle laissa passer Carlos, puis se rendit compte que la pièce était occupée. Elle le suivit à l’intérieur et regarda autour d’elle, repérant de l’ordre de vingt hommes d’équipage à plusieurs stades de repos, tous se tournant pour les regarder. « Salut. »

Deux hommes étaient à la table de billard. Ils se redressèrent et se tournèrent, la regardant effrontément. Un des hommes assis sur une couche râpée près de la paroi, siffla.

Oh bon sang. Kerry continua à traverser la pièce vers le petit bar. Ses omoplates la démangeaient à cause des regards sur elle et elle était contente d’avoir mis un tee-shirt relativement bleu commun au lieu de quelque chose qui la révèlerait plus.

Carlos posa le système SEP et alla derrière le bar, sans se soucier des hommes autour d’eux tandis qu’il cherchait un endroit pour le brancher alors que Kerry se concentrait pour connecter l’imprimante à reçus. Elle retira un petit tournevis de sa poche arrière et connecta les câbles, consciente de mouvements autour d’elle et du fait que plusieurs personnes se rapprochaient.

Carlos leva les yeux. « Oh, salut », dit-il d’un ton tranquille. « Comment allez-vous les gars ? Vous vous êtes bien amusés hier ? »

Un des hommes se glissa sur le tabouret près de Kerry. « T’aurais dû venir », répondit-il. « Et amener ta copine là. Hé chérie, c’est quoi ton nom ? »

Kerry ne leva même pas les yeux. « Eléanor Roosevelt. » Elle finit de serrer les attaches sur le câble.

« Ça te va si je t’appelle El ? » L’homme ne lâchait rien.

« Hé, calme-toi, mec. C’est ma cheffe », protesta Carlos. « Ne lui parle pas comme ça. »

« Tu travailles pour une femme ? » L’homme rit et ses amis se joignirent à lui.

« Bien sûr », répondit Carlos, joyeusement impassible.

L’homme s’appuya sur le comptoir et essaya d’avoir l’attention de Kerry. « Hé, je peux te payer un verre ? Allez, regarde-moi, ma belle. » Il tapota le comptoir tout près du bras de Kerry.

Kerry obéit, se redressant. L’homme assis près d’elle avait environ son âge, avec des cheveux noirs coupés court et des yeux couleur miel. Il avait du charme et une sensualité impudente dont elle soupçonnait qu’ils pouvaient plaire à certaines femmes. « Merci. » Elle tenta le chemin de la politesse d’abord. « Mais je ne bois que du jus d’orange avant le dîner. »

Les deux joueurs de billard s’approchèrent, s’appuyant sur les queues. Aucun d’eux ne semblait menaçant mais ils étaient assurément intéressés par elle. Kerry accepta la flatterie de la notion mais elle pouvait assumer qu’elle ne la recevait pas avec plaisir.

Avec retard, Carlos sembla réaliser que les choses glissaient dans une zone peu agréable. Il fit le tour du bar et vint près de Kerry, peu sûr de savoir quoi faire après.

« On a du jus d’orange », dit l’homme. « On va juste ajouter quelque chose dedans… qu’en dis-tu ? On peut mettre de la musique, commencer la fête avant. »

« Ça me va bien », dit l’un des joueurs de billard.

« Et bien, pas à nous. » Kerry ajouta une once de fermeté dans son ton. « On a du travail. Alors amusez-vous à votre fête, messieurs. » Elle rangea son tournevis et commença à s’éloigner du bar. « Venez, Carlos. » Elle eut soudain conscience que la pièce ne comportait pas de fenêtre et une seule porte était visible ; les cloisons lui semblèrent se rapprocher d’elle tandis que plus de gens venaient vers elle.

« Oui, madame. » Carlos s’écarta de son chemin et se tourna pour la suivre.

« Eh toutou. » L’homme du bar rit.

« Hé, allez… y a pas le feu. » Le joueur de billard effronté se mit sur le chemin de Kerry. « On a du temps avant d’arriver au port… et j’aime bien mes nanas un peu épicées. »

« Vraiment ? » Kerry ne chercha pas à réfléchir. Elle affirma sa jambe gauche et se tourna à demi, fit un coup de pied tournant avec la droite qui fit voler le bâton de ses mains et l’envoya au sol avec un grand bruit.

« Hé ! » L’homme cria et leva ses doigts maintenant vides. « C’est quoi ça bordel ! »

L’autre homme descendit du tabouret. Kerry leva les mains dans une posture défensive, pliant ses doigts en poings.

« Mec, vous devriez arrêter ça », les avertit Carlos. « C’est une sorte de kickboxer ceinture noire. »

Kerry haussa les sourcils brusquement.

Les hommes regardèrent Carlos, qui les regardait à son tour avec une honnêteté dévastatrice. « Sans rire », ajouta-t-il. « Elle a au moins cent trophées. »

Kerry faillit rire, se mordant l’intérieur de la joue tandis que les hommes reculaient un peu, en la regardant avec précautions. Elle se détendit et repartit vers la porte, cette fois, sans embûches. « Messieurs. Belle journée », leur dit-elle par-dessus son épaule, tandis qu’elle ouvrait la porte et voyait la lumière bénie du couloir vide devant elle.

Carlos la suivit et referma la porte derrière eux. « Ça va ? » Demanda-t-il. « Je ne savais pas que ces types étaient de tels connards… »

Kerry s’arrêta et se retourna, les mains sur ses hanches, le regardant avec des yeux verts qui étincelaient légèrement. « Des trophées ? »

Il haussa les épaules d’un air penaud.

« Allez. » Kerry se retourna et se dirigea vers l’escalier. « Dar a des trophées, vous savez. » Elle se fit une note mentale pour trouver quelque chose de bien à faire pour un Carlos étonnamment plein de ressources.

« Ah ouais ? »

« Et elle est vraiment ceinture noir. Je suis juste bleue. »

« Ah oui ??? »

« Oui. » Kerry arriva en haut des marches et continua dans le couloir. Ses genoux tremblaient et elle se fit une note mentale d’avertir les autres techniciennes de faire attention. Le navire choisit ce moment pour rouler d’un côté et elle perdit l’équilibre, son épaule cognant la paroi tandis que le sol montait vers elle.

Carlos frappa le panneau près d’elle et ils s’accrochèrent, attendant que le navire se calme et se redresse. Kerry eut soudain conscience du fait qu’ils étaient en dessous de la ligne d’eau et tout aussi soudainement, elle se demanda où était Dar.

Un sourd grondement résonna, en même temps que des hurlements de corne.

Elle pouvait voir une lumière clignotante dans le couloir. Le navire continuait à gîter. « Carlos ? »

« Oui, madame ? »

« Courez. »

« Madame ? »

Kerry lui attrapa le bras et partit vers l’escalier.

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A suivre chapitre 28

 

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