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10 décembre 2011

Démoniaque, de Gaxé

 

 

 

                                                  

                                                               DEMONIAQUE

 

 

 

De Gaxé

 

Un appartement apparemment banal, un deux pièces tout ce qu’il y a de plus ordinaire dans un quartier comme on en trouve dans toutes les villes de France, voilà le cadre de ma première affectation. Je soupire, tordant mes lèvres dans une moue un peu dégoûtée, alors que je regarde la façade de l’immeuble d’un œil distrait, gardant plutôt mon attention sur les passants pour guetter celle qui vit là.

Elle sort au bout d’un bon quart d’heure, l’air joyeux et arborant un petit sourire, comme si elle était pressée de se rendre à sa destination quelle qu’elle soit. Je n’ai aucun mal à la reconnaître, je l’ai beaucoup observée quand j’étais en bas, avec mon formateur, et c’est à ce moment là que j’ai remarqué la blondeur de ses cheveux, la finesse de sa taille, le vert de ses yeux et la douceur de son regard comme de son sourire.

Je ne bouge pas alors qu’elle quitte son entrée, attendant qu’elle s’éloigne et tourne au coin de la rue, pour pénétrer dans son immeuble. Là, je m’arrête une seconde, vérifiant rapidement mais consciencieusement que je suis seule, puis prend la petite bouteille d’eau qui se trouve dans ma poche et la vide lentement dans sa boite aux lettres, jusqu’à la dernière goutte. Les deux enveloppes qui s’y trouvent sont si imbibées d’eau que les lettres qui sont à l’intérieur seront très abîmées, et si j’ai de la chance, complètement illisibles. Je ricane, jubilant toute seule de la réussite de mon mauvais coup, puis retourne dans la rue, m’asseyant sur un banc public pour attendre tranquillement son retour.

C’est long, plusieurs heures. Mais je ne m’ennuie pas, je reste sur mon banc à regarder les allées et venues des passants tout en me remémorant la manière dont je suis arrivée ici.

 

::::::::::::::::::::::::::::

 

J’étais encore très jeune quand j’ai succombé à une overdose. Un accident tout à fait prévisible, compte tenu de ma consommation régulière et excessive de stupéfiants de toutes sortes, d’autant que je n’hésitais jamais à abuser de l’alcool dans le même temps.

Quoi qu’il en soit, je suis allée directement en enfer, sans jugement aucun. A ma propre stupéfaction, je me suis très rapidement adaptée à cet environnement pourtant particulièrement hostile. La méchanceté, la violence tant physique que verbale, la sournoiserie, tout cela était la règle et me convenait tout à fait, tant et si bien que j’ai très vite été remarquée par un des démons chargés de surveiller les lieux.

Selon l’expression consacrée, notre entretien fut bref mais constructif, et aussitôt après, je me trouvais en formation pour devenir un démon de troisième catégorie, de ceux qui sont chargés d’amener des âmes pures destinées au paradis à coup sûr, à commettre des actes si contraires à leur naturel qu’ils en deviennent, si la mission est réussie, des êtres cédant régulièrement à quelques uns au moins des péchés capitaux, scellant ainsi, et sans même s’en rendre compte, leur destin de futurs damnés.

 

::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

 

La colère :

 

C’est à la tombée de la nuit qu’elle revient enfin, marchant lentement comme si elle était fatiguée, mais paraissant toutefois ravie de son après-midi. Je la laisse passer devant moi sans rien faire pour attirer son attention, ne me levant pour la suivre discrètement que lorsqu’elle est à trois ou quatre mètres devant moi, et me hâtant pour coller mon visage contre la vitre de la porte d’entrée dès qu’elle est à l’intérieur de l’immeuble, pressée de voir sa réaction en découvrant son courrier trempé. Mais je suis plutôt déçue. Si elle est, sans aucun doute, contrariée, elle ne manifeste pourtant aucune colère, se contentant de regarder autour d’elle, les sourcils froncés, cherchant d’où peut bien provenir toute cette eau. Elle ne trouve bien évidemment pas et finit par se détourner en soupirant, pensant peut-être à une mauvaise blague d’un quelconque chenapan, prenant la direction de l’ascenseur en tournant et retournant son courrier trempé entre ses doigts. Je souris et m’éloigne de la porte vitrée, retournant dans la rue en sifflotant, mes mains glissées dans les poches de mon pantalon.

 

Bien que mon formateur  aie mis un logement à ma disposition, dans le même quartier que celui de ma victime, je ne rentre pas pour autant. Comme la nourriture, le sommeil ne m’est absolument pas indispensable, même s’il est tout à fait possible. Mais ce soir, soucieuse de mener ma mission à bien, et alors que la nuit est douce et claire, je choisis plutôt de mettre en place mon deuxième plan d’action. Munie d’un sac de plastique comme on en trouve dans tous les supermarchés, je parcours le parc, non loin de là, cherchant et ramassant les éléments dont j’ai besoin pour mettre mon deuxième acte de malveillance en place.

Il me faut un certain temps pour récolter tout ce dont j’ai besoin en quantité suffisante, mais je ne me presse pas, saluant courtoisement les quelques personnes que je croise, souvent des promeneurs avec leur chien, et attendant patiemment que le quartier soit désert pour retourner dans l’immeuble de ma victime et accomplir mon forfait.

 

Je suis dissimulée dans les escaliers, le lendemain matin, guettant sa sortie de l’appartement en ricanant, persuadée qu’elle va bouillir de colère en découvrant ce que j’ai préparé pour elle.

Et en effet, elle pousse un cri au moment où elle met un pied dans toutes les déjections canines que j’ai répandues sur son paillasson et devant sa porte. Reculant instinctivement en grimaçant, elle fronce le nez devant l’odeur forte et désagréable, mais, à mon grand désappointement,  semble plus triste et perturbée qu’autre chose. D’ailleurs, elle réagit rapidement, et après avoir jeté un bref regard autour d’elle, sans doute dans l’espoir de découvrir qui lui a fait cette très mauvaise blague, elle commence aussitôt à nettoyer, enfilant des gants de plastique avant de jeter son paillasson dans un gigantesque sac poubelle, puis nettoyant efficacement le palier à grand renfort d’eau javellisée. Encore une fois, je suis déçue de son calme, ma seule consolation étant de la voir se dépêcher ensuite, courant en consultant continuellement sa montre, me permettant ainsi de constater que j’ai au moins réussi à la mettre en retard. Je hausse les épaules, un peu perplexe, et retourne dans la rue tout en cherchant de meilleurs moyens de mener ma mission à bien, commençant par me demander si je pourrais plutôt essayer de la faire céder à un autre péché capital.

Au début de ma mission, j’ai choisi la colère parce que c’était le péché qui me paraissait le plus facile à provoquer, mais peut-être ai-je commis une erreur. Si je continue de cette manière, je cours le risque de l’effrayer. Or, mon but n’est pas de la voir se replier sur elle-même dans la crainte de tout et de tous, et si je ne parviens pas à provoquer sa colère, je devrais peut-être me tourner vers d’autres possibilités. Tranquillement assise sur le même banc que la veille, je commence par réciter intérieurement la liste des autres fautes les plus graves, celles qui, renouvelées trop souvent, amènent directement les âmes en enfer : Luxure, gourmandise, envie, avarice, orgueil et paresse.

Je soupire et me gratte machinalement l’oreille alors que je prends ma première décision. Dès ce soir, j’essaierai encore une fois de la mettre en colère, mais si j’échoue de nouveau, il me faudra changer mon fusil d’épaule et je me déciderai à provoquer une rencontre entre elle et moi, persuadée que je suis que ce n’est qu’en étant proche d’elle que je pourrai l’amener à changer suffisamment pour se laisser aller à certains mauvais penchants comme tout le monde en a plus ou moins profondément enfouis au fond de soi.

Par souci de discrétion, j’attends la nuit suivante pour accomplir ce dernier méfait. Un travail qui me prend davantage de temps que les précédents, mais qu’importe, je ne suis pas pressée, j’ai tout le temps qu’il me faut, non seulement cette nuit, mais aussi à plus long terme. Dès le début, mon formateur m’a bien précisé que le temps n’ayant absolument pas la même valeur en enfer, je peux passer des mois, des années, voire des décennies occupée à la même mission sans que ça ne pose aucun problème, tant que la réussite est au bout. D’ailleurs, tout est prévu pour cela, de l’argent au logement et même à mon apparence physique qui changera au fil des années si cela s’avère nécessaire.

Cette fois, je n’attends pas dans les escaliers pendant toute la nuit, préférant me rendre à l’appartement qui m’a été attribué et que je n’ai pas encore vu jusqu’à présent. Je découvre un espace clair et lumineux, aux meubles modernes et fonctionnels, correspondant tout à fait au genre de personnage que je suis sensée jouer. Plutôt satisfaite de ce que je découvre, je me lève toutefois de très bonne heure le lendemain, afin de pouvoir retrouver mon poste d’observation, dans les escaliers, sans me faire remarquer par quiconque. Mais cette tentative n’a pas plus de succès que les précédentes. Non seulement elle ne manifeste aucune colère, mais elle semble plutôt peinée et désemparée, une expression qui aurait sans doute émue n’importe qui ayant un peu de compassion, ce qui n’est évidemment pas mon cas. Elle effleure du bout des doigts les grossièretés peintes et les injures abominables que j’ai gravées dans le bois de sa porte, avec la pointe d’un couteau. Et puis, alors que je m’attendais à la voir commencer à nettoyer comme elle l’a fait hier matin, elle va sonner à la porte de l’appartement voisin, interrogeant celui qui lui ouvre d’une voix inquiète et pleine de tristesse.

Je suis trop loin pour bien discerner et comprendre ses paroles, mais la conversation est brève de toute façon, et se résume sans doute à quelques questions concernant les allées et venues dans les escaliers.

Elle retourne rapidement à l’intérieur de son appartement après cela, fermant la porte derrière elle, et je reste un instant sur place, hésitant entre rester là pour observer la suite des évènements, ou bien m’en aller, en tous cas pour le moment. C’est la deuxième idée que je suis, mais, alors que je suis déjà engagée sur les marches, et à trois pas à peine de son palier, elle ressort, et nous nous trouvons nez à nez.

Décidant de profiter de l’opportunité qui se présente, je m’approche, observant les graffitis et les mots orduriers, sur sa porte, comme si je n’avais jamais rien vu de semblable de ma vie, et me tourne ensuite vers elle, réussissant à mettre sur mon visage une expression qui montre à la fois de la curiosité et de la compassion, tout en désignant les grossièretés, sur sa porte.

-« Ce ne sont pas vraiment des œuvres d’art. »

Elle a un petit sourire mi-amusé mi-dégoûté et acquiesce.

-« C’est le moins qu’on puisse dire, en effet. »

Son expression amusée s’efface rapidement et elle retrouve immédiatement une mine contrariée et attristée, alors qu’elle hausse les épaules en me montrant le seau et les produits d’entretien qu’elle vient de déposer sur le sol.

-« Je viens de prendre ma journée, juste pour nettoyer. »

Je glisse mes mains dans les poches de mon jean, gardant une attitude dégagée pour l’interroger, reportant mon regard sur sa porte en fronçant les sourcils.

-« Vous avez une idée de qui a bien pu faire ça ? »

Elle secoue négativement la tête, soupirant profondément.

-« Non. Tout ce que je sais c’est que quelqu’un en a après moi depuis quelques jours, ce n’est pas le premier mauvais coup qu’on me fait. »

Je hausse un sourcil, prenant un air concerné.

-« Vraiment ? Y aurait-il quelqu’un qui vous en veut ? »

De nouveau, elle secoue la tête.

-« A vrai dire, je n’en ai aucune idée. Je n’ai pas d’ennemi, je m’efforce toujours d’être aimable et agréable avec tout le monde… »

Elle semble si perdue, déprimée même, que pendant une seconde, elle me ferait presque de la peine. Je me secoue intérieurement pour chasser cette sensation ridicule et fait quelques pas, jusqu’à être très proche d’elle, tentant encore une fois de ne pas paraître trop intéressée par ses réactions.

-« Il peut tout simplement s’agir de malveillance pure, sans raison particulière. Ce sont des choses qui arrivent. »

Elle me jette un regard choqué, comme si elle n’avait jamais entendu parler de ce genre de chose et ne se doutait pas que ça puisse exister. Je hausse les épaules et n’insiste pas, alors qu’elle se ressaisit et qu’une expression résolue vient s’inscrire sur son visage.

-« J’y réfléchirai plus tard, pour l’instant, il faut que je m’y mette. »

Elle me salue d’un signe de tête et se détourne, le temps d’enfiler les mêmes gants de plastique rose que la veille puis, alors que je m’engage dans les escaliers en direction de la sortie, me rappelle, la voix curieuse et un peu intriguée.

-« Je ne vous ai jamais vue ici, avez-vous emménagé récemment ? »

Je lui fais un petit signe négatif, le mensonge venant sans difficulté.

-« Je suis passée pour rendre visite à une vieille amie, mais apparemment, elle ne vit plus ici. »

Je la laisse à son nettoyage, ne doutant pas qu’elle vienne à bout des peintures sans trop de mal, mais ricanant intérieurement en songeant aux gravures, sur le bois de sa porte, dont elle ne parviendra pas à se débarrasser si facilement. Cette pensée en amène une autre, et c’est en franchissant le seuil de son immeuble que je trouve le moyen de nouer des contacts plus approfondis avec elle.

Ce n’est qu’en fin d’après-midi que je reviens devant sa porte, profitant du trajet pour dissimuler la balle cherchée par un groupe d’enfants et qui a roulé jusqu’à mes pieds sans qu’ils s’en aperçoivent. La vanité de leurs recherches me fait sourire et je suis de bien meilleure humeur au moment où je croise un homme, visiblement éméché, qui sort d’un bistrot en chantonnant. Je n’hésite pas à tendre discrètement la jambe pour lui faire un croche pied, ricane au moment où il s’écroule sur le sol, et c’est avec le sourire aux lèvres que je gravis les escaliers qui m’amènent jusqu’à son palier.  Comme je m’y attendais, la peinture a entièrement disparu, mais bien sûr, les gravures sur la porte sont toujours là, se distinguant d’autant mieux sur un panneau parfaitement propre et net. Je sonne et elle m’ouvre rapidement, paraissant surprise de me voir là. Je lui souris et lui désigne le petit sac de plastique qui pend à ma main droite.

-« J’ai pensé que vous auriez du mal avec ces gravures, alors je me suis dit que je pourrais vous donner un coup de main. »

Son étonnement, visible, est presque comique et je ne retiens pas un petit rire, qu’elle partage au bout d’une seconde. Ensuite, elle regarde à l’intérieur de mon sachet, fronçant les sourcils en voyant la sciure et la colle à bois.

-« Vous pensez pouvoir reboucher tout ça ? »

J’acquiesce avec conviction.

-« Certainement. Et lorsque ce sera sec, il suffira de passer une couche de peinture pour que toutes ces petites phrases si poétiques soient pratiquement invisibles. »

Elle hausse un sourcil un peu incrédule mais va volontiers me chercher un petit récipient pour que je puisse mélanger ce qui se trouve dans mon sachet de plastique. Après ça, et alors que j’applique consciencieusement la mixture sur les profondes rayures qui se trouvent sur sa porte, prenant soin de nettoyer immédiatement tout de qui dépasse, elle m’interroge avec curiosité.

-« J’avoue que je ne comprends pas ce qui vous pousse à m’aider ainsi, alors que nous ne nous connaissons absolument pas. »

Je hausse les épaules, souriant intérieurement mais lui répondant avec le plus grand sérieux.

-« Disons que j’aime rendre service. »

Elle semble se contenter de cette réponse et reste simplement à me regarder travailler, tout en me racontant les quelques mauvais coups dont elle a été victime récemment, paraissant peinée, mais toujours pas en colère. Je ne l’écoute que distraitement, après tout je connais parfaitement chaque détail de ces méfaits, m’appliquant à boucher les entailles plus ou moins profondes avec le plus grand soin en espérant qu’elle remarquera mon évidente bonne volonté. Elle affiche un immense sourire lorsque je termine, m’invitant immédiatement à entrer pour me laver les mains et m’offrir un verre, mais je refuse d’un mouvement de tête.

-« Je préférerais peindre, pour en finir une fois pour toute. »

Cela paraît la surprendre et elle me fait remarquer qu’elle pourrait tout à fait se charger de la peinture elle-même, mais j’insiste, désireuse d’attirer sa sympathie afin d’être sûre que nous puissions nouer des liens amicaux qui me permettent ensuite de l’attirer sur les chemins qu’elle n’a jamais fréquenté jusqu’à présent. Elle finit par céder et il me faut peu de temps pour terminer mon ouvrage après lequel nous pénétrons dans l’appartement, nous asseyant devant un verre le temps que la peinture sèche. Après avoir échangé nos prénoms, Gabrielle pour elle et Léna pour moi, nous parlons de choses et d’autres, ce qui me permet de constater, une fois encore, à quel point je n’éprouve aucune difficulté à mentir. Je lui parle très brièvement de mon travail imaginaire, et m’invente une enfance banale et une famille indifférente, expliquant ainsi le fait que je sois isolée ici.

De son côté, elle me parle avec, j’en suis certaine, une totale franchise, me narrant quelques anecdotes de son enfance qui fut, selon ses dires, tout à fait ordinaire mais heureuse, entourée d’une famille aimante avec laquelle elle garde des contacts étroits malgré les kilomètres qui les séparent.

Nous sympathisons suffisamment pour qu’elle me propose de partager son repas et, lorsque je la quitte pour regagner mon propre appartement, je me trouve tout à fait enchantée de ma soirée, un sentiment que je ne me souviens pourtant pas avoir déjà éprouvé de mon vivant, à l’issue d’une soirée somme toute fort simple. Je me sens si détendue que, puisque je suis un démon, je décide de m’amuser un peu, crevant de la pointe de mon canif les quatre pneus d’une ambulance stationnée devant un hôpital, et saccageant en riant les fleurs en pot posées sur tous les rebords de fenêtres que je peux atteindre.

 

La gourmandise :

 

Je repasse la voir dès le lendemain soir, l’invitant à mon tour sous prétexte de lui rendre sa courtoisie de la veille, mais surtout en espérant la faire succomber à la gourmandise. Si elle accepte volontiers de m’accompagner, elle a un mouvement de recul lorsqu’elle se rend compte que c’est dans un restaurant gastronomique que je l’emmène. Elle recule, tentant de refuser poliment, et je dois faire preuve de beaucoup de persuasion avant qu’elle ne se laisse convaincre.

Le maître d’hôtel regarde nos vêtements ordinaires avec une expression dédaigneuse que sa courtoisie ne parvient pas à dissimuler, mais nous n’en tenons aucun compte et nous installons avec plaisir à la table qu’il nous désigne, prenant le temps de choisir soigneusement les plats que nous allons déguster. Ensuite, je fais de mon mieux pour l’inciter à profiter des mets exquis qui nous sont servis, n’hésitant pas à m’empiffrer moi-même pour cela, malgré les expressions outrées arborées par les serveurs devant mon manque de manières. En face de moi, Gabrielle savoure tout ce qui lui est servi avec délectation, mangeant délicatement avec des gestes élégants tout en souriant devant ma gloutonnerie. Toutefois, j’ai beau essayer de l’inciter à manger davantage, lui faisant remarquer qu’elle n’a aucune raison de se priver et qu’elle peut se régaler autant qu’elle le souhaite, elle repousse chacune de mes tentatives en me disant qu’elle n’a pas envie de prendre de l’embonpoint et d’atteindre le poids et le volume d’une baleine, ce qui pourrait m’arriver si, comme ce soir, je fais trop souvent preuve de voracité . Je sais qu’il n’y a plus aucun risque de ce genre pour moi et je lui réponds en secouant négativement la tête, sans même me rendre compte de la sincérité de mon sourire.

 

Cette fois encore, nous passons une soirée tout à fait agréable, devisant légèrement et riant pour des bêtises, comme l’air compassé et l’attitude guindée du personnel qui nous amusent beaucoup.

Nous ne rentrons pas très tard, Gabrielle doit travailler le lendemain et je suis sensée aller gagner ma vie moi aussi. Mais, au moment où nous nous levons de table, je remarque le regard appréciateur qu’elle laisse traîner furtivement sur mon corps. Ma première réaction, instinctive, est de me sentir flattée, tournant légèrement sur moi-même pour qu’elle ait un meilleur aperçu, ravie de l’effet que je semble lui faire et appréciant l’espèce de douce chaleur que je sens monter en moi, jusqu’à ce que je réalise que je devrais plutôt songer à profiter de la situation au lieu de bêtement me laisser admirer. Je cherche son regard du mien, retenant un sourire ironique en voyant ses joues se colorer de rose, alors qu’elle détourne immédiatement les yeux, se raclant la gorge avant d’enfiler sa veste avec des gestes un peu plus nerveux que la normale. Je n’insiste pas et la précède vers la porte en silence.

 

L’envie : 

 

Après cette soirée, nous restons sans nous voir ni même nous parler jusqu’à la fin de la semaine. Je n’ai bien évidemment pas oublié ma mission, mais je préfère prendre quelques jours tranquilles, occupant mes journées à d’innocentes activités comme de renverser les poubelles dans les rues aux petites heures du matin, briser quelques vitrines, ou forcer des parcmètres, pour ensuite déposer la monnaie sur les sièges des voitures stationnées devant, et dont j’ai cassé les pare-brises, mais aussi pour réfléchir à ma prochaine tentative.

Sans abandonner l’idée de la gourmandise, il me semble possible d’essayer de provoquer l’envie en elle. Pour cela, je me sers de l’argent dont mon compte en banque est largement pourvu, équipant l’appartement mis à ma disposition de tous les équipements dernier cri possibles. Je remplis aussi ma garde robe de vêtements de marques, passe chez le concessionnaire pour commander une auto, un modèle à la ligne sportive et au nom prestigieux, puis vais chez le bijoutier, acquérir une montre au prix exorbitant dont je n’aurais certainement jamais eu envie en temps normal.

Je n’ai rencontré Gabrielle que très récemment, et même si je l’ai observée d’en bas, je ne la connais que très peu. Cependant, je ne suis pas persuadée que tous ces objets attirent vraiment sa convoitise, et si je veux tenter ma chance, il va peut-être falloir que je trouve autre chose. Malheureusement je ne peux guère me servir des souvenirs de ma vie passée puisque, à l’époque, tout ce que je pouvais jalouser était d’ordre matériel, mais je suis prête à parier qu’il n’en est pas de même pour elle. 

C’est au tout début du week end, le vendredi soir, que nous nous retrouvons. Bien décidée à lui montrer tous les équipements high tech qui encombrent mon appartement, je l’invite à passer la soirée chez moi, lui proposant bien évidemment de partager le délicieux repas que j’ai commandé chez le traiteur le plus réputé de la ville, espérant malgré tout que cela suffira à déclencher un réflexe envieux en elle.

Je suis très vite déçue. Polie, elle s’extasie sur tout ce que je lui montre, admire volontiers la qualité de l’image du home cinéma, observe attentivement chaque appareil, mais tout cela avec une espèce de détachement qui n’indique aucune envie particulière.

C’est alors que nous nous délectons d’une nourriture particulièrement savoureuse qu’elle me pose une question que je n’attendais pas et qui, pendant une seconde, me laisse sans voix.

-« Tous ces objets, tout le matériel que tu m’as montré, ce repas… Est-ce que tu essaies de m’impressionner ? »

Ses yeux sont dans les miens, directs et francs,  et je ne trouve rien de mieux que de lui répondre en l’interrogeant à mon tour.

-« Et ça marche ? »

Elle a un petit rire et détourne le regard, paraissant un peu embarrassée maintenant. Ses joues se colorent légèrement de rose et elle tripote machinalement sa fourchette, mais elle me regarde de nouveau bien en face pour répliquer doucement.

-« Je crois surtout que si tu veux m’épater, ou me troubler, tu as bien d’autres cartes à abattre. »

Pendant un moment, je ne pense plus du tout à ma mission alors que je hausse un sourcil, posant mon menton dans la paume de ma main, l’encourageant à poursuivre.

-« Vraiment ? Et à quelles cartes penses-tu précisément ? »

Cette fois, elle ne cille pas une seconde, énumérant immédiatement et sans aucune hésitation.

-« Tout d’abord, j’aime tes yeux, et ton sourire. Mais surtout, j’aime ta manière d’être, avec moi, mais aussi en général. Et puis, j’aime ton côté serviable, comme quand tu m’as aidée à remettre ma porte en état. »

Si je n’étais pas un démon, j’aurai rougi en songeant  qu’elle réagirait certainement bien différemment si elle savait que c’est moi qui, en premier lieu, suis responsable de l’état de sa porte ce jour là, et pas seulement de ça d’ailleurs. Mais je ne suis pas sensée être capable de ressentir de la gêne ou de l’embarras, ou d’autres sentiments du même genre, alors je fais comme si de rien n’était et replonge dans mon assiette sans oublier d’émettre de petits bruits de contentement dans l’espoir de l’inciter, encore une fois, à la gourmandise. Cet effort est tout aussi vain que le premier, mais j’éprouve un plaisir inattendu et surprenant à la voir rire devant mes pitreries, ce qui me pousse à en rajouter, jusqu’à ce qu’elle me jette sa serviette à la figure en m’annonçant que je suis tout à fait dégoûtante, un fait que je n’ignore pas et que je confirme en hochant vigoureusement la tête.

Nous sommes à la fin de l’été, la journée a été belle et la soirée l’est tout autant, aussi n’ai-je aucun mal à convaincre Gabrielle de faire une petite promenade après ce repas certes savoureux, mais un peu lourd. C’est vers un parc, à la périphérie de la ville que je l’entraîne, un parc connu dans la région pour être le lieu où se retrouvent les amoureux, et où j’espère la voir succomber à l’envie devant ce qui devrait lui plaire bien davantage que quelques équipements neufs .En cette fin de semaine, j’ai vraiment l’espoir que nous y croiserons quelques couples, et je ne suis pas déçue puisque, juste après notre arrivée, nous en rencontrons un presque tout de suite. Deux jeunes gens qui se tiennent par la main, se regardant amoureusement sans paraître remarquer quoi que ce soit autour d’eux. Sans en avoir l’air et du coin de l’œil , je surveille attentivement la réaction de Gabrielle, satisfaite de la voir jeter un regard rapide vers le couple, un petit sourire jouant sur ses lèvres. Ravie et espérant avoir enfin trouvé un angle d’attaque, si je puis dire, je décide d’enfoncer immédiatement le clou.

-« Ils ont vraiment l’air particulièrement heureux, tu ne trouves pas ? »

Sa seule réponse est un « mmh» émis d’une manière un peu songeuse, mais voyant que son sourire ne s’efface pas, j’insiste.

-« Ca donne envie d’être à leur place, non ? »

Elle tourne son visage vers moi, un sourcil levé alors que son sourire devient un peu moqueur.

-« Serais-tu une romantique ? »

Ce n’est pas du tout la réponse que j’attendais, et je reste interloquée une seconde. Ma surprise doit être visible parce qu’elle se met à rire, posant une main sur sa bouche un instant avant de hausser les épaules pour me répondre, le ton et l’expression tout à fait sereins.

-« Je suis contente de voir des gens si manifestement heureux, mais je ne les jalouse pas, je sais que mon tour viendra. »

Elle paraît tranquille et si sûre d’elle-même en disant cela que pendant un très court moment, je me surprends à l’envier moi-même, un sentiment quelque peu ironique si l’on songe que c’est exactement ce que je voulais provoquer en elle. Ma déception ne dure pas cependant, rapidement dissipée par le plaisir que j’éprouve à regarder son profil alors que nous marchons lentement jusqu’à ce que nous découvrions un banc, au cœur du parc, tout près d’un étang sur lequel nagent quelques cygnes. Nous nous asseyons et elle lève immédiatement son visage vers le ciel, me désignant les étoiles d’un geste en soupirant.

-« C’est beau, n’est ce pas ? »

Je n’ai jamais été particulièrement sensible à la beauté des cieux, mais j’acquiesce tout de même. D’abord parce que je suppose que c’est ce qu’elle veut entendre et que j’ai besoin, pour remplir ma mission, de garder sa sympathie, mais aussi, et c’est beaucoup plus surprenant, parce que je me sens étrangement bien là, à ne rien faire d’autre que regarder la voûte étoilée au-dessus de nous. Une sensation de bien être qui augmente encore quand, doucement, elle vient poser sa tête sur mon épaule, sa main s’enroulant délicatement autour de mon avant bras. Un peu surprise de ce geste de confiance et d’abandon dont je n’ai jamais eu l’habitude, que ce soit durant ma vie ou bien évidemment après, et je me raidis légèrement, mais ça ne dure pas. Il faut peu de temps pour que le calme, la douceur du moment comme de l’air ambiant, et le plaisir d’avoir près de moi quelqu’un que je commence à apprécier bien plus que je ne devrais, me permettent de me détendre comme je ne l’ai jamais été depuis très longtemps, et je pousse un soupir de regret sincère quand Gabrielle baille avant de m’annoncer qu’il est temps pour elle d’aller se coucher. Je profite de son état de fatigue pour effleurer de la main le portefeuille, dans la poche intérieure de mon blouson, que j’ai préparé pour la tenter une fois encore. Je le laisse où il est cependant, alors que je raccompagne ma nouvelle amie jusqu’à son domicile, souriant chaleureusement au moment où elle me dit bonsoir. Ce n’est qu’une fois qu’elle a disparu dans l’ascenseur, que je m’engage lentement dans l’escalier, bien décidée à passer de nouveau la nuit assise sur les marches.

Je pense beaucoup à Gabrielle durant cette nuit. D’abord, sans même me rendre compte que je souris bêtement dans le vague, je me remémore les moments où nous avons ri et plaisanté, notamment au restaurant gastronomique, puis la douceur de ses regards et des sourires qu’elle m’a adressé, à chaque moment que nous avons passés ensemble, finissant par soupirer en me souvenant du poids de sa tête sur mon épaule. Et puis, au bout de quelques heures, je finis par me ressaisir, m’admonestant moi-même de perdre mon temps à rêvasser au lieu de chercher un moyen de la faire tomber dans le péché.

 

L’avarice :

 

Je n’ai pas de pouvoir magique, un privilège seulement réservé aux démons de première catégorie, mais mes sens sont beaucoup plus aiguisés qu’ils ne l’étaient de mon vivant, et je n’ai aucun mal à l’entendre se lever, alors même que je suis assise dans les escaliers. Attentive, je guette chaque bruit, chaque son qui m’indique quels sont ses mouvements. J’entends des bruits de vaisselle et le raclement d’une chaise sur le sol, qui m’indiquent qu’elle est sans doute en train de prendre son petit déjeuner, je peux même sentir l’odeur du café. Ensuite, c’est le son de l’eau qui coule que je perçois tout à fait nettement, et je devine qu’elle se trouve sous la douche, ce qui, encore une fois, m’amène à rêvasser quelques instants, mon esprit imaginant sans difficulté la scène dans les moindres détails. De nouveau, je suis obligée de me secouer pour me remettre les pieds sur terre, et c’est quand je devine qu’elle s’apprête à sortir que je dépose sur le palier, bien en vue, le portefeuille qui se trouvait jusque là dans la poche de mon blouson, pariant qu’elle va présumer qu’il a été perdu par quelqu’un qui passait là. Je retourne me dissimuler dans les escaliers aussitôt après cela, guettant sa réaction avec impatience, persuadée que, puisqu’il n’y a aucun papier d’identité dans le portefeuille, elle succombera à la tentation et gardera la somme d’argent, très importante, qui s’y trouve.

J’aurais dû m’en douter. Non seulement elle ne touche pas aux nombreux billets de banque, ne les comptant même pas, mais son premier réflexe est d’aller sonner chez ses voisins, s’inquiétant de savoir si le portefeuille n’appartiendrait pas à l’un d’eux. Ensuite, elle sort, et je n’ai qu’à la suivre discrètement pour comprendre qu’elle se rend au commissariat déposer le portefeuille. La police n’a aucun moyen de connaître l’identité de la personne à qui pourrait appartenir ce petit objet de cuir, et je suis prête à parier qu’ils ne vont pas essayer de chercher, mais ce qui m’ennuie le plus, c’est que je suis persuadée que Gabrielle s’en doute tout autant que moi. Pourtant elle va au commissariat sans aucune hésitation, considérant certainement que si malhonnêteté il y a, ce ne sera pas la sienne.

Un peu désappointée, malgré tout j’avais placé beaucoup d’espoir dans ce petit stratagème, je pousse un soupir et cesse ma filature, enfouissant les mains dans les poches de mon jean alors que je m’éloigne du commissariat, tout en réfléchissant. Comme diable vais-je bien pouvoir la pousser à l’avarice ? Même si je connais très peu Gabrielle, il m’a suffit de ces quelques jours pour me rendre compte que tous ces péchés, ces comportements que je trouvais si naturels de mon vivant, ne le sont pas du tout pour elle, au contraire. De son point de vue, il paraît tout à fait normal de se comporter comme elle le fait, affichant une vertu qu’elle ne sait même pas posséder, et je sais que l’avarice, comme l’orgueil et même la paresse vont certainement être particulièrement difficiles à provoquer en elle. Bien sûr, il me reste la luxure, pour laquelle je crois avoir bien plus de possibilités, dans la mesure où je l’ai déjà vue me regarder avec ce que j’appellerai de l’intérêt pour mon physique, mais bizarrement, alors que je devrais me réjouir de cette facilité apparente et être pleine d’enthousiasme, pressée d’en venir là, je me sens plutôt timide, et un peu gênée, comme si l’idée de me servir de l’attirance qu’elle a pour moi me dérangeait. Pour un démon comme moi, l’idée d’avoir des scrupules est si ridicule que je la repousse d’un haussement d’épaules, mais je ne me décide pas pour autant à prendre une initiative à ce sujet.

Nous n’avons pas prévu de nous voir aujourd’hui pourtant, alors que je me creuse la cervelle pour trouver un moyen de la rendre avare, mes pas me ramènent naturellement vers son quartier d’abord, sa rue ensuite, et je me retrouve rapidement assise sur le même banc que le premier soir. Je reste là un long moment, passant davantage de temps à songer à son sourire ou à la douceur de son regard qu’à mettre un plan d’action au point.

C’est finalement Gabrielle elle-même qui me tire de ma rêverie, venant se planter devant le banc sur lequel je suis assise, avant de rire de mon air absent. Je lève les yeux en l’entendant, et bondit sur mes pieds comme si j’étais prise en faute, marmonnant de la même manière que si elle m’avait réveillée. Elle rit de plus belle à cette attitude, ne semblant pas remarquer mon léger sentiment de culpabilité alors que, pour ma part, je me demande d’où il peut bien venir.

Je passe une main sur ma nuque et me frotte les yeux, pendant qu’elle reprend son souffle, puis elle pose doucement sa main sur mon avant bras et m’invite gentiment à venir boire un café chez elle, puisque, selon ses propres dires, « j’ai l’air d’en avoir bien besoin. »

Il ne faut que peu de temps pour que soyons toutes deux installées à la table de sa cuisine, moi devant une tasse de café que je sirote lentement, alors qu’elle préfère boire une canette de coca.

Mon embarras, qui a très rapidement disparu, revient tout aussi vite quand Gabrielle m’interroge, souriant à demi en me demandant ce que je pouvais bien faire ainsi, assise sur un banc à deux pas de chez elle. Je me racle la gorge, cherchant un mensonge qui, contrairement à mes habitudes, ne vient pas, et finit par balbutier, regardant partout sauf dans sa direction.

-« Eh bien, je me promenais sans savoir où j’allais, et… Apparemment, j’ai pris la direction de chez toi sans même y penser. »

Son sourire s’agrandit alors qu’elle hoche la tête, semblant satisfaite autant de ma réponse que de la gêne que j’éprouve en la lui donnant. Elle ne répond pas cependant et termine tranquillement son verre, ses yeux brillant d’un éclat malicieux. Un instant, je remue sur ma chaise, mal à l’aise mais déterminée à tenter une nouvelle fois de l’inciter à l’avarice, puis me lève en glissant ma main droite dans ma poche.

-« Combien veux-tu pour le café ? »

Pendant une demi-seconde, elle me regarde avec de grands yeux éberlués, mais son étonnement ne dure pas, et très vite, elle se détend, souriant à demi.

-« Ce n’est pas drôle. »

J’insiste encore un peu.

-« Ce n’est pas une boutade. Il est important de faire attention à son argent, et je ne trouverai pas anormal de te payer ce que tu as dû dépenser pour ce café. »

Cette fois, elle ne sourit plus, se renfrognant plutôt, alors qu’elle se lève elle aussi pour tendre un index menaçant dans ma direction.

-« Je n’apprécie pas ce genre de plaisanterie, et si tu es sérieuse, c’est encore pire. »

Elle détourne enfin le regard et hausse les épaules, l’air désabusé.

-« Je ne pensais pas t’avoir donné l’impression d’être mesquine. »

Elle me donne l’impression d’être non seulement vexée, mais aussi sincèrement peinée, et je me sens de nouveau particulièrement mal à l’aise. Je sais que je ne devrais pas me préoccuper de ce qu’elle éprouve et me concentrer seulement sur ma  mission, mais sa mine désolée et attristée, tout autant que son expression vexée me désole tellement que je ne peux retenir le mouvement qui m’amène près d’elle, lui prenant la main sans rien dire, mais avec le sourire d’excuse le plus sincère que je suis capable de faire. Heureusement, elle n’est ni rancunière ni vindicative et finit par se détendre, me lançant un regard désapprobateur avant de retirer délicatement sa main de la mienne pour croiser ses bras sur sa poitrine.

-« Qu’est ce que tu cherches avec moi, Léna ? »

La question me surprend et me gêne, même si je suis persuadée qu’elle n’a aucun moyen de deviner ce que je suis. Pourtant, je parviens à garder un visage imperturbable et réponds d’un ton tout à fait innocent.

-« Qu’est ce que tu veux dire ? »

Elle secoue la tête, les sourcils froncés, avant de décroiser les bras puis de se frotter la tempe de l’index.

-« Parfois, j’ai l’impression que tu me testes. »

Ce n’est pas ce que j’essaie de faire, aussi n’ai-je même pas à mentir lorsque je réponds avec conviction.

-« Non ! Bien sûr que non ! Te tester pour quoi ? » »

Elle relève les yeux, le sourire revenu sur ses lèvres, et s’approche jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de moi.

-« Si tu me cherches des défauts, tu vas forcément en trouver, je ne suis pas parfaite. »

Ses yeux sont dans les miens alors qu’elle est là, tout près, le visage levé pour me regarder bien en face. J’ai une envie presque irrépressible de l’embrasser, à laquelle je ne résiste pas immédiatement, me penchant d’abord légèrement vers elle et ses lèvres entrouvertes avant de me ressaisir et de reculer de deux pas, mon trouble ne lui échappant apparemment pas puisque son sourire s’élargit et qu’une légère lueur s’allume dans ses yeux.

Elle n’insiste pas toutefois et se détourne vers la table pour la débarrasser, déposant ensuite verre et tasse dans l’évier avant se diriger vers la penderie de l’entrée.

-« Je serais volontiers restée en ta compagnie, mais j’ai prévu de voir des amis aujourd’hui. »

J’acquiesce d’un mouvement du menton, enfile mon blouson et la précède vers la porte, la laissant sur le trottoir après l’avoir salué d’un « au revoir » bien trop timide à mon goût.

 

Je marche lentement dans les rues de la ville, les mains dans les poches et sans faire vraiment attention à la direction que je prends. Une petite bruine tombe depuis ce matin et, petit à petit, l’humidité pénètre à l’intérieur de mon blouson, mais je n’y prends pas garde, alors qu’une quantité de questions se bousculent dans ma tête. En premier lieu, et pour la première fois depuis le début de ma mission, je me demande si je ne cours pas à l’échec. Non seulement chacune de mes tentatives a été vaine, mais je commence à avoir l’impression que je perds ma motivation et que plus rien ne m’intéresse ou ne m’amuse. Même les gestes qui faisaient ma joie il n’y a pas si longtemps, comme d’arracher les sacs des vieilles dames, ou casser les rétroviseurs des voitures en stationnement, me laissent un sentiment d’insatisfaction que je n’avais connu jusqu’à présent.

Les mains dans les poches de mon pantalon, je pousse un profond soupir en réalisant que, bien plus que la poursuite de ma mission, c’est la hâte d’être au lendemain pour revoir Gabrielle qui emplit mon esprit.

 

L’orgueil

 

Je suis au pied de son immeuble avec une bonne demi-heure d’avance, trépignant en consultant ma montre hors de prix si souvent que j’ai l’impression que le temps ne passe pas. Un moment, je songe à monter, à ne pas attendre l’instant exact de notre rendez-vous pour sonner à sa porte, et si je me contiens, c’est plus par fierté que par éducation, le savoir-vivre n’étant pas un comportement naturel pour un démon.

Je ne sais pas si elle était aussi impatiente que moi, mais elle m’accueille avec un grand sourire chaleureux et, pour la première fois, une bise sur la joue qui provoque une délicieuse chair de poule sur toute la longueur mon corps, ce qui manque de me faire oublier mon objectif. Heureusement, je m’en souviens tout de même, et commence immédiatement à la complimenter, les mots venant d’autant plus facilement qu’ils sont tout à fait sincères. Elle rougit légèrement en m’entendant la féliciter sur sa bonne mine, alors que je lui fais remarquer à quel point je la trouve jolie, mais si elle semble contente, il me paraît que ce n’est pas pour la phrase, somme toute banale, en elle-même, mais plutôt parce que c’est moi qui la prononce, une constatation qui provoque une étrange chaleur en moi.

Nous déjeunons face à face, et si je mange avec appétit un repas délicieux, même s’il est plus simple que les mets délicats servis au restaurant gastronomique ou ceux que j’avais commandés chez le traiteur. Encore une fois, je tente de flatter son égo, d’abord en m’empiffrant bien plus que de raison, puis en lui faisant remarquer, à plusieurs reprises, à quel point sa cuisine est savoureuse. 

Si ma première remarque lui fait visiblement plaisir, je vois dans son regard qu’elle s’en lasse rapidement, et après plusieurs tentatives, je décide, très délibérément et sans un regret, d’apprécier le moment et sa compagnie, oubliant volontairement et pour la première fois, ma mission pour cela.

Après le repas, nous nous rendons au cinéma pour y voir une comédie très drôle mais aussi remplie de quelques scènes tendres pendant lesquelles elle se rapproche de moi comme elle l’avait fait sur le banc du parc. Encore une fois, je tente d’oublier qui je suis et pourquoi je suis là, me concentrant sur la douceur du moment comme sur le plaisir que je prends à la sentir aussi proche de moi. Je finis d’ailleurs par m’enhardir un peu, et c’est moi qui, juste avant la fin du film, prends délicatement sa main dans la mienne. Elle ne me la retire pas, et c’est ainsi que nous sortons de la salle, nous dirigeant vers ma voiture dont l’aspect tape à l’œil, que j’avais choisi volontairement, me dérange maintenant beaucoup, tout autant qu’il gêne Gabrielle. Bien sûr, elle ne dit pas un mot à ce sujet, mais il me suffit de voir son regard et son sourire un peu crispé pour le savoir.

Quoi qu’il en soit, le véhicule est puissant et rapide, et il nous faut peu de temps pour nous trouver en pleine nature, prêtes à faire une promenade. Le temps est beau et la température douce sans être trop chaude, le paysage vallonné et verdoyant est particulièrement joli, le silence et le calme très agréables après le bruit et l’agitation de la ville où nous passons notre temps habituellement, et je me sens tout à fait détendue, tellement que je ne peux que me laisser aller à la chaleur de ses bras et la douceur de son baiser.

Nous sommes assises dans l’herbe, à l’ombre d’un chêne et face à un petit étang devant lequel quelques pêcheurs silencieux attendent patiemment que le poisson veuille bien mordre. Personne ne prête attention à nous, et nous passons une après midi tout à fait délicieuse comme je ne me souviens pas en avoir jamais vécu.

Après la tendresse qu’elle a montré envers moi, blottie dans mes bras jusqu’à ce que le soleil se couche, il m’est extrêmement difficile de la laisser en bas de chez elle lorsque nous rentrons enfin. Elle me quitte avec un sourire, une caresse sur la joue et un nouveau baiser qui me fait frissonner pendant de longues secondes. Je la regarde s’éloigner et pénétrer à l’intérieur de son immeuble, hésitant à passer encore une fois la nuit dans les escaliers, pour être plus près d’elle, mais renonce et retourne finalement à mon propre appartement.

 

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Je rentre pour regarder avec un peu de dégoût les gadgets hors de prix et les équipements ultra-modernes que j’ai acquis si récemment dans le seul but de provoquer l’envie en elle, souriant en songeant à quel point tout cela a été vain. Pourtant je ne me sens pas d’humeur joyeuse, au contraire, c’est plutôt de l’amertume que je sens monter en moi. Une amertume qui me laisse dans la bouche un goût de bile que même le whisky dont je me sers un verre largement rempli ne parvient pas à effacer. Assise sur le canapé, les deux mains posées sous mon menton, les yeux dans le vague, je me laisse aller un instant à me souvenir de la douceur de son étreinte et de la saveur de ses baisers, mais très vite, je réfléchis beaucoup plus sérieusement à la situation.

Ma mission n’est pas terminée, je n’ai même rien essayé en ce qui concerne la paresse, mais je sais déjà qu’elle a échoué, et que j’en suis complètement responsable. Je n’ai pas un grand effort de lucidité à faire pour me rendre compte que, pour chaque péché vers lequel j’ai essayé de l’entraîner, je n’ai pas agi avec beaucoup de conviction. Au contraire, plus je me suis rapprochée de Gabrielle, plus j’ai eu de mal, pour ne pas dire des scrupules, à faire ce qui était nécessaire, et maintenant, il ne me reste plus qu’à recommencer, en faisant bien plus d’efforts, ou à laisser tomber et en subir les conséquences.

Je pousse un soupir, appuyant mon dos contre le dossier du canapé en levant les yeux vers le plafond. Je n’ai pas l’habitude d’abandonner. En règle générale, j’ai toujours mené chacune de mes entreprises à bien, quelles qu’elles soient et même quand elles semblaient vouées à l’échec dès le départ, mais ceci est bien différent. La vérité, c’est que je n’ai aucune envie de réussir. Je n’imagine pas Gabrielle, avec sa douceur, sa bonté qui n’a rien de feinte, son honnêteté, sa capacité à voir le bon côté des gens plutôt que le mauvais, en plein milieu de l’enfer, elle ne le supporterait pas. Ce serait, pour elle, encore plus épouvantable que pour n’importe quelle personne ordinaire. Le simple fait d’y penser, d’imaginer sa détresse si elle devait se trouver là, me rend physiquement malade, et, à cette évocation, je retiens un sanglot sec qui m’irrite la gorge.

Il n’en faut pas davantage pour que je prenne ma décision sans plus tergiverser. Brusquement, je me relève, quittant mon appartement d’un pas décidé pour me rendre rapidement jusqu’à la rue de Gabrielle. Là, je reste un moment à regarder ses fenêtres au travers desquelles je ne distingue aucune lumière, m’imaginant son visage paisible alors qu’elle dort, confortablement enfouie au creux de sont lit, puis je vais m’installer sur le banc qui m’accueille depuis le début de cette histoire. Les bras en croix, je lève les yeux vers le ciel, prend une profonde inspiration, puis appelle mon formateur.

-« Darius ! »

A peine ai-je prononcé son nom qu’il est assis près de moi, ses lèvres étirées dans un rictus ironique alors qu’il caresse doucement sa barbiche noire entre son pouce et son index, me regardant avec une expression plus amusée qu’autre chose.

-« Pourquoi m’as-tu appelé, Léna ? Aurais-tu déjà terminé ta mission ? »

Je sais avec certitude qu’il a suivi chacun de mes mouvements, et qu’il connaît parfaitement le déroulement des évènements. Mais, puisqu’il pose la question, je n’ai aucune raison de ne pas lui répondre.

-« La mission est terminée. J’ai échoué. »

Il lève un sourcil surpris puis glousse, semblant plutôt amusé par ma mine sérieuse et déterminée, avant de se pencher vers moi, un air de fausse bonhomie sur le visage.

-« Allons, Léna ! Ne te décourage donc pas si vite ! Tu as encore beaucoup d’opportunités pour réussir. »

Il hausse les épaules, effleure une nouvelle fois sa barbiche du bout des doigts, puis ajoute tout bas, comme s’il me faisait une confidence.

-« Je ne devrais pas, mais puisque tu es une débutante, je vais te donner un conseil. Songe à combien il serait facile de la mettre en colère maintenant que vous êtes proches l’une de l’autre. »

Devant mon manque évident d’intérêt, il insiste.

-« Imagine sa colère si tu saccageais son appartement, aussitôt après qu’elle t’aies laissé entrer par exemple, ou si tu profitais de ses sentiments envers toi. »

Cette fois, je relève brusquement la tête, non pas parce que j’ai l’intention de faire ce qu’il me suggère, mais plutôt parce que je ressens une espèce de crainte pour elle en réalisant combien elle est vulnérable, à quel point elle s’est mise en danger en s’attachant à moi, même si elle ne le sait sans doute pas.

Il sourit, satisfait d’avoir attiré mon attention, croyant peut-être avoir réussi à me convaincre et me désigne l’immeuble de Gabrielle d’un geste.

-« Retournes-y. Ce soir ou dès demain, comme il te conviendra. Tu es bien armée pour réussir dorénavant. »

Je ne réponds pas, me contentant de secouer négativement la tête avec énergie, espérant que cela le suffira à le persuader de ma résolution. Mais ce n’est pas le cas, et il se penche de nouveau vers moi, son ton devenant dangereusement doucereux alors qu’il plante ses yeux dans les miens.

-« Tu n’as pas vraiment le choix. Certes, il t’est possible d’abandonner, mais tu sais ce qui t’attend dans ce cas. »

Je n’ai pas besoin qu’il précise à quoi il pense. Si je retourne en enfer, je serais punie. Et l’idée de passer une éternité plongée dans l’eau bouillante, par exemple, n’a absolument rien de réjouissant. Pourtant, je persiste dans mon choix, incapable que je suis d’envoyer ma blonde amie subir les tourments infernaux, provoquant le mécontentement évident de mon formateur qui commence à montrer des signes d’agacement. Il se lève et se place face à moi dans une attitude qui n’a plus rien d’amusée ou d’encourageante. Son regard s’assombrit encore et il tend un index menaçant dans ma direction, l’agitant juste devant mon visage.

-« Comment peux-tu être aussi stupide et obstinée ? Je fondais beaucoup d’espoir en toi, j’étais persuadé que tu deviendrais un excellent élément, un démon qui franchirait rapidement tous les échelons, et voilà que tu abandonnes, sans raison apparente. »

Il tourne sur lui-même, jette un coup d’œil furieux vers l’immeuble de Gabrielle, puis reporte les yeux sur moi, secouant la tête ave une expression dégoûtée.

-« J’en viens à croire que…»

Toujours face à moi, il se baisse, mettant son visage à hauteur du mien, son teint rougi par la colère.

-« Aurais-tu eu la sottise de développer des sentiments envers elle ? »

Je ne réponds toujours pas, mais je suppose que la réponse à sa question se lit sur mon visage, parce qu’il se redresse vivement, levant les mains devant lui avant de les rabattre vers le sol dans un geste qui traduit son écœurement. Et puis, il hausse les épaules et m’attrape sans douceur par le bras, marmonnant d’un ton particulièrement menaçant.

-« Tu n’auras que ce que tu mérites. »

Je sais qu’il a l’intention de me ramener, mais il n’a pas le temps d’entamer la descente qu’un homme surgit devant nous, un vieil homme tout de blanc vêtu, qui stoppe notre mouvement d’un seul geste de la main. Je ne sais pas de qui il s’agit, mais je distingue nettement le recul de mon formateur devant lui. Sans rien dire, l’homme s’avance au devant de moi, son regard fixe et scrutateur plongeant au fond de mes yeux, me mettant rapidement très mal à l’aise. J’essaie cependant de ne pas le montrer et me redresse de toute ma hauteur, donnant à mon regard l’expression la plus dédaigneuse possible, alors que je carre les épaules dans une posture de défi. Ca le fait sourire et il détourne enfin les yeux pour se tourner vers Darius qui, depuis son arrivée, n’a pas bougé et semble encore plus contrarié, reculant de nouveau lorsque l’homme s’avance doucement au devant de lui.

-« Cette âme ne retournera pas en enfer, démon. »

Cette fois, le teint déjà rougi de mon formateur vire au cramoisi, et il fulmine tant que ses yeux ne sont pas loin de lancer des éclairs, au sens propre. Pourtant il cède et se détourne presque aussitôt, marmonnant dans sa barbe.

-« Si tu crois pouvoir en faire quelque chose, tu vas vite être déçu. »

Et puis, il disparaît, aussi vite qu’il était apparu à mes côtés. Si je suis soulagée par son départ, je reste méfiante, observant l’homme avec suspicion alors qu’il revient vers moi, souriant avec douceur et bonté, pour poser délicatement ses mains sur mes épaules.

-« Tu es un démon de première catégorie, n’est ce pas ? »

Toujours dans l’expectative, j’acquiesce d’un mouvement du menton. Ca a l’air de le réjouir et son sourire s’élargit alors qu’il me questionne à nouveau.

-« As-tu mené beaucoup de missions à bien ? »

Je n’ai pas très envie de répondre à cet homme dont je ne connais ni le nom, ni le rôle exact dans ce qui vient de se jouer, pourtant je lui donne tout de même la réponse qu’il attend, comme si je ne pouvais pas résister à ce regard clair et persuasif qu’il pose sur moi.

-« C’était ma première mission. » Je hausse les épaules, terminant en marmonnant pour moi-même. « Et je ne l’ai pas réussie. »

Juste à ce moment là, alors que j’envisage de me détourner, lassée par ses questions et sans envie de l’interroger moi-même, je sens mes vêtements disparaître brusquement. En une fraction de seconde, je me retrouve nue comme un ver, sans comprendre ce qui a bien pu provoquer cela. Devant moi, l’homme fait aussitôt un geste du bras, et aussi vite que précédemment, je suis de nouveau couverte, du même genre de vêtements que ce que je portais un instant auparavant. Stupéfaite, ma première réaction est d’interroger l’homme du regard, cherchant une explication au fond de ses yeux clairs et honnêtes, mais je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il s’éloigne d’un pas, et je suis forcée de l’attraper par le bras pour le retenir. Un peu étonné de cette initiative, il se retourne, un sourcil levé, attendant manifestement que j’explique mon geste.

-« Qui es-tu ? Et que se passe-t-il exactement ? Qu’est-il arrivé à mes vêtements ? Comment as-tu pu faire partir Darius aussi facilement ? »

Une fois encore il sourit, mais hoche la tête, acceptant apparemment de me donner quelques éclaircissements.

-« Mon nom est Paul, et je suis un bienheureux, un de ceux qui parcourent la planète dans l’espoir de sauver quelques âmes, de la même manière que les démons essaient de les entraîner à leur perte. Je suis en position de force dans cette affaire, et Darius le savait, c’est pourquoi il n’a pas insisté. Quant à tes affaires, Darius les a tout simplement récupérées, comme il a certainement repris tout ce qu’il t’avait fourni pour le déroulement de ta mission. »

Je fronce les sourcils, réalisant au fur et à mesure qu’il parle à ce que cela signifie. Plus d’appartement, de voiture, sans aucun doute plus de compte en banque ni d’argent…. Voilà qui ne va pas simplifier les choses si je dois rester sur Terre. A moins que le bienheureux n’ait d’autres projets pour moi… C’est avec autant d’incrédulité que de spontanéité que je pose la question.

-« Tu étais en position de force pour sauver mon âme ? »

De nouveau il sourit, secouant négativement la tête.

-« Pas la tienne, non. Celle de Gabrielle. Toi, tu es un bonus. »

Cette réponse est tout à fait inattendue, et m’amène à rétorquer avec vivacité.

-« Gabrielle est naturellement pure et bonne, et n’a certainement pas besoin d’être sauvée de quoi que ce soit ! »

Il hausse un sourcil, jugeant sans doute mon ton quelque peu agressif, mais m’explique tout de même.

-« Te voir disparaître aussi soudainement, et sans aucune explication, lui aurait causé beaucoup de chagrin, mais aurait également provoqué ce que tu as essayé de lui inspirer au début de ta mission : La colère. A partir de là, nul ne sait ce qui serait arrivé, mais Gabrielle a un caractère entier, et nous pensons que ta présence à ses côtés sera excellente pour son équilibre. »

Il termine en consultant sa montre, paraissant pressé d’en finir avec moi et mes questions, alors que je ne peux retenir un sourire, en réalisant ce qu’il vient d’affirmer, à savoir que je pourrais être nécessaire à Gabrielle. En face de moi, Paul paraît avoir vraiment hâte de s’en aller maintenant, peut-être parce qu’il a d’autres âmes à sauver, ou un rapport à rendre, ou je ne sais quoi d’autre, toujours est-il que bien que j’ai encore des quantités de points à éclaircir, je décide d’aller à l’essentiel.

-« Que va-t-il se passer maintenant ? »

Apparemment soulagé que je n’insiste pas sur les détails, il répond brièvement.

-« Tu vas retourner voir Gabrielle, et lui expliquer d’où tu viens, pourquoi tu es là, et comment tu as été sauvée. Ensuite, ce sera à vous de voir si vous pouvez vous entendre et vous aimer suffisamment pour passer votre vie ensemble. »

Sa manière d’évoquer cette éventualité, comme si rien n’était plus souhaitable, et d’imaginer que Gabrielle va croire mon histoire sans sourciller si je lui raconte la vérité, me laisse sans voix pendant une seconde, et il profite de ce court instant de répit pour s’éloigner de quelques pas, se plantant au beau milieu du trottoir pour tendre les bras devant lui, les paumes et le visage tournés vers le ciel, les yeux fermés et l’air profondément concentré. Je profite de ce moment pendant lequel il ne souhaite manifestement pas être dérangé, pour observer avec un peu de curiosité les nouveaux vêtements que je porte. Le style vestimentaire n’a pas changé, je suis toujours habillée d’un jean, d’une chemise et d’un blouson de couleur noire, chaussée d’une paire de baskets, mais cette fois, je ne porte plus aucune marque prestigieuse, plutôt des vêtements qui, s’ils sont apparemment neufs, sont très certainement de qualité tout à fait ordinaire.

Toutes ces constatations ne m’ont pris que fort peu de temps, mais quand je relève les yeux vers la rue, Paul est de nouveau devant moi, souriant avec bienveillance alors qu’il m’adresse un petit salut, s’apprêtant sans doute à me laisser. Je me précipite pour le retenir, apercevant une lueur d’agacement dans son regard juste avant que j’arrive près de lui, mais il garde la même attitude courtoise et détendue alors qu’il se tourne vers moi, une expression interrogative sur le visage.

-« Suis-je vraiment obligée de dire toute la vérité à Gabrielle ? »

L’air interrogatif est remplacé par la désapprobation et il fronce les sourcils, son œil s’assombrissant, alors qu’il imagine peut-être que je veux commencer la nouvelle vie qui m’est offerte par un mensonge. Je m’empresse de le détromper, expliquant rapidement.

-« Elle ne voudra jamais me croire. »

Son sourire revient aussitôt, sur ses lèvres comme dans ses yeux, et il se penche vers moi pour murmurer au creux de mon oreille.

-« Elle te croira. »

Et puis, il disparaît, aussi rapidement que l’avait fait Darius avant lui. Un moment, je reste plantée sur le trottoir, peinant à réaliser à la chance inouïe qui vient de m’être donnée. Ensuite, je lève les yeux vers le ciel, prononçant un « merci » sonore, et me dirige vers l’appartement de Gabrielle.

 

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Commentaires
G
Merci. Si c'est un plaisir d'écrire, ça l'est encore plus de lire de tels commentaires.<br /> <br /> Par contre, il n'y aura pas de suite à cette histoire. Pour moi, mes héroïnes ont trouvé leur dstin.<br /> <br /> Ceci dit, la prochaine histoire sera en plusieurs parties, 2 ou 3, je sais pas encore. Ce sera une surprise, même pour moi.
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V
Super hate a la suite de ta fiction
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G
Merci pour le complimpent, et pour tous le commentaires que tu rédiges régulièrement et auxquels je ne réponds pas toujours.<br /> Dans l'espace ? J'y ai déjà pensé, mais pour l'instant j'ai pas trouvé le bon angle. Ca viendra peut-être.
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I
Quelle belle histoire formidablement bien "tournée et retourner":Tout y est,rien à ajouter...<br /> Compliment Gaxé...<br /> <br /> Prochaine histoire située dans l'espace?Pas encore écrite celle-là, Lol<br /> <br /> Isis.
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S
Donc on parle bien du capiteux péché capital pour lequel notre auteure aurait un certain penchant, voire un penchant certain !!!<br /> <br /> Chic, on va être en bonne compagnie en enfer finalement !!!<br /> <br /> ;)
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