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22 juin 2013

D'une vie à l'autre, de Gaxé

 

Pour Marc

 

                                                      D’UNE VIE A L’AUTRE

 

 

Merci à Prudence de toujours trouver du temps pour me relire.

 

 

-« Tuez-les tous !! »

Ce n’est pas la première fois que je prononce cette phrase, et comme à chaque fois, un petit frisson me parcourt en le faisant. Un frisson provoqué non pas par l’idée de la mort des vaincus, mais par le sentiment de puissance que provoque en moi la possibilité de décider ainsi du sort d’autrui.

Mes hommes s’empressent d’exécuter mon ordre et lèvent leurs épées, tranchant des têtes et transperçant des poitrines sans états d’âme, alors que je les observe, satisfaite.

La besogne est presque terminée quand j’entends le sifflement des premières flèches. Déjà, je sais que je n’y survivrai pas. J’en distingue nettement trois, face à moi, et je ne doute pas de pouvoir les arrêter sans problème, mais j’entends de nombreuses autres flèches arriver et je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir qu’elles sont bien plus nombreuses dans mon dos. Il me paraît évident que je ne pourrai pas toutes les stopper, mais mon esprit est si combatif que je ne peux m’empêcher d’essayer tout de même.

D’abord, j’attrape deux flèches devant moi, une de la main droite, l’autre de la main gauche, me servant de ces deux là pour dévier la course de la troisième. Mais c’est au moment où je pivote sur mes talons que je suis touchée pour la première fois, à l’épaule gauche. Je poursuis mon mouvement sans y attacher d’importance, lâchant les flèches que j’ai en main pour tenter de saisir au vol celles qui viennent vers moi.

J’en attrape une, puis deux, j’en dévie une troisième, une quatrième, une cinquième et une sixième, mais je finis par être submergée par le nombre et je suis atteinte une nouvelle fois, sur le haut de la poitrine, juste au-dessus de mon armure. Le sang coule sur mon corps et je sens la faiblesse m’envahir. Je me redresse fièrement, bien décidée à montrer à mes adversaires qu’ils ne m’auront pas si facilement, mais je suis touchée de nouveau, à plusieurs reprises.

Je tombe. Lentement. D’abord sur mes genoux, puis face contre terre. Je tombe et j’entends, semblant venir de très loin, les cris de mes hommes, et ceux, victorieux, des archers qui m’ont abattue. Et puis, je n’entends plus rien.

 

::::::::::::::::::::::::

 

 

En mouche ! Je me suis réincarnée en mouche ! Je reste à voler sur place, battant furieusement des ailes en fulminant. Si je tenais le Dieu, la Déesse, ou la « Puissance supérieure » quelle qu’elle soit qui m’a joué ce mauvais tour, je lui ferais passer un très mauvais quart d’heure !

Il me faut un long moment pour, non pas me calmer, je suis bien trop furieuse pour cela, mais simplement pour me reprendre et constater que je ne peux pas rester là à attendre de voir ce qui se passe. Du regard, j’observe les alentours, encore un peu gênée par la vision particulière que m’offrent les multiples facettes de mes yeux. A ce propos, je me demande s’ils sont encore bleus…

Je volète au dessus d’un champ, non loin d’un village apparemment dévasté et brûlé, sans doute par l’armée dont je distingue le campement, sur ma gauche. Curieuse, je m’approche, cherchant à savoir s’il s’agit là de mes hommes ou bien de ceux qui m’ont tuée.

Peut-être ne suis-je plus au même endroit,  ou à une autre époque, qui sait ? Toujours est-il que je ne parviens pas à identifier cette armée, mais peu importe, après tout, ça ne change plus grand chose pour moi, à présent. Ce n’est pas comme si quelqu’un allait me reconnaître…

 

Je continue mon exploration du campement, repérant rapidement un feu, au milieu des tentes éparpillées sans ordre apparent, un feu au-dessus duquel, embrochée sur une longue barre de fer, tourne la carcasse juteuse d’un agneau. Un fumet délicieux s’en échappe et je me sens alléchée, m’apercevant brusquement que je meurs de faim. Je me précipite, me posant directement sur la carcasse sans tenir compte de la chaleur, juste en-dessous, bien décidée à profiter de l’aubaine.

Ce n’est qu’une fois rassasiée que je repars survoler le campement avec curiosité. Mais je ne trouve rien de particulier qui m’indique l’identité du chef de cette armée. Je ne vois que quelques tentes, un enclos visiblement bâti à la va-vite, pour les chevaux, et un peu plus loin, quelques prisonniers enchaînés les uns aux autres sous la surveillance de trois ou quatre sentinelles fatiguées.

Plus poussée par l’ennui que par autre chose, je m’avance en direction des prisonniers. Assis ou à demi-allongés dans l’herbe, ils sont une dizaine. Principalement des femmes, mais aussi deux très jeunes hommes, presque des adolescents, ils sont certainement destinés à être vendus comme esclaves et le savent, ce qui explique leur expression abattue.

Dispersés autour de ce petit groupe enchaîné, les gardes ne font pas preuve de beaucoup d’intérêt pour leur tâche. Sur la droite, deux d’entre eux, assis par terre, jouent aux dés sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. Plus au centre, un troisième rêvasse en contemplant le ciel sans jamais ramener le regard vers ceux qu’il est sensé surveiller, alors que le quatrième, lui, adossé au tronc de l’arbre contre lequel il est assis, s’est carrément endormi.

 

Mon instinct ! Ce ne peut-être que mon instinct de mouche qui m’a poussée à venir me poser sur le visage crasseux du garde endormi. Mécontente, je peste en moi-même, un peu dégoûtée de rester là, à respirer son haleine fétide et l’odeur de sueur et de je ne sais quoi d’autre qui émane de sa peau comme de ses cheveux gras. Et pourtant, pas une seconde, je n’envisage de partir, sautant sur place quand, gêné par mes mouvements, il grimace dans son sommeil. Et puis, je me dis qu’une sentinelle aussi négligente –et négligée-, ne mérite certainement pas de dormir tranquille. Alors je décide de le chatouiller.

Je me promène sur ses sourcils, je frotte mes pattes sur ses paupières, je marche sur ses joues, n’hésitant pas à tirer sur quelques poils de barbe à chaque fois que je le peux. Et visiblement, cela fonctionne. L’homme commence à s’agiter et secoue la tête de droite à gauche mais je ne cesse pas pour autant, sautillant sur place et m’envolant brièvement quand sa main se lève pour frotter sa peau partout où je passe. Il s’agite davantage, pousse même un ou deux grognements sourds, mais ses yeux sont toujours fermés, alors je continue.

Je commence à comprendre pourquoi les mouches, que je trouvais terriblement agaçantes lorsque j’étais un être humain, font ça. C’est une occupation particulièrement amusante, et je passe un moment tout à fait agréable. Mais tout a une fin, et je décide d’arrêter mon petit jeu et de laisser cette piètre sentinelle tranquille, au moment où je me surprends à envisager de pénétrer dans sa narine, juste pour l’irriter davantage.

Dégoûtée par cette simple pensée, je m’éloigne enfin de l’homme, me dirigeant un peu machinalement vers le groupe de captifs. Je vole au-dessus d’eux, et je hausserais les épaules si j’en avais, tant leur manque de réaction m’exaspère. Ils sont une dizaine, apparemment en bonne santé et leurs gardes ne se préoccupent pas d’eux. Pourtant, aucun ne semble vouloir esquisser le moindre geste de révolte, pas un ne paraît envisager d’essayer de s’échapper. Lentement, je m’approche, réprimant l’envie, ou l’instinct, qui me souffle d’aller me poser sur la trace de sang séché qui orne la tempe de l’un des garçons, pour observer de plus près les chaînes qui les entravent.

Ce sont des maillons épais, et solides, fixés à la cheville droite de chaque prisonnier et qui les relient les uns aux autres. Des maillons qu’il ne serait toutefois sans doute pas impossible de briser à condition d’avoir le temps et l’outillage nécessaire. Et de ne pas craindre de faire du bruit. Evidemment, il paraît difficile de remplir toutes ces conditions ici, et je leur en veux un peu moins de leur résignation au moment où je survole la dernière femme du groupe. 

Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue durant toute ma vie humaine, mais je me sens pourtant envahie par l’impression qu’elle ne m’est pas étrangère. Je m’approche le plus discrètement possible, observant avec attention les moindres détails de son visage en espérant comprendre pour quelle raison elle m’est si familière.

L’avantage d’être une mouche, c’est que ma petite taille me permet de facilement passer inaperçue et de rester un long moment à contempler la jeune femme. Elle est jolie d’ailleurs, et si j’étais encore humaine, nul doute qu’elle m’aurait suffisamment plue pour que je tente de la séduire. Mais si ravissante qu’elle soit, rien en elle n’éveille le moindre souvenir en moi. Ni ses cheveux blonds, ni ses jolis yeux verts, la minceur de sa taille, la grâce de ses mouvements ni même le petit sourire  mélancolique qu’elle adresse à l’une de ses compagnes de captivité lorsque le jour commence à tomber. Je me pose sur son épaule, tranquille, certaine sans savoir d’où me vient cette certitude, qu’elle ne me chassera pas d’un revers de main. Et c’est là que je passe la nuit.

Les jours suivants sont d’un ennui mortel. Les hommes lèvent le campement et se mettent en route, sans doute vers la ville la plus proche, les prisonniers avançant péniblement en traînant les pieds, surveillés par les mêmes gardes pas tellement plus attentifs. Ces jours là sont si monotones, le rythme si routinier, que chaque matin, je pense à quitter cette armée, à m’en aller vivre ma vie de mouche ailleurs. Pourtant, je ne le fais pas. Je reste à voleter près de la jeune femme blonde, passant la majeure partie de mon temps sur son épaule.

Et c’est là que je me trouve le jour où les soudards mettent leurs captifs en vente.  Ils n’ont d’ailleurs aucun mal à trouver des acheteurs, et bientôt, la jeune femme est emmenée par un homme d’âge moyen, aux manières brutales, qui, au premier coup d’œil, me déplaît tant que je sens arriver les ennuis pour cette nouvelle esclave.

Je ne me trompais pas. A peine ont-ils passé la porte du domicile de l’homme, sans même se rendre compte que j’étais encore une fois perchée sur l’épaule de la jeune femme, qu’il commence à la rudoyer, la bousculant sans aucune raison avant de s’avancer vers une table sur laquelle trônent une miche de pain largement entamée et plusieurs flacons en forme d’amphore dont certains, vides, sont couchés sur le plateau de bois.

Il grignote quelques bouchées de pain, sans lui en proposer un morceau, boit plusieurs rasades de vin à même le flacon, puis s’essuie la bouche et le menton avec sa manche en faisant un large geste  tout en reniflant bruyamment.  Ensuite, il s’approche lentement d’elle, et de moi toujours posée au même endroit, les yeux brillant d’une lueur malsaine.

-« Déshabille toi, esclave ! »

Elle s’y attendait certainement, mais elle pâlit tout de même. Le regard baissé, elle hésite et recule d’un pas, espérant peut-être que son manque d’enthousiasme fera changer d’avis à son propriétaire. Comme il fallait s’y attendre, c’est le contraire qui se produit et il avance rapidement, l’attrapant par le bras pour la secouer rudement.

-« Je suis ton maître ! Ton propriétaire ! Tu dois obéir à chacun de mes ordres ! »

Elle se libère en tirant sur son bras et recule d’un pas, apeurée. Mais je suppose qu’elle admet ses arguments puisque je la vois se baisser pour délacer ses bottes. Pour moi, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je ne connais pas cette jeune femme et je ne peux même pas prétendre m’y être attachée durant ces quelques jours, il y a bien trop de différences entre nous, mais je suis tout de même furieuse et je fonce sur l’homme, cognant sur son front de toutes mes forces.

Il ne se rend même pas compte de mon attaque et reste à ricaner en gardant les yeux fixés sur son esclave, il me semble même voir un filet de salive dégouliner sur son menton, mais je ne compte pas en rester là et vole le plus vite possible en direction de la table, où je me pose sur la miche de pain. Rapidement, j’arrache une miette, la plus grosse possible, avant de retourner vers l’homme et sa vis à vis. Elle vient de dégrafer son corsage et le laisse glisser à terre, la tête basse et le front rouge de honte, tandis que son « propriétaire » ricane de plus belle.

Je devrais avoir honte, mais pendant une ou deux secondes, je reste à la regarder, admirant d’autant plus ses formes que mes yeux de mouche sont particulièrement performants et me permettent de la voir sous plusieurs angles à la fois. Et puis, je me reprends et, profitant de ce que l’homme a toujours la bouche ouverte, je m’introduis à l’intérieur, traînant la grosse miette de pain derrière moi. Sa salive est gluante, son haleine nauséabonde, la plupart de ses dents sont réduites à de noirs chicots, mais j’essaie de ne pas y faire attention et fonce directement jusqu’à mon objectif : sa gorge.

Je plante la miette de pain dans sa luette, ou sa glotte, je ne fais pas bien la différence s’il y en a une, et je sens immédiatement une différence dans sa respiration. D’abord, il se racle la gorge, puis il tousse, de plus en plus fort. Je ne vois plus ce qu’il se passe dans la pièce mais je suis persuadée qu’il ne se préoccupe plus de la jeune femme pour l’instant. Alors, j’insiste, j’essaie d’enfoncer la miette plus profondément dans sa chair, et pour faire bonne mesure, je place mon corps de manière à obturer le passage de l’air entre ses voies respiratoires et ses poumons. Il tousse beaucoup plus violemment maintenant, et je suis obligée de faire de très gros efforts pour ne pas être emportée par le souffle et les secousses que ça provoque dans sa gorge, mais ça ne dure guère. Bientôt, je distingue clairement un petit sifflement, et le courant d’air entre sa bouche et sa gorge est pratiquement inexistant, ce qui m’amène à penser qu’il est en train de s’étouffer. C’est plutôt un bonne nouvelle et je ressens le même frisson que lorsque, humaine, j’ordonnais à mes hommes d’achever tous les survivants d’une bataille. Malheureusement, je n’ai personne sous mes ordres aujourd’hui, et je me rends vite compte que si je me déplace, la miette de pain ne suffira pas à gêner le passage de l’air. Autrement dit, le seul moyen de le tuer est de rester là où je suis, au risque de périr avec lui s’il ferme la bouche.

Je n’hésite pas longtemps. D’une part j’estime que la jeune femme mérite une seconde chance, c’est du moins l’impression qu’elle m’a donnée ces derniers jours, et d’autre part, je ne tiens pas spécialement à rester mouche trop longtemps. Alors, je m’accroche de toute la force de mes pattes, et je suis presque certaine d’entendre des râles d’agonie, juste avant de me rendre comte que je glisse à l’arrière de sa gorge et qu’il m’avale.

 

 

:::::::::::::::::::::

 

Encore une fois, je suis réincarnée, et encore une fois en animal. Je baisse la tête et observe mon corps,  ce qui me permet de constater que j’ai quatre pattes, et surtout que cette fois, elles sont posées sur le sol. Sur le plancher des vaches en fait.

Je n’en reviens pas. Une vache, je suis une vache… Je me demande si je ne préférais pas être une mouche, c’était moins humiliant.  Me voilà condamnée à manger de l’herbe et à meugler bêtement, sans doute entourée de congénères plus ou moins nombreuses. Un simple coup d’œil autour de moi me confirme que cette hypothèse était la bonne, je suis une vache, entourée d’autres vaches, et nous sommes toutes enfermées à l’intérieur d’un vaste champ dont les clôtures paraissent tout à fait solides et résistantes.

Tout semble calme. Les autres vaches ruminent et l’une d’entre elles vient vers moi pour approcher son mufle du mien, mais je recule vivement, protestant en meuglant avec véhémence dans l’espoir de lui faire comprendre qu’il est hors de question que je supporte ce genre de familiarité.  Je ne crois pas qu’elle ait vraiment saisi le message, mais elle n’insiste pas, et pour l’instant c’est tout ce qui m’importe.

De nouveau, j’observe les environs, un peu intriguée en remarquant le paysage, bien différent de celui de la Grèce. Ici, tout est plus vert, et je ne distingue ni colline ni montagne à l’horizon. A la vérité, j’ai l’impression d’être dans une région dont la géographie offre fort peu de relief, mais ça a certains avantages. Ainsi, je distingue parfaitement une ferme, dont je suppose que c’est celle où je vais vivre dorénavant. Vue d’ici, elle paraît grande, avec des dépendances apparemment bien entretenues, l’extérieur en tous cas. Je tourne la tête de droite et de gauche et remarque aussi quelques chevaux, dans le pré voisin. Ca me fait pester intérieurement, pourquoi n’ai-je pas été réincarnée en cheval ? Ca aurait eu une autre allure tout de même.

La journée s’étire en longueur. Nous ne faisons rien d’autre que brouter et ruminer et je sens mon moral dégringoler en songeant que ça va être ainsi pendant toute une vie. Je soupire, au moins, quand j’étais mouche, j’étais libre d’aller et venir au gré de mes envies, j’étais même capable de mettre un soudard hors d’état de nuire. Cette pensée me ferait sourire si j’en étais capable, et pendant une seconde, je me demande ce qu’il est advenu de la jeune femme dont j’ai tenté de prendre la défense, j’espère qu’elle a pu reprendre une vie normale.

Un jeune garçon pénètre dans l’enclos, vêtu d’une manière étrange, d’une tunique comme je n’en ai jamais vue, et d’un pantalon dont la coupe, là aussi, ne ressemble en rien à ce que j’ai pu voir durant ma vie humaine, ce qui m’amène une fois encore à me demander si je n’aurai pas changé d’époque en même temps que de vie. Mais je n’ai aucun moyen de le savoir, alors  je ne m’interroge pas plus longtemps , suivant le garçon qui nous ramène à l’étable juste avant que la nuit tombe. Je suis le mouvement, sans entrain, en réfléchissant non seulement à une éventuelle évasion, ce qui est certainement possible sur ce trajet, mais aussi à ce que je pourrai faire ensuite, si je parvenais à m’échapper. J’avoue que je n’ai aucune idée de ce à quoi s’occuperait une vache, seule dans la campagne.

L’étable est plutôt spacieuse et je trouve sans difficulté une place, entre deux de mes congénères, des congénères que j’ai choisies pour être à mes côtés parce qu’elles paraissent toutes deux plutôt calmes. Mais nous ne restons pas entre nous longtemps. En effet, une jeune femme pénètre presque aussitôt dans l’étable, un seau à la main, et si je n’avais que deux jambes, au lieu de quatre pattes, j’aurais sûrement chancelé.

C’est la même. Elle a le même visage, les mêmes yeux verts, la même silhouette mince et gracieuse et le même sourire que l’esclave que j’ai défendue alors que j’étais mouche. Je n’en crois pas mes yeux et secoue la tête, à plusieurs reprises, comme si je pensais que ce simple mouvement allait changer quoi que ce soit à ce que je vois.

Je ne la quitte pas des yeux alors qu’elle s’installe sur un tabouret, auprès de la première vache de la rangée, celle qui se trouve au plus près de la porte d’entrée, et qu’elle commence à la traire. Après cela, elle passe à la seconde vache, puis la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle arrive à moi.

Je la suis du regard, tournant la tête alors qu’elle commence à s’occuper de moi. Je n’ai jamais été traite de ma vie et je manque de point de comparaison, mais elle me paraît très douce.  Et quand elle se lève, dans le but de vider son seau avant de passer à la vache suivante, je pousse mon mufle contre son bras, le plus doucement possible. Ca a l’air de la surprendre et elle m’observe une demi-seconde, l’air un peu intrigué, puis elle sourit et passe une main sur mon encolure dans une caresse un peu distraite que j’apprécie cependant à sa juste valeur.

 

Au fil des jours, il apparaît que je ne vois cette jeune femme -je n’ose pas imaginer que ce serait la même, exilée à la campagne- que le soir pour la traite, et ce moment devient rapidement mon préféré de la journée. J’en oublie même mes idées d’évasion tant j’attache d’importance à ces instants particuliers. Elle effectue sa tâche d’une manière routinière et ne s’attarde pas plus longtemps près de moi qu’avec les autres, mais j’essaie systématiquement d’avoir un petit geste affectueux pour elle, en général une petite touche de mon mufle sur son bras, et je pense qu’elle s’en aperçoit puisqu’elle me prodigue régulièrement une ou deux caresses légères, sur l’épaule et sur le cou. Je suis également la seule à qui elle donne un nom, et même si je trouve que « Grosse Mémère » manque singulièrement d’élégance, je me sens bêtement flattée en constatant qu’elle n’adresse la parole qu’à moi.

Durant la journée, nous sommes au pâturage, du moins tant que le temps n’est pas trop mauvais, et nous restons à l’étable pendant la saison froide. Je ne sais pas comment font mes congénères qui ne paraissent jamais s’ennuyer et semblent tout à fait heureuses de cette vie, mais pour ma part, je trouve le temps particulièrement long, et de temps à autres, il arrive que j’échafaude de nouveau quelques projets d’évasion. Des projets auxquels je renonce sitôt que l’heure de la traite arrive.

Pourtant, tous les deux ans, il m’arrive de regretter vivement de ne pas avoir tenté ma chance. Heureusement, ça ne dure que peu de temps, mais c’est un moment qui me paraît particulièrement pénible et je suis toujours prodigieusement soulagée lorsque le taureau s’éloigne et que je peux reprendre le cours de ma vie. Bien sûr, mettre un veau au monde, quelques mois plus tard, n’est pas forcément une épreuve agréable, mais j’ai toujours bien aimé mes petits, et j’aurais préféré qu’ils restent avec moi un peu plus longtemps que nécessaire au lieu de les voir être éloignés de moi dès qu’ils sont sevrés. Les mâles du moins, puisque les génisses, elles, grandissent à mes côtés. Malheureusement, si je conserve toujours quelque affection pour mes descendantes, je constate rapidement qu’il n’en est pas de même pour elles, et qu’au bout d’un temps relativement court, elles se comportent de la même manière que les autres membres du troupeau, n’attachant pas plus d’intérêt à ma présence qu’à celle des autres. J’en conçois un peu de chagrin au début, mais avec les années, j’apprends à na plus m’en formaliser et c’est avec une certaine philosophie que j’arrive à l’âge, avancé pour une vache, de vingt ans.

Je n’en crois pas mes yeux. Le soleil vient à peine de se lever et déjà, la jeune femme pénètre dans l’étable, se dirigeant immédiatement vers moi. Je lève la tête, contente de sa présence à cette heure inhabituelle, alors qu’elle me flatte gentiment l’encolure,  murmurant un « au revoir, grosse mémère », que je ne comprends pas sur l’instant. Et puis, juste après avoir déposé un petit baiser entre mes deux yeux, elle s’éloigne et ressort de l’étable, et c’est à ce moment là que je distingue la silhouette du fermier, celui dont je pense qu’il est l’époux de la jeune femme, dans l’encadrement de la porte.

Habituellement, il ne s’occupe pas de nous, excepté quand nous donnons naissance à un veau, et je connais parfaitement la raison de sa venue à une heure aussi matinale.

Je n’ai pas spécialement envie de mourir, mais je sais que j’ai fait mon temps, et je n’aime pas suffisamment ma vie de vache pour avoir vraiment la volonté de me défendre, ou d’essayer. Et puis, je me souviens parfaitement du goût d’une bonne côte de bœuf, ce qui fait qu’au fond, je comprends parfaitement les motivations du fermier qui vient me chercher. Je le suis sans résistance.

 

 

:::::::::::::::::::::::

 

 

Au début, je me suis demandée quelles pouvaient être la raison de ces réincarnations successives. Ensuite je me suis dit qu’être mouche m’avait amenée à sauver une jeune femme, quitte à sacrifier ma vie pour cela, et qu’être vache était sans doute destiné à m’enseigner la patience, ou la résignation. Mais là… Quel enseignement, quelle leçon vais-je bien pouvoir tirer d’une vie de serpent ? Je siffle, avançant dans l’herbe sèche en me demandant si je pourrais un jour m’habituer à cette vision à ras de terre que je trouve tout à fait déconcertante pour l’instant. De tous côtés me proviennent des vibrations diverses, correspondant apparemment aux sons que je n’entends pas au sens propre du terme. Des sifflements, grattements, frottements, etc.… que j’ai encore beaucoup de mal à identifier. Pourtant, quand je perçois des coups sonores et réguliers sur le sol, je n’ai aucune difficulté à reconnaître des pas humains. Je me redresse, relevant la première moitié de mon corps tout en laissant la deuxième allongée au sol,  pour observer les nouveaux arrivants. Ils sont trois, trois hommes dans la force de l’âge, portant chacun une hache sur l’épaule. Comme le garçon vacher, ils portent des vêtements surprenants, et je distingue aussi un drôle d’instrument tenu par le troisième homme. Un objet qui ressemble à une scie, mais dont la poignée aurait été remplacée par un bloc de métal. Il m’est difficile d’en voir plus de là où je suis, à ras de terre, mais je suis persuadée que c’est quelque chose que je vois pour la première fois. Un instant, j’hésite. Je pourrais m’approcher un peu, pour tenter de comprendre de quoi il s’agit et peut-être même mordre au moins l’un d’entre eux, voire les tuer tous les trois, mais je décide finalement de laisser tomber. Après tout, peu importe ce que l’homme tient en main, et d’autre part, n’étant vipère que depuis fort peu de temps, et je n’ai aucune certitude en ce qui concerne ma quantité de venin, surtout pour trois personnes d’affilée..

Je me faufile donc sur le sol, glissant entre herbes et petits buissons, non seulement pour m’éloigner de ces trois personnages mais aussi dans le but de m’accoutumer un peu à cette nouvelle forme de vie. Mais quand j’aperçois un mulot qui trottine en direction d’un bois bien plus épais, mon instinct de serpent prend immédiatement le dessus et je me mets en chasse. La faim me tenaille, comme à chaque fois que je « renais », et je sens ma langue s’étirer et s’étendre régulièrement devant moi, m’aidant ainsi à repérer le terrain sur lequel je me déplace.

Ma gueule s’ouvre grand, très grand, au moment où j’avale le produit de ma chasse, et une seconde, j’imagine que si j’étais humaine, je ferais la joie de quiconque voudrait me soigner les dents. C’est une sensation assez étrange que d’avaler ainsi un corps entier, et recouvert de poils, d’un seul coup, mais étant vipère, je ne m’en formalise pas, préférant me diriger vers une grosse pierre plate sur laquelle je glisse sans difficulté avant de m’enrouler sur moi-même pour faire un petit somme, savourant la caresse du soleil sur mes écailles.

Durant les jours qui suivent, j’explore longuement les environs. La région est boisée, mais des cultures existent aussi, jusqu’à la limite Est de la forêt, là où se trouve sans doute un village. Je ne me rends pas jusque là-bas, les serpents étant bien trop redoutés par les humains pour ne pas y être chassés, mais la pensée qu’une jeune femme blonde vit peut-être dans ce bourg me traverse régulièrement l’esprit. Et je sais que, tôt ou tard, la curiosité me poussera sans doute à aller y voir de plus près.

Mais pour l’instant, je me contente de rester dans la campagne. J’apprends à chasser de manière efficace, à repérer le gibier, à ramper sur le sol en faisant le moins de bruit possible, à utiliser ces sensations qui me permettent de remplacer l’ouie que je n’ai pas, et à me servir de mes crochets. Au bout de quelques jours seulement, j’assimile la bonne façon de les utiliser et je sais quelle quantité de venin diffuser selon la taille de ma proie, du campagnol à la musaraigne, du mulot au lézard. Mes nuits sont tranquilles. En général,  je m’installe sous un fourré, ou à l’abri d’un caillou quelconque, changeant d’ailleurs d’abri d’une nuit à l’autre, puisque pour l’instant, je n’ai pas l’intention de m’installer à quelque endroit que ce soit, trop contente de profiter d’une telle liberté après une vie entière en tant que vache.

 C’est au cours de mes pérégrinations à travers la campagne que je rencontre de nouveau des êtres humains. Il y a là une famille complète, deux adultes et trois enfants. En temps normal, j’ai pris l’habitude d’éviter ces créatures, extrêmement agressives avec les serpents. Mais cette fois, je les observe très attentivement, profondément perturbée par la chevelure blonde  de la femme. Elle est trop loin pour que je discerne nettement ces traits et j’hésite à avancer davantage, craignant d’être repérée et de les effrayer, mais tout, dans son allure comme dans sa silhouette, me fait penser à la fermière et à la jeune captive que j’ai rencontrées dans mes vies précédentes. J’en profite pour observer la manière dont elle est habillée qui, encore une fois, me paraît tout à fait différente de ce que je connaissais lorsque j’étais humaine. Elle porte un pantalon bleu foncé  plutôt moulant, et un chemisier de couleur claire dont l’étoffe m’est complètement inconnue.

Je pourrais rester longtemps à la contempler, mais, et c’est peut-être le hasard, juste au moment où je me décide à bouger et à prendre le risque d’être vue, c’est elle qui s’approche de moi, dans l’intention évidente de cueillir des mûres sur un buisson tout proche. Je me tapis dans l’herbe sèche, reculant le plus discrètement possible de manière à la voir sans qu’elle ne me remarque. Elle s’approche, et très vite, ce que je présumais ce confirme. C’est bien la même femme, peut-être un petit peu plus âgée, mais aucun doute n’est possible et même si j’ai espéré cette rencontre dès le début de mon existence de vipère et que je m’en réjouis, je ne parviens toutefois pas à en comprendre le sens. C’est la troisième de mes réincarnations, je l’ai croisée à chaque fois et j’aimerais avoir une explication là-dessus, mais j’ai beau réfléchir, je ne parviens pas à trouver une raison à tout cela.

Ses lèvres remuent doucement, et je devine qu’elle chantonne alors que je reste sans bouger, aussi immobile qu’une statue, perdue dans sa contemplation. Et puis, je remarque un petit mouvement, à moins d’un mètre de ses bottines, un mouvement qui ressemble étrangement à celui d’un serpent. Pour le coup, j’en oublie mon souci de discrétion et je me redresse légèrement, tous mes sens en éveil, reconnaissant rapidement un de ces vieux mâles vipère que j’ai déjà croisés depuis mon arrivée ici, un de ceux qui se comportent comme si la région entière leur appartenaient. Il ne m’a jamais agressée, ne s’est jamais véritablement préoccupé de moi, et je lui rendais pleinement son mépris, mais j’ai déjà pu observé qu’il était plutôt belliqueux, et je suis persuadée qu’il ne va pas détaler devant la femme blonde. Au contraire, je le vois se ramasser sur lui-même, dardant légèrement sa langue devant lui alors qu’il commence à ramper lentement dans sa direction. Pour moi, il est très clair qu’il a l’intention de la mordre, et je n’hésite pas un instant. Je me précipite, me plaçant vivement entre lui et le mollet dont il a fait son objectif. Il s’arrête un instant, surpris par mon irruption comme par ma détermination évidente, et je le vois se balancer d’avant en arrière avec indécision. Mais il n’a pas le temps de se décider car la femme blonde nous a vus, cette fois. Elle pousse un cri de surprise et de frayeur mêlée, puis recule si rapidement qu’elle manque trébucher, tandis que son époux saisit une branche morte et s’avance au devant de nous.

Mon vis à vis ne se pose plus de question et tourne le dos, détalant le plus vit possible, mais pour ma part, j’ai une seconde d’hésitation, persuadée que je pourrais mordre le mari avant qu’il ne commence à cogner. Je prends mon élan, mes crochets prêts à remplir leur office, quand la femme pousse un cri, visiblement dans le but de prévenir son compagnon, ce qui coupe complètement mon mouvement. Je sais que je suis en train de signer mon arrêt de mort, et je n’ai aucune explication rationnelle à cela, mais je ne me sens pas capable d’infliger le moindre chagrin à cette femme que je ne connais pas. Depuis le début et ma vie de mouche, une espèce de lien s’est tissé entre nous, qu’elle ne ressent sans doute pas, mais qui est tout à fait perceptible pour moi. Alors, je reste immobile. Le premier coup de bâton arrive très vite, et très fort, rapidement suivi d’un deuxième, d’un troisième…. Jusqu’à ce que je cesse de me tordre de douleur et que je ne ressente plus rien

 

::::::::::::::::::::::::

 

 

Je saute d’arbre en arbre, de branche en branche, m’éloignant de ce groupe que mon instinct me souffle de rejoindre. Mais je ne veux pas rester en compagnie de ceux de mon espèce, même si ce n’est que le temps d’une vie. Non, je préfère profiter de ma liberté de mouvement et explorer, non seulement les environs, mais aussi les possibilités que me donne cette nouvelle réincarnation. Je me souviens avoir été vexée la première fois que je suis revenue à la vie, parce que je trouvais qu’une mouche n’était pas une créature  particulièrement remarquable, mais je suis beaucoup moins susceptible maintenant, et je crois même qu’il est possible que je profite de cette existence de chimpanzé qui m’est offerte.

Les membres du groupe m’ont regardée partir avec désapprobation, et certains ont même poussé des cris, apparemment dans le but de me faire revenir près d’eux, mais je n’en ai pas tenu compte, et à présent, je suis loin, hors de portée de voix. Je m’installe sur une branche, en haut d’un arbre de belle taille, et je parcourt le paysage en-dessous de moi du regard. La région est très vallonnée, boisée, et la végétation est particulièrement dense. Au sud de l’endroit où je me tiens, coule une rivière plutôt large et au courant violent, dont les abords dégagés et sableux sont recouverts des traces laissées là par les animaux venus s’abreuver. Je reconnais sans trop de difficulté des marques de sabots, de coussinets comme en ont les chats, mais de si belle taille qu’ils appartiennent sans doute à quelques grands félins, des doigts longs et écartés sans doute terminés par de longues griffes, et des empreintes ressemblant à des mains, provenant sans aucun doute de grands singes.

Comme à chaque fois que je commence une nouvelle vie, je suis affamée, et puisque je suis sur un arbre, j’en profite pour arracher des feuilles que je mâchonne sans y penser, persistant jusqu’à ce que je me sente enfin rassasiée. Ce n’est qu’une fois l’estomac plein que je descend enfin de l’arbre, glissant le long du tronc avec une incroyable facilité pour m’en aller suivre le cours d’eau, passant de nouveau de branche en branche, utilisant parfois les lianes qui pendent par ci par là pour me déplacer plus facilement.

Je prends mon temps, rien ne me presse, mais jamais je ne reste en place très longtemps, m’arrêtant seulement pour recueillir ma nourriture partout où je la trouve. Sur les buissons ou les arbres, pour ce qui est des fruits ou des feuillages, mais aussi à l’intérieur des fourmilières, là où j’introduis de longs bâtons sur lesquels je recueille des insectes dont je me délecte.

De loin en loin, j’aperçois quelques villages humains, et si je suis toujours tentée de m’approcher, ne serait-ce que pour voir si la femme blonde ne s’y trouverait pas, je m’abstiens pour l’instant, persuadée que si je dois la retrouver dans cette vie là, la rencontre sera forcément fortuite, mais aussi sans aucun doute, inévitable.

Mes pérégrinations durent plusieurs jours, et pendant ce laps de temps, je suis tout à fait satisfaite de ma solitude, toutefois, je n’hésite pas bien longtemps, lorsque je croise un autre  groupe de chimpanzés, pour les rejoindre, convaincue au plus profond  de moi que je pourrai toujours les quitter quand j’en aurais assez. Ils sont une vingtaine, accueillants et agréables qui m’entourent en poussant des grognements amicaux, les plus hardis venant à ma rencontre pour me toucher légèrement le haut de la cuisse en signe de bienvenue.

C’est la fin d’après midi, il ne reste sans doute pas plus d’une heure de jour, et j’entreprends de fabriquer mon nid pour la nuit. Pour cela, j’assemble de grosses branches sur lesquelles j’installe un confortable matelas de feuilles, les plus grandes possible. Autour de moi, chacun fait la même chose, à l’exception des très jeunes qui partageront le nid de leur mère. Nous sommes tous groupés sur quelques arbres très proches les uns des autres, et tout ça me donne l’impression de m’apprêter à partager un immense dortoir.

Une faible lueur teinte encore le ciel, à l’Ouest, et certains en profitent pour s’épouiller mutuellement, un geste d’hygiène sans doute, mais aussi une marque d’amitié, ou d’affection. Nouvellement arrivée, je reste seule durant ce moment particulier, et j’en profite pour observer de nouveau les environs. Je lève les yeux vers le haut, stupéfaite de voir deux fins traits blancs traverser le ciel, précédés il me semble, par un objet que la distance ne me permet pas d’identifier. Ca excite ma curiosité, mais je m’en désintéresse rapidement dans la mesure où il ne m’est de toutes les façons, pas possible d’aller voir de quoi il retourne. Au lieu de cela, je m’allonge dans mon nid, contente d’avoir pris tant de soin à sa fabrication tant j’apprécie le confort que j’y trouve.

Ce sont les cris de mes congénères qui m’éveillent le lendemain. Le soleil est déjà levé, et quelques uns des mâles les plus âgés tiennent une véritable conversation avec force gestes et mimiques, qui font d’ailleurs partie intégrante de la discussion. Je les regarde attentivement, curieuse de connaître la cause de leur agitation, et c’est ainsi que j’apprends qu’une équipe d’être humains, apparemment deux hommes et deux femmes, viennent régulièrement observer la manière dont vit le groupe de chimpanzés que j’ai intégré, à titre provisoire, hier soir.

Immédiatement, je cherche les humains du regard, persuadée que la femme blonde sera parmi eux, et brûlant d’envie de la rencontrer dans cette vie. Ne les voyant pas, je me hâte de grimper en haut de l’arbre sur lequel j’ai passé la nuit, pour scruter les environs.

Et il ne faut que peu de temps pour que je repère, en aval de la rivière et sur la rive opposée de celle où nous nous trouvons, un petit rassemblement de tentes, et même de deux ou trois petites maisons de bois, qui ressemble à un campement plus ou moins provisoire. Une piste part de ce campement et serpente dans la forêt qui recouvre la région, un forêt si touffue que je perds rapidement le sentier de vue.

Je ne sais pas si les humains viendront aujourd’hui, mais il n’est pas question que j’attende patiemment leur venue, alors très vite, je descends de mon perchoir et parcourt le lieu où nous nous trouvons, recherchant et trouvant rapidement ce que j’espère être l’autre bout de la piste, m’engageant dessus sans aucune hésitation et sans un regard pour ceux avec qui j’ai passé la nuit.

Certains poussent des cris, l’un d’entre eux me rejoint même pour m’inciter à rester avec eux, mais je le repousse avec impatience avant d’accélérer, négligeant toutefois de remonter sur les arbres, préférant au contraire continuer à courir sur le sentier.  Je pourrais ralentir, après tout rien ne me presse, d’autant plus que je n’ai aucune certitude quant à la présence de la jeune femme blonde, mais je ne peux m’empêcher de me dépêcher, même si j’ignore la raison précise de cette hâte.

Il ne me faut finalement que relativement peu de temps pour arriver en face du campement et repérer le pont de planches, à l’aspect un peu instable, qui permet de traverser la rivière. Je ne m’engage pas dessus pour le moment et reste à regarder les environs,  cherchant à savoir si les humains sont là et s’il se trouve des animaux qui pourraient signaler ma présence.

D’abord, je ne vois rien, je n’entends rien non plus, mais cela ne dure guère. Bientôt, je distingue quatre silhouettes qui sortent du couvert des arbres, discutant entre eux. Il y a là deux hommes à la peau noire, l’un grand et costaud, l’autre un peu plus petit mais tout aussi musclé, une femme au tour de taille imposant qui me paraît être une métisse, et celle que j’espère voir depuis que j’ai entendu parler de ces humains, la jeune femme blonde. Ils sont un peu loin de moi pour que je distingue clairement leurs visages, mais je n’ai aucun doute sur son identité. Mon cœur fait un bond, dans ma poitrine de singe, et je prends une minute pour calmer cette espèce d’excitation dont je ne comprends pas bien la raison, puis je m’avance doucement sur le pont. Il oscille sous mon poids, mais je n’y attache pas d’importance, tant mon attention est fixée sur la femme blonde, et peut-être qu’elle le sent d’ailleurs, parce qu’elle est la première à remarquer ma présence, me désignant à ses compagnons d’un geste.

Immédiatement, tous les regards se tournent vers moi, et les quatre personnes s’avancent alors dans ma direction, doucement, comme s’ils craignaient de m’effaroucher. Mais pour ma part, c’est au devant de la jeune femme blonde que je vais, pressant le pas dès que j’ai quitté le pont et que je retrouve la terre ferme.

Ils semblent tous quatre un peu étonnés non seulement de me voir là, toute seule, mais aussi de ma hâte et de me voir ne montrer de l’intérêt pour personne d’autre qu’elle. Le plus grand des deux hommes tend une main apparemment amicale vers moi, mais je ne lui accorde pas un regard, continuant à me diriger vers la jeune femme, qui, peut-être un peu méfiante, recule d’un pas, son expression indiquant sa perplexité devant mon comportement. Cette attitude calme immédiatement mon enthousiasme et je cesse de marcher, restant simplement immobile face à elle. Elle échange un regard intrigué avec ses camarades puis repose les yeux sur moi pour m’interroger, employant le même ton qu’elle utiliserait avec un enfant.

-« Qu’est-ce que tu fais ici, toi ? Pourquoi n’es-tu pas avec ton groupe ?»

C’est ensuite vers ses amis qu’elle se tourne, attendant sans doute que l’un d’entre eux ait une réponse, une explication à ma présence solitaire si près de leur campement. Mais ils paraissent aussi déconcertés qu’elle et gardent le silence, leurs yeux toujours braqués sur moi. Je les ignore complètement, gardant mon attention sur la blonde sans avancer de nouveau cependant, préférant plutôt attendre que ce soit elle qui prenne l’initiative.

Cela dure un certain temps, ils paraissent vraiment hésiter sur la conduite à tenir, et puis finalement la femme brune hausse les épaules, suggérant que je me suis peut-être égarée, et qu’il serait bon de me ramener vers le groupe le plus proche. Les autres semblent plutôt d’accord, et le plus petit des hommes s’approche, une main tendue vers moi, sans doute dans le but de prendre la mienne. Mais je me recule vivement, bondissant immédiatement en direction de la blonde dont j’agrippe fermement la jambe de pantalon, un geste qui la surprend mais qui, apparemment ne l’effraie pas outre mesure. De nouveau elle se penche vers moi et me parle, un sourire amusé apparaissant sur ses lèvres.

-« Tu préfères que ce soit moi qui t’emmène ? »

Elle grimace et jette un coup d’œil vers le cahier qu’elle tient dans sa main droite.

-« J’ai encore pas mal de travail pour la journée, mais tu as l’air de tenir à ma présence… et à mon pantalon aussi, d’ailleurs. »

Je hoche vigoureusement la tête, mais ils n’y prêtent pas attention et discutent entre eux pour finalement décider que ce sera l’homme le plus grand qui accompagnera la jeune femme blonde, puisque apparemment il n’est pas question que qui que ce soit se déplace seul.

Le problème, c’est que je n’ai aucune envie de retourner avec le groupe que je viens de quitter, d’autant que je sais que je n’y resterai pas et que je reviendrai vers ce campement aussi vite que possible. Alors, je profite de leur manque d’attention pour lâcher le pantalon de la jeune blonde et partir à toute allure vers les cabanes de bois, grimpant sur un arbre proche avant de sauter sur le toit de l’une de ces constructions.

Les quatre humains n’ont pas le temps de réagir et ne peuvent que me regarder m’installer sur la toiture de planches, cherchant sans en trouver, une explication à ce comportement. Pendant un moment, je jubile, certaine d’avoir trouvé un bon moyen pour éviter qu’ils ne me ramènent, mais ma joie ne dure pas. Bientôt, je vois l’un des hommes s’éloigner, puis revenir avec un long bâton de métal à l’intérieur duquel il glisse un petit objet que je ne distingue pas très bien mais qui semble se terminer par une aiguille. Je n’ai jamais vu de tels objets, mais mon instinct me souffle qu’il s’agit d’une arme et je m’agite, cherchant du regard un endroit où m’abriter sans quitter le toit. Je ne trouve pas et me tourne de nouveau vers les humains, juste le temps de voir l’homme poser l’une des extrémités de son arme sur son épaule, pendant que l’autre pointe exactement dans ma direction. Et puis, j’entends une détonation et je sens quelque chose me piquer l’épaule…

 

Je reprends conscience au pied d’un arbre, tout près du groupe que j’ai quitté ce matin. Je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé, si ce n’est que l’homme a réussi à me faire tomber dans le sommeil, par je ne sais quel moyen. Sans doute son arme n’était-elle pas destinée à me tuer. Je bâille et me lève, pas encore très solide sur mes jambes, pour me diriger vers le groupe de chimpanzés, décidée à les interroger sur cette arme étrange, mais je suis vite déçue. Non seulement ils ne paraissent pas savoir de quoi je parle, mais la plupart d’entre eux, agacés par mon départ de ce matin, refuse de me parler et me tourne le dos dès que je m’approche. Je n’insiste pas et après avoir avalé quelques feuillages, je vais m’allonger dans le nid que j’ai bâti la veille, décidée à retourner au campement des humains sitôt que j’aurai retrouvé toute mon énergie.

Je n’ai pas besoin de m’y rendre. Ma nuit a été longue, mon sommeil profond, et quand j’ouvre les yeux le lendemain, la matinée est déjà bien entamée et les humains sont là. A vrai dire, je ne vois que trois d’entre eux, le plus petit des deux hommes étant absent, mais les deux jeunes femmes sont debout, nous observant avec attention en prenant des notes, tandis que l’homme, lui, nous fixe avec une machine comme je n’en ai encore jamais vue. Une espèce de bloc qu’il porte sur l’épaule, son œil collé contre un côté, tandis que l’autre côté se termine en un petit cercle de métal qui semble nous regarder. Ils ne prêtent pas particulièrement attention à moi, et si je surveille la jeune femme blonde du coin de l’œil, je profite de ce moment pour me nourrir et m’étirer, heureuse de constater que je me sens parfaitement bien et que je n’ai apparemment aucune séquelle suite à mon endormissement brutal et surprenant de la veille.

La journée est tranquille. Les humains se déplacent peu, suivant parfois l’un d’entre nous pendant un moment, mais restant plutôt, la plupart du temps, à observer la manière dont la vie au sein du groupe s’organise. De temps à autres, l’homme laisse la manœuvre de son drôle d’engin à l’une des deux femmes, mais c’est lui qui s’en occupe pendant la majeure partie de la journée, le seul moment où la machine est posée à terre étant celui du repas.

Pendant toute la journée, je me débrouille pour rester à moins de deux mètres de la jeune blonde qui au début, en paraît si ce n’est gênée, du moins un peu intriguée et parfois sur ses gardes, mais au fur et à mesure elle se détend, et en fin de journée, si elle ne semble toujours pas trouver ma présence si près d’elle naturelle, elle s’y est suffisamment accoutumée pour que ça ne la rende plus aussi méfiante. Ce n’est qu’à l’approche du coucher de soleil, lorsque après avoir rangé leur matériel, ils repartent en direction de leur campement, qu’ils s’agacent de nouveau tous les trois en me voyant leur emboîter le pas. Mais je me fais discrète et, sitôt que je remarque leur étonnement, je quitte la piste et monte dans les arbres qui la bordent, avançant quelques mètres derrière eux tout en me débrouillant pour qu’ils ne me repèrent pas.  Persuadés que j’ai renoncé à les suivre, ils se détendent immédiatement et entament une discussion à mon sujet sans se douter que, non seulement je les entends, mais surtout que je comprends chacun de leurs mots.

Je m’en serais doutée. Ils s’interrogent tous sur l’entêtement que je mets à vouloir rester en compagnie de la femme blonde, mais aucun d’entre eux n’arrive à trouver une raison à cette affection que je lui montre. Ils sont toutefois d’accord pour reconnaître que je ne semble pas agressive, et qu’en conséquence il serait préférable de ne pas se formaliser de ma présence et même, si possible, de m’ignorer jusqu’à ce que je me lasse de cette indifférence et que je retourne avec le groupe où, d’après eux, je serai bien mieux.

Evidemment, je ne suis absolument pas d’accord avec tout ça, mais je suis tout de même soulagée d’apprendre qu’à priori, ils ne vont pas essayer de m’endormir de nouveau. Pour le reste, je suis persuadée qu’avec le temps, je parviendrai à gagner la confiance de la jeune femme blonde, et si je ne sais toujours pas exactement ce  qui m’attire en elle, je n’ai aucun doute quant à l’existence du lien qui nous unit, même si je n’en saisis pas vraiment la nature et que je suis la seule à le ressentir.

 

J’avais raison. Je savais que je ne pouvais pas me tromper. Il a fallu que des jours et des semaines s’écoulent, mais ils se sont si bien habitués à ma présence, que dorénavant, ils me cherchent lorsque je suis hors de leur vue. Je n’ai rien fait de particulier pourtant, me contentant de ne jamais montrer la moindre agressivité, mais refusant de m’éloigner d’eux, ou plus exactement de la jeune femme blonde. Elle se préoccupe beaucoup plus de moi que je ne l’espérais au départ, me parlant régulièrement de choses et d’autres, comme si elle cherchait une oreille attentive sans risque de contradiction. D’ailleurs, en règle générale, les quatre humains me traitent tous comme un animal familier, un être suffisamment indépendant pour se nourrir et subvenir à ses besoins seul, mais dont la compagnie silencieuse est  appréciée à sa juste valeur. Je n’en demandais pas davantage, et si je me débrouille toujours pour passer le plus de temps possible avec la jeune blonde, je peux aussi rester en compagnie des trois autres sans que ça ne pose le moindre problème.

 

Ca fait plusieurs mois que je suis là maintenant, et je connais le prénom des quatre humains, leurs habitudes aussi. Régulièrement, j’écoute leurs conversations, ce qui m’a permit de comprendre que j’avais parfaitement deviné le but de leur présence ici, c’est à dire étudier les chimpanzés, leur manière de vivre et leur chercher des points communs avec les êtres humains. Mais il arrive aussi qu’ils observent d’autres espèces quand ils en croisent plus ou moins par hasard, comme certaines espèces de félins qui viennent parfois s’abreuver à la rivière, par exemple.

C’est un de ces jours là que la jeune femme blonde, dont j’ai appris qu’elle se nomme Gabrielle, part faire quelques pas dans la forêt, tournant le dos à la rivière et au campement pour s’enfoncer dans l’épaisse végétation qui recouvre la région. Dans un petit sac qu’elle porte sur l’épaule, elle emmène un épais cahier avec un stylo ainsi que ce qu’elle appelle un ordinateur portable, mais son autre bras est ballant, et pendant une seconde j’envisage de prendre sa main dans la mienne, mais je ne le fais pas, m’interrogeant plutôt une énième fois sur cet intérêt que j’éprouve pour elle.

Nous avançons lentement, elle me parle de ses journées qui commencent à être trop longues à son goût, loin des siens, et je sens un frisson d’angoisse me parcourir en pensant au moment, qui arrivera inéluctablement, où les humains, leur tâche terminée, quitteront leur campement et rentreront chez eux. Où que ce soit, et même si je n’ai aucune idée des moyens de transports qu’ils utilisent, je sais que dans l’esprit de Gabrielle, il est hors de question que je quitte ce que les humains appellent mon milieu naturel.

Cette idée gâche le plaisir que je prenais jusque là à simplement marcher dans la forêt et je suis beaucoup moins attentive à ce qui se passe autour de moi, ne remarquant même plus les chants des oiseaux, le caméléon qui étire sa langue avec vivacité pour attraper l’insecte qui volète devant lui, ou le petit lézard qui se faufile entre les fourrés. Aussi la voix de l’homme me surprend-elle  autant que Gabrielle. Elle pousse un petit cri et sursaute, reculant même d’un petit pas en observant celui qui s’avance au devant d’elle après l’avoir interpellée d’un

« Bien le bonjour Mademoiselle ! » lancé d’un ton qui n’a absolument rien de cordial. Elle fait de nouveau un pas en arrière, paraissant effrayée à la vue de l’arme qu’il porte sur l’épaule et qui ressemble en tous points à celle qui fut utilisée pour m’endormir, sauf que ces fusils, puisque c’est ainsi que ça s’appelle, peuvent tuer aussi, et très rapidement.

En face de Gabrielle, l’homme ricane et prend son arme en main alors qu’il est rejoint par quatre autres hommes, tous armés. Je jette un coup d’œil en direction de mon amie humaine, pas étonnée de constater que son teint, clair ordinairement, est devenu livide, et que si elle ne panique pas et tente de garder contenance, elle est visiblement effrayée.

Je ne sais pas qui sont ces hommes, ni pour quelle raison ils ont si manifestement l’intention de s’en prendre à elle, mais je ne perds pas de temps à chercher une réponse à ces questions, me dressant immédiatement entre Gabrielle et les hommes en bombant le torse et en poussant des cris, le plus fort possible, dans l’espoir de les impressionner et de leur faire perdre leur belle assurance. C’est peine perdue, ils ne font que rire plus fort, mais dans mon dos, j’entends Gabrielle m’appeler.

-« Viens donc ! Ces contrebandiers n’hésiteront pas à te tuer ! »

Je suis touchée qu’elle se préoccupe de mon sort, mais je n’écoute pas son conseil et, au contraire, me redresse encore, continuant de crier et de gesticuler de manière particulièrement agressive.

Derrière moi, je distingue les bruits de pas de mon amie, ce qui me donne l’impression qu’elle s’en va, sans doute dans l’intention d’appeler ses camarades à la rescousse, une idée qui, malheureusement, semble aussi traverser l’esprit de l’un des braconniers, qui, en la voyant s’éloigner, pointe le canon de son fusil dans sa direction. Je sais à quel point ces armes sont dangereuses, et je n’ai aucune envie que Gabrielle en fasse l’expérience à son tour, alors, sans réfléchir, je me précipite au devant de l’homme, saisissant immédiatement le canon de son arme dans le but de le lui arracher des mains. Il résiste, et pendant quelques secondes, nous tirons chacun de notre côté, jusqu’à ce que le coup de feu parte tout seul, la détonation nous surprenant tant, tous les deux, que nous en restons interdits. Personne n’est blessé, la balle s’étant sans doute directement fiché dans le sol, mais je suis la première à me reprendre, tirant sur l’arme d’un coup si sec que le contrebandier la lâche. J’en profite aussitôt pour m’échapper, emmenant le fusil avec moi au plus haut de l’arbre le plus proche pendant que mon vis à vis, furieux, pousse quantité de jurons dans ma direction. Sa colère est d’autant plus grande que ses camarades ne manquent pas de lui lancer de nombreux quolibets auxquels il ne répond pas cependant, préférant emprunter le fusil d’un de ses amis pour me mettre en joue.

Je grimpe plus haut, j’essaie de me dissimuler derrière les feuillages, je passe de branche en branche, mais il suit chacune de mes mouvements. Alors, j’essaie de me concentrer, pensant que peut-être, je pourrais attraper la balle au vol, comme je le faisais avec les flèches à l’époque où j’étais humaine. J’entends la détonation, et il me semble ressentir la brûlure, dans ma poitrine, exactement au même moment. Je vacille, m’accrochant encore au sommet du tronc, apercevant au loin Gabrielle qui revient avec deux de ses camarades, lesquels sont armés d’ailleurs.  Je ne sais pas s’ils viendront à bout des contrebandiers, alors que ceux-ci se sont éparpillés alentours, seul celui qui m’a tiré dessus resté sous l’arbre sur lequel je suis encore perchée. Sans doute attend-il que je tombe. Il n’attend pas longtemps.

 

:::::::::::::::::::::::::::::

 

 

Assise sur les marches de l’auberge, je regarde mon petit frère faire ses premiers pas sous le regard attentif de Cyrène, ma mère. Il est encore tout jeune et ne tient pas bien sur ses jambes, mais elle le surveille de près, n’hésitant pas à tendre une main pour prendre la sienne dès qu’il paraît près de perdre l’équilibre. Je les regarde un instant, retenant un rire un peu moqueur en voyant les efforts que déploie Lycéus, alors que moi, je peux non seulement marcher, mais aussi courir très vite. Et puis, je détourne les yeux et laisse mes pensées vagabonder.

Je fronce les sourcils, fouillant dans ma mémoire à la recherche d’images que, pour autant que je le sache, j’ai toujours connues, mais qui s’échappent de plus en plus régulièrement, à tel point que je suis à peu près certaine que d’ici peu, j’aurais tout oublié.

Je voudrais me souvenir, pourtant. Je voudrais retenir ces impressions, ces visions qui paraissent venir d’autres vies. Cette impression d’avoir été si petite, si légère que j’aurais tenue dans ma main d’enfant, cette sensation de calme et de tranquillité qui me donne envie de constamment mâchonner, cette idée que j’ai rampé sur le sol, que j’ai passé un temps infini à me dorer au soleil, et puis les arbres et l’attirance que j’ai pour eux, l’envie de grimper, de me balancer sur les plus hautes branches sans crainte du vertige…

Mais il y a une autre image que je voudrais retenir, une image qui s’efface lentement, comme toutes les autres. L’image d’un visage aux yeux verts et au sourire lumineux, un visage qui me regarde avec affection et intérêt, un visage vers lequel je brûle de courir.

Je voudrais connaître la femme à qui appartient ce visage, je voudrais la voir, lui parler, mais déjà, je ne me souviens plus…

Je secoue la tête, tous ces souvenirs semblent s’être envolés. Et puis Lycéus trébuche, retenu par ma mère juste avant de tomber. Ils éclatent tous les deux de rire et m’appellent. Souriant de toutes mes dents, je me lève et cours vers eux

 

Fin

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Commentaires
I
Ah Le talent de Gaxé ! Toujours aussi imaginatif dans l'humour comme dans le dramatique...Un régal de plus!<br /> <br /> <br /> <br /> Merci Gaxé.<br /> <br /> <br /> <br /> Isis.
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G
Oui, c'était quand même plus drôle d'en faire une mouche ou une vache qu'un animal "noble" comme un cheval ou un dauphin...<br /> <br /> Après, les mouches, quand on voit ce qu'elles font, ça aurait pu être pire... :-)
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J
J'adore cet humour :-) Et je me suis régalée en lisant cette histoire. Je me demandais où elle pourrait bien me conduire et je n'ai pas vu la chute arriver, une chute d'ailleurs bien trouvée :-) Bravo et merci !
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G
Par tous les Dieux, je te remercie, Sygui.<br /> <br /> Et j'ai pas eu de DVD... :-;
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S
Par les dieux, comme dirait quelqu'un, je me demande encore et toujours où est-ce que tu trouves tes idées ! est-ce que tu viens de regarder en boucle des dvd du national géographic qu'on t'aurait offert pour ta fête ??<br /> <br /> en tous cas, beaux voyages offerts à X<br /> <br /> ;-)
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