Sassem, partie 10
PARTIE X : Nouvelle vie.
Chapitre 1 :
Fou de
rage, Sassem se lança à sa poursuite. Il sauta à travers le mur fracassé après
avoir arraché une arme des mains d’un de ses hommes, et il commença à tirer
vers elle tout en courant. Malheureusement, elle réussit à se mettre à couvert
et il cria de frustration.
-
Monsieur, fit un inconscient en se portant à ses côtés, l’attaque de
l’organisation, lui rappela-t-il, inquiet. Que doit-on faire ? Les gens
paniquent !
Enervé
à cause d’une interruption qui lui avait coûté sa victime préférée, Sassem
pointa son arme sur lui et l’abattit. Le fidèle soldat s’écroula, un petit trou
ornant son front. Les hommes qui le suivaient s’arrêtèrent automatiquement et
le regardèrent s’enfoncer dans la jungle. Ils échangèrent des regards
consternés, puis, comme si un signal avait été donné, ils se ruèrent sur le
premier véhicule qu’ils virent et prirent la fuite.
Dès
qu’il franchit la lisère des arbres, Sassem ralentit. La lumière était
fortement atténuée et les cachettes étaient nombreuses. She-wolf pouvait être
partout. Il avança, l’arme en avant. Il avait voulu jouer avec elle et il le
souhaitait encore, mais elle était trop dangereuse et cette salope… cette
salope avait attaqué toute son organisation ! Pour
qui se prenait-elle ?! Elle allait le lui payer cher, très cher !
Au
milieu du vacarme que les explosions, les tirs et les cris, faisaient, il
entendit distinctement un bruit de course sur sa droite. Vif comme l’éclair, il
se retourna, mais ce n’était qu’un foutu animal. Il n’avait pu s’en apercevoir
avant, à cause de son œil enflé. Cette salope l’avait salement handicapé !
De
rage, il lui tira dessus à plusieurs reprises, le manquant à chaque fois, et
son arme cliqueta bientôt dans le vide.
Il la
jeta brutalement contre un tronc et poursuivit son avancée. Il finirait bien
par la trouver, elle n’avait jamais pu lui échapper. Et ici, c’était son
territoire.
***************************************
Conception et Alexia traversèrent le camp comme deux
fusées. Comme prévu, les soldats ennemis étaient trop surpris pour réagir assez
vite, et les hommes et le tank qui les poursuivaient se retrouvèrent vite
bloqués par leurs alliés.
Alexia mit quelques minutes à se souvenir où se trouvait la
résidence de Sassem. Elle bifurqua à droite et entra dans un immeuble, dont
l’entrée béante, ne contenait plus que des corps sans vie.
- Pourquoi on entre ici ? l’interrogea la militaire en
la suivant alors qu’elle s’enfonçait plus profondément dans les couloirs.
- Tia m’a montré sur un plan où se trouvait la demeure de
Sassem et cet immeuble, même s’il rallonge un peu le chemin, y mène. Etre ici
me semble plus sûr que dehors. Bon évidemment, on n’a pas intérêt à traîner, je
doute que les soldats aient manqué notre entrée et ils vont essayer de nous
bloquer. Pour peu qu’ils en restent à l’intérieur on est faite.
- Tu sais où tu vas au moins ?
- A peu près. Si tu me laissais réfléchir je manquerais
moins de nous perdre.
Conception lui jeta un œil noir. Cette fille, même si elle
était le bras droit de Linya était énervante au possible. Elle lui parlait
comme si elle était un boulet, alors que c’était elle qui les avait mises dans
cette position intenable ! Elle était si têtue, et d’une mauvaise
foi ! Conception ravala sa colère et la suivit avec malgré tout une pointe
d’admiration.
Non seulement elle avait l’air de réellement savoir ce
qu’elle faisait mais en plus sa volonté de ne pas laisser sa compagne derrière
elle, même si elle devait risquer sa vie pour ça, était touchante.
Enfin, une porte apparut devant elles. Malheureusement, ce
ne fut pas la seule chose qui apparut! Une flopée de soldats, armés et à
l’air belliqueux, leur bloquait le passage. Alexia pila, puis agrippant le bras
de sa partenaire, la propulsa dans la première pièce libre qu’elle vit et
claqua la porte derrière elles.
Immédiatement, Conception chercha des yeux quelque chose
susceptible de la coincer. Elle attrapa une chaise et la plaça sous la poignée
de la porte. Elle repéra ensuite une armoire.
- Aide-moi, fit-elle à la petite blonde en saisissant
un côté du meuble.
Alexia secoua la tête.
- Laisse tomber, jeta-t-elle en se dirigeant vers la
fenêtre. On n’a pas le temps. Ils ne vont pas tarder à se rappeler l’existence
des fenêtres.
Elle en ouvrit une et se hissa au dessus.
- Dépêche ! la pressa-t-elle en voyant qu’elle ne
bougeait pas.
Elle passa de l’autre côté et Conception se précipita à sa
suite alors que des coups résonnaient contre la porte. Des cris furent
échangés, puis le chien d’un fusil qu’on arme se fit entendre. La militaire eut
juste le temps de se laisser tomber avant que des coups de feu, ne commence à
faire voler la porte en éclats.
Alexia la rattrapa et dit avec un sourire :
- On a de la chance, ils sont cons. Ils vont à toutes
forces essayer de passer par l’entrée. On a pile le temps de s’éloigner et de
se cacher.
- Et après ? fit la femme en se relevant.
- La maison de notre cible est dans cette direction, fit
l’apprentie en pointant le doigt sur sa droite.
Conception hocha la tête et alors que les soldats
semblaient sur le point de parvenir à passer la porte, elles s’élancèrent en
direction de l’abri qu’offrait un camion éventré et tombé sur le flanc.
*****************************************
Tia courait sans même essayer de savoir où. Elle ne réfléchissait
plus, seul l’instinct parlait. Les branches la giflaient mais elle ne les
sentait pas. Dès l’instant où elle avait mis le pied sous le couvert des
arbres, la douleur qui lui transperçait les yeux avait sensiblement diminuée.
Soudain, une branche basse particulièrement noueuse
apparut, l'obligeant à se déporter sur la droite en se baissant et elle
n’aperçut pas la racine qui heurta son pied, faisant remonter un arc électrique douloureux le long de sa jambe et
l’envoyant rouler un peu plus loin. Elle s’affala de tout son poids sur le sol
et ne bougea plus.
A bout de souffle, épuisée, les yeux mi-clos, elle se
laissa aller. Les bruits de combat au loin, les mains et la bouche de Sassem…
les souvenirs éclatèrent en autant de petites bulles qu’elle ne put plus
contenir.
Elle se mit à trembler de peur et de dégoût. Il avait voulu
remettre ça… et elle avait failli le laisser faire ! Un cri de rage lui
échappa. Au même moment, l’homme de ses cauchemars déboula à sa gauche. Il
s’arrêta en la voyant au sol et eut un sourire cruel, un rictus sauvage qui
signifiait torture atroce pour elle.
La peur céda le pas devant la colère. Sa haine de cet homme
et de ce qu’il lui avait fait subir la submergea. Il lui avait fait tant de
mal… y avait pris tant de plaisir… Avec un cri puissant, si plein de haine et
rage qu’il en semblait vivant, elle se jeta sur lui avec force.
Surpris, il bascula avec elle et se retrouva bientôt cloué
sur le dos. Il croisa le regard plein d’une hargne si complète qu’il eut peur.
Dans ce regard, il n’y avait pas d’enfant perdue, il n’y avait même plus d’être
humain. She-wolf était entièrement animée par la soif de vengeance et une
exaltation si puissante, que l’être qu’elle était avant s’était évanouie.
Elle leva le poing et il y vit sa mort. Instinctivement, il
leva la main qui s’était refermée sur une pierre, et frappa de toutes ses
forces contre sa tête.
Le bruit lui prouva qu’il l’avait touchée, tout comme le
sang qui gicla et le mouvement de recul que fit sa tête, mais le regard ne changea
pas et comme si elle n’avait rien senti, elle abattit son poing sur son visage.
La douleur explosa et paniqué il frappa de sa pierre le
corps qui l’écrasait, sans parvenir à voir où elle se fracassait. S’il la
touchait, elle n’en laissait rien paraître, sa grêle de coups ne s’arrêta pas
une seconde et bientôt tout cela n’eut plus aucune importance… la nuit tomba,
la douleur disparue et sa main retomba sur le sol. La pierre roula un peu plus
loin… Il était mort.
Et pour la première fois depuis qu’il était né… il se
sentit libéré de tous les sentiments douloureux qui l’avaient toujours agité.
Tia vit le visage en bouilli de son adversaire et rejeta la
tête en arrière. Elle poussa un hurlement de victoire où la toute puissance se
mêlait à une colère qui ne s’était pas éteinte.
Son cri se répercuta dans la jungle et venu d’aussi loin
que sa soif de sang, un hurlement identique retentit, lui répondant, lui
signifiant qu’elle n’était pas seule et qu’il comprenait. Le hurlement
s’éteignit et ne se renouvela pas, mais Tia avait entendu. Elle ne savait pas
d’où il venait, ni qui lui avait répondu… ou quoi. Mais elle ne s’en préoccupa
pas. Elle le trouverait quand elle en aurait besoin, elle le savait.
Posant le regard sur ce qui restait de son bourreau, ce monstre
qui avait détruit sa vie, la rage en elle loin de s’apaiser, gonfla encore.
Elle se releva comme une automate, et une douleur fulgurante transperça son
coté droit. Elle baissa les yeux et vit de larges et très moche bleus s’étaler
sur ses côtes. De nouvelles déformations étaient apparues et elle en conclut
qu’elle avait d’autres côtes de cassées.
Un engourdissement lent la saisit et si sa colère ne la
quitta pas, elle sembla se glacer, se figer en même temps qu’une faiblesse
générale qui l’obligea à se rasseoir. Elle se plia soudain en deux et vomit. La
douleur qui vrilla son crâne perça brièvement le voile de coton qui
l’enveloppait et elle aperçut un hématome noir sur son abdomen. Elle le fixa un
moment et le vit s’élargir.
« Une hémorragie interne », en conclut la grande
femme. Si elle ne trouvait pas rapidement de l’aide, elle allait mourir là.
« Et après ?, songea-t-elle engourdie, quelle
importance ? » Elle était tellement fatiguée d’avoir mal… Elle ferma
les yeux et laissa les ténèbres l’emporter. Après tout… elle leur avait
toujours appartenu.
**************************************
Alors qu’elles parvenaient enfin à la résidence de Sassem,
quelque chose en Alexia la fit s’arrêter. Elle secoua la tête tentant de savoir
ce qui lui arrivait, sans y parvenir. C’était diffus, léger et en même temps,
urgent.
Elle les yeux sur les bois un peu plus loin et eut la
certitude qu’elle devait y aller. Sans prêter attention à Conception qui la
pressait d’entrer, elle tourna les talons et s’enfonça dans la jungle.
Incrédule, la militaire la regarda faire. Puis, décidant
que son devoir était de suivre cette folle où qu’elle aille, elle se rua sur
ses traces, non sans écouter avec attention les échanges en Grec. Apparemment,
le chef d’unité savait comment se débarrasser des chars d’assaut et il
transmettait la technique à tous ses soldats.
Conception écouta attentivement. Cela pouvait servir. A
partir de là, et tout en gardant un œil sur Alexia et leur environnement, à
l’affut du moindre danger, elle écouta son chef d’unité mettre au point divers
pièges ingénieux qui la surprirent. C’était astucieux et elle devait convenir
que pour un homme, celui-ci savait de quoi il parlait. Avec ça, ils avaient une
chance de reprendre l’avantage et de mettre enfin un terme à une bataille, qui
durait depuis maintenant, elle jeta un œil à sa montre, Cinq heures ?!
Seulement ?! Elle avait l’impression que cela faisait
une semaine entière ! Devant elle, Alexia poussa un cri de détresse et
instantanément, l’attention de la militaire se concentra sur elle. Tout en
s’approchant rapidement, elle scruta les alentours, à la recherche du danger
mais n’en vit pas.
Elle fronça les sourcils et revint à sa partenaire.
Celle-ci, le visage empli de détresse, fixait un point à terre. Elle s’avança
encore un peu et aperçut enfin ce qui la mettait dans cet état. Elle eut un
haut le cœur, difficilement réprimé à la vue du cadavre sanguinolent de Sassem.
Puis elle vit Tia et son cœur se serra.
Elle était pâle comme la mort, le visage et le corps
couvert de sang, elle ne semblait plus présente. Alexia se jeta sur elle et la
prit dans ses bras. Pendant que celle-ci lui parlait avec un désespoir
croissant, Conception ouvrit son micro.
- Ici chef de le garde A. J’ai besoin d’une assistance
médicale de toute urgence. Je répète j’ai besoin d’une assistance médicale de
toute urgence.
- Un hélico !
cria Alexia en ouvrant son propre micro. Frédéric, on a besoin d’un hélico, c’est Tia !
Il y eut quelques bruits sourds et un grondement bas, de
l’autre côté puis la voix de Frédéric retentit aussi clair et calme qu’un matin
de printemps.
- Que se passe-t-il ?
- Elle… elle est blessée, elle ne se réveille pas et elle
est couverte de sang… je sais pas quoi faire !
- Décris-moi ses blessures.
Pendant qu’Alexia s’exécutait, Conception écouta comment se
déroulait les pièges du chef d’unité. Et entendit avec satisfaction que les
deux premiers avaient fonctionné à merveille. Elle se permit, quand une pause
se fit dans les ordres, de lancer la bonne nouvelle :
- La cible principale est anéantie. Je répète, Sassem est
mort, dit-elle finalement en un espagnol parfaitement compréhensible.
Des fois que leur ennemi l’écoute… Des cris et des
exclamations de joie fusèrent et elle sentit une galvanisation soudaine,
regonfler à bloc tout les soldats. Elle sourit puis revint a sa collègue qui
laissa un échapper une plainte apeurée.
- On ne peut rien faire ?! Frédéric !
- Un hélicoptère est en route, mais si vous voulez qu’il
atterrisse, il vous faut, soit trouver un terrain dégagé et y amener Tia, soit
faire le grand ménage au centre de l’école.
- Je m’occupe du ménage de printemps, lança Conception en
intervenant.
- Très bien, je préviens le pilote, répondit Frédéric.
Alexia dévisagea la militaire et hocha la tête devant sa demande
silencieuse. Elle ne bougerait pas de là… jusqu’à son retour. Elle la regarda
partir puis reporta son attention sur sa compagne.
Elle était si pâle… Comme une autre de ces fois… se
souvint-t-elle sans trop savoir de quoi.
- Ne me quitte pas Tia. Tu n’as pas le droit ! Pas
encore ! Bon dieu, tu te rends compte ?! C’est toujours toi qui pars
la première ! Et moi je dois rester derrière toute seule ! C’est
injuste, c’est égoïste et je t’interdis de me faire encore une fois ce coup !
Tia ne réagit pas, son corps se refroidissant de plus en
plus et la colère la prit. Une colère puissante, venue d’une autre vie, où la
douleur de la séparation avait été insupportable. Et si elle ne comprenait pas
vraiment ce qu’elle disait, elle sentait que c’était la stricte vérité.
- Je te déteste ! lui cria-t-elle. Tu ne me laisse
jamais le choix, tu décides pour tout et je dois tout accepter sans
broncher ! ? Pourquoi ?! Qu’est-ce qui te donne le droit de décider
pour moi ?! Ton amour ?! C’est quoi ça ?! Et le mien ?! Il ne
compte pas ?! N’agis pas encore une fois comme ça, je t’en prie, fit-elle
sa colère retombant soudainement. J’ai besoin de toi… j’ai besoin de ta force…
de ton amour… j’ai besoin de toi, bon dieu et tes enfants aussi ! Tu leur
as promis que tu ferais tout ce que tu pourrais pour revenir vers eux !
C’était quoi ? Un mensonge ?! Alors tu abandonnes c’est ça ?!
lança-t-elle la colère flambant de nouveau. Tu n’as pas le droit ! Je
t’aime moi, fit-elle en revenant au désespoir. Ne fais pas comme si ça n’était
pas important… pour une fois, s’il te plaît… pense à moi… et laisse-moi te
montrer que ta vie est importante… plus que ta mort… laisse-moi une chance de
te prouver que tu as le droit de vivre et encore plus celui d’être heureuse.
Que tu le mérite, même si tu penses le contraire… je t’en prie… laisse-moi au
moins une chance…
Alexia sentit un frémissement et elle fixa, avec une peur
mêlée d’espoir, le visage de sa bien-aimée. Elle vit son front se plisser,
comme sous le coup d’un effort colossal. Et si elle n’ouvrit pas les yeux, sa
compagne sentit un la peur desserrer son étreinte glacée sur son cœur.
- N’ouvre pas les yeux, mon cœur, c’est inutile. Economise
tes forces, chuchota-t-elle tout près de son oreille.
Alexia s’installa contre un arbre et prit son amie contre
elle, sa tête reposant sur son épaule. Elle décida de faire la seule chose
qu’elle savait réconfortante pour elle deux. C’était peut-être sa seule chance
de la maintenir auprès d’elle. Il fallait donc que ça la touche, pour accrocher
son attention faible et vacillante.
- Tu sais je connais une chouette histoire sur les loups.
Enfin c’est pas vraiment une histoire, plus un genre de poème. Je… c’est moi
qui l’ai écrit… pour toi, dit-elle sa voix se brisant sur les derniers mots,
alors peut-être qu’il n’est pas si génial que ça, mais écoute-le, ok ? Et
tu me diras ce que tu en penses, après. Ça s'appelle : Rêve de loup.
Lorsque mère nature ferme ses paupières à la nuit tombée
Que les étoiles l'enveloppent le soir au creux de leurs bras
De sa blancheur Sirius étoile du chien de la voûte céleste
Accueille Dame lune soufflant le voile au vent des ombres
Une brise légère aux effluves d'ambre, de vanille, de rosée
Caresse la forêt pour que s'éveillent les sapins assoupis
Fredonne une douce mélodie aux animaux baignés de songes
Blottis dans leur sommeil émergeant de lueurs spectrales
Pas un soupir ne brise le silence fondu dans les sous-bois
Seul le firmament couronne de ses bijoux l'azur du repos
Sous
les vieux pins bleus bercés par la plainte endormie
Tapis sur le lit de fleurs blanches que les pétales ont formé
Le Loup allongé de sa grâce dans son épais manteau gris
Veille de ses yeux mi-clos aux rayons d'or de l'horizon
En ses lieux, solitaire dans son âme, solitaire dans sa paix
Et dans ce calme de l'éternel, ses pensées s'évanouissent
Aux ondes des murmures, à l'ouverture des portes du rêve...
Telle
une prière à tous ces hommes dont le regard du mal
Provoque, haine, ignorance, souffrance aux gestes impurs
Vos dieux m'ont louangé de terreur et de mauvais présages
Tel un démon de cruauté, une incarnation du diable
Moi, qui ne suis que noblesse, qui ne suis que pureté !
Pourquoi me traquez-vous avec autant d'acharnement ?
Apprenez
à connaître ce qui m'anime dans mon instinct
Écoutez mon chant du soir lorsque ma voie se fait entendre
Ce n'est pas la peur ni la mort que mon message évoque
C'est un hommage à la vie, de l'éveil à la conscience
Je suis le guide de vos sentiers de la terre et de l'au-delà
Je suis fidèle, père de famille et ne tue pas par plaisir
Tout
comme vous, j'ai une Âme, un Cœur, une Essence
Ainsi, je ne suis pas la réalité que forment vos esprits…
De son œil amande une goutte de nuit perle d'espérance
Elle s'élève au ciel, brillante, parmi le champ d'étoiles
Une larme luit à jamais pour le cœur des hommes…
( poème pris sur le site : http://cercledevie.e-monsite.com/rubrique,reve-de-loup,156198.html
)
- Alors ? Qu’est-ce que tu
en dis ? C’est pas mal, hein ?, fit-elle en regardant au loin.
Elle n’avait plus senti aucun
frémissement et elle avait si peur de vérifier si la vie était encore présente
en elle… Les larmes coulèrent sans bruit sur ses joues et un sanglot monta.
Elle le retint, elle ne voulait pas troubler le repos de son amour, quel qu’il
soit.
Soudain elle se figea. Un
murmure, quasi-inaudible et si faible qu’on l’aurait dit inexistant, avait
sifflé à son oreille. Elle se pencha sur Tia et retint son souffle.
- Encore…
Le cœur d’Alexia fit un bond si
puissant qu’il lui fit mal.
- Tia, fit-elle en lui caressant
avec fébrilité le visage.
Ses yeux frémirent, clignèrent
puis se fixèrent un bref instant sur les siens. Alexia réprima un nouveau
sanglot, de soulagement cette fois, et chercha fébrilement une autre histoire à
raconter.
Tia était là. Elle était avec
elle.
- Tiens le coup amour,
souffla-t-elle. Les secours arrivent.
Un imperceptible mouvement de la
tête, qui sembla la chose la plus magnifique, à Alexia lui répondit.
- Ok, une histoire, hein ?
Autre hochement imperceptible.
- Ok. Tu connais la légende des
Ojibwas ? Selon eux, c’est le loup qui a appris à l’homme tout ce qu’il
sait aujourd’hui. Aucune de leur histoire sur eux ne parle de la peur du loup
comme nous savons si bien le faire. Non eux, ils respectent tout chez lui.
Et alors qu’elle se mettait à
conter l’histoire de Nanabush et Tooth, Tia se concentra sur la voix apaisante
de celle qui l’avait arrachée à son tunnel. Non, elle ne pouvait pas la
laisser. Pas cette fois. Même si elle ne savait pas pourquoi, ni comment, elle
lui avait déjà fait trop de mal. Elle l’avait laissé seule suffisamment
souvent… elle n’en avait plus le droit.
Chapitre
2 :
Quelques temps plus tard, Tia apprit ce qui s’était passé
après son évacuation. Alexia et Linya s’amusèrent à le lui relater pour la
distraire un peu et la faire patienter. Après la nouvelle exposition de ses
yeux aux rayons du soleil, elle avait dû subir une opération au laser, sensée
évacuer les tissus brûlés et leur laisser une chance de renouveler les tissus
perdus. Elle devait prendre des gouttes et et des bandes de gaze entourait sa tête pour protéger ses yeux de la
lumière.
Pendant les 48h suivant son hospitalisation, son état avait
été jugé critique et elle avait subi diverses opérations en urgence. Il avait
fallu s’occuper de son hémorragie interne, mais aussi de la commotion que les
coups sur sa tête avaient provoquée.
Alexia avait eu bien du mal à faire comprendre au personnel
médical que sa présence auprès d’elle était indispensable et plus que tout, que
c’était sa voix qui la maintenait parmi eux. Elle ne pouvait le leur expliquer,
elle ne savait pas elle-même d’où lui venait une telle certitude. Tout ce
qu’elle savait, c’était que Tia se battrait et passerait le cap critique qu’elle
vivait, si elle l’incitait à le faire.
Après pas mal de négociations et autant de dons faits
à l’hôpital par Linya, Alexia avait reçu l’autorisation de rester avec Tia dans
sa chambre.
Aujourd’hui, une semaine après son arrivée, elle était
sortie d’affaire. Alexia était, comme à son habitude, assise à ses côtés. Elle
avait été si près de la perdre… elle contempla son amie endormie et fit une
fois de plus le tour de ses blessures en se demandant par quel miracle elle
avait tenu si longtemps.
Outre son pansement sur les yeux, elle portait une écharpe
pour soutenir le bras qui avait eu une épaule déboitée. La plupart des côtes de
son flanc droit étaient brisées en plusieurs endroits, ce qui l’obligeait à
rester tranquille et à parler sans s’agiter. Elle portait un pansement au
niveau de l’estomac qui dissimulait une fine cicatrice, là où il avait fallu
l’opérer. Enfin, elle avait des bleus et des plaies sur tout le corps.
Les plus moches étaient sur son ventre, son torse et sa
tête. En détaillant son si beau visage, ainsi abimé, Alexia sentit, comme à
chaque fois, une vague de colère sourde l’envahir. Elle ne regrettait pas la
mort de Sassem. Elle ne regrettait pas que se soit Tia qui en soit responsable.
Et même si le souvenir de ce qu’elle lui avait fait, resterait à jamais gravé
en elle, elle ne voulait pas imaginer une fin plus paisible pour lui. Il avait
mérité ce qui lui était arrivé. Il était mort comme il avait vécu, avec
violence et sauvagerie.
Elle ne savait pas encore comment sa compagne avait ressenti
leur confrontation. Tia dormait presque tout le temps. Ça l’avait d’ailleurs beaucoup
inquiétée, mais les médecins lui avaient expliqué que c’était la façon dont son
corps récupérait des dommages qu’on lui avait infligé.
Alors elle passait la plupart de ses journées, à la
regarder, à veiller sur elle et à la remercier de s’être battue. Elle pensa
même, une ou deux fois, à adresser une prière aux dieux qui devaient veiller
sur elles. Elle n’avait jamais cru en dieu, mais dès l’instant où elle avait
rencontré la mercenaire, elle s’était mise à y penser, comme si ils étaient
plusieurs et existaient vraiment. Comme si elle n’en doutait pas… c’était
vraiment bizarre, mais ça la réconfortait alors elle n’y réfléchissait pas
trop. Un peu comme tout ce qu’elle vivait avec sa compagne.
Elle attendait avec patience, consciente qu’elle avait de
la chance d’attendre, que sa compagne récupère suffisamment pour l’interroger
sur sa santé émotionnelle. Lorsqu’elle était éveillée, elle lui expliquait ce
qu’il était en train de se passer dans le monde. Comment les médias avaient eu
vent des différentes attaques et comment les gouvernements impliqués après
diverses réunions, avaient élu un conseil représentatif qui s’était adressé à
la presse en une série de conférences, expliquant l’attaque, les raisons de
celle-ci, sa réussite et les conséquences qui en résultaient.
Apparemment, ce conseil était en train de mettre en place
une armée de la paix, comme l’Onu en fait, mais en moins armé. Il voulait
envoyer des hommes et des femmes régler les problèmes que cette attaque avait
eu sur les gouvernements et les
problèmes de politiques internationales que le fait d’avoir tout révélé avait
créés.
Il fallait apaiser les esprits, financer les
reconstructions et négocier de nouveaux accords. Mais avant tout cela, il
fallait réélire plusieurs présidents et essayer de limiter la casse avec ce
qu’il restait de certaines familles royales.
Le scandale provoqué par l’organisation caché de Sassem
avait et faisait encore les choux gras de la presse mondiale. Les médias
exigeaient le nom de celui qui avait mis tout cela à jour et qui l’avait
dirigé. La mise en place du conseil avait eu pour but de calmer les questions à
ce sujet. Toute l’opération était une coopération des différents gouvernements.
Aucun élément extérieur n’avait participé.
Quelques bribes d’infos avaient filtré, comme la
participation de certains mercenaires et d’une force armée inconnue, mais tout
avait été démenti par les porte-paroles des gouvernements.
Linya avait été satisfaite de la réaction. L’anonymat pour
Lyoko était une garantie de sécurité, elle ne pouvait prendre le risque d’être
associée à cette opération. Alexia quant à elle n’était pas mécontente non
plus. Le nom d’Enyo avait été cité à plusieurs reprises. Cela garantissait un
futur rempli de clients. Ce n’était pas demain la veille qu’elle serait au
chômage !
En échange de son « aide » sur l’opération et de
son silence sur sa participation, elle avait été graciée. A partir
d’aujourd’hui, Tia, alias She-wolf, alias Enyo, était aussi pure qu’un bébé qui
venait de naître ! Elle avait hâte de lui apprendre la nouvelle !
Alexia essaya d’imaginer les prochains mois. Tia devrait se
poser quelque part pendant un bon moment, le temps de guérir, et elle pourrait
le faire en toute tranquillité. Maintenant, elles pourraient s’établir. Fonder
une famille. Avoir un bébé. Alexia gloussa. Une petite Tia. Qu’elle porterait.
Elle frémit d’anticipation. Bon, évidemment, elle devrait
en reparler avec la mercenaire, mais…, elle posa la main sur son ventre plat,
peut-être que bientôt…
Elle tourna la tête lorsque Linya entra dans la chambre.
Celle-ci la salua d’un hochement de tête et d’un sourire et s’installa à ses
côtés.
- Comment va-t-elle ? chuchota-t-elle.
Linya venait leur rendre visite tous les jours peu avant
midi. Après le repas, c’était le tour de Frédérique. Il restait jusqu’à ce
qu’elle se réveille et ils échangeaient quelques mots, avant de téléphoner aux
jumeaux. Ils étaient surexcités depuis qu’ils savaient qu’elle serait bientôt
de retour. Ils avaient semblé très inquiets en apprenant qu’elle était à
l’hôpital.
Mais rassurés quand Alexia leur avait déclaré qu’elle ne
bosserait plus pendant plusieurs mois. Cependant, il avait fallu leur expliquer
que leur mère n’allait pas être en mesure de bouger pendant quelques temps et
qu’elle ne reviendrait donc pas aussi vite qu’ils le souhaiteraient. Frédéric
les avait calmés en leur disant qu’à chaque vacances scolaires, ils viendraient
la voir et visiter la Colombie. A l’idée de voyager leur contrariété s’était
envolée. Depuis lors, ils attendaient avec impatience les prochaines
vacances.
Tia avait voulu protester mais le soulagement audible dans
leur voix, ainsi dans celle de sa compagne l’en avait empêchée. D’après ce
qu’elle avait entendu, Alexia en avait pas mal bavé pendant l’attaque. Elle
méritait bien un peu de tranquillité.
- Ça
va. Elle dort, elle mange, elle accepte de ne pas trop bouger. C’est plutôt
encourageant, fit-elle soucieuse.
Linya la dévisagea un instant, puis posa sa main sur la
sienne.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
Alexia hésita.
- C’est… elle semble fatiguée.
- Eh bien oui, confirma son amie perplexe, le docteur a dit
que c’était normal.
- Oui, je sais, mais… ce n’est pas de ça que je parle. Elle
manque d’énergie.
En voyant l’air perdue de sa meilleure amie, Alexia soupira
de frustration et passa une main dans ses cheveux.
- Ce que j’essaye de dire c’est que… son moral n’a pas
l’air bon. Elle… n’a pas son ressort habituel.
- C’est sûrement l’hospitalisation. Ça ne lui est pas facile d’être
immobilisée ainsi et elle doit s’angoisser au sujet de ses yeux aussi. Ne pas
savoir si elle recouvrira la vue… pour quelqu’un comme elle, ça doit être
l’enfer.
- Peut-être, répondit-elle lentement.
Mais Alexia en doutait. Quelque chose… quelque chose
s’était passé. Peut-être des souvenirs ou… peut-être la façon dont elle avait
tué Sassem ? D’après ce qu’elle s’en rappelait, la dernière profonde
dépression de Tia avait commencé avec une chose similaire qu’elle avait faite à
une prisonnière. Peut-être que c’était ça ?
Si ça l’était, elle avait bien l’intention de la faire
parler. La dernière fois ça avait semblé lui suffire pour commencer à remonter
la pente. Satisfaite de sa décision, elle revint à Linya.
- Tu as vu mon père ? la questionna-t-elle.
- Oui. Il a dit qu’il passerait te voir bientôt.
-Vraiment ?
Alexia était surprise. Leur dernière entrevue avait été
pour le moins houleuse. Il n’avait pas apprécié qu’elle se jette au milieu de
la zone de combat en le laissant derrière elle. Pour une criminelle qui plus
est. En entendant ses mots, sans pouvoir faire se retenir ou même songer à le
faire, elle avait levé la main et l’avait giflé.
Ils avaient été aussi stupéfait l’un que l’autre par son
geste. Mais Alexia s’était vite reprise.
- Ne redis plus jamais ça.
Il l’avait dévisagée comme s’il la voyait pour la première
fois. Son expression lui avait fait mal, mais elle ne pouvait pas, ne voulait
pas rattraper son geste ou s’en excuser. Elle avait été à deux doigts de la
perdre, elle était fatiguée et Tia était alors en salle d’opération pour subir
une série d’interventions urgentes.
Elle n’avait pas envie de s’excuser d’avoir choisi sa
compagne plutôt que lui. S’il ne parvenait pas à comprendre qu’elle l’aimait
comme il avait aimé sa mère, alors tant pis.
Il était parti furieux et depuis elle n’avait plus eu de
nouvelles. Aujourd’hui, elle le regrettait un peu. Pas ce qu’elle avait fait ou
même pensé mais… il avait été séquestré et elle n’avait même pas vraiment pu
savoir si il allait réellement bien. S’il avait regretté autant qu’elle leur
séparation depuis tout ce temps. Si…
Elle soupira en secouant la tête.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas.
- Il t'a paru furieux ? Inquiet ?
- Ni l’un, ni l’autre, fit-elle en haussant les épaules. Je
l’ai croisé pendant le débriefing avec les grands pontes et il m’a juste dit de
te prévenir.
- Ok. Quand passe-t-il ?
- Il ne l’a pas précisé mais… il sait que tu es là et
qu’elle sera coincée ici pendant plusieurs mois, donc…
- Il a tout le temps.
- C’est ça.
- Cela dit, je pense qu’il viendra rapidement. Papa l’a vu
le mois dernier et il avait l’air inquiet et soucieux en parlant de toi. Il en
a conclu que tu lui manquais et qu’il allait reprendre le contact assez vite.
- Ouais mais depuis il a été enlevé et on a eu une
« discussion ».
- Mais…
- Laisse tomber Lin. C’est gentil d’essayer de me
tranquilliser mais je ne suis pas inquiète. J’ai choisi et je ne regrette pas
mon choix. De toutes façons s’il ne m’y avait pas obligée, on n’en serait pas
là. C’est entièrement de sa faute, alors ce n’est pas moi qui vais regretter
l’état actuel de nos relations.
- Ok, ok, fit-elle en levant les mains devant sa véhémence.
Je te crois.
Alexia reposa son regard sur sa compagne endormie.
- Elle ne tiendra pas des mois comme ça. Elle est déjà
déprimée et ça fait une semaine seulement.
- Pourtant le personnel vous traite comme des reines.
- Oui, acquiesça-t-elle avec un sourire. C’est marrant
d’ailleurs. Officiellement, Tia et moi n’avons pas pris part à l’attaque, mais
officieusement tout le monde sait que c’est elle qui l’a mise au point. Ils lui
sont très reconnaissant de les avoir libérés, du coup on a droit à un
traitement de faveur et à de vrais repas !
- Ça
devrait rendre les choses moins difficiles, non ?
- Pas vraiment. Elle n’aime pas être bloquée sur un lit, encore
moins dans une chambre d'hôpital. Ça lui rappelle de mauvais souvenirs. En plus de ça, on se
trouve dans le pays de ses cauchemars. Il faut trouver une autre solution. On
doit bien pouvoir la bouger d’ici ?
- Alexia, je sais que tu t’inquiètes mais ça n’est pas
possible. Ses côtes sont dans un trop mauvais état.
- Je sais mais… elle ne va pas bien et rester ici
n’arrangera rien.
- Alex, calme-toi. Ça va s’arranger. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer.
Elle est forte, elle va s’en remettre. Et puis tu seras là.
Alexia réfléchit un moment. Puis soupira.
- Je crois que je n’ai pas vraiment le choix, de toutes
façons, non ?
- Pas vraiment. Fais-lui confiance. Et fais-toi confiance.
Tant que tu es à ses côtés, elle ira bien.
- J’espère.
********************************************
Quelques jours plus tard, le père d’Alexia fit enfin une
apparition. Sa fille était au chevet de sa compagne endormie. Il passa la porte
et se tint un instant immobile à l’observer.
Elle avait l’air fatigué et soucieuse. Il vit qu’elle
tenait la main de cette femme et ne semblait pas vouloir la lâcher. Il ne jeta
même pas un œil sur la blessée. Il n’avait que faire de ce genre de personne.
Il se signala par un raclement de gorge et étudia
attentivement son expression lorsqu’elle le reconnut. La surprise. Une
étincelle de joie. La colère. Et une tension sous-jacente. Jadis, il ne voyait
dans ses yeux que de la joie. Il aurait voulu en accuser la grande femme, mais
c’était entièrement de sa faute. Cependant, s’il le savait, il ne pouvait pour
autant pas l’accepter.
Elle lui fit signe de la suivre dans le couloir et jeta un
petit regard d’excuse à la femme allongée. Elle passa à côté de lui sans le
regarder et cela lui fit mal. Elle ne l’avait même pas salué.
- Qu’est-ce que tu veux ?
De but en blanc. Elle avait toujours été franche et aussi
désagréable que c’était en ce moment, il apprécia de voir qu’elle était encore
un peu elle-même.
- Te voir.
Elle fronça les sourcils et attendit. Mais une soudaine
timidité le saisit et il ne sut pas quoi dire. Alexia avait toujours été sa
petite fille, il avait toujours cédé à ses caprices, sauf cette fois.
Pourquoi ? Qu’y avait-il de différent cette fois ? En la voyant jeter
un regard anxieux vers la porte, il comprit. Ce n’était pas un caprice. Et
c’était bien pire.
- Je trouvais regrettable que se soit un enlèvement qui
nous ait réuni.
- La faute à qui ? Tu as clairement établi les règles.
- Et comment voulais-tu que je fasse autrement ? Tu
veux que je te laisse aller tranquillement avec cette… cette femme ?!
s’écria-t-il furieux. Elle est dangereuse, elle te fais mener une vie
dangereuse ! Elle te change en quelqu’un que tu n’es pas !
Regarde-toi, bon sang ! Tu es fatiguée, inquiète et tu es loin d’avoir
l’air en forme ! Ce n’est pas toi, ça ! Toi, tu es une personne
joyeuse, pleine de vie et curieuse de tout ! Tu aimes être vue et là, tu
te caches en permanence ! Ne me dis pas que ça te rends heureuse, je ne te
croirai pas !
Alexia le fixa de plus en plus en colère, puis tourna les
talons sans répondre.
- Où vas-tu ?!
- Je retourne auprès de Tia.
- On n’a pas fini de discuter !
- On ne discute pas papa, tu hurles et je subis.
Il souffla bruyamment et contrôla sa frustration.
- Très bien, excuse-moi. On peut discuter maintenant ?
Alexia revint vers lui, non sans refermer soigneusement la
porte.
- Qu’est-ce que tu attends de moi ? demanda-t-elle en
croisant les bras.
- Mais… rien ! Je voudrais juste…
- Quoi ? Tu veux t’assurer que je vais bien ? Je
vais bien. Que je suis heureuse ? Je suis heureuse. Mais tu ne veux
entendre ni l’un, ni l’autre.
- Alex…, fit l’homme complètement découragé.
- Écoute, parce que je crois vraiment que tu es inquiet
pour moi, je vais essayer de t’expliquer encore une fois. Tu dis que je ne suis
pas celle que tu vois aujourd’hui, que je n’étais pas ainsi avant et tu as
raison. Mais celle que j’étais avant n’était pas heureuse, papa. Elle en
donnait l’illusion, c’est tout. Ma vie, telle que tu la vois, me satisfait
vraiment. Et si je n’avais pas rencontré Tia, c’est vrai que je ne serais pas
mercenaire aujourd’hui, mais ce que tu ne comprends pas c’est que ça aurait été
une chose qui m’aurait vraiment manqué. Et que même sans elle dans l’avenir, je
continuerai. J’aime ce travail. Je fais des choses importantes et papa, c’est
une sensation tellement extraordinaire que de se rendre compte que notre
présence compte vraiment ! On change les choses, on les rend
meilleures ! Alors oui, il y a des sacrifices à faire, et ça n’est pas
toujours facile à accepter, mais ça en vaut la peine, dit-elle en posant sa
main sur son bras. Tu te rends compte ?! Je peux faire la différence,
comme Tia, comme ce qu’on a fait avec Sassem ! C’est… c’est bien
non ? Si tu ne le vois pas… je ne peux rien pour toi, conclut-elle
finalement.
- Je peux comprendre que tu veuilles te rendre utile,
accepta-t-il. Mais il y a d’autres façons moins dangereuses de le faire. Et si
c’est vraiment les femmes ton… truc, alors ok, mais tu peux trouver mieux qu’elle.
- Tu refuses de comprendre, dit-elle désabusée. Papa, je
t’aime, mais j’aime Tia encore plus et si je peux vivre sans toi, je ne peux
pas même envisager d’être à moins de trois pas d’elle. Je suis désolée si tu
penses qu’elle ne vaut rien, car elle est la personne la plus extraordinaire et
la plus merveilleuse qui soit. Elle me comble au-delà de toutes raisons. Elle
est attentive, romantique, forte, sensible et elle possède un sens de l’humour
formidable. Elle est la personne qu’il me faut. Celle qui me soutient quand
j’en ai besoin, qui me botte les fesses s’il le faut, qui me dit qu’elle m’aime
et qui le prouve. Je ne pourrais jamais trouver mieux qu’elle. Elle est
parfaite pour moi et je ne veux personne d’autre.
Son père secoua la tête mais elle poursuivit, abattant sa
dernière carte.
- Et tu sais papa, toi qui a toujours voulu que je me
trouve un bon parti… tu devrais être content, Tia est la 8ième
fortune mondiale. Elle a tout ce qu’il faut pour prendre soin de moi. Mais tu
sais même pauvre comme Job, elle serait parfaite pour moi.
- Je ne comprends pas, répondit-il les sourcils froncés
mais sans aucune animosité. Tu dis que tu aimes une vie qui te met en péril.
Que tu aimes une femme qui est, excuse-moi mais c’est la vérité, une tueuse.
Mais pour moi ça n’a aucun sens. Et ça n’en aurait pas eu pour toi avant.
- Tu regrettes une personne qui n’a jamais vraiment été.
Cette fille capricieuse qui te manque… ça, ça n’était pas moi. Tia m’a révélée
à moi-même. Elle m’a montré que je valais mieux que ça.
Son père la regarda, puis secoua de nouveau la tête.
- On n’y arrivera pas. Pas tant qu’elle sera entre nous.
- Ce n’est pas elle le problème.
Il ne répondit pas et tourna les talons. Elle le regarda
faire en soupirant. Ils étaient aussi malheureux l’un que l’autre et rien ne
risquait de changer avant longtemps.
***********************************
Le lendemain Enyalios rendit visite à Tia.
- Enfin ! s’exclama Alexia en le voyant franchir le
pas de la porte.
- Quoi ? répondit-il nonchalamment. Je t’ai
manqué tant que ça ?
- Ça
fait presque deux semaines que ton amie est hospitalisée, tu aurais quand même
pu venir plus tôt, répliqua-t-elle en souriant.
- Je n’aurais pas pu, non madame. J’ai dû négliger pas mal
de mes propres affaires pour répondre à son appel.
- Oh. Eh bien, c’était très sympa de ta part.
- N’est-ce pas ?
Elle lui sourit de
nouveau.
- Alors, comment va-t-elle ?
- Elle dort.
- Mais encore ?
- Elle en a pour des mois à se remettre, mais d’après le
médecin, ses yeux semblent prendre un bon chemin.
- Parce qu’elle risquait de devenir aveugle ?!
s’exclama-t-il surpris.
- Le danger n’est pas encore complètement écarté, mais ils
sont optimistes.
Il hocha la tête. Linya entra à ce moment là.
- Salut !
- Eh, salut beauté !
- Enyalios, c’est ça ?
- Vous vous souvenez de moi ? dit-il avec un sourire
vaniteux.
Linya leva un sourcil railleur et se tourna vers Alexia.
- Comment c’est aujourd’hui ?
- Pareil.
- Je vois. Tiens, dit-elle en lui tendant un paquet, j’ai
pensé à renouveler ton stock de loisirs.
- Merci.
- Au fait, dis-moi, ton stage avec Angelsson, c’est dans
quelques mois, non ?
- Je crois, oui. Pourquoi ?
- Tia sera encore là ?
- Non, elle devrait sortir juste avant. Mais je n’ai pas
l’intention d’y aller, je ne veux pas la laisser seule.
- Arrête, c’est ton rêve ! protesta sa meilleure amie.
Et tu sais ce qu’a dû faire Tia pour te décrocher ça ? C’est son cadeau,
tu vas la vexer si tu y renonces.
- Je ne vais pas partir et la laisser derrière moi alors
qu’elle a besoin d’aide ! s’insurgea-t-elle.
- Ce n’est pas ce que je te dis, calme-toi. En fait,
j’avais une proposition.
- Désolé, je suis un peu à cran. Je m’ennuie pas mal
et je m’inquiète autant.
- Pas de problème.
- Dites-moi les filles, je ne vous dérange pas ? fit
la voix grave d’Enyalios.
- Non, pourquoi ? répondirent-elles en cœur.
- Non, rien.
Il renonça à essayer de s’incruster dans la conversation,
s’assit de l’autre côté du lit et observa son ancienne élève. Elle avait repris
des couleurs et si les pansements étaient assez impressionnant, elle en avait
eu des pires. Il était soulagé de la revoir. Et rassuré de voir qu’Alexia était
toujours là. Si elle était restée après Sassem, elle resterait quoi qu’il
arrive. Sa protégée était entre de bonnes mains.
- Bon, alors ta proposition ? reprit Alexia comme si
elles n’avaient pas été interrompues.
- Ma famille voudrait rencontrer Tia. Alors je me disais
qu’à sa sortie d’hôpital, je pourrais l’amener à la maison. Comme ça, toi tu
serais libre d’aller à ton stage avec Angelsson.
- Mais pourquoi ta famille veut la rencontrer ?
- J’imagine qu’ils savent qu’elle a un lien avec mes
récents allez-et-retours et les mouvements nombreux et conséquents des membres
de l’association et de nos fonds. Ne t’en fait pas, je pense qu’ils veulent
juste s’assurer que ce n’est pas une profiteuse ou quelque chose dans ce genre.
- Ok, mais dans ce cas, je préfère être là.
- Eh bien, je comptais sur toi pour m’aider à la traîner
là-bas alors pas de souci ! répondit-elle joyeusement.
- Ça
ne me plaît pas de la laisser.
- Tu n’as pas confiance en moi ? demanda son amie
gravement.
- Bien sûr que si. Là, n’est pas le problème… c’est juste…
- Que tu n’aimes pas être séparée d’elle.
- Oui, et puis je pensais qu’elle serait là pour mon stage.
Sans quoi, c’est moins… amusant.
- Peut-être qu’on pourra y faire un saut ? Si elle se
sent bien. Mais si tu n’y vas pas à cause d’elle, elle va s’en vouloir. Et elle
sera déçue aussi.
- Je sais. Écoute, on verra ça à sa sortie, ok ?
- Ok.
Chapitre
3 :
Les mois passèrent et l’état de Tia s’améliora
sensiblement. Si vite en fait, qu’elle sortit plus tôt que prévu. Ses enfants
qui étaient là, eurent droit à une visite guidée par ses soins. Ils rentrèrent
chez eux, à la fin des vacances de la Toussaint avec la satisfaction de savoir
que leur mère rentrerait définitivement, excepté pour le travail, pour les
vacances de Noël.
Le stage d’Alexia ayant lieu seulement le mois suivant,
elle put l’accompagner et rester avec sa compagne.
- Ça
tombe bien, fit-elle, ça fait un petit moment que je n’ai pas revu ta famille.
Tes parents m’ont beaucoup manqué.
- Et la réciproque est vraie. Ils seront ravis de te
revoir. Lance et Richard seront là aussi. Richard vient avec toute sa petite
famille.
- Oh, y’aura Drew et Jason alors ?
- Qui sont Drew et Jason ? l’interrogea sa petite
amie.
- Les enfants de Richard et Donna, lui répondit-elle. Et
Lance ? Il amène sa dernière conquête ?
- Non. Il est célibataire en ce moment.
- Ouaaah les miracles existent donc vraiment ?
La réflexion arracha un petit rire à Linya. Alexia attrapa
la main de Tia et la serra un peu en la regardant. Celle-ci avait le regard
fixé droit devant elle. Depuis sa sortie, mais aussi bien avant ça, elle
n’avait sourit qu’en de très rares occasions et elle n’avait plus fait aucune
de ses blagues tordues. Elle ne répondait même plus à celles de Linya. Son amie
lui avait dit que c’était sûrement un contrecoup de toutes ces semaines
d’immobilité, que ça finirait par passer, qu’elle devait être patiente.
« Mais Linya ne sait pas de quoi elle parle, songea la
jeune femme. Elle ne connait pas Tia comme je la connais. Même dans ses
pires moments, elle n’était pas aussi distante. Absente, oui. Mais pas
distante. »
La distance elle l’avait prise avec elle et, lui
semblait-il, avec la vie elle-même. Et ça, ça lui faisait vraiment peur. Elle
tenta une nouvelle approche.
- Linya, tu savais qu’il était possible, qu’un jour, si Tia
est d’accord bien sûr, je pourrais porter son enfant ?
La jeune femme s’étrangla avec son carré de chocolat et
finit par le recracher au loin. Rouge comme une tomate, elle la fixa d’un air
ébahi.
- P… porter son enfant ?! Tu te fous de
moi ?!
- Non, non. Ti m’a dit que c’était possible. Pas
vrai ? fit-elle en se tournant vers elle.
- En effet. Mais ce n’est pas très courant et ça ne
fonctionne pas à tous les coups.
- Bah, on n'aura qu’à essayer plusieurs fois. Un bébé de
toi, dit-elle toute excitée, ça en vaut la peine et puis, avec ton ADN, je
suis sûr qu’il s’accrochera ! Comme sa maman !
Son sourire heureux et sa joie toute simple touchèrent le
cœur engourdi de la mercenaire. Lentement, elle le lui retourna. La petite
étincelle qui pétilla alors, lui confirma qu’elle avait bien fait de faire cet
effort. Elle lui pressa gentiment la main et déclara :
- On en reparlera une autre fois.
- Bien sûr ! On a tout le temps maintenant !
Le temps… C’était vrai. Elle avait le temps, sembla-t-elle
réaliser seulement maintenant. Elle avait donc tout le temps qu’il lui fallait
pour régler ce qu’elle sentait s’agiter en son sein. Cette chose noire et
visqueuse qu’elle sentait vivre et se nourrir de son énergie, lui glaçait le
cœur et la distanciait de ce qui l’entourait.
Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. C’était comme
si cette chose était vivante. Elle avait peur de perdre ce qu’elle avait si
durement gagné et plus que tout, elle avait peur, le jour où ça arriverait, de
s’en foutre complètement.
Elle observa le visage de cette femme pour qui elle aurait
tout braver, tout affronter, et laissa les émotions éteintes depuis quelques
temps remonter à la surface. L’amour. La tendresse. La douceur. L’envie de la
toucher. Son besoin irrépressible de l’entendre rire. De lui faire plaisir…
Des mots montèrent en elle.
- Je t’aime.
Alexia tourna vivement la tête, étonnée.
- Qu… quoi ?!
- Je t’aime, répéta son amie gravement.
Alexia dut se mordre la lèvre pour ne pas se laisser aller
à l’émotion. Cela faisait des mois qu’elle attendait ces mots. Depuis la mort
de Sassem, elle ne lui avait plus dit un seul mot tendre. Elle n’était même
plus câline. Dans les premiers temps elle avait même semblé ne plus apprécier
ses contacts.
Avec le temps, elle l’avait vu se détendre et les
réapprécier. Mais c’était si lent, si laborieux, qu’elle ne s’attendait pas à
une si grande avancée avant encore plusieurs mois. Le simple fait de lui
presser la main était un vrai miracle !
Tia vit les larmes et levant son index en récupéra une, qui
hésitait à tomber. Elle la regarda un instant, puis leva les yeux sur sa
compagne.
- Je suis désolée. Je ne suis pas facile depuis quelques
temps. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais même pas d’où ça me vient. Je suis
juste… engourdie.
- Ce n’est pas grave, souffla-t-elle tout à sa joie. Ça va passer. Je t’y aiderai,
ajouta-t-elle en voyant son air sceptique. C’est un peu comme pour tes yeux, en
fait. Ton cœur est blessé. Il en a tant subi en si peu de temps. Il lui faut du
temps pour guérir et pouvoir à nouveau fonctionner normalement. Un peu de gym
et hop, il sera comme neuf !
- Peut-être.
- Ne t’en fait pas, déclara Linya, on va le faire
bosser ! On commencera par des trucs tout simples comme un peu de rigolade
et quand tu seras prête, on passera aux choses sérieuses, comme le sexe !
- Tu es en train de me proposer de coucher avec toi ?
lui demanda la grande femme avec un petit sourire.
- Faut voir, répliqua son amie. Il te faudra être
convaincante, mais qui sait ?
Tia secoua la tête, amusée mais fatiguée. Alexia ne chercha
pas à en rajouter comme elle l’aurait fait avant, d’ailleurs Linya s’arrêta là,
elle aussi. Cette phrase toute simple était déjà un progrès et Alexia s’en
contenterait.
- Ta cion aga mort, Je t'aime, lui répondit-elle
finalement en gaélique.
L’expression surprise, mais ravie, de sa compagne lui
confirma qu’elle avait bien fait de chercher d’autre langue dans laquelle lui
parler. Un sentiment profond de bien-être la prit. Alexia recommença enfin à se
sentir complète.
La mercenaire ne connaissait pas cette langue, mais elle en
comprit parfaitement le sens et la poésie des sonorités lui plu. Elle lui
caressa le dos de la main de son pouce et éprouva un soulagement intense à se
rendre compte que cela lui plaisait de nouveau. Peut-être que cette chose noire
en elle pourrait être contenue ? Peut-être même vaincue ? Si quelqu’un en
était capable, c’était Alexia. Elle croyait en elle et en son pouvoir comme en
personne d’autre sur terre.
Lex, sa Lex, pouvait mettre en échec cette bête tapie au
fond d’elle.
*********************************
Deux semaines plus tard, elles étaient toutes les trois dans la résidence
principale de la famille de Linya. Quoique étrange, la première semaine se
passa bien. La famille Obson fit bon accueil à Tia et sembla plus qu’enchantée
de revoir Alexia.
Ce qui rendit ce séjour étrange, fut l’obstination de ses
parents à tout connaître de la mercenaire, ainsi que les petites phrases
sibyllines, lourdes de sens mais qui ne voulait rien dire pour les trois
filles.
Déjà, la phrase avec laquelle ils avaient accueilli Alexia.
- Bienvenue dans la famille ! Depuis le temps que nous
l’espérions !
Pas, bon retour dans la famille, non, bienvenue. Bizarre.
Ensuite, ils n’avaient cessé de leur poser des questions étranges. Du
style : « Alors on va bientôt avoir droit à une fête ? » ou
encore : « il n’y a pas quelque chose que l’on devrait
fêter ? » et aussi : « Vous n’avez pas une nouvelle à nous
apprendre ? »
Linya supposait qu’ils parlaient de la participation de
Lyoko dans l’attaque et qu’ils souhaitaient avoir plus de détails, mais elle ne
comprenait pas pourquoi ils n’allaient tout simplement pas droit au but.
Leur attitude avec Tia était aussi assez spéciale. Outre
l’interrogatoire très serré auquel elle était soumise lorsqu’elle n’était pas
trop fatiguée, ils essayaient tous de se trouver des points communs avec elle.
Ils l’invitaient sans cesse à tout un tas de jeux, qu’elle ne connaissait pour
la plupart pas du tout.
Le seul bon point de tout ce ramdam, était que ça
distrayait la grande femme autant que sa compagne. Linya s’inquiétait pour
elles deux. A part en de rares occasions, Tia était d’humeur sombre, de plus en
plus en vérité, et Alexia ne savait plus quoi inventer pour la faire revenir
vers elle. A chaque fois, sa compagne lui disait qu’elle n’était pas partie et
ne partirait nulle part. Qu’elle l’aimait beaucoup trop pour cela.
Linya pensait que le problème de la mercenaire venait du
fait que le but de sa vie avait été atteint en tuant Sassem et qu’elle ne
savait plus quoi faire. Elle avait conseillé à son amie de lui en trouver un.
En conséquence, dès le début de la semaine, Alexia s’était
mise en tête de convaincre Tia de fonder une famille avec elle. Une où les
jumeaux auraient leur place bien évidemment. Elle lui parlait mariage, enfants,
installation…
Si Tia ne semblait pas choquer par tout cela, elle n’avait
pas non plus l’air enthousiaste. Mais Alexia n’en démordait pas. Elle allait
faire de leur famille, la nouvelle raison de vivre de Tia.
Linya pénétra dans la bibliothèque plongée dans le noir où
elle savait trouver la grande femme. Elle était debout devant la fenêtre,
baignée par le clair de lune. Elle vit grâce aux rayons doux, que la mercenaire
avait retiré ses lunettes et les avaient posés sur une étagère à portée de
main.
- Tia ? fit-elle un peu hésitante.
Dans cet élément, la grande femme semblait si parfaitement
à son aise, qu’elle en était un peu intimidante. Et son besoin de s’isoler
était si flagrant qu’elle craignait de troubler son tête à tête avec elle-même.
La mercenaire tourna la tête et le regard qu’elle posa sur
elle la transperça comme un laser. Elle recula d’un pas, saisie d’angoisse. Tia
s’en aperçut et s’empara de ses lunettes. Elle les mit sur son nez mais c’était
trop tard. Linya avait vu ce que cachait son amie.
Le feu brûlant qui couvait en elle et semblait avoir touché
l’essence même de son âme, la noirceur qu’elle avait décelé au milieu du bleu
de ses yeux, étaient impossible à oublier.
Alexia avait raison, Tia allait mal et s’était bien plus
grave et bien plus profond que ce qu’elles craignaient.
- Oui ? fit la voix grave de son amie.
- Je… euh… tu vas bien ? ne put-elle s’empêcher de
demander.
La mercenaire resta un moment silencieuse. Elle avait
remarqué la réaction de Linya. Elle avait vu. Servirait-il à quelque chose de
prétendre le contraire ?
- Pas vraiment, répondit-elle enfin. Mais ce n’est pas une
chose contre laquelle tu puisses quoi que se soit.
- Et Alex ? tenta-t-elle encore.
Un silence. Puis tout bas, un mot léger comme une aile de
papillon :
- J’espère…
Linya hésita. Devait-elle pousser plus loin ? Elle
avança d’un pas et posa une main sur son bras. Elle remarqua avec soulagement
que la grande femme ne tressaillit pas. Elle posa son regard sur les lunettes
et leva une main hésitante vers elle. Voyant que son amie ne faisait rien pour
l’en empêcher, elle les lui retira et put enfin plonger son regard dans le bleu
profond des yeux de sa compagne.
Elle n’y vit plus ce feu brûlant qu’elle craignait. Une
grande tristesse et une lassitude toute aussi grande, l’avait remplacé.
- On est amies Tia, commença-t-elle en ne quittant pas son
regard une seconde. Tu peux tout me dire. Même ce que tu ne peux pas avouer à
Alexia. Mais si tu penses qu’elle peut t’aider en quoi que se soit, alors
n’hésite pas. Parle-lui. Car il n’y a rien en ce monde, qu’elle ne ferait pour
toi.
- Je sais.
Mais le savoir et se l’entendre dire était deux choses bien
distinctes. La tristesse en elle sembla refluer un peu.
- Mais je ne suis pas sûre qu’elle y puisse quelque chose.
- Mais tu n’es pas certaine du contraire non plus. Tente ta
chance, qu’as-tu à perdre ?
- Mon dernier espoir ?
Linya passa une main sur sa joue.
- Qu’est-ce qui te trouble ainsi ? fit son amie avec
inquiétude.
Tia l’observa. Pouvait-elle lui parler de cette bête noire
tapie en elle et qui ne demandait qu’à sortir ? De sa lutte constante
contre elle, et qui l’épuisait ? De sa soif de sang si brûlante qu’elle
avait l’impression de disparaître chaque jour un peu plus derrière cette
chose ?
- J’ai peur de ne plus exister, dit-elle finalement.
Linya ne comprenait pas. C’était visible à son expression
mais elle ne lui en voulait pas. Qu’y pouvait-elle ? Elle ne connaissait
rien à la mort, à l’assassinat, encore moins à la vengeance.
Elle n’aurait jamais dû tuer Sassem comme elle l’avait
fait. Ça l’avait changé. Et
elle ne voyait aucune porte suffisamment solide derrière laquelle ranger cette
horreur, aucun bouton de retour en arrière. Rien. Rien que ce cri qui lui avait
répondu et semblait contenir tout ce qu’elle était.
Et puis deux yeux verts surgirent.
Du tréfonds d’elle-même, la douce chaleur qui accompagnait
ce regard, l’envahit. Alexia. A chaque fois qu’elle s’imaginait perdue, Alexia
surgissait et disait ou faisait ce qu’il fallait pour la soulager.
- Ça
va, fit-elle en revenant au présent.
Elle prit la main de Linya et la retira de sa joue.
- Je parlerais à Lex.
- Promis ?
- Promis. Mais…
- Mmm ?
- Merci. Tu… ça fait du bien de savoir qu’en cas de
problème, j’ai quelqu’un d’autre vers qui me tourner.
- Pas de problème ! répondit la blonde avec un sourire heureux.
La peine de Tia avait sensiblement diminuée, elle décela
même une étincelle de joie lorsqu’elle lui retourna son sourire.
- Au fait, pourquoi étais-tu là ? lui demanda-elle en
remettant ses lunettes.
- Oh oui, fit-elle en se tapant sur le front, le
dîner ! Je suis venue te chercher.
- Alors, je te suis.
Parvenue au salon, Mme Obson renvoya sa fille à la
recherche d’Alexia et invita Tia à s’asseoir à ses côtés. En face d’elle, se
trouvait un oncle de Linya qu’elle salua d’un bref hochement de tête.
On servit un verre de vin à la mercenaire en attendant que
les autres convives arrivent et la conversation roula sur divers sujets
mondains jusqu’à ce que Mme Obson ne se racle la gorge et ne se tourne vers
elle, l’air un peu nerveuse.
- Alors dites-moi Mlle Kensington, c’est sérieux ?
- Quoi donc ? fit-elle en fronçant les sourcils.
- Eh bien, vos… euh… relations. Vous, eh bien, vous semblez
très bien vous entendre et ma foi, cela m’amène à m’interroger.
Tia était un peu perdue. Elle avait compris qu’elle parlait
de sa relation avec Lex mais elle ne comprenait pas vraiment le sous-entendu.
- A quel propos ?
- Envisagez-vous de vous marier ?
Tia cracha sa gorgée de vin sur son voisin et s’excusa en
bafouillant. Ça
s’était une question qu’un père posait à son futur gendre ! Alors, bon,
Alexia n’était pas en bon terme avec le sien, et elle savait que la famille de
Linya était comme une seconde famille pour elle, mais elle ne s’attendait
vraiment pas à ça !
- Euh… eh bien, oui. Pas tout de suite, mais… oui.
Sûrement.
- Oh. Mais, ce ne sera pas un peu difficile ? s’enquit
la femme un peu perplexe.
- Difficile ?
Pourquoi ça serait difficile ? Les mariages gays
étaient légaux quasiment partout !
- Oui, eh bien, vous savez, ce… heu… genre de couple n’est
pas très orthodoxe, enfin, ce que je veux dire, c’est qu’il ne doit pas être
évident de trouver quelqu’un qui voudra vous marier.
Tia cligna des yeux plusieurs fois. Cette conversation
était surréaliste.
- Euh… eh bien, je connais quelques endroits où ça ne
posera pas de problème, répondit-elle enfin avec l’impression d’être dans un
rêve.
- Oh vraiment ? Merveilleux ! s’exclama la
maîtresse de maison enchantée. D’autant plus que si vous envisagez le mariage
avec autant de sérieux, cela signifie que cette relation n’est pas une
expérience ou une passade. C’est excellent ! Vous êtes une personne très
correcte, je suis ravie de vous accueillir dans notre famille !
- Ha ? Et bien, merci.
- Tu entends ça Andrew, fit-elle à son époux. Nous qui
désespérions de voir notre fille se ranger un jour ! C’est merveilleux,
positivement merveilleux, reprit-elle à l’attention de la mercenaire en lui
tapotant le genou.
Qu’est-ce que Linya venait faire là-dedans ?
- Je ne vous cache pas que lorsque nous avons appris votre
relation particulière, nous avons été un peu choqués. Cela dit, nous avons bien
vu qu’elle était heureuse ainsi et que vous êtes une personne bien. De plus
nous sommes ravis de voir Alexia faire enfin partie officiellement de notre
famille ! Alors tout va pour le mieux !
Tia la fixait confuse. Mais de quoi parlait cette bonne
femme ?!
- Excusez-moi, vous parlez de moi et Linya ? Et
Alexia ?
Mme Obson hocha vigoureusement la tête.
- Comme un couple, vous voulez dire ?
- Bien sûr, Lance nous a dit que vous formiez un trio.
Un trio ?!!!!!
Un trio ?!!!! Un… TRIO ?!!!!!!!!!!
La mâchoire de la jeune femme se décrocha. Au même moment Linya et Alexia
franchirent le pas de la porte.
- Les filles, lança la mère de Linya toute guillerette, Tia
viens de nous affirmer qu’elle envisageait le mariage ! Je suis ravie pour
vous trois ! Je ne savais pas que l’on pouvait mariez les trios, mais
c’est une excellente nouvelle, fit-elle en serrant leur main entre les siennes.
Les deux filles tournèrent la tête vers la mercenaire qui
n’avait pas bougé de sa place et affichait toujours une expression stupéfaite.
Puis un mot fit tilter Linya.
- Attends une seconde maman, tu as dit un trio ?!
- Oui. Lance nous a annoncé cette extraordinaire nouvelle
il y a quelques mois. Nous avons mis un peu de temps à nous y faire, mais Tia
est une jeune femme sérieuse et elle prend votre relations très au sérieux ce
qui nous rassure beaucoup.
Linya laissa pérorer sa mère et se tourna vers son frère
avec colère :
- Lance ! cria-t-elle, qu’est-ce que tu es encore
allez raconter ?!
FIN.
Pour l’instant…