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14 février 2010

Réparation, chapitre 1B

Réparation

CHAPITRE 1er – 2ème Partie

Ecrit par Susanne M. Beck (Sword'n'Quill)

 

*******

Bien qu’elles n’échangèrent plus un seul mot, l’expression d’amour intense et infini subsista dans les yeux brillants d’Ice tandis que les gardes, un peu plus doucement cette fois, l’entrainèrent hors de la pièce en refermant la porte derrière eux.

« Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? » Demandai-je à Donita après quelques instants à fixer la porte dans l’espoir qu’elle se rouvre et qu’Ice me revienne.

Elle ferma sa mallette avec un claquement autoritaire et mit son bras autour de mes épaules avant de m’emmener dehors. « C’est une chose dont il faut que nous parlions. »

« Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je ne vais pas aimer ce que vous allez me dire ? »

« Certainement parce que vous ne l’aimerez pas », répondit-elle avec sincérité.

Nous empruntâmes ensemble le couloir pour sortir du tribunal jusqu’à la table abritée sur la pelouse, le silence grandissant et lourd entre nous.

Après que nous nous fûmes assises, Donita tendit la main et saisit la mienne. Elle sourit légèrement. « Une des conditions de l’accord est que le procureur veut que vous soyez placée dans le service de protection des témoins », commença-t-elle.

« Quoi ? Et pourquoi ? »

« Pour commencer, vous êtes la seule qui peut identifier Cavallo comme étant celui qui a tiré sur Ice au Bog. Et nous allons avoir besoin de chaque parcelle de preuve que nous pourrons déterrer pour nous assurer qu’il peut être condamné sur des accusations qu’il ne pourra pas réfuter pendant le procès. »

« Vous avez sûrement plus que cette agression à lui attribuer. »

« Oui, mais c’est un serpent et il a un avocat qui est un serpent encore plus grand. Cet homme pourrait faire innocenter Satan s’il le voulait. » J’eus l’impression d’entendre une touche d’admiration à contrecœur dans sa voix, mais lorsque je levai les yeux, son regard n’était rempli que de répulsion.

« Et bien, j’espère que vous, et tous les autres, vous savez que je ne vais pas accepter. »

Elle sourit. « Non, je sais que vous ne le ferez pas. Ça a demandé un peu de diplomatie mais j’ai réussi à convaincre le procureur de vous mettre sous ma garde. »

« Ce qui veut dire ? »

« Ce qui veut dire que je dois m’assurer que vous ne déciderez pas de refaire une petite balade nocturne de l’autre côté de la frontière, Angel. »

Je sentis mon dos se raidir et mes dents se serrer en l’entendant. « La dernière fois que j’ai vérifié, Donita, j’étais toujours une citoyenne américaine », commençai-je, le ton de ma voix plus glacial que le nom de ma compagne. « Est-ce que quelque chose aurait changé sans que j’en sois avertie ? »

« Non. »

« Alors pourquoi suis-je assignée à résidence ? »

Donita soupira. « Vous n’êtes pas assignée à résidence, Angel. Si vous vous en souvenez, je suis précisément en train d’essayer d’empêcher que ça soit le cas. »

« Et comment, Donita ? Et encore plus important, pourquoi ? Puisque je semble être la pierre angulaire sur laquelle tout ce château de cartes est construit, vous ne pensez pas que je mérite de savoir ? »

« Angel, je vous ai dit tout ce que je pouvais vous dire. J’opère selon des contraintes très sévères. Le privilège client-avocat étant le plus infime de tous. »

« Alors je présume qu’il n’y a plus grand-chose à se dire, non ? » Dis-je, bien consciente que j’étais grossière sans m’en soucier un seul instant. Je me levai et la regardai sans sourire. « Merci. Je m’en vais maintenant. Et ne vous inquiétez pas que je quitte le pays. Le Canada ne signifie plus rien pour moi maintenant. »

« Angel, attendez », cria-t-elle avant que j’ai fait plus de quatre pas.

Je m’arrêtai mais sans me retourner.

Un bref instant plus tard, sa présence chaude remplit l’espace près de moi. « Je suis désolée. Je sais que ça n’a pas été facile pour vous. »

« Vous avez raison. Ça ne l’a pas été. » Après avoir débattu intérieurement quelques secondes, je me tournai vers elle. « Donita, j’ai regardé la femme que j’aime plus que tout au monde, être entraînée loin de notre maison, enchaînée. J’ai passé trois mois à me rendre compte que je n’avais jamais su ce qu’était l’enfer avant de m’y retrouver vraiment. Chaque avenue que j’ai empruntée s’est avérée être une impasse. Chaque appel à l’aide a fini par n’être qu’une autre porte qu’on me claquait à la figure. Et quand je pense que je vais enfin obtenir quelques réponses, je réalise que non seulement le voyage n’est pas près de se terminer, mais qu’il ne fait que commencer. Je suis sûre que vous allez me pardonner si ça me rend un peu amère. Je ne peux simplement pas m’en empêcher. »

Elle posa la main timidement sur mon épaule, les yeux emplis d’une compassion chaleureuse. « Vous avez toutes les raison d’être amère, Angel. En fait, je suis surprise que vous ne preniez pas tout ça plus mal encore que vous ne le faites. »

« Et bien, je dois admettre qu’acheter une arme et aller au Bog pour faire évader Ice présente un certain attrait à cet instant », concédai-je.

Elle rit doucement. « J’en suis persuadée. Pour être franche, ça a un certain attrait pour moi aussi. Même si ce n’est pas une solution réaliste. »

« Alors qu’est-ce qui l’est ? »

Elle laissa tomber ses épaules. « Rien, Angel. Nous sommes coincées entre un rocher et un mur. Il y a plus de choses au sujet de Cavallo que vous ne le savez. Il suffit de dire qu’il a des amis dans des endroits très haut placés et que ces amis ont intérêt à s’assurer qu’il ne soit pas pris. »

Je sentis que je me détendais un peu, sachant qu’elle faisait de son mieux pour me dire des choses qu’elles ne pouvait me dire de la seule façon qu’elle le pouvait. « Mais pourquoi Ice ? A part ses « talents spéciaux », elle n’est qu’une femme seule. Que peut-elle faire que la police, ou quiconque d’autre, ne peut faire ? »

« Elle peut faire le travail. Elle sait comment il pense, comment il agit, ce qu’il va faire. Elle a été à sa place et elle connait ses faiblesses. Elle est la mieux placée pour ce boulot pour le dire aussi simplement que je peux. »

Après avoir réfléchi à ses paroles pendant un moment, je hochai la tête. « Pouvez-vous quand même répondre à une question encore ?

« Si je peux, Angel. »

« Pourquoi est-ce que vous ne vous êtes pas opposée à ça ? » Je levai la main lorsqu’elle ouvrit la bouche pour répondre. « Je sais que, peu importe la force de votre accusation, il y a toujours une possibilité que le verdict se retourne contre vous. Croyez-moi, personne ne le sait mieux que moi. Mais… même si c’était le cas, et même si j’étais accusée et condamnée, pour autant que ça puisse vous paraître horrible, je serais plus heureuse en prison avec elle que libre sans. »

Elle sourit. « Ça ne semble pas si horrible, Angel. Mais ça n’arrivera simplement pas. »

« Que voulez-vous dire ? »

Elle baissa les yeux vers le sol et eut l’air de préparer ses mots avec précautions. « Depuis qu’Ice a été reprise, Angel, elle a passé vingt-trois heures par jour au Trou. Pas parce qu’elle a fait quelque chose de mal, mais parce qu’elle est considérée comme présentant un énorme risque d’évasion. »

« C’est inhumain ! Ils ne peuvent pas la garder là-dedans pour toujours ! » Je sentis tout mon corps s’engourdir à la pensée de ce que ça lui ferait, mon esprit retournant à la dernière fois où elle avait été enfermée au Trou, et la carapace qu’elle s’était forgée à cause de ça.

« Non, ils ne le peuvent pas. S’ils essayaient, j’aurais tellement de manifestants devant le Bog que le directeur penserait que ce qui s’est passé avec Corinne était une petite réunion de supporter de foot en comparaison. » Elle posa la main sur mon bras. « Et il le sait aussi. C’est pourquoi, aussitôt que le procès sera terminé, il veut qu’elle soit transférée. »

« Alors, même si j’étais condamnée, nous ne serions pas ensemble. » Lorsque cette pensée fit son chemin, je commençai à me rendre compte de pourquoi Ice avait accepté le marché. Ça m’aida aussi à comprendre les lettres retournées et tout ce dont j’avais souffert ces trois derniers mois.

« J’ai bien peur que non. »

« Quand est-ce que je pourrai la voir ? »

« Je ne sais pas. Probablement pas avant un bon moment. » Bien que ces mots résonnaient avec justesse à mes oreilles, il y avait une sorte de connaissance cachée dans ses yeux que, pour autant que je m’y employais, je ne pus déchiffrer. Et je sus aussi qu’elle devina que je le vis. Son regard me pria de ne pas poser la question à laquelle elle ne pouvait répondre.

Avec un soupir, je me calmai un peu. « Bon, je vous pose à nouveau la question. Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? »

« Le plus important pour vous, c’est de rester en sécurité pendant tout ça. » Son sourire était légèrement de travers. « L’accusation a peut-être des comptes à rendre à ceux qui veulent la peau de Cavallo, mais moi, je dois répondre à Ice. Et personnellement, si quelque chose tournait mal, je préfèrerais être à leur place qu’à la mienne. Eux, ils n’encourent que le risque d’être virés… »

Tandis que sa voix s’éteignait, je ne pus m’empêcher de rire, sachant que ces mots étaient vrais bien qu’une part de moi n’aimait pas du tout l’implication que je ne pouvais assurer ma propre sécurité. Cependant, le reste se souvenait très bien de ma dernière virée avec les hommes de Cavallo et n’était pas si fière pour ne pas accepter de l’aide quand elle était proposée.

« J’ai des amis qui sont très heureux de vous offrir un endroit où rester pendant tout ce temps. Ce sont de braves gens, Angel, et ils ont un ranch très, très retiré au sud de Tucson en Arizona. »

« L’Arizona ? Mais c’est… »

Donita m’attrapa les deux épaules et me regarda droit dans les yeux. « Cavallo n’est pas ici, Angel. »

« Quoi ? Qu’est-ce que ça a à… »

« Il n’est pas ici. » Une fois encore, ces yeux marron foncé me priaient de prendre ce qu’elle disait pour argent comptant et d’avoir simplement confiance dans son explication, aussi pauvre qu’elle était.

Bon, je ne suis peut-être pas toujours l’ampoule la plus lumineuse du paquet, mais à certaines occasion, je suis connue pour savoir additionner deux et deux et obtenir le quatre attendu. « Alors, si Cavallo n’est pas ici », dis-je en mettant la même emphase sur le mot, « il pourrait bien être quelque part, disons, au sud-ouest de Pittsburgh ? »

Son sourire était plutôt connaisseur. « Ce vieux monde est plutôt grand, Angel. Qui sait quelle partie il est en train d’empuantir ? »

La foi a toujours été un ennemi insaisissable. Au moment même où je pense la tenir, au moment où je pense avoir été récompensée de l’avoir attrapée, elle me glisse à nouveau des mains, me laissant me maudire pour avoir été assez bête pour croire en son existence en premier lieu.

Et voilà qu’on me demandait de l’attraper à nouveau.

Ou peut-être pas. La foi est un animal. La croyance, cependant, en est un autre. Et même si je n’avais pas cru en Donita – ce que je faisais, ma croyance en Ice, même après tout ce qui était arrivé depuis sa capture, restait absolument inébranlable.

Et je savais, avec chaque fibre de mon être, que tandis que Donita prononçait les mots, Ice était celle qui tirait les ficelles.

Alors, à la fin, le choix était plutôt simple. La montagne était élevée, mais je savais sans aucun doute qu’il y aurait un filet de sécurité pour amortir ma chute si je choisissais de me moquer de la hauteur et tenter le saut. Et avec cette certitude, je fis la seule chose que je pouvais faire. La seule chose que mon cœur et mon âme me permettraient de faire.

Je crus.

Donita dut le voir dans mes yeux, ou dans la façon dont je serrais la mâchoire, parce qu’elle sourit et me pressa la main. « Vous êtes une femme très spéciale, Angel. »

« Ouais, et bien, ce n’est pas toujours le don que les gens voient le plus. J’ai aussi des doutes, comme tout le monde. »

« Je le sais, Angel », répondit-elle. « Et je sais que c’est dur. S’il y a quelque chose d’autre que je peux faire pour l’adoucir, je le ferai. J’espère que vous le savez. »

« Je le sais, Donita. Croyez-moi, si je ne le savais pas, je ne serais pas en train de vous parler en ce moment. » Après un moment de silence, je relâchai sa main et la regardai dans les yeux. « L’Arizona, hein ? »

« L’Arizona. »

A la façon dont elle me sourit, j’eus le sentiment qu’un peu de temps passé dans la chaleur et le soleil perpétuels ne serait pas une si mauvaise idée après tout.

*******

« Elle est… grande », commentai-je à mon avocate en regardant une femme de la taille d’une petite montagne venir depuis une grande berline garée au coin du tribunal vers la table que nous occupions. Visiblement d’origine indo-américaine, elle avait des longs cheveux noir corbeau tombant jusqu’à la taille, une peau cuivrée couverte de tatouages compliqués, des yeux en forme d’amande plus noirs qu’une nuit de tempête, et le corps d’une version féminine d’Arnold Schwarzenegger, avant son attaque cardiaque. Des bras énormes aux muscles épais sortaient d’une chemise en coton sans manches, balançant avec aisance à chaque pas. Des jambes aussi solides et énormes que des chênes adultes tiraient sur les coutures d’un jean usé.

Je la fixai tandis qu’elle approchait et fut forcée d’admettre que mes mots n’étaient absolumment pas adéquats. Simplement désigner cette femme sous le mot de ‘grande’, c’était comme de dire de ma compagne qu’elle était ‘jolie’. Était-ce vrai ? Oui. Mais ça désignait à peine l’éminence qui se présentait à moi.

Avant que Donita ne puisse répondre, si même elle en avait l’intention, la femme s’arrêta à moins d’un mètre de nous, remplissant mon champ de vision de toute sa taille. Nous nous levâmes ensemble, le sourire de Donita chaleureux et accueillant. « Angel, j’aimerais te présenter mon amie, Rio. Rio, voici Angel. »

Imitant l’expression de Donita, je tendis la main. « Bonjour, Rio. Ravie de vous rencontrer. »

L’inverse, cependant, semblait positivement faux.

C’est presque comme si je rencontrais Mouse ou Derby pour la première fois au Bog, tellement je me retrouvai enveloppée dans un courant froid lorsqu’elle me regarda. Ses yeux mats et noirs ne contenaient pas même un soupçon de chaleur et son expression me dit sans aucun doute qu’elle m’avait jaugée avec soin et qu’elle me trouvait sans intérêt.

Mais la femme qui était sortie du Bog était totalement différente de celle qui y était entrée. Et cette femme-là avait encore plus changé pendant cette dernière année. Au lieu de baisser les yeux comme j’aurais pu le faire à l’époque, je croisai son regard, directement, ne ressentant qu’une vague inquiétude tandis que les secondes se transformaient en minutes.

Ce fut Donita qui finit par mettre fin à cette impasse en se mettant entre nous deux pour poser une main sur mon bras tout en regardant Rio. « Est-ce que les bagages sont faits ? »

« Ils sont dans le coffre. »

« Tout est prêt alors ? »

« Ouais. »

« Merci. On arrive dans un instant. »

« Bien. »

Et sur ces mots, elle tourna les talons et repartit là d’où elle était venue.

« Si c’est un avant-goût de ce qui m’attend, Donita, je pense que je vais tenter ma chance avec Cavallo », murmurai-je à demi tandis que Rio prenait position près de la voiture et fixait le trafic comme pour défier quiconque de venir l’emboutir.

« Je ne suis… pas sûre de savoir ce qui ne va pas chez elle, Angel. D’habitude, c’est l’une des personnes les plus gentilles que je connaisse. »

« Peut-être qu’elle a quelque chose contre les blondes aux yeux verts. »

« Non. Pas du tout. Elle est un peu réservée parfois, oui, mais… »

« Réservée ? ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, Donita, mais cette femme fait ressembler Ice à uen voisine de palier bavarde ! »

Avec un sourire un peu désabusé, elle se tourna pour me faire face. » Donnez-lui un peu de temps pour vous connaître, Angel. C’est vraiment quelqu’un de bien et avant que vous ne vous en rendiez compte, elle aura rejont votre fan-club comme tous ceux qui vous rencontrent. »

« Je n’ai pas besoin de fans, Donita. Ce dont j’ai besoin à l’instant, c’est de quelqu’un qui ne me regarde pas comme quelque chose dans lequel il vient de marcher sur le trottoir. Croyez-moi, je n’ai aucune envie qu’elle me déloge en frottant sa chaussure. »

« Ça n’arrivera jamais, Angel. Je vous le promets. S’il vous plait, vous voulez bien faire un essai ? »

Après un moment, je haussai les épaules. « Pourquoi pas ? Au pire, j’ai toujours Corinne et sa théière magique de mon côté. »

En riant, Donita m’entoura de ses bras et m’attira à elle pour m’embrasser sur la joue. « Vous êtes vraiment unique, Angel », murmura-t-elle dans mon oreille. « Et Ice est une femme fichtrement chanceuse. »

« Rappelez-le-lui quand vous la reverrez », dis-je, en blaguant à demi. Je l’étreignis une dernière fois et m’écartai. « Merci, mon amie. Bien que ça n’en ait pas l’air en ce moment, j’apprécie vraiment tout ce que vous avez fait. Je ne sais pas où Ice ou moi serions sans vous. »

« A votre service », répondit-elle, ses yeux noirs brillants. « Faites attention et restez à l’abri, d’accord ? »

« D’accord. »

« Allons-y alors. »

Côte à côte, nous allâmes jusqu’à l’énorme berline argentée, une voiture qui aurait pu faire un tabac avant la crise pétrolière mais qui, maintenant, dans ces jours de dégraissage, pouvait donner l’impression d’appartenir à un membre du Congrès. Bien que je n’ai aucune envie d’être traitée comme la passagère d’un taxi, le langage du corps de Rio m’exprima clairement que soit j’allais voyager à l’arrière avec Corinne, soit je serais forcée de faire appel à mes talents de randonneuse si je voulais jamais voir l’Arizona.

N’ayant jamais fait de randonnée, j’optai sagement pour la première solution et me glissai à l’arrière de la voiture gigantesque avec empressement, rentrant promtement mes pieds pour ne pas les voir amputés par une porte fermée rapidement. « Servie avec un grognement », fis-je remarquer doucement à Corinne en essayant de replacer des parties de vêtements froissés dans des creux inconfortables par mon entrée abrupte dans le véhicule.

« J’ai remarqué aussi. Ce comportement ne lui ressemble pas. »

Je tournai des yeux ronds vers elle. « Tu la connais ? »

« Bien sûr. »

Ce qui, bien entendu, ne pouvait signifier qu’une seule chose. « Au Bog, c’est ça ? »

« Comme si je m’étais fait des amis et des connaissances influentes ailleurs, Angel », répliqua Corinne en me poussant légèrement du coude. « Pas pendant les quarante dernières années et quelques, en tous cas. »

« S’il te plait, ne me dis pas que je vais avoir une autre Derby sur les bras », dis-je en gémissant.

Corinne ricana. « Comme si Ice laisserait quelqu’un comme ça à moins de cent kilomètres de toi. »

Ma réplique fut abruptement arrêtée lorsque la portière du conducteur s’ouvrit et que Rio glissa sa stature massive derrière le volant. Pas un mot ne passa entre nous tandis qu’avec le rugissement du moteur et le crissement des pneus, je me retrouvai en route vers un autre futur inconnu. Mais cette fois, les kilomètres ne m’emmenaient pas vers un futur pavé de possibilités presque sans limites et merveilleuses. Ils m’entrainaient plutôt loin de la seule et unique possibilité que je voulais – dont j’avais besoin – dans ma vie.

Ice.

Il me fallut chaque parcelle de la force déclinante que je possédais pour ne pas sauter par-dessus le siège et lutter pour reprendre le volant à la babysitter monstrueuse que j’avais si récemment – et à contrecoeur – acquise. Même la pensée de ce à quoi ressemblerait mon visage après que j’aurais échoué lamentablement, ne me faisait pas hésiter.

Mais l’expression dans les yeux de Ice tandis qu’elle me demandait silencieusement d’avoir confiance en elle, fit le nécessaire et, avec les poings et la mâchoire serrés, je m’affaissais à nouveau dans le cuir doux et usé du siège arrière et regardais les kilomètres défiler avec des yeux fatigués et tristes.

*******

Environ trois heures plus tard, à vue de nez, trop de nuits courtes combinées avec le doux bercement de la grande voiture, alourdirent mes paupières qui se fermèrent de la façon dont elles le faisaient lorsque j’éais enfant et que je voyageais à l’arrière du break de mon père.

Avec cette extraordinaire clairvoyance qu’elle semblait toujours posséder, Corinne lut dans mon esprit comme dans un de ses livres de bibliothèque précieux et avec un sourire chaleureux, elle me tapota les cuisses. Bien trop fatiguée pour jouer au dentiste et évaluer les dents d’un cheval donné, je saisis son invitation sans hésiter une seconde. Je laissai son odeur réconfortante emplir mes sens et me plongeai dans ce que j’espérais être un sommeil paisible.

C’était une chaude journée d’été.

Le genre si parfaite qu’elle semblait avoir été faite juste pour moi.

Le ciel, d’un bleu brillant et intouchable, semblait être la cour de récréation parfaite pour le soleil naissant.

Je me trouvais assise sous l’ombre accueillante d’un pin majestueux, écrivant ostensiblement dans mon journal. Mais ce que je faisais réellement, c’était observer la splendeur qu’était ma compagne allongée sur le radeau en bois qui flottait, lesté par des barils d’essence vides, à peu près à cinquante mètres au centre du lac.

Dressée sur ses coudes, la tête rejetée en arrière de telle façon que la masse de ses cheveux noir d’encre trainait sur le bois usé, les yeux fermés et les lèvres légèrement ouvertes, et ses longues jambes bronzées allongées, elle semblait être l’incarnation du poster pour la première excursion en solitaire de tout gamin vers le bonheur nocturne.

Je ressentis une poussée de jalousie en regardant le soleil faire doucement l’amour à sa silhouette bronzée et magnifique.

Mon journal tomba sans que je le remarque sur le nid odorant des aiguilles de pin et je me levai et retirai le long tee-shirt qui couvrait mon maillot de bain, le jetant sans y faire attention Dieu sait où tandis que je courais sur la plage étroite pour entrer dans l’eau tiède, soudain incapable de rester séparée d’elle une seconde de plus.

Mes bras s’échauffèrent rapidement pour me propulser aisément dans l’eau. Ayant mémorisé depuis longtempsle nombre exact de brasses dont j’avais besoin pour aller de la rive au radeau, je sortis ma main à l’aveugle à quarante et fut surprise quand elle ne rencontra que de l’air.

Je clignai des yeux pour enlever les gouttes, puis je balayai l’eau pour découvrir si ce que je pensais voir était bien, en fait, ce que je voyais.

Le radeau était aussi loin qu’il l’avait été quand j’avais commencé à nager.

Si je n’avais pas eu l’absolue certitude que le radeau était ancré avec un bloc de ciment, j’aurais pu penser qu’Ice jouait avec moi.

« Ice ? » Demandai-je, sachant bien qu’elle allait m’entendre par-dessus les eaux calmes du lac. Nous étions seules après tout.

Si elle m’entendit, elle choisit d’ignorer mes appels, semblant se satisfaire de la séduction incessante du soleil sur son corps.

Je haussai mentalement les épaules et repartis, comptant avec soin mes brasses et me rapprochant à chacune de la femme qui tenait mon cœur.

Quelque chose effleura le dessous de mon pied mais je pris cela pour un poisson inquisiteur et continuai sans crainte.

Quand le contact se répéta, je poussai fortement du pied qui atterrit sur une surface douce et qui s’enfonça. Et qui n’était assurément pas un poisson. A moins que je n’aie raté le cours de biologie qui m’aurait appris que les poissons avaient soudainement développé la capacité – sans mentionner les appendices – nécessaires pour attraper la cheville de quelqu’un et tirer. Fort.

Je réussis à prendre une inspiration surprise avant d’être tirée vers le bas, et je donnai des coups de pieds de toutes mes forces, utilisant tous les tours qu’Ice m’avait enseignés pendant les années passées ensemble, ainsi que quelques-uns induits par la panique et qu’elle ne m’avait pas appris.

Finalement capable de me libérer pendant un quart de seconde avant que le besoin de prendre une autre inspiration ne se traduise par une noyade plutôt rapide, je montai à la surface et emplis mes poumons d’un air bienvenu.

« Ice ! » Hurlai-je lorsque je retrouvai mon souffle, entendant la panique pure dans ma voix tandis que le nom de ma compagne faisait écho sur le lac.

Toute chance d’entendre sa réponse finit brutalement quand la main, rejointe par d’autres, trouva mes jambes qui se débattaient et me tira à nouveau sous l’eau maintenant glaciale.

Je me forçai à garder les yeux ouverts et regardai vers le bas, hurlant presque en voyant les cadavres grimaçants et bouffis d’eau de Carmine et de ses accolytes qui s’amassaient autour de moi comme des requins autour d’une baleine ensanglantée. Le sang coulait de leurs blessures, obscurcissant l’eau tandis que leurs mains, gluantes et pourrissantes, s’enroulaient autour de mes chevilles, de mes poignets et de ma taille.

Je me tordis de toutes mes forces et fut capable de me libérer, utilisant les corps en dessous de moi pour me repousser et foncer vers la surface.

Mon soulagement fut de courte durée, cependant, et après une inspiration rapide, je fus à nouveau tirée vers le bas. Et je sus sans aucun doute que ma première bouffée de liberté serait aussi la dernière.

Juste au moment où le manque d’oxygène commençait à devenir un appel séducteur des sirènes vers la mort, une autre main m’attrapa, de dessus cette fois, et je me sentis tirée vers la surface du lac par une force que je connaissais et aimais bien trop.

« Ice ! » Hurla mon esprit avec sa dernière énergie, mes poumons se préparant à prendre leur première inspiration fraîche dans ce qui avait semblé être des siècles d’attente torturée.

« Je te tiens, Angel. » Le contralto ronronnant bienvenu de ma compagne me parvint. « Accroche-toi. Je te tiens. »

Et je m’accrochai assurément à elle, de mes deux bras et deux jambes, tandis que je prenais de grandes inspirations essoufflées et tentais de fondre nos corps l’un dans l’autre.

« C’est bon, mon amour. C’est bon. Je te tiens. Tu es en sécurité maintenant. »

Je lui donnai toute ma confiance jusqu’à la seconde où une main froide comme la mort s’accrocha au bas de mon maillot de bains et me tira une fois de plus sous l’eau, entrainant Ice avec moi cette fois.

Bien que nous luttions avec une force qui pouvait rivaliser avec celle des anciens Titans, nous aurions tout aussi bien pu lutter contre le poids de la Terre tandis que nous étions entrainées sans cesse dans les profondeurs ténébreuses et emplies de sang du lac.

Sachant très bien que je ne reverrais plus jamais le ciel, mon âme fit la seule chose qu’elle pouvait.

Je détachai ma prise et tentai de pousser ma compagne vers la surface lointaine, sachant que quelque soit l’enfer dans lequel je me retrouverais, il serait infiniment pire avec l’idée d’avoir causé sa mort.

Elle découvrit ses dents dans ce sourire féroce qui m’effrayait autant qu’il me faisait frissonner, et secoua la tête pour m’attraper à nouveau.

Mais cette fois, au lieu de lutter, elle pressa nos lèvres dans ce que je pensais être un dernier baiser. Mes yeux s’agrandirent de choc tandis que je sentais le reste de son air soufflé dans mes poumons affamés. Ils s’agrandirent encore plus quand, avec une torsion puissante, elle me libéra et m’envoya bouler vers la surface comme lancée du plus grand canon du monde.

Ma tête entra dans la chaleur du dehors et je passai un moment à inspirer instinctivement avant de me rendre compte exactement de ce qu’elle avait fait.

Le son distinct du tuyau de gasoil qu’on glisse dans le réservoir me réveilla un quart de seconde avant que mon hurlement ne fracasse chaque vitre de la voiture.

« Tout va bien, Angel ? » Demanda Corinne dans l’obscurité quelque part au-dessus de ma tête.

« Oui », répondis-je doucement. « Donne-moi juste un instant pour me remettre. »

« Je crois toujours qu’on devrait commercialiser tes cauchemars, Angel. Ça devrait plus valoir le coup d’œil que les navets qui remplissent ces boites à biscuits qui se font appeler théâtres ces jours-ci. »

« Je te le déconseille, Corinne », dis-je en me relevant tout en m’écartant d’elle et en me passant une main tremblante dans les cheveux. « Crois-moi. »

« C’était juste une réflexion », répondit-elle d’un air guindé avant de replonger dans le silence.

Je me frottai des yeux remplis de sommeil et repris graduellement conscience de la lumière jaune qui filtrait par les vitres. « Où est-ce qu’on est, à propos ? »

« Quelque part devant Knoxville, je crois. »

« Knoxville ? Tennessee ? Ça ne fait pas un petit détour de là où on est censées aller ? »

« Il y a une tempête de glace qui vient sur les plaines. Elle nous emmène par la route du sud. »

« Tu as réussi à obtenir tout ça d’elle, hein ? » Je tentai de toutes mes forces de ne pas sembler aussi envieuse que je l’étais.

« Bien sûr, quoi. Ce n’est pas moi qu’elle ignore, après tout. »

« Juste ce qu’il me faut », dis-je en soupirant. « Piégée dans une voiture pendant trois mille kilomètres avec Narquoise et Silencieuse. Et moi qui pensais que mes cauchemars étaient détestables ! »

Son rire léger remplit la voiture, chassant les restes de mon rêve.

*******

Quelques heures plus tard, nous nous arrêtâmes devant une chaine de motel connue dans tout le pays ; un nom que vous reconnaîtriez facilement si vous aviez été confrontée à la sincérité d’un annonceur promettant ‘qu’il y aurait toujours de la lumière’. (NdlT : slogan de Motel 6 ‘We’ll leave the light on for you’)

Avant que je puisse même penser à cligner des yeux face au néon brillant qui traversait l’obscurité de la voiture comme le rayon de lumière promis par la chaine de motel, la portière s’ouvrit près de moi et une clé portant le numéro 139, atterrit dans ma main sans aucun commentaire.

« Mer… ci », finis-je de dire à un espace vide. « Corinne… »

« Je vais lui parler, Angel. Demain. Le siège de cette voiture cause beaucoup de choses désagréables à des parties de mon anatomie que je laisse volontiers aux bons soins d’autres personnes. Alors, si ça ne t’ennuie pas si terriblement… »

« On n’en parle plus. »

« Je savais que tu verrais les choses à ma façon. »

Bien que mes jambes émirent une protestation formelle lorsque ma colonne fut soudainement requise pour porter mon poids après tant d’heures d’inactivité, elles furent bientôt trop contentes de s’étirer et retirèrent promptement leur réclamation avant de me porter bien volontiers vers le coffre ouvert, devant lequel se tenait Rio, qui me lança un regard qui aurait gelé de la lave en éruption, s’il y avait eu un volcan dans les parages.

Je répondis avec un regard de mépris et tendis la main vers le coffre pour prendre mon sac de voyage, dans lequel se trouvait tout le nécessaire pour une vie sur la route. Je le sortis avec aisance puis attrapai celui de Corinne, qui était bien plus lourd que le mien.

Pendant un instant, je pensais que mon attitude du style ‘j’suis plus coriace que toi’ allait être réduite à néant lorsque mes bras rebelles faillirent échouer dans leur tâche mais, succombant sagement aux invectives cinglantes de mon cerveau, j’attrapai le sac et le soulevai, lançant à mon observatrice un sourire narquois qui aurait rendu ma compagne fière de moi.

Corinne me fit une volée d’applaudissements silencieux tandis que j’atteignais la porte qui portait le même numéro que ma clé. Prenant ladite clé sur mon doigt tendu, elle l’enfila dans la serrure et ouvrit la porte. Une bouffée d’air froid et à l’odeur de désinfectant en sortit, me causant sur tout le corps une chair de poule de la taille de petits rochers. « Seigneur », hoquetai-je. « Est-ce que quelqu’un a oublié de leur dire qu’on est en novembre ? »

« Apparemment, Tom Bodette ne sort pas souvent (NdlT : le publiciste qui a trouvé le slogan de Motel 6 plus haut) », marmonna Corinne en allant à grands pas vers l’unité d’air conditionné pour l’éteindre avec un violent tour de poignet.

Je m’avançai en trainant les pieds et réussit à laisser tomber les sacs sur le lit avant de m’y effondrer à mon tour. Les ressorts me cognèrent les reins, me rappelant que j’avais encore une tâche à régler avant de pouvoir tenter de me détendre de la dure journée.

Je me levai du lit et allai dans la salle de bains qui fit paraître ma cellule au Bog comme positivement gigantesque. Lorsque je m’assis sur les toilettes, mes genoux touchèrent l’autre mur. L’image de Rio dans une position similaire fit venir un méchant sourire sur mes lèvres et, bien que ça m’embarrasse de le dire, je confesse volontiers que j’espérais que les burgers graisseux que nous avions mangés en route décident de faire le bazar complet dans son système digestif.

Bien qu’à peine plus grande qu’un placard avec un tuyau, la douche m’appelait et, dans mon épuisement total, je ne pus m’empêcher de lui répondre. Je me cognai plusieurs fois les coudes et les genoux, jusqu’à en saigner, contre les parois en stuc de la pièce. J’enlevais mes vêtements avant d’ouvrir le robinet aussi fort et aussi chaud que possible (ce qui, malheureusement, était plus proche d’une ‘douce bruine d’été’ et ‘à peine moins que tiède’) et j’entrai dans la douche, grognant de soulagement quand l’eau chaude coula sur mon corps.

Ma main glissa sur des endroits qui n’avaient pas connu le toucher de mon amante depuis des mois, et j’étais grandement tentée de faire plus que simplement me laver, mais la pensée d’Ice bouclée dans une cellule infestée de rats et dans le noir complet, figea le petit carré de savon et ma libido partit avec l’eau.

Me sécher fut un autre exercice futile, étant donnée la serviette rugueuse d’une taille qu’on voyait habituellement dans le coin supérieur droit des enveloppes.

Cette tâche finie avec le meilleur de ma capacité limitée, je me rendis compte que j’avais oublié d’apporter des vêtements de rechange, et après avoir débattu brièvement sur la sagesse de demander de l’aide, je haussai les épaules et m’enroulai la taille dans cette pauvre imitation de serviette aussi bien que je le pus, et me ceignis les reins, pour ainsi dire, face aux commentaires que je devinais suivre une fois que je sortirais de la salle de bains.

Et ils suivirent en effet, bien que fort heureusement, ils se limitèrent à un hoquet presque inaudible et à l’écarquillement d’yeux sombres derrière des lunettes demi-lunes de bibliothécaire.

Je lançai à Corinne mon sourire le plus désinvolte et me déplaçai en flottant jusqu’au lit et à ma valise.

Et je faillis perdre le peu de sang-froid que j’avais réussi à conserver lorsque Corinne, trop occupée à me fixer pour faire attention à l’endroit où elle se trouvait, rata totalement l’entrée de la salle de bains et entra en contact intime avec le mur juste à côté. Je faillis me mordre la langue proprement dans ma tentative de ne pas laisser passer les rires qui roulaient silencieusement en moi, et j’entendis les investives grommeleuses de Corinne qui promettait des conséquences lugubres à base d’arsenic si elle avait une bonne chance de croiser la route d’un certain mâle du clan Bodette.

Après qu’elle eut disparu dans la salle de bains, je laissai éclater mon rire tout en fouillant dans mon sac pour trouver quelque chose pour me couvrir. Je sortis un tee-shirt trop grand que j’admis volontiers appartenir à Ice. Non lavé, son odeur toujours sur le tissu. Je humai profondément tout en enfilant le tee-shirt, le serrant tout contre moi en pleurant un peu sur son absence.

Sachant que les larmes allaient rapidement dégénérer en une tempête de sanglots douloureux, je me frottai brutalement les joues et me glissai entre les draps de l’un des lits étroits, pris la télécommande de la télévision et zappai sans aucune énergie sur les douzaines de canaux disponibles.

Comme rien ne me disait vraiment, je jetai la télécommande sans ménagement sur la table de chevet et avec un soupir, je m’allongeai sur le lit. Bien qu’émotionnellement épuisée, le somme de six heures que j’avais fait dans la voiture me garantissait une nuit agitée.

Corinne sortit de la salle de bains vêtue d’une chemise de nuit simple que je n’aurais jamais imaginé qu’elle put posséder, encore moins porter. Elle passa près de son lit et vint s’asseoir sur le mien, en me souriant avec affection. « Tu n’arrives pas à dormir ? » Demanda-t-elle en repoussant avec douceur les mèches de mes yeux.

« Pas vraiment, non », répondis-je doucement, en fermant les yeux à cette caresse affectueuse. « Tu penses que je fais ce qui est juste, Corinne ? » Demandai-je après un long moment de silence.

« Est-ce que toi, tu le penses ? »

J’ouvris les yeux. « Est-ce que je te poserais la question si je le savais ? » Puis je soupirai. « Je suis désolée. Je ne devrais pas m’en prendre à toi. » Les larmes coulèrent à nouveau, la douce compassion de Corinne faisant tomber tous les murs de résistance que je pouvais encore avoir. « Je suis… elle... elle me manque. »

Elle me sourit tendrement. « C’est tout à fait normal, Angel. Elle me manque aussi. »

« Pourquoi est-ce que ça doit toujours être comme ça ? Chaque fois que je pense avoir gagné un peu de repos, quelque chose arrive pour nous séparer. Pourquoi ? Est-ce que notre amour est un tel péché que nous soyons destinées à ne jamais le partager plus d’un battement de cœur à la fois ? »

« Je n’ai pas besoin de te répondre là-dessus, Angel. »

« Non. Je pense que non. » Le passé d’Ice était une chose qui ne nous lâcherait jamais, à moins et jusqu’à ce qu’elle en paye pleinement réparation.

« Et est-ce que tu aurais pris une décision différente si tu avais su, à l’époque, comment ce chemin se déroulerait pour toi ? »

« Non », répondis-je sans hésitation, sachant que c’était la vérité absolue. « Pas même une seconde. »

« Alors je pense que tu as ta réponse, non ? »

Je lui souris légèrement. « Oui. Je suppose que oui. »

Elle me rendit mon sourire et me serra entre ses bras avant de déposer un doux baiser sur ma tête. « Dors bien, douce Angel », murmura-t-elle en me relâchant. « Le matin va vite arriver. »

« Bonne nuit, Corinne », dis-je en l’embrassant sur la joue. « Merci. »

Elle se leva, mima une courbette et sourit, les yeux brillants. « A ton service, oh mon Angélique. »

Bien que je me sentis incommensurablement mieux après notre petite conversation, le sommeil mit quand même un très long moment à venir.

********

Le peu de sommeil que je finis par avoir fut brutalement interrompu par des coups portés bruyamment à la porte. Si j’avais été un chat, j’aurais grimpé au plafond, mes griffes enfouies dans le plâtre tandis que mon corps tremblerait d’une peur incontrôlable.

Mais en l’occurrence, je poussai un cri haletant et me cognai assez rudement la tête contre le mur pour voir des étoiles flotter dans l’obscurité de la pièce.

Etant donné mon style de vie, j’ai bien peur de ne jamais pouvoir répondre à un coup à la porte avec ce qui se rapprocherait de la sérénité.

A côté de moi, Corinne bondit de son lit dans un mouvement plus rapide que je ne lui avais jamais vu, sa chemise de nuit trainant derrière elle dans un flou surpris tandis qu’elle traversait la petite pièce à grands pas et ouvrait brusquement la porte. Elle sortit dans l’espace qu’elle venait de créer et fit claquer la porte derrière elle, baignant à nouveau la chambre dans un silence obscur.

Silence qui fut brisé par le son de la voix bien contrôlée de Corinne lançant des épithètes qui auraient arraché le papier peint si elle les avait prononcés dans la pièce et pas dehors.

Alors que j’aurais en principe dû, soit me rapprocher pour écouter soit sortir dans une tentative d’apporter la paix, mon cœur était bien trop occupé à essayer de sortir par ma bouche pour me donner plus qu’une pensée fugitive pour chaque option. Au lieu de ça, sachant que mon sommeil était bel et bien du passé, j’allai dans la salle de bains et fis de mon mieux pour me préparer pour la journée à venir.

Lorsque je sortis, propre si pas nécessairement rafraîchie, Corinne était de nouveau assise sur son lit, l’air totalement composé, comme si d’être sortie du lit au milieu de la nuit, n’était qu’une péripétie comme une autre pour elle. Elle me fit un de ces sourires que fait un animal de compagnie après avoir mangé vos canaris de prix et fait de gros dégâts parmi vos poissons rouges.

Assez maligne pour ne rien demander, je me contentai de passer rapidement la brosse dans mes cheveux et de préparer mes affaires en vue de notre départ assurément imminent.

Avec toujours ce sourire de satisfaction suffisante, Corinne passa près de moi en route vers les rituels du matin qu’elle avait à suivre.

Quelques courts instants plus tard, nos affaires étaient rangées et nous étions prêtes. J’ouvris la porte et tressaillis face aux piqûres glaciales du vent de novembre dans mon corps surchauffé, l’odeur de la neige dans l’air me rappelant des choses que je tentais désespérément d’oublier. Comme les longues soirées d’automne passées blottie devant un feu chatoyant, mon corps si emmêlé dans celui de ma compagne que je ne savais honnêtement pas où je commençais et où elle finissait.

Ça suffit maintenant, Angel, me dis-je intérieurement, en levant les yeux juste à temps pour voir l’archétype de tous les regards de ‘chien battu’ lancé dans la direction de Corinne par une Rio toujours gênée. Mais lorsque son regard vint se poser sur moi, le masque de froide indifférence glissa aisément sur son visage à nouveau.

Avec un grand soupir mental, j’avançai vers le coffre ouvert et rangeai mes affaires, me préparant du mieux possible à passer encore une journée en compagnie de quelqu’un qui, pour des raisons au-delà de ma compréhension, détestait proprement ma vue.

D’une certaine façon, c’était encore pire que d’être au Bog. Au moins là-bas, j’avais l’amour pour contrebalancer la haine, des amis pour contrebalancer les ennemis, et un sentiment d’appartenance qui rendait même la pire journée plus facile à vivre pour la famille qui m’avait été si merveilleusement donnée.

Et là, même avec la présence aimante et réconfortante de Corinne, jamais à plus d’un souffle de distance, je me sentais seule, à la dérive, perdue d’une façon qui ne cessait de m’effrayer. Mes défenses étaient dans une telle pagaille que ça ne me dérangeait même pas que Corinne aille mener mes combats à ma place.

Je savais que je me dirigeais tout droit vers la gueule d’un très profond tourbillon, un de ceux dont les pentes seraient très rudes à naviguer une fois que je serais assez profondément engloutie, mais franchement, je n’avais pas l’air de pouvoir faire appel à assez d’énergie pour me sentir concernée.

Ignorant le regard profondément inquiet de Corinne dans ma direction, je me glissai dans la voiture le regard fixé vers l’avant, espérant que le temps et la distance seraient des alliés dans une guerre que je n’avais aucun désir de mener.

*******

A suivre – Chapitre 2

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Commentaires
F
ça vient ça vient ! Patience patience !
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K
J'ai bien envie d'en savoir plus à propos de l'énigmatique Rio Rio !
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